Rhabdomyolyses traumatiques et non traumatiques





 
Taysir Assistance.TN   T. Geeraerts, S. Pajot, B. Vigué
La lyse des cellules musculaires striées (ou rhabdomyolyse) peut survenir dans toutes les situations d’inadéquation entre les apports et les besoins métaboliques musculaires, ou lors d’une toxicité musculaire directe liée à un toxique. L’afflux massif de calcium dans le secteur intracellulaire est responsable d’une grande partie des événements cellulaires conduisant à la lyse des myocytes. Les rhabdomyolyses traumatiques peuvent s’observer lors de catastrophes et conduire à une gestion difficile d’un afflux massif de victimes. Les effets secondaires des médicaments sont responsables de la plupart des rhabdomyolyses non traumatiques. Les rhabdomyolyses sont mises en cause dans la survenue d’environ 10%des cas d’insuffisance rénale aiguë, dont la physiopathologie est multiple : hypoperfusion rénale liée principalement à une hypovolémie, hypoxie de la médullaire rénale responsable d’une nécrose tubulaire aiguë, obstruction des tubules rénaux par des cristaux de myoglobine et d’acide urique, et stase endolumimale liée à la diurèse faible favorisant la précipitation de la myoglobine.
Le traitement des rhabdomyolyses est basé sur la prévention de l’insuffisance rénale aiguë et la correction des désordres métaboliques (hyperkaliémie, acidose métabolique).
La pierre angulaire est l’optimisation de la diurèse et l’alcalinisation des urines. Ces objectifs peuvent être atteints grâce à un remplissage vasculaire.

Mots clés : Rhabdomyolyse ; Crush syndrome ; Myoglobine ; Créatine phosphokinase ; Insuffisance rénale aiguë


Introduction
Le terme rhabdomyolyse, issu du grec rhabdos (raie, strie), mus (muscle) et lusis (dissolution), correspond à un syndrome clinique non spécifique associant la destruction des cellules musculaires des muscles striés et la libération dans le sang des protéines musculaires (créatine phosphokinase [CPK] et myoglobine) [1, 2].
La publication « historique » de Bywaters et Beall durant la seconde guerre mondiale après les bombardements allemands sur Londres permettait de décrire des lésions d’écrasement ou crush syndrome compliquées d’insuffisances rénales aiguës mortelles [3]. La responsabilité du passage rénal de la myoglobine (ou myoglobinurie) dans ces complications rénales est aujourd’hui clairement établie.
Classiquement, on distingue les rhabdomyolyses selon leur caractère traumatique ou non. Cependant, toute situation à l’origine d’un déséquilibre entre apport et besoin métaboliques des cellules musculaires peut être à l’origine d’une rhabdomyolyse.

Physiopathologie
En condition anaérobie (comme lors de l’effort musculaire intense ou lors de l’ischémie musculaire), le fonctionnement mitochondrial est altéré et la phosphorylation oxydative n’est plus possible [4]. Seule la glycolyse permet la production de deux molécules d’adénosine triphosphate (ATP). Cette production énergétique est très insuffisante pour permettre le maintien de l’homéostasie cellulaire. La cellule musculaire striée possède toutefois des réserves en ATP stockées grâce à une enzyme présente en quantité importante dans les muscles : la CPK, la fraction MM correspondant à l’isoforme musculaire. Cette enzyme d’environ 84 000 daltons permet la transformation réversible d’adénosine diphosphate (ADP) en ATP par l’intermédiaire de la production de créatine (Fig. 1). Ainsi, la consommation massive d’ATP rendue nécessaire par l’effort musculaire est possible grâce à l’adaptation du débit sanguin local, mais aussi par la possibilité d’utiliser ces réserves d’ATP produites au repos et stockées par l’action des CPK.
L’homéostasie calcique primordiale pour la relaxation musculaire peut être perturbée en cas de défaut entre la production (ou le stockage) et la consommation en ATP. Une production réduite d’ATP (par défaut d’apport, par découplage de la phosphorylation oxydative ou par perturbation du potentiel de membrane mitochondrial) ou une consommation énergétique excessive lors d’un effort prolongé conduisent à un cercle vicieux dont le point central est l’entrée calcique excessive vers le milieu intracellulaire.
Cette entrée excessive de calcium consécutive à la faillite énergétique conduit à l’activation de protéines musculaires et à l’absence de relaxation (crampes musculaires), augmentant la consommation en énergie. Les événements cellulaires communs aux différentes causes de lyse musculaire (ou rhabdomyolyse) sont les perturbations du fonctionnement du sarcolemme, conduisant à une augmentation du calcium intracellulaire et à une interaction pathologique entre actine et myosine.
Par ailleurs, l’entrée intracellulaire excessive de calcium active des protéases dépendantes du calcium et différentes phosphorylations conduisant à la destruction des myofibrilles, du cytosquelette et des protéines membranaires, et à la lyse cellulaire musculaire [5]. On observe également l’activation de la phospholipase A2 entraînant une production de leucotriènes et de prostaglandines. De plus, il existe une production importante de radicaux libres qui pourraitparticiper à la destruction cellulaire [6].
 Les cellules endothéliales endommagées entraînent une accumulation de
polynucléaires neutrophiles activés qui amplifient les dommages cellulaires en libérant des protéases et des radicaux libres [7].
Si le primum movens de la rhabdomyolyse est l’ischémie (ou l’hypoxie) cellulaire, on sait aujourd’hui que les dommages tissulaires sont fortement aggravés lors de la reperfusion musculaire, créant ainsi des lésions d’ischémie-reperfusion [8].
La reperfusion s’accompagne d’une production massive d’espèces radicalaires de l’oxygène et de leurs effets toxiques [7]. Par ailleurs, lors de la reperfusion, les cellules endothéliales endommagées par l’ischémie sont responsables d’une fixation et d’uneactivation majeure des polynucléaires neutrophiles et d’une augmentation de la perméabilité capillaire aggravant l’oedème tissulaire. Ces phénomènes conduisent à une activation de l’inflammation et à des microthromboses diffuses compromettant d’autant la perfusion tissulaire [9].



OEdème cellulaire et syndrome des loges
En cas de faillite énergétique, on observe une défaillance des pompes Na/K/ATPases des cellules musculaires conduisant à une entrée massive intracellulaire de sodium, et donc d’eau, et à un oedème cellulaire. L’augmentation de la perméabilité capillaire participe également à la création d’un oedème interstitiel. La séquestration liquidienne dans les muscles peut être majeure (jusqu’à 10 litres) et conduire à une hypovolémie. Du fait de l’enveloppement des muscles par des aponévroses peu extensibles, toute augmentation importante du volume musculaire va se traduire par une augmentation de la pression. Ainsi, l’hyperpression tissulaire peut conduire à un syndrome des loges.
Lorsque cette pression atteint 30 mmHg, la perfusion musculaire est compromise, et l’ischémie tissulaire survient, aggravant la rhabdomyolyse [10].
Rôle du potassium
Le déficit en potassium augmente le risque de développer une rhabdomyolyse non traumatique [11] et les manifestations musculaires sont fréquentes en cas d’hypokaliémie chronique.
L’hypokaliémie entraîne une dépolarisation de la cellule musculaire qui pourrait participer aux lésions cellulaires. D’autre part, la vasodilatation des artérioles musculaires, dont le but est d’augmenter les apports énergétiques en réponse à une demande accrue, dépend principalement de la libération de potassium [12].
En cas d’hypokaliémie, cette adaptation du débit sanguin local n’est pas optimale et pourrait conduire à une ischémie musculaire.
Par ailleurs, l’hypokaliémie perturbe l’utilisation de l’énergie par la cellule en diminuant la réponse à l’insuline et l’utilisation des réserves glucidiques musculaires.
Tous ces phénomènes conduisent à la lyse cellulaire et à la libération dans le sang du contenu des cellules musculaires.
Étiologie
Toutes les situations où les apports énergétiques musculaires sont insuffisants sont à risque de rhabdomyolyse. Très souvent, les rhabdomyolyses traumatiques surviennent dans un contexte associant une diminution des apports(choc, hypotension, hypovolémie) et une augmentation de la pression des loges musculaires (oedème traumatique, compression prolongée).
Parmi les causes non traumatiques, la principale est une toxicité musculaire directe, comme dans les intoxications alcooliques, survenant parfois sur un terrain prédisposé. Le Tableau 1 résume les principales causes de rhabdomyolyse. Il faut toutefois souligner que des facteurs étiologiques multiples sont retrouvés dans environ 50 % des cas [13].
Traumatisme et compression
Les rhabdomyolyses (et leurs conséquences métaboliques) sont une cause majeure de décès de victimes d’écrasements lors de tremblements de terre, d’actes terroristes ou d’accidents de la voie publique. Les lésions ischémiques musculaires induites par la compression s’ajoutent aux lésions tissulaires liées directement au traumatisme. Ces écrasements musculaires sont également possibles lors de comas prolongés avec position vicieuse ou lors d’une anesthésie générale de longue durée. La position de lithotomie et le décubitus latéral prolongé sont par exemple des causes bien documentées de rhabdomyolyse postopératoire [5, 14]. Ces positions peuvent participer à la compression musculaire et à l’apparition de lésions par augmentation de la pression locale et par baisse du retour veineux.
L’obésité semble être un facteur de risque important de rhabdomyolyse périopératoire.
L’association d’une chirurgie longue (plus de 5 heures) avec une posture favorisant les compressions musculaires chez un obèse morbide (indice de masse corporelle supérieur à 40 kg/m2) doit donc faire rechercher systématiquement la rhabdomyolyse postopératoire [15]. L’hypovolémie, le diabète et l’hypertension semblent être également des facteurs favorisants [14]. C’est lors de la reperfusion musculaire (levée de la compression externe) et dans les heures qui suivent que le risque d’apparition d’un syndrome métabolique (hyperkaliémie, hypocalcémie, acidose métabolique) est important.
Ischémie et hypoxie musculaire
Les états de choc peuvent entraîner, par diminution de la pression artérielle, une diminution de la pression de perfusion musculaire et compromettre la vascularisation tissulaire. De plus, une atteinte de la microcirculation est fréquente dans ces états de choc. Des ischémies musculaires locales sont possibles, par exemple lors de clampages vasculaires ou de garrots prolongés, de thrombose artérielle, ou lors des crises vaso-occlusives des drépanocytaires. De même, lors des troubles de l’utilisation périphérique de l’oxygène, comme les intoxications au monoxyde de carbone ou aux cyanures, une hypoxie tissulaire musculaire peut survenir et conduire à une rhabdomyolyse sévère.
Rhabdomyolyses d’effort
Les rhabdomyolyses d’exercice sont fréquentes. Elles surviennent lors d’efforts prolongés et sont souvent associées à une déshydratation liée à une chaleur importante [16]. Les circonstances de survenue habituelles sont le marathon et les exercices militaires prolongés. Il existe des professions à risque comme les ouvriers du bâtiment ou les garçons de café travaillant l’été sous de fortes chaleurs. Le coup de chaleur d’exercice est une entité particulière associant hyperthermie, encéphalopathie et faiblesse musculaire liée à une rhabdomyolyse. La production de chaleur est principalement endogène. Une activation du système immunitaire est probable, et peut conduire à une évolution vers la défaillance multiviscérale avec coagulation intravasculaire disséminée et éventuellement le décès [17].


Rhabdomyolyses liées aux infections
Les infections bactériennes, virales ou parasitaires peuvent causer des rhabdomyolyses sévères. Certains bacilles à Gram négatif possèdent une toxicité musculaire directe. Des microorganismes comme Clostridium peuvent produire une toxine ayant une toxicité musculaire directe, et des cytokines comme l’interleukine-1 peuvent entraîner une protéolyse musculaire.
Les infection à Haemophilus influenzae A et B, les légionelloses, les salmonelloses et les infections à streptocoques sont des causes classiques de rhabdomyolyse [18]. Par ailleurs, l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine peut également être responsable de rhabdomyolyse lors de la séroconversion ou lors de stades évolués de la maladie avec apparition d’infections intercurrentes [18]. La toxicité musculaire des antirétroviraux comme l’azathioprine est également possible, tout comme une toxicité musculaire d’origine immunologique.
Rhabdomyolyses d’origine toxique et médicamenteuse
L’Ancien testament décrit durant l’exode des juifs d’Égypte un « fléau » pouvant correspondre à de nombreux cas mortels de rhabdomyolyse consécutifs à la
consommation de caille contaminée par de la ciguë [19].Les rhabdomyolyses
toxiques pourraient représenter plus de 80 % des rhabdomyolyses survenant chez les adultes [20]. Leur caractéristique principale est d’être réversible à l’arrêt de l’agent toxique. L’alcool est probablement la cause la plus fréquente.L’intoxication
chronique entraîne des lésions musculaires spécifiques probablement multifactorielles (dénutrition, hypokaliémie, hypophosphorémie) survenant sur un terrain génétiquement prédisposé à la lyse musculaire [21]. Par ailleurs, l’intoxication alcoolique aiguë produit une toxicité musculaire directe. L’intoxication aux drogues (cocaïne, héroïne, ecstasy, amphétamines, LSD) peut également causer des rhabdomyolyses par toxicité directe [22].
Ces drogues peuvent par ailleurs entraîner un coma avec immobilisation prolongée, mais également des états d’agitation extrêmement importants où l’effort musculaire est intense.
Les hypolipémiants ont été impliqués dans la survenue de rhabdomyolyses sévères. Cette toxicité existe pour les fibrates comme pour les statines par toxicité musculaire directe [23]. La toxicité des inhibiteurs de l’hydroxy-méthyl-glutaryl-coenzyme A réductase (statines) est dépendante de la dose. Elle est potentialisée par l’association avec un autre hypolipémiant comme les fibrates. Un des mécanismes potentiels serait une inhibition de la production d’ubiquinone mitochondriale [24].
Cette coenzyme est indispensable à la formation d’ATP par les complexes de la chaîne respiratoire mitochondriale. La fréquence des rhabdomyolyses chez les patients traités par statine serait de l’ordre de 3 pour 100 000 personnes par an [25]. Le risque paraît donc relativement faible par rapport au bénéfice cardiovasculaire important de ces médicaments. Les statines sont le plus souvent métabolisées par le cytochrome P450. Des interactions médicamenteuses avec des molécules utilisant cette même voie métabolique sont possibles, en particulier en cas de métabolisme par l’isoenzyme 3A4 du cytochrome P450 (macrolides, digoxine, warfarine, amiodarone, inhibiteurs calciques).
Ces associations médicamenteuses doivent donc faire l’objet de précautions particulières et d’une surveillance rapprochée des CPK.
Les neuroleptiques peuvent également avoir une toxicité musculaire directe pouvant faire partie de la physiopathologie du syndrome malin des neuroleptiques [26]. Ce syndrome associe fièvre, rigidité musculaire et élévation des CPK chez un patient traité par neuroleptiques. Des perturbations de la thermogenèse musculaire et du centre thermorégulateur hypothalamique, ainsi qu’un blocage dopaminergique central, ont été décrits dans ce syndrome. Une toxicité musculaire directe des neuroleptiques a également été évoquée [26].L’hyperthermie maligne associe rigidité musculaire, tachycardie, instabilité hémodynamique, hyperthermie, hypercapnie et acidose lactique [27]. Le déclenchement soudain d’une libération massive de calcium à partir du réticulum sarcoplasmique conduit à une contraction musculaire prolongée. Les agents déclencheurs habituels sont les anesthésiques volatils (halogénés) et les curares dépolarisants comme la succinylcholine. Des susceptibilités génétiques ont été identifiées : mutation sur le gène codant le récepteur à la ryanodine ou codant une sousunité du canal calcique voltage-dépendant de type L sensible aux dihydropyridines [28, 29].
Rhabdomyolyses d’origine génétique
Le métabolisme énergétique musculaire, et donc les apports énergétiques, peut être déficient du fait d’une cause génétique.
Des épisodes récurrents de myoglobinurie doivent faire évoquer une cause innée. Toutes les étapes du métabolisme énergétique peuvent être touchées et les atteintes peuvent être multiples. Les enzymes de la glycolyse, de la glycogénolyse, de l’oxydation des acides gras, du cycle de Krebs, de la voie des pentoses et de la chaîne respiratoire mitochondriale peuvent être déficientes complètement ou partiellement. Les cytopathies mitochondriales sont également des causes de rhabdomyolyses héréditaires [30, 31]. Ces rhabdomyolyses sont souvent déclenchées par un exercice, un stress physique ou une infection sur un terrain génétiquement fragilisé, et peuvent n’être découvertes qu’à l’âge adulte. Il paraît difficile de pouvoir décrire ici toutes ces causes et le lecteur est invité à lire l’article de revue de Warren et al. [32] pour plus de précisions. En cas de forme récurrente de rhabdomyolyse, d’antécédents familiaux similaires, d’intolérance à l’effort et en l’absence de facteur causal, une exploration métabolique spécialisée et une biopsie musculaire peuvent être indiquées, à la recherche d’un déficit enzymatique [32].
Présentation clinique et paraclinique des rhabdomyolyses traumatiques et non traumatiques




Symptômes
Myalgies, faiblesse musculaire et oedème musculaire douloureux à la palpation forment le syndrome musculaire. Ils sont parfois associés à des signes cutanés de compression ou d’écrasement (phlyctènes, érythème). Ces signes sont d’intensité variable et peuvent être masqués par la présence d’un coma.
Dans les formes non traumatiques, le tableau clinique est souvent fruste [13]. En cas d’écrasement avec compression prolongée ou lors de polytraumatisme important, la probabilité de survenue d’une rhabdomyolyse est importante et doit être suspectée dès la prise en charge initiale. Le crush syndrome initialement décrit par Bywaters et Beall [3] associe, dans les heures qui suivent la décompression, l’apparition progressive d’un oedème musculaire important avec signes d’ischémie, d’une hypovolémie (puis d’un choc hypovolémique), le développement d’une insuffisance rénale malgré l’amputation des membres lésés, puis de troubles neuropsychiatriques et métaboliques avec hyperkaliémie et acidose métabolique conduisant au décès du patient dans la première semaine.
La coloration foncée des urines (couleur « thé ») évoque la myoglobinurie. La lyse musculaire entraîne la libération dans le sang de la myoglobine dont le poids moléculaire est d’environ 17 000 daltons (Fig. 2) [33]. La myoglobine est normalement catabolisée par un métabolisme extrarénal encore mal connu, mais est également filtrée librement par les glomérules rénaux si les concentrations plasmatiques sont importantes [34]. La demi-vie plasmatique moyenne de la myoglobine chez les patients ayant une rhabdomyolyse est d’environ 12 heures, c’est-à-dire qu’au bout de 12 heures on observe une diminution de 50 % des taux plasmatiques initiaux de myoglobine [34]. La coloration rouge-brun des urines s’observe pour des concentrations urinaires de myoglobine supérieures à 1 000 mg.l-1 correspondant à une lyse musculaire d’environ 200 g. Le pH urinaire acide entraîne une intensification de la couleur foncée des urines. Les bandelettes urinaires à l’orthotoluidine permettent une détection de la myoglobinurie avec des seuils de l’ordre de 10 mg.l-1 (soit environ 100 fois plus sensible que le changement de couleur des urines). Les pics de myoglobinurie sont d’apparition rapide, souvent maximaux au premier jour, et peuvent donc passer inaperçus. Toutefois, le dosage des myoglobines sanguine et urinaire est aujourd’hui facile et doit permettre le diagnostic rapide des rhabdomyolyses [35].


Figure 2Structure de la myoglobine. Huit hélices alpha (en vert) 
s’enroulent autour d’un résidu d’hème (en rouge). Les résidus d’histidine 
conservés au cours de l’évolution sont marqués H93 et H64 (reproduit de  
Garry DJ et al. [33] avec permission de l’éditeur).
Les CPK sont éliminées plus lentement. Leur pic de concentration plasmatique est plus tardif (de 24 à 36 heures) et leur diminution normale d’environ 39 % par jour, sans élimination rénale [13]. La demi-vie plasmatique des CPK chez les patients ayant une rhabdomyolyse est de l’ordre de 42 heures [34]. Les dommages musculaires sont donc plus fréquemment détectés par l’élévation plasmatique des CPK. La rhabdomyolyse est définie par une élévation des CPK de plus de cinq fois la normale (soit environ 1 000 UI.l-1). Elle reste modérée jusqu’à 7 000 UI.l-1 et devient sévère si les CPK sont supérieures à 16 000 UI.l-1(risque important d’insuffisance rénale) [36]. Les taux plasmatiques de CPK peuvent atteindre plus de 1 million d’UI.l-1. La mortalité semble augmenter si le pic de CPK est supérieur à 75 000 UI.l-1 [37]. On peut également observer une augmentation des enzymes d’origine musculaire comme les transaminases (aspartate aminotransférases) et la lacticodéshydrogénase.
Troubles ioniques
La libération massive du contenu intracellulaire dans le sang peut aboutir à des perturbations métaboliques majeures, même en l’absence d’insuffisance rénale.
L’hyperkaliémie est souvent précoce et peut être massive [38]. Elle est principalement liée à la libération du contenu intracellulaire et peut donc survenir de façon brutale, même sans altération de la fonction tubulaire.
Une hypocalcémie (par séquestration calcique dans les muscles lésés), une
hyperphosphorémie et une hyperuricémie sont classiques [1, 39]. Les taux sanguin et urinaire d’acide urique augmentent en cas de lyse musculaire, en relation avec une transformation hépatique des bases puriques libérées dans le secteur vasculaire. Une hypoalbuminémie est fréquente du fait de l’augmentation de la fuite capillaire dans les tissus lésés [32].
Une coagulation intravasculaire disséminée peut également apparaître par libération massive du facteur tissulaire et participe à la formation de microthromboses rénales. En cas d’état de choc ou de nécrose musculaire importante, une acidosemétabolique avec hyperlactatémie peut apparaître.


Traitement des rhabdomyolyses traumatiques et non traumatiques







La recherche étiologique doit bien entendu être systématique, et si un agent déclenchant est identifié il convient de l’évincer.
Dans les cas d’hyperthermie maligne, un traitement spécifique est préconisé (dantrolène par voie intraveineuse, dose initiale 2,5 mg.kg-1, puis bolus suivants de 1 mg.kg-1 jusqu’à une dose totale de 5 à 10 mg.kg-1).
Prévention de l’insuffisance rénale aiguë
L’insuffisance rénale est la principale complication organique de la rhabdomyolyse. Elle est multifactorielle (Fig. 3). Elle associe :
• une hypoperfusion rénale liée principalement à une hypovolémie et responsable d’une insuffisance rénale fonctionnelle ;
• une hypoxie de la médullaire rénale responsable d’une nécrose tubulaire aiguë ;
• une obstruction intraluminale des tubules rénaux par des cristaux de myoglobine et d’acide urique ;
• une stase endolunimale liée à la diurèse faible et favorisant la précipitation de la myoglobine ;
• une vasoconstriction rénale liée à la toxicité directe de la myoglobine, du facteur activant les plaquettes et de l’endothéline ;
• une lyse des cellules tubulaires par une toxicité directe de radicaux libres [2, 40-42].
Prise en charge de l’hypovolémie
L’oedème musculaire peut être majeur et entraîner la séquestration de plus de 10 litres durant les 48 premières heures [43,44]. Le choc hypovolémique (avec l’apparition d’une défaillance multiviscérale) est la première cause de mortalité dans les 4 jours suivant la rhabdomyolyse [9]. L’hypovolémie va être responsable d’une instabilité hémodynamique et d’une hypoperfusion rénale, elle-même responsable d’une diminution de la filtration glomérulaire, de l’activation du système rénineangiotensine- aldostérone et d’une réabsorption tubulaire des bicarbonates. En cas d’état de choc, on observe une acidose métabolique en rapport avec l’hypoperfusion périphérique. Tous ces phénomènes conduisent à une acidification des urines.Pour corriger cette hypovolémie, la perfusion d’un large volume de solutés est indispensable en limitant les apports de solutions contenant du potassium en première intention. Le remplissage vasculaire doit être précoce afin de diminuer les risques de survenue d’une insuffisance rénale. L’expansion volémique doit commencer sur les lieux du traumatisme. Better et Stein en 1990 ont proposé un protocole de remplissage vasculaire pour la prise en charge des patients victimes d’un tremblement de terre [1]. Il convient de noter que dans cette publication princeps, le protocole n’a pas été établi à partir de données cliniques, mais de façon empirique sans réelle validation.
La description complète de ce protocole est faite à la fin de ce texte.
Des volumes supérieurs à une dizaine de litres par jour pendant 48 à 72 heures sont parfois nécessaires, au prix d’une rétention hydrosodée conséquente.Il semblerait que son application aux victimes de tremblements de terre permette d’éviter l’apparition de l’insuffisance rénale et d’obtenir une survie optimale [45]. Ceci n’a toutefois pas été confirmé chez les patients polytraumatisés présentant une rhabdomyolyse [46].Pour la surveillance précise de la diurèse, la pose d’une sonde urinaire est indispensable.Le maintien du remplissage vasculaire se poursuit jusqu’à la disparition de lamyoglobinurie. Les objectifs recommandés par beaucoup d’auteurs sont unediurèse supérieure à 3 ml.kg-1h-1.
Le volume moyen de remplissage dans les 24 premières heures, évalué par Knottenbelt dans une étude réalisée chez 206 patients présentant une rhabdomyolyse d’origine traumatique, est d’en moyenne 10 litres (de 3 à 22 litres) [47]. De la même façon, le remplissage postopératoire de chirurgie lourde comme la chirurgie de l’aorte ou du foie permet de prévenir l’insuffisance rénale postopératoire en limitant les conséquences rénales de la rhabdomyolyse liée à l’immobilisation prolongée et aux clampages vasculaires [48].
De tels volumes de remplissage vasculaire peuvent avoir des conséquences respiratoires délétères. Les syndromes de détresse respiratoire aiguë observés au décours des rhabdomyolyses sont toutefois plurifactoriels : traumatisme ; inflammation généralisée ; embolie graisseuse. Un remplissage vasculaire excessif participe sans aucun doute à l’aggravation de ces lésions pulmonaires.
La place des solutés hypertoniques ou des colloïdes pour le remplissage vasculaire de ces patients n’est pas aujourd’hui clairement définie ou établie [49, 50].
Prise en charge de la myoglobinurie
La lyse des myocytes va entraîner une libération massive de myoglobine.
La myoglobinémie puis la myoglobinurie sont les premiers signes de la rhabdomyolyse.
La surveillance des urines par une bandelette à l’orthotoluidine permet de
détecter précocement la lyse musculaire.
Il faut cependant noter que la bandelette détecte les pigments ferriques mais ne permet pas de distinguer la myoglobine de l’hémoglobine urinaire. Dans le tubule rénal, la myoglobine induit une toxicité cellulaire directe, une vasoconstriction rénale et une peroxydation lipidique dépendante du pH urinaire. En effet, une alcalinisation des urines diminue l’oxydation du cholestérol low density lipoprotein par la myoglobine [41]. La stase endoluminale favorisée par un faible volume de diurèse participe à la précipitation de la myoglobine en « rouleau ». De plus, un pH urinaire acide facilite également la précipitation de la myoglobine avec la protéine de Tamm Horsfall pour former des cristaux obstruant les tubules rénaux. Soixante-treize pour-cent de la myoglobine urinaire précipitent si le pH urinaire est inférieur à 5. En revanche, seulement 4 % de la myoglobine précipite à pH 6,5 [43]. L’alcalinisation des urines et l’obtention d’une diurèse importante (effet de lavage et de dilution tubulaire de la myoglobine) sont donc primordiales jusqu’à la disparition de la myoglobinurie, soit habituellement environ 72 heures. Si un objectif de diurèse de 2 à 3 ml.kg-1.h-1 semble consensuel [1, 47, 51], il n’y a pas de valeur idéale du pH urinaire, ces valeurs variant selon les auteurs de 6 à 7,5 sans qu’aucun objectif de pH n’ait démontré sa supériorité [1, 40, 52, 53]. Si on se réfère aux phénomènes d’acidurie engendrés par l’hyperaldostéronisme secondaire à l’hypovolémie, l’expansion volémique pourrait suffire à atteindre les objectifs de diurèse et à alcaliniser les urines [52, 54]. Un remplissage vasculaire « optimal » pourrait alors être guidé par l’évolution du pH urinaire et de la diurèse.
Un objectif thérapeutique raisonnable pourrait être l’obtention d’un pH urinaire supérieur ou égal à 6,5 à la bandelette urinaire.
En complément du remplissage vasculaire, certains auteurs recommandent la perfusion de bicarbonates afin d’alcaliniser les urines [1, 47]. La perfusion de bicarbonates va entraîner une augmentation du pH sanguin suivie, en l’absence d’hypovolémie, d’une augmentation du pH urinaire. L’alcalose ainsi créée peut toutefois favoriser la précipitation du calcium dans les tissus mous.
En effet, la lyse cellulaire va entraîner une hyperphosphorémie qui potentialise la migration intracellulaire du calcium.
L’administration d’acétazolamide (Diamox®) (lorsque le pH sanguin est supérieur à 7,5), permettrait, en abaissant celuici, de limiter ces dépôts métastatiques phosphocalciques [52].
La myoglobine va également entraîner des lésions rénales de par son potentiel oxydant et par la formation de dérivés potentiellement vasoconstricteurs (isoprostanes F2 et endothéline).
Le pH alcalin aurait également un rôle à ce niveau : en effet, l’alcalinisation des urines diminue la peroxydation lipidique et la formation de dérivés nocifs pour le rein [41]. À ce sujet, l’initiation d’un traitement antioxydant (vitamines E ou C, N-acétyl-cystéine, L-carnitine) limitant la production des radicaux libres devrait se faire avant la levée de la compression ou de l’ischémie pour être le plus efficace possible. Cependant, aucune étude humaine n’est venue confirmer un effet bénéfique.
De plus, dans la plupart des études expérimentales, les lésions nécrotiques d’ischémie-reperfusion ne sont diminuées que si les différents antioxydants sont injectés avant l’ischémie [8, 55]. Cette attitude n’est concevable en clinique humaine qu’avant une intervention chirurgicale réglée. Si un traitement prouve son intérêt en traumatologie, il sera très probablement important de le démarrer très tôt, dès le transport préhospitalier.
Diurèse forcée
Après qu’on se soit assuré d’une volémie suffisante, et d’une surveillance clinique et paraclinique étroite, la clairance rénale de la myoglobine peut être améliorée grâce à une diurèse forcée [34]. Une diurèse forcée peut être obtenue par l’utilisation des diurétiques classiques ou par diurèse osmotique (grâce au mannitol).

Dans le rein, le mannitol pourrait avoir plusieurs effets bénéfiques : une vasodilatation, une augmentation de la pression tubulaire et une augmentation de la filtration glomérulaire [56]. Le mannitol possède également un pouvoir antioxydant.
De par son pouvoir osmotique, il permet aussi de diminuer la pression dans les loges musculaires lésées, et en théorie de diminuer l’oedème musculaire.
L’utilisation du mannitol est toutefois controversée. Son utilisation ne semble pas produire des résultats supérieurs à l’expansion volémique seule [54] et son utilisation pourrait même être dangereuse pour le rein en cas d’hypovolémie induite par ses effets diurétiques puissants [57]. La diurèse induite par le mannitol doit donc être compensée.
L’emploi des diurétiques de l’anse pourrait être possible chez les sujets dont la diurèse est insuffisante malgré les thérapeutiques précédentes. Ici encore, l’administration de diurétiques impose de s’assurer de l’absence d’hypovolémie. Le furosémide entraîne une acidification des urines potentiellement délétère, une alcalinisation sanguine, ainsi qu’une perte calcique urinaire pouvant aggraver l’hypocalcémie préexistante. Les diurétiques de l’anse entraînent également une vasodilatation rénale et une baisse de la consommation en oxygène des cellules rénales permettant une mise au repos théorique de la médullaire rénale.
Dans le cadre d’une diurèse forcée par diurétiques, l’utilisation de l’acétazolamide (inhibiteur de l’anhydrase carbonique) permettrait, grâce à une élimination urinaire de bicarbonates, de respecter les valeurs de pH urinaire recherchées. Elle paraît indiquée en cas d’alcalose métabolique afin à la fois de diminuer le pH sanguin et d’augmenter le pH urinaire.


Traitement des troubles métaboliques
Hyperkaliémie
L’altération des cellules musculaires est responsable d’une libération de potassium dans la circulation générale. L’hyperkaliémie en résultant est la deuxième cause de mortalité précoce après une rhabdomyolyse.
L’hyperkaliémie associée à l’hypocalcémie et l’hyperphosphatémie est à haut risque d’entraîner une arythmie et un arrêt cardiaque. Malgré une clairance de la créatinine conservée, le rein ne peut excréter une telle quantité de potassium. On peut noter le risque à l’utilisation de la succinylcholine (curare dépolarisant) chez ces patients présentant une fragilité musculaire acquise [58]. 
 La prévention des accidents liés à l’hyperkaliémie commence par une surveillance cardioscopique : en effet, les modifications de l’électrocardiogramme (ondes T amples et pointues, raccourcissement du QT puis disparition de l’onde P, allongement du PR, élargissement des QRS) sont des signes de gravité qui précèdent les troubles du rythme et de la conduction. Le contrôle de l’hyperkaliémie doit être précoce ; il se fait par les mesures habituelles à savoir l’alcalinisation du plasma (de 1 à ml.kg-1 de bicarbonates de sodium à 8,4 %), la diurèse forcée par des diurétiques de l’anse (cf. supra), la perfusion d’insuline associée à du sérum glucosé à 30 %, ainsi que les résines échangeuses d’ions (polystyrène sulfonate de sodium per os ou en lavement). L’administration de chlorure ou de gluconate de calcium à 10 % pour la protection myocardique est à répéter jusqu’à la normalisation de l’électrocardiogramme : 10 ml à 10 % sur 2 à 3 minutes à renouveler du fait de la courte demivie (de 15 à 30 minutes). Cependant, l’hyperphosphatémie associée diminue l’efficacité des sels de calcium. En cas d’hyperkaliémie réfractaire, l’épuration extrarénale en urgence est la seule alternative.
Dyscalcémie. Hyperphosphorémie. Hyperuricémie
L’hypocalcémie initiale doit être corrigée seulement si elle est symptomatique : allongement de l’intervalle QT à l’électrocardiogramme ; bloc auriculoventriculaire ; fibrillation ventriculaire ; convulsions ; spasme laryngé ; crampes musculaires ; paresthésies distales. En effet, l’apport de calcium favorise les dépôts phosphocalciques dans les tissus mous.
Elle se corrige seule une fois la rhabdomyolyse maîtrisée, et notamment une fois la phosphorémie normalisée.L’hyperphosphorémie peut éventuellement être corrigée par des chélateurs du phosphore.
Toutefois, sa normalisation ne semble pas indispensable.
L’allopurinol pourrait être utilisé pour diminuer les taux sériques d’acide urique provenant d’une majoration du catabolisme protéique lors de la lyse musculaire. En effet, l’acide urique participe à l’obstruction tubulaire et à la physiopathologie de l’insuffisance rénale aiguë [40]. Cependant, l’efficacité de ce traitement n’est pas clairement validée.
Traitement de l’insuffisance rénale aiguë
Une acidose réfractaire et une surcharge hydrosodée majeure ou une hyperkaliémie menaçante imposent le traitement par épuration extrarénale. Les techniques classiques de dialyse rénale semblent avoir des capacités limitées d’épuration de la myoglobine [59]. L’hémodiafiltration continue paraît plus prometteuse. Des quantités importantes de myoglobine peuvent être éliminées par l’hémofiltration veinoveineuse continue en cas d’insuffisance rénale aiguë anurique [60]. L’hémofiltration à haut débit en utilisant des membranes hyperperméables semble être très efficace pour épurer la myoglobine plasmatique [61]. La perte de protéines induite par cette technique (en particulier, perte d’albumine) est toutefois majeure et doit faire discuter de l’intérêt même de cette méthode chez ces patients ayant une fuite capillaire importante du fait des lésions musculaires. De plus, la demi-vie d’élimination de la myoglobine plasmatique n’est pas significativement différente chez des patients sans insuffisance rénale (21 heures) et chez des insuffisants rénaux sous hémodiafiltration continue (17 heures) [62]. Il n’existe par ailleurs pas de démonstration de l’efficacité de l’utilisation précoce de cette technique en cas de myoglobinurie afin de prévenir l’évolution vers la défaillance rénale. De ce fait, l’épuration extrarénale (hémodialyse ou hémodiafiltration) ne peut actuellement être recommandée chez un patient à la fonction rénale normale pour la seule épuration de la myoglobine.
Traitement du syndrome des loges
Ce sujet faisant l’objet d’un article spécifique de ce traité, les lecteurs sont invités à s’y rapporter [63]. Il paraît toutefois important de préciser que la réalisation précoce d’aponévrotomies de décharge est indispensable lors de l’apparition d’un syndrome des loges, afin d’éviter la pérennisation du cercle vicieux comprenant compression musculaire, oedème et ischémie.Le rétablissement d’une perfusion musculaire suffisante permet parfois d’éviter l’aggravation des lésions.
Points forts du traitement
Le remplissage vasculaire est primordial et à instituer le plus tôt possible. Celui-ci permet de restaurer un état hémodynamique satisfaisant chez des patients hypovolémiques et de limiter les risques d’insuffisance rénale. La diurèse peut être augmentée et le pH urinaire rendu alcalin par la seule optimisation de la volémie. L’osmothérapie, débutée chez des patients normovolémiques, accroît la clairance des substances toxiques par le rein, et optimise la perfusion de la médullaire et de la corticale rénales. Si l’expansion volémique ne suffit pas, l’alcalinisation des urines par la perfusion de bicarbonates peut limiter la précipitation de la myoglobine dans les tubules rénaux et donc l’insuffisance rénale. Les bicarbonates peuvent également entrer dans le cadre du traitement des conséquences métaboliques de la rhabdomyolyse, à savoir l’hyperkaliémie. Certains protocoles thérapeutiques reprennent ces points forts.
Selon Better et Stein en 1990 [1]
Pour un homme de 75 kg :
• sur les lieux de prise en charge, 1 l de sérum physiologique par voie intraveineuse (ou 1,5 l.h-1 si la désincarcération est longue), puis perfusion avec une solution hypotonique de sérum glucosé à 5 % contenant : Na+ 100 mmol.l-1, Cl- 70 mmol.l-1, bicarbonates 40 mmol.l-1, mannitol 10 g.l -l (soit 50 ml de mannitol à 20 %) ;• volume perfusé : 12 l par jour, pour obtenir une diurèse de 8 l par jour et maintenir un pH urinaire au dessus de 6,5.
Selon Vanholder et al. [2]
• Débuter le remplissage vasculaire sur les lieux de prise en charge : 1 l avant la désincarcération. Puis, pour 2 l de perfusion, mélanger 1 l de sérum physiologique à 0,9 %, 1 l de sérum glucosé à 5 % et 100 mmol.l-1 de bicarbonate de sodium.
• Perfuser de 3 à 10 l par jour selon l’urgence et la surveillance médicale disponible.
• Ajouter 10 ml de mannitol à 20 % par heure si la diurèse est supérieure à 20ml.h-1.
Protocole appliqué à l’hôpital de Bicêtre (réanimation chirurgicale)
• Correction du choc par expansion volémique associée ou non aux vasopresseurs.
• Puis sérum salé isotonique, en quantité suffisante avec pour objectif un pH urinaire supérieur ou égal 6,5 et une diurèse supérieure à 3 ml.kg-1.h-1.
• En cas d’échec, bicarbonate de sodium à 1,4 % par voie intraveineuse, avec pour objectif un taux de bicarbonates plasmatiques de 27 mmol.l-1.
• Traitement symptomatique de l’hyperkaliémie.
• En cas de surcharge pulmonaire, Lasilix® par voie intraveineuse ou Diamox® par voie intraveineuse s’il existe une alcalose métabolique.
Conclusion
Le pronostic de ce syndrome de causes très variées dépend de la rapidité de correction de l’hypovolémie et des perturbations métaboliques graves comme l’hyperkaliémie. La prévention des complications rénales est primordiale, d’autant plus que les circonstances de survenue de ces rhabdomyolyses impliquent parfois un afflux massif de victimes et que les moyens d’épuration extrarénale ne sont pas illimités en nombre. Si le remplissage vasculaire est aujourd’hui consensuel, l’utilisation des bicarbonates, du mannitol ou des diurétiques reste encore l’objet de controverses.

 Points essentiels
• La rhabdomyolyse correspond à la lyse des cellules musculaires striées et entraîne une libération du contenu intracellulaire musculaire dans le sang.
• Le passage de la myoglobine dans les urines est responsable de l’insuffisance rénale aiguë.
• Les causes toxiques sont les plus fréquentes.
• L’hypovolémie participe à l’acidification des urines et à l’aggravation de l’insuffisance rénale.
• L’optimisation du remplissage vasculaire est fondamentale pour la prévention de l’insuffisance rénale aiguë.
• L’hyperkaliémie peut être majeure et survenir même en l’absence d’insuffisance rénale.
• Les syndromes des loges sont fréquents et participent à la séquestration liquidienne majeure.
• Des aponévrotomies de décharge sont parfois nécessaires.


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Pour en savoir plus
Better OS, Stein JH. Early management of shock and prophylaxis of acute renal failure in traumatic rhabdomyolysis. N Engl J Med 1990;322: 825-9.
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