Anesthésie-réanimation dans la chirurgie de la glande thyroïde



Introduction
L’anesthésie pour chirurgie de la glande thyroïde est standardisée avec des suites opératoires habituellement très simples, l’opéré rentrant à son domicile le lendemain ou le surlendemain de l’intervention. Autrefois, la survenue des complications hormonales comme la crise aiguë thyrotoxique était redoutée par les anesthésistes réanimateurs. Actuellement, l’apparition d’une telle complication est improbable car seuls les patients contrôlés par le traitement médical et ramenés en euthyroïdie sont opérés. En revanche, cette chirurgie intervient chez des malades de plus en plus âgés, porteurs de pathologies associées et recevant des traitements susceptibles d’interférer avec l’anesthésie.

Indications chirurgicales de la thyroïdectomie
La chirurgie est indiquée pour [1] :
- les goitres simples, normofonctionnels mais gênants par leur volume ou par la compression des structures de voisinage en raison de leur situation plongeante. Les goitres plongeants sont définis par un pôle inférieur situé au bord supérieur de la deuxième vertèbre dorsale chez le patient en position opératoire. En pratique, on parle de goitre plongeant lorsque le pôle inférieur de la thyroïde n’est pas palpable même lorsque la tête est en hyperextension. Les goitres plongeants doivent être opérés car ils finissent tous par devenir compressifs.
L’exérèse de ces goitres est pratiquement toujours possible par cervicotomie et le recours à une sternotomie est exceptionnel ;
-les goitres à retentissement endocrinien.
On distingue les hyperthyroïdies d’origine diffuse (maladie de Basedow) ou focale (adénome toxique ou goitres multihétéronodulaires toxiques). Le traitement de la maladie de Basedow est essentiellement médical et ne devient chirurgical qu’en cas d’échec ou d’intolérance au traitement médical. Les hypothyroïdies ne sont pas chirurgicales en dehors d’exceptionnels goitres compressifs ;
- les cancers thyroïdiens. Le carcinome médullaire peut être associé à un phéochromocytome chez les patients porteurs d’une néoplasie endocrinienne multiple (NEM) de type 2. Il nécessite une thyroïdectomie totale avec un curage jugulocarotidien bilatéral. Les cancers différenciés d’origine folliculaire sont associés à un curage central pré- et rétrorécurrentiel en présence de métastases ganglionnaires. Les cancers anaplasiques, indifférenciés, sont rares mais de pronostic défavorable.
Il s’agit d’un goitre ancien, dur, fixé et rapidement évolutif.
Il est actuellement admis que le traitement de ces cancers n’est pas chirurgical ;
- les thyroïdites qui présentent une transformation maligne (ou suspicion) ou qui évoluent sous la forme d’un goitre compressif ou symptomatique.

Préparation médicale à l’intervention chirurgicale
Elle concerne les patients porteurs d’une hyperthyroïdie afin de prévenir la survenue de la redoutable crise aiguë thyrotoxique devenue exceptionnelle. Il est donc impératif d’assurer l’euthyroïdie des patients candidats à la thyroïdectomie. La préparation médicale à l’intervention a pour but de freiner la production hormonale ou pour le moins de diminuer les effets centraux et périphériques des hormones thyroïdiennes.

Agents pharmacologiques
Antithyroïdiens de synthèse
Les antithyroïdiens de synthèse (ATS) agissent en bloquant l’organification de l’iode et le couplage des iodothyrosines, ce qui limite la production hormonale en particulier de la thyroxine (T4). Comme les ATS affectent principalement l’hormonosynthèse, un délai de plusieurs semaines est le plus souvent nécessaire pour obtenir l’euthyroïdie. Les agents les plus utilisés sont le carbimazole (Néo-Mercazole®) et le benzylthiouracil (Basdene®). Des effets secondaires mineurs peuvent apparaître dans 1 à 5 % des cas, de type rash cutané, urticaire, arthralgies ou fièvre. L’agranulocytose constitue la complication la plus grave et concerne 0,2 à 0,5 % des patients traités. La survenue d’une intolérance aux ATS, d’une reprise évolutive ou de la rémanence d’un goitre volumineux sous traitement impose alors l’exérèse subtotale du corps thyroïdien.

b-bloquants
Les b-bloquants contrôlent l’hypertonie adrénergique observée au cours de l’hyperthyroïdie et inhibent à plus fortes doses la conversion périphérique de T4 en triiodothyronine (T3) [2].
En étant dépourvu d’effets sympathomimétiques intrinsèques, le propranolol est l’agent de choix. Il doit être administré 10 à 14 jours avant l’intervention avec un minimum de 4 à 8 jours [3]. L’adaptation du traitement est évaluée sur la courbe horaire du pouls, la fréquence cardiaque ne devant pas excéder 90 cycles min–1 ni descendre au-dessous de 60 cycles min–1. Le traitement est poursuivi jusqu’au matin de l’intervention. En peropératoire, des injections complémentaires d’un agent à demi-vie courte comme l’esmolol peuvent être nécessaires pour faire face à la survenue d’une tachycardie ou de troubles du rythme.

Les b-bloquants sont poursuivis dans les premiers jours postopératoires. Un délai de 4 à 7 jours peut être nécessaire pour qu’intervienne la chute de la thyroxinémie et que le pouls se ralentisse spontanément au-dessous de 80 cycles min–1. Une interruption prématurée pourrait favoriser la survenue d’une crise thyrotoxique.

Iode minéral
L’iode minéral est associé à un blocage transitoire de l’organification de l’iodure (effet Wolff-Chaikoff [4]) et à une diminution de la libération hormonale. L’effet Wolff-Chaikoff débute dans les 24 heures de l’administration de l’iode minéral et est maximal au 10e jour. Le caractère transitoire de l’action de l’iode minéral fait que cet agent est utilisé en thérapeutique d’urgence pour une poussée alarmante de thyrotoxicose. Outre le blocage de l’hormonosynthèse, l’iode minéral diminue la vascularisation et la friabilité de la glande thyroïde [5], ce qui peut faciliter l’exérèse chirurgicale, en particulier du goitre hypervascularisé de la maladie de Basedow. L’iode minéral est utilisé sous forme de solution de Lugol fort (2,5 mg par goutte de solution) ou en gélule d’iodure de potassium (gélule de 130 mg d’iodure de potassium). Dans cette situation où l’iode minéral est utilisé en relais des ATS, l’intervention est réalisée dans un délai maximal de 3 semaines après le début de la prise afin d’éviter une récidive de l’hyperthyroïdie.

Autres thérapeutiques
Lithium
Le lithium, en bloquant la libération hormonale, permet de réduire rapidement l’hyperthyroïdie (3 à 4 comprimés de 300 mg j–1 sans excéder une lithémie de 1 mmol l–1) [3].
Compte tenu de la marge étroite entre doses thérapeutiques et toxiques, ses indications sont exceptionnelles et se limitent aux patients intolérants à l’iode minéral qui rencontrent des difficultés de préparation avec les ATS.

Glucocorticoïdes
Les glucocorticoïdes à doses élevées peuvent aussi bloquer la conversion périphérique de T4 en T3 [2].

Plasmaphérèse
Chez quelques patients en crise thyréotoxique résistante aux thérapeutiques conventionnelles, la plasmaphérèse a permis de réduire transitoirement les taux circulants de T3 et T4 [6].

Préparation médicale en pratique
Pour la chirurgie réglée des patients hyperthyroïdiens sans maladie de Basedow, l’euthyroïdie est obtenue le plus souvent sous ATS qui sont maintenus jusqu’à l’intervention. Les b-bloquants, en particulier le propanolol (40 à 80 mg j–1), peuvent être associés pour les patients les plus symptomatiques sur le plan cardiovasculaire.
Chez les patients porteurs d’une maladie de Basedow, certaines équipes préfèrent stopper les ATS pour les relayer par de l’iode minéral (voir ci-dessus). Classiquement, les ATS sont interrompus progressivement sur 5 à 6 jours, une quinzaine de jours avant l’intervention, en les substituant par des doses croissantes d’iode minéral en solution (Lugol fort débuté à 5 gouttes 3 fois par jour, augmenté progressivement jusqu’à 15 gouttes 3 fois par jour) [3]. En raison du goût amer de cette solution, certains préfèrent des gélules d’iodure de potassium (1 gélule de 130 mg d’iodure de potassium par jour) dont les effets inhibiteurs sur l’hormonosynthèse ont été démontrés dans la prévention des complications thyroïdiennes après accident nucléaire [7].

En situation d’urgence, une préparation rapide est réalisée pendant 4 à 5 jours. Elle associe b-bloquants (propanolol jusqu’à 120 mg j–1) et corticoïdes à forte dose (dexaméthasone jusqu’à 8 mg j–1) [2]. En cas de contre-indication aux b-bloquants, la plasmaphérèse est envisageable [6].

Examen préanesthésique
L’examen préanesthésique en vue d’une thyroïdectomie répond aux critères habituels d’évaluation du risque anesthésique, de décision d’une prémédication anxiolytique, d’information du patient et de préparation à l’intervention. Sur le plan biologique, la cervicotomie est une chirurgie programmée au risque hémorragique limité qui nécessite un bilan d’hémostase classique. La consultation s’attachera également à évaluer les anomalies de la fonction thyroïdienne et le retentissement sur la filière aérienne de la maladie thyroïdienne.

Appréciation de la fonction thyroïdienne
L’histoire de la maladie, les antécédents et l’examen du patient programmé pour thyroïdectomie doivent rechercher une dysfonction thyroïdienne. En particulier, la courbe de pouls, la surveillance de la pression artérielle et de l’électrocardiogramme apprécient le retentissement cardiovasculaire de l’hyperthyroïdie (tachycardie sinusale, fibrillation auriculaire, insuffisance cardiaque, angor).

La disparition des signes cliniques classiques (sueurs, tremblement, agitation, brillance du regard, etc.) reste cependant le meilleur garant d’une préparation médicale efficace. Une pathologie endocrinienne associée est systématiquement recherchée comme une hyperparathyroïdie (bilan phosphocalcique) ou un phéochromocytome en cas de carcinome médullaire.

Appréciation de la filière aérienne
L’appréciation de la filière aérienne repose sur la recherche des critères d’intubation difficile : score de Mallampatti, mobilité du rachis cervical, implantation dentaire, distance thyromentale, morphologie mandibulaire, ouverture de bouche et index de masse corporelle.
L’extension et le retentissement local d’un goitre doivent être évalués. La dyspnée, la dysphagie et la dysphonie sont des signes classiques de compression. Cependant, la présence d’un goitre, même volumineux (Fig. 1), ne semble pas augmenter l’incidence des intubations difficiles (environ 5 %) comparée à la population générale (4 %) [8]. En revanche, les difficultés d’intubation augmentent lorsque le goitre est d’origine néoplasique et lorsqu’il est associé à une dyspnée et à une déviation ou une compression trachéale [8]. La compression laryngée ou trachéale est essentiellement le fait de néoplasmes. Une réduction de plus de 30 % de la lumière trachéale n’entraîne pas, en général, de difficultés au passage de la sonde d’intubation.

L’orifice glottique peut être ascensionné ou dévié latéralement.
Un cliché radiographique de thorax de face et de profil suffit habituellement pour apprécier la compression ou la déviation trachéale du goitre plongeant intrathoracique (Fig. 2). La tomodensitométrie cervicothoracique est indiquée pour apprécier la sténose trachéale des goitres plongeants et compressifs (Fig. 3). L’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) permet une étude morphologique fine du goitre et de ses rapports avec les éléments médiastinaux en particulier vasculaires (Fig. 4) [9]. La réalisation de courbes débit-volume et la mesure des volumes d’inspiration et d’expiration forcées sont réservées aux patients présentant une dyspnée et un stridor inspiratoire [1].

La laryngoscopie préopératoire évalue l’intégrité des cordes vocales, l’extension et le retentissement local du goitre. Cet examen est préconisé par de nombreuses équipes [10]. Certains effectuent la laryngoscopie sur les seuls patients avec dysphonie ou en cas de réintervention où elle est alors indispensable [11].

Risques liés au terrain
Comme pour toutes les chirurgies, la thyroïdectomie est réalisée chez des patients de plus en plus âgés, porteurs de pathologies associées, en particulier coronariennes, et recevant des traitements susceptibles d’interférer avec l’anesthésie et la chirurgie. Une attention particulière est apportée à la prise d’aspirine ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens que la banalité fait souvent méconnaître mais dont les effets sur la coagulation peuvent avoir une incidence majeure dans ce type de chirurgie.

Technique anesthésique pour la chirurgie de la glande thyroïde

Anesthésie générale
L’anesthésie générale avec intubation trachéale et ventilation contrôlée est la règle. Certains utilisent le masque laryngé en ventilation spontanée afin de visualiser en peropératoire par fibroscopie la mobilité des cordes lors de la dissection des nerfs récurrents [12]. Cependant, le risque de mobilisation peropératoire du masque laryngé et les difficultés d’accessibilité à la tête du patient ne permettent pas de conseiller cette technique [13].

L’intubation endotrachéale par voie orale est systématique.
Elle est réalisée avec une sonde classique non armée. La suspicion d’intubation difficile doit conduire à prévoir les moyens adaptés : laryngoscopes à lame droite, fibroscope, etc.
Elle est volontiers facilitée par l’utilisation de curares non dépolarisants de durée d’action brève ou moyenne (mivacurium, atracurium, vécuronium, etc.), mais peut être remplacée par un agent d’induction procurant un relâchement glottique suffisant (propofol, midazolam). L’entretien de l’anesthésie est habituellement réalisé par les halogénés. Pour des interventions d’une durée moyenne de 2 heures, l’utilisation de la ventilation en circuit fermé à faible débit de gaz frais s’impose.

La chirurgie thyroïdienne est réputée peu réflexogène. La réinjection de bolus de morphiniques, fondée sur l’apparition de signes cliniques (tachycardie, élévation de la pression artérielle, etc.) ou au mieux par le monitorage de l’index bispectral sera évitée en fin d’intervention pour permettre le retour en ventilation spontanée, lors de la fermeture, ainsi qu’une extubation rapide permettant un contrôle en laryngoscopie directe de la mobilité des cordes vocales avant le réveil total du patient.



Anesthésie locorégionale
L’exérèse thyroïdienne peut être effectuée sous anesthésie locorégionale (ALR). Récemment, une équipe américaine a rapporté une série de plus de 1 000 thyroïdectomies réalisées sous anesthésie locale du champ opératoire et bloc du plexus cervical superficiel [14]. Le recours à l’anesthésie générale était nécessaire pour moins de 4 % des patients. Dès lors, l’ALR peut constituer une autre solution que l’anesthésie générale chez les patients les plus à risque. En général, l’ALR est associée à une anesthésie générale, voire à une hypnose pour certaines équipes [15]. La réalisation d’un bloc du plexus cervical superficiel après l’induction s’accompagne d’une diminution de la consommation peropératoire en morphiniques [16] et d’une meilleure qualité d’analgésie postopératoire [17]. L’efficacité du bloc est dépendante de la technique de réalisation avec une meilleure qualité d’analgésie observée pour le bloc du plexus cervical superficiel à trois injections (Fig. 5) [17, 18]. L’analgésie peut être améliorée en associant un bloc du plexus cervical profond à celui du plexus cervical superficiel [19]. Cependant, le risque de paralysie phrénique bilatérale avec le bloc du plexus cervical profond constitue une limitation à l’utilisation de cette technique dans une chirurgie pour laquelle la douleur postopératoire est modérée.

Installation du patient
Après l’intubation et la vérification du bon positionnement de la sonde d’intubation, celle-ci est solidement fixée. Les difficultés d’accessibilité à la tête du patient imposent une protection oculaire minutieuse qui est assurée par une pommade ophtalmique ou un collyre et par l’occlusion des paupières, dont la béance est favorisée par la position sur table. Un défaut de protection oculaire peut avoir des conséquences catastrophiques chez des malades porteurs de maladie de Basedow avec exophtalmie.

L’installation sur table expose au maximum la région cervicale et dégage l’entrée du thorax en cas de goitre plongeant. La tête est placée en hyperextension avec une position strictement sagittale maintenue éventuellement par un rond de tête et un bandeau adhésif. Pour les patients ayant un cou court, une exposition satisfaisante de la région opératoire peut nécessiter une surélévation de la ceinture scapulaire en plaçant un billot au niveau de la pointe des omoplates. Chez les patients arthrosiques, il est nécessaire de vérifier que la tête ne décolle pas du plan de la table. Les bras sont maintenus le long du corps alors que la table est mise en proclive d’environ 25° pour favoriser le drainage veineux de la glande thyroïde.

Du fait de l’absence d’accès à la tête, un prolongateur doit être mis en place afin de réaliser les injections en dehors des champs opératoires.
Une sonde gastrique est installée en cas de goitre plongeant endothoracique afin de permettre au chirurgien de repérer plus aisément l’oesophage.

Période postopératoire pour la chirurgie de la glande thyroïde



Suites simples
Les suites opératoires sont habituellement simples, se limitant dans bien des cas à une laryngoscopie postopératoire avec phonation, à la surveillance habituelle du réveil, les patients rentrant à leur domicile dès le lendemain pour les gestes unilatéraux, après 48 à 72 heures pour les thyroïdectomies subtotales. Dans ce cadre, il n’y a aucune justification à la réalisation d’une prophylaxie antithrombotique sauf pour les patients porteurs d’une affection nécessitant la reprise de façon précoce d’un traitement anticoagulant. La douleur postopératoire est modérée, et de courte durée (entre 12 et 24 heures) contrôlée au mieux par un bloc du plexus cervical superficiel ou par une association d’antalgiques de niveau 2.

Les antiinflammatoires non stéroïdiens associés ou non au paracétamol diminuent la douleur postopératoire, comparés au paracétamol seul et ne semblent pas augmenter le risque de saignement et d’hématome de la loge thyroïdienne [20].

Une surveillance soigneuse de la plaie opératoire et des drains est indispensable.

Complications postopératoires
Hématome de la loge thyroïdienne
Une hémorragie postopératoire peut survenir au cours des 24 heures qui suivent la thyroïdectomie, le plus souvent pendant les 6 ou 8 premières heures [21]. Le danger majeur est représenté par l’hématome sous-aponévrotique de la loge thyroïdienne. Bien qu’il soit une complication rare (0,36 % pour3 008 thyroïdectomies) [22], il est susceptible de devenir rapidement compressif. Une asphyxie aiguë peut survenir brutalement.
La plupart des hémorragies postopératoires peuvent être évitées par une hémostase peropératoire méticuleuse réalisée plan par plan avec des ligatures vasculaires.

En fin d’intervention, chez le patient intubé, une manoeuvre de Valsalva (hyperinsuflation manuelle avec blocage transitoire en fin d’expiration ) est réalisée sans billot afin de contrôler la qualité de l’hémostase et prévenir l’hématome postopératoire.
La survenue d’une complication hémorragique sans signe de détresse respiratoire doit conduire à la réintubation et à la réintervention précoce pour reprendre les hémostases défaillantes.

À ce stade, les difficultés d’intubation sont rapportées, plus à l’oedème laryngé et pharyngé lié à la stase veineuse et lymphatique qu’à la compression trachéale de l’hématome [1]. En revanche, en cas d’hématome compressif asphyxiant, l’induction de l’anesthésie générale peut être une erreur mortelle pour le patient car la ventilation et l’intubation peuventêtre rendues impossibles, plus aucune structure n’étant reconnaissable.Dès lors, l’abord direct de la loge thyroïdienne sans anesthésie constitue le geste salvateur, permettant d’intuber le patient et d’éviter une trachéotomie en urgence, délicate et préjudiciable, au sein même d’un champ opératoire.

Paralysies des nerfs récurrents
Les atteintes nerveuses au cours de la chirurgie thyroïdienne relèvent de différents mécanismes incluant l’ischémie, la contusion, la traction et la section. L’incidence d’une atteinte récurrentielle unilatérale transitoire est de 3 à 4 % [23]. Les formes définitives concernent moins de 1 % des patients [22].
Les atteintes bilatérales sont exceptionnelles. Le risque de lésions nerveuses est augmenté pour la chirurgie carcinologique [24], les thyroïdectomies pour maladie de Basedow ou thyroïdite chronique [25]. C’est surtout en cas de réintervention que le risque est le plus élevé, atteignant 8,1 % de paralysie définitive [26]. Les variations des repères anatomiques peuvent favoriser la survenue de telles complications et ce, d’autant que le chirurgien est inexpérimenté. La surveillance électrophysiologique peropératoire des nerfs récurrents ne semble pas prévenir de manière sensible les atteintes nerveuses [25]. Une technique opératoire rigoureuse et standardisée, comportant notamment un repérage des nerfs récurrents, reste le meilleur garant pour éviter les lésions récurrentielles. Le diagnostic postopératoire de l’atteinte récurrentielle est effectué au mieux par une laryngoscopie au nasofibroscope plutôt qu’à la lame de Macintosh.

Les atteintes récurrentielles unilatérales peuvent être asymptomatiques.
Le plus souvent, il est observé une faiblesse ou une modification de la voix, se traduisant par une « fatigue » avec une perte de puissance de la voix. Un contrôle laryngoscopique doit être effectué avant la sortie du patient par un spécialiste oto-rhino-laryngologiste (ORL).
En ce qui concerne les atteintes récurrentielles bilatérales, elles sont le plus souvent révélées dès l’extubation par un stridor. Toutefois, la symptomatologie peut être retardée avec un aspect faussement rassurant de la glotte maintenue ouverte lors de l’ablation de la sonde d’intubation moulant temporairement un larynx dénervé. Lorsque l’une des cordes vocales est fixe en position médiane et l’autre en abduction, le mode de révélation est la survenue de fausses routes lors de la réalimentation. En revanche, une paralysie bilatérale en adduction se traduit dès l’extubation par une détresse respiratoire aiguë qui impose la réintubation immédiate. Une tentative d’extubation, avec contrôle laryngoscopique, est effectuée 48 heures plus tard car certaines paralysies liées à une contusion ou à une dessication du nerf peuvent avoir régressé. À l’inverse, la confirmation de la paralysie récurrentielle pourra conduire à la trachéotomie et à une approche chirurgicale adaptée à la nature de la paralysie.

La traitement d’une atteinte récurrentielle comprend l’administration périopératoire de corticoïdes qui ne réduisent pas le taux de paralysie mais pourrait en faciliter la récupération [27].
Une section du nerf récurrent affirmée en cours d’intervention impose une réparation nerveuse immédiate par microchirurgie.
Cette réparation éviterait l’hypotrophie de la corde vocale et permettrait une récupération complète de sa mobilité [28].
L’existence d’une paralysie en abduction, empêchant l’occlusion totale de la glotte, à l’origine de fausses routes, peut bénéficier de l’injection de téflon au niveau d’une corde vocale. Une paralysie en adduction empêchant l’ouverture de la glotte nécessite une aryténoïdectomie et/ou des techniques de transplantation nerveuse ou musculaire.

Paralysie du nerf laryngé supérieur
Le nerf laryngé supérieur peut être lésé au cours de la ligature du pôle supérieur de la thyroïde. Le patient présente alors une raucité avec une perte dans les aigus et une fatigabilité de la voix par paralysie du muscle cricothyroïdien. Selon les séries et l’expérience de l’équipe chirurgicale, l’incidence de cette complication varie de 0,02 à 25 % après thyroïdectomie totale [29, 30]. Le repérage du nerf laryngé supérieur avant la ligature de l’artère thyroïdienne supérieure ou la ligature de cette dernière en dehors de la glande est le seul garant d’une réduction des atteintes du nerf laryngé supérieur [31].

Hypocalcémie
Après thyroïdectomies totales et subtotales, l’incidence des hypocalcémies transitoires, définies par une calcémie inférieure à 2 mmol l–1 ou de 80 mg l–1 à deux reprises, varie de 1,6 à 50 % selon les équipes [32]. L’hypocalcémie disparaît spontanément en quelques jours ou semaines. L’hypoparathyroïdie définitive concerne moins de 2 % des thyroïdectomies dans les centres spécialisés. Son diagnostic repose sur le bilan phosphocalcique réalisé au cours des 2 premiers jours postopératoires. En présence d’une hypocalcémie, le bilan est complété par le dosage de la parathormone, de la 25-OH vitamine D et du magnésium.

Le risque est absent dans les lobectomies et les isthmectomies car la persistance même d’une seule parathyroïde permet la récupération d’une fonction satisfaisante. Les manifestations de l’hypoparathyroïdie aiguë liées à l’hypocalcémie se caractérisent par une hyperexcitabilité neuromusculaire allant de l’existence de paresthésies péribuccales et des extrémités digitales au risque de laryngospasme. Le signe de Chvostek ne prend toute sa valeur que dans la mesure où il était absent en préopératoire.

Aucun traitement de suppléance n’est administré pour les hypocalcémies asymptomatiques. L’apparition de paresthésies conduit à l’administration quotidienne de calcium (3 à 6 g) et de magnésium. La survenue de crampes impose la mise en place d’un traitement calcique par voie i.v. comprenant un bolus de deux ampoules de gluconate de calcium à 10 % relayé par une perfusion continue pendant 24 heures.

Crise thyrotoxique
Devenue exceptionnelle, cette complication est la plus redoutée en chirurgie thyroïdienne. La crise thyrotoxique est caractérisée par une hyperthermie majeure, un syndrome confusionnel pouvant évoluer vers le coma, une atteinte neuromusculaire, des troubles digestifs et une tachycardie majeure pouvant se compliquer d’une insuffisance cardiaque à débit élevé. La confirmation du diagnostic repose sur une élévation des formes libres de T3 et T4, sans corrélation toutefois avec la gravité de « l’orage thyroïdien ».

Le traitement comporte des mesures symptomatiques de réanimation non spécifiques (réhydratation, lutte contre l’hyperthermie, assistance ventilatoire en cas d’atteinte des muscles respiratoires, traitement de la cardiopathie par l’administration de propanolol ou d’esmolol) et étiologiques, visant à réduire l’inflation hormonale (ATS, solution de Lugol, techniques de soustraction hormonale par plasmaphérèse). La crise thyrotoxique comporte une mortalité inférieure à 20 %, le pronostic dépendant de la précocité du diagnostic et de la rapidité de la mise en oeuvre du traitement.

Hypothyroïdie
L’hypothyroïdie ne se manifeste jamais de façon aiguë en postopératoire immédiat en raison de la durée de vie des hormones thyroïdiennes (la demi-vie de la T4 est de 7 à 8 jours). En cas de thyroïdectomie totale, l’hormonothérapie thyroïdienne substitutive (L-thyroxine) est débutée le lendemain de l’intervention avec évaluation de la fonction thyroïdienne 6 semaines après l’intervention.

Conclusion
Le principe essentiel de l’anesthésie pour thyroïdectomie est de réaliser cette intervention chez un patient en euthyroïdie. La préparation médicale préopératoire concerne tout particulièrement les patients en hyperthyroïdie afin de prévenir la crise thyrotoxique devenue exceptionnelle. La technique anesthésique de choix associe l’anesthésie générale et le bloc du plexus cervical superficiel qui améliore la qualité de l’analgésie périopératoire. Les complications postopératoires sont rares pour les équipes chirurgicales expérimentées, mais sont parfois redoutables jusqu’à constituer un risque vital. Ces situations à haut risque doivent être connues, évaluées pour être si possible évitées, ou pour le moins appréhendées.

 Points essentiels
La chirurgie thyroïdienne est réalisée chez des patients euthyroïdiens.
La préparation médicale préopératoire est indispensable pour les patients en hyperthyroïdie. Elle repose habituellement sur les antithyroïdiens de synthèse (ATS) qui sont poursuivis jusqu’à l’intervention et les b-bloquants qui peuvent être continués pendant 5 à 7 jours après l’intervention. Dans la maladie de Basedow, l’exérèse chirurgicale peut être facilitée par une préparation à l’iode minéral qui a la propriété de bloquer l’hormonosynthèse et de diminuer la vascularisation et la friabilité de la glande thyroïde.

Le retentissement de la pathologie thyroïdienne sur la filière oropharyngée concerne principalement les cancers.

L’association anesthésie générale et bloc du plexus cervical superficiel permet d’améliorer l’analgésie périopératoire.
Les réinterventions et la chirurgie pour cancer augmentent le risque d’atteinte nerveuse (nerf récurrent et nerf laryngé supérieur) et des parathyroïdes.

Les atteintes récurrentielles bilatérales sont rares. Elles sont associées soit à des fausses routes, soit à une détresse respiratoire dont la prise en charge nécessite un milieu de réanimation.

Les hypocalcémies définies par une calcémie inférieure à 80 mg l–1 ou 2 mmol l–1 à deux reprises sont le plus souvent transitoires. Les hypocalcémies définitives concernent moins de 2 % des patients thyroïdectomisés.

Les complications hémorragiques sont prévenues par une hémostase peropératoire minutieuse. La survenue d’un hématome de la loge thyroïdienne impose l’intubation du patient et la reprise chirurgicale en urgence.

Références
[1] Farling PA. Thyroid disease. Br J Anaesth 2000;85:15-28.
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