Choix de l’antibiothérapie pour péritonites



Pharmacodynamie des antibiotiques intrapéritonéaux
La diffusion des antibiotiques dans le péritoine est habituellement satisfaisante. Dans l’heure suivant l’injection de l’antibiotique, les concentrations plasmatiques sont 2 à 3 fois supérieures aux concentrations péritonéales. [49, 50]
 Cependant, les conditions locales de l’infection réduisent l’efficacité de l’antibiothérapie :effet
 inoculum important (inactivation des antibiotiques parallèlement à l’accroissement de l’inoculum bactérien), acidose locale, présence de corps étrangers et de débris cellulaires réduisant l’activité des antibiotiques, production par les bactéries d’enzymes inactivant les antibiotiques. Dans les abcès, les germes présents sont souvent en croissance ralentie, voire en phase quiescente et sont donc peu sensibles aux traitements antibiotiques. La constitution d’une « coque » autour de l’abcès ralentit et limite leur pénétration dans ce site jusqu’à l’annuler totalement. Il ne faut donc jamais compter sur un traitement antibiotique isolé pour stériliser un sepsis intra-abdominal. À l’opposé, le geste chirurgical par l’élimination de l’inoculum, des débris cellulaires et des corps étrangers, permet le retour à une efficacité satisfaisante des antibiotiques.

Principes généraux de l’antibiothérapie des péritonites
Le choix des antibiotiques doit être défini sous forme d’un document écrit décrivant les alternatives thérapeutiques pour les infections communautaires et pour les infections nosocomiales et postopératoires.
Les molécules choisies pour l’antibioprophylaxie ne doivent pas être utilisées.La sélection de l’antibiothérapie relève d’un choix raisonné, orienté par l’examen direct du liquide péritonéal.Le clinicien doit prendre en compte dans le traitement les entérobactéries et les anaérobies même si ces derniers ne sont pas retrouvés. [51]Le traitement doit être débuté rapidement, dès le diagnostic de péritonite suspecté et l’indication opératoire posée.
Il n’y a aucun risque de « négativer » les prélèvements peropératoires par une dose initiale d’antibiotique. [41] Le traitement probabiliste doit être réadapté secondairement en fonction des résultats de l’antibiogramme. [41]
Parmi les bêtalactamines, les pénicillines associées à un inhibiteur de bêtalactamases ont un spectre d’action adapté, accompagné d’une excellente diffusion dans le liquide péritonéal.
L’émergence de E. coli résistants ou intermédiaires à toutes les molécules de cette classe thérapeutique, doit inciter à la prudence. [41] Les céphamycines (céfoxitine et céfotétan) sont des céphalosporines de deuxième génération actives contre les entérobactéries et les anaérobies. Le céfotétan doit être actuellement évité, en raison d’une fréquence de résistance de Bacteroides fragilis proche de 25 %. [52]
Les anaérobies, principalement B. fragilis, sont actuellement résistants à la clindamycine pour 20 % d’entre eux. [52] Les anaérobies sont très faiblement résistants aux imidazolés.
L’utilisation des aminosides a fait l’objet de nombreux débats.
Leur administration est initiée pour une brève durée (< 3 jours), en phase probabiliste, en surveillant leurs concentrations plasmatiques. Un travail récent associant la pipéracilline + tazobactam à l’amikacine ne montre aucun bénéfice de l’adjonction des aminosides avec cet agent, que ce soit dans des infections communautaires ou nosocomiales. [10] Dans ce travail, la fréquence des insuffisances rénales était équivalente chez les patients recevant des aminosides et ceux n’en recevant pas. Les fluoroquinolones, bien que disposant de propriétés pharmacocinétiques intéressantes, ont été peu utilisées dans les infections intra-abdominales. [41] Leur spectre d’activité est limité aux germes à Gram négatif aérobies. Leur activité, souvent limitée vis-à-vis des germes nosocomiaux, réduit leur intérêt potentiel dans les infections nosocomiales et postopératoires.

Antibiothérapie adaptée versus inadaptée
La nécessité de traiter tous les germes isolés des prélèvements péritonéaux ou de se limiter au traitement des entérobactéries et des anaérobies a été l’objet de nombreux débats. Sur la base des résultats expérimentaux [13] et des premières études cliniques, il semblait qu’un traitement focalisé sur les entérobactéries et les anaérobies fût suffisant. Cependant, plusieurs travaux plus récents ont conduit à réviser cette analyse.
Dans les infections communautaires, Mosdell a montré que lorsque le traitement antibiotique empirique (soit les 48-72 premières heures postopératoires) ne prenait pas en compte tous les germes, une augmentation de la morbidité, de la fréquence des reprises chirurgicales et des abcès de paroi et un allongement de la durée de séjour étaient constatés. [53] De plus, un accroissement de la mortalité est observé chez les patients dont le traitement antibiotique n’est pas adapté sur les résultats définitifs des prélèvements péritonéaux.
Dans les infections postopératoires, des résultats comparables ont été rapportés. Ainsi, Koperna rapporte que 94 % des patients décédés avaient reçu un traitement antibiotique inadapté. [46]Enfin, un traitement initial ne prenant pas en compte tous les germes se traduit par une morbidité accrue et une mortalité doublée en comparaison avec une antibiothérapie adaptée. [12]

Le problème de la nécessité du traitement antibiotique a été plus spécifiquement évalué pour les entérocoques.Ces germes posent le problème de bactéries saprophytes du tube digestif, peu sensibles aux antibiotiques, dont le pouvoir pathogène spontané est modeste mais qui sont retrouvées très fréquemment dans les prélèvements des péritonites, tant communautaires que postopératoires.
Néanmoins, des échecs thérapeutiques et des bactériémies à entérocoques dont l’origine était le site opératoire ont été rapportés lors de traitements négligeant ce germe. [54, 55] Ces germes se comporteraient donc comme des facteurs de morbidité accrue, [55] mais pourraient être un facteur de mortalité dans les infections postopératoires. En l’absence de données fiables dans la littérature, il est recommandé de prendre en compte ces germes dans le traitement initial despatients les plus graves (sujet fragile, défaillance polyviscérale, choc septique, etc.), en cas d’antibiothérapie préalable, en cas d’infection postopératoire.

Place des infections fungiques
Les levures, principalement de type Candida, posent des problèmes équivalents à celui des entérocoques. Ces agents sont saprophytes du tube digestif et prolifèrent dans la lumière intestinale sous l’effet des traitements antibactériens intercurrents.
On admet que 20 à 30 % des sujets sains hébergent des levures de type Candida dans leur tube digestif. Dans les infections communautaires, les levures sont retrouvées chez les patients opérés d’ulcères perforés gastriques [56] ou de lésions coliques. Dans les infections postopératoires, les levures, principalement Candida, sont isolées dans près de 20 % des prélèvements, préférentiellement en cas de localisation susmésocolique. [12, 57]
Une surmortalité est probable en cas d’infection fongique. [12, 58] Dans une étude récente, quatre facteurs prédictifs d’isolement de Candida des prélèvements péritonéaux ont été identifiés : état de choc à l’admission, localisation gastroduodénale de l’infection, sexe féminin et antibiothérapie préalable. [59]
 Quatre variables étaient associées au décès : un score de gravité élevé à l’admission (score APACHE > 17), une insuffisance respiratoire aiguë à l’admission, une origine gastroduodénale de la péritonite et la présence de Candida à l’examen direct du liquide péritonéal. [60] Ces résultats soulignent le mauvais pronostic de ces infections et la valeur d’un examen direct positif à levure, témoin d’un inoculum massif. [59, 60]
Certains auteurs ont recommandé un traitement systématique antifungique dès la reprise opératoire de manière à éviter la dissémination de l’infection. [61] Une solution pourrait être de débuter un traitement probabiliste chez les sujets dont l’examen direct du liquide péritonéal retrouve la présence de levures, témoignant d’un inoculum important, [60] de même que chez les sujets à risque, ayant reçu un traitement antibiotique préalable et hospitalisés de manière prolongée. [62]

Stratification des choix de l’antibiothérapie
Bien que la démonstration soit faite que le traitement de tous les germes isolés dès la phase probabiliste soit associé à un meilleur pronostic, près de 30 % des patients dans les infections communautaires n’ont pas un traitement antibiotique efficaceet vont guérir malgré cette inefficacité partielle ou totale. [41]
Cette constatation illustre la nécessité d’un traitement antibiotique stratifié selon la sévérité des patients, les patients les plus sévères ne pouvant pas faire les frais d’un traitement inefficace. Cette stratégie a été suggérée par la conférence d’experts de la Société française d’anesthésie-réanimation sur les associations d’antibiotiques [63] et le consensus français consacré à la prise en charge des péritonites communautaires. [41]

Péritonites communautaires de faible gravité avec geste chirurgical complet
Le geste chirurgical fait l’essentiel du traitement. Les antibiotiques administrés ont pour objectif d’éviter les bactériémies précoces, la formation d’abcès de paroi et les abcès résiduels intra-abdominaux.
Les cibles bactériennes sont les entérobactéries et les anaérobies. Un traitement antibiotique par une monothérapie est suffisant. L’amoxicilline/acide clavulanique ou la ticarcilline/acide clavulanique ont un spectre d’action adapté. [51, 63]

Péritonites communautaires graves (hospitalisées en réanimation)
La gravité est liée soit au terrain (sujet âgé ou atteint préalablement d’insuffisance viscérale), soit à l’affection (score de gravité élevé ou défaillance viscérale liée à l’infection). Le pronostic de ces patients est meilleur quand l’antibiothérapie prend en compte tous les germes abdominaux dès la phase probabiliste. [53] Ainsi, lorsque l’on veut éviter les aléas d’un traitement antibiotique incomplet, il est préférable d’opter pour une association d’antibiotiques. Les traitements probabilistes suivants pourraient être proposés : amoxicilline/acide clavulanique (2 g × 3/j) + aminoside (gentamicine ou nétilmicine 5 mg/ kg/j en une ou deux injections), ticarcilline/acide clavulanique (5 g × 3/j) + aminoside (gentamicine ou nétilmicine). Bien que le rôle des entérocoques soit reconnu dans les complications infectieuses postopératoires, aucun consensus ne peut être obtenu sur l’obligation de les prendre en compte dans une antibiothérapie initiale. L’association de céfotaxime (2 g × 3/j) ou ceftriaxone (2 g × 1/j) + métronidazole (500 mg × 3/j) est largement utilisée mais ne prend pas en compte ces germes. [63]

Quelques cas particuliers de risque d’échec du traitement nécessitent une prise en charge particulière :
• le traitement chirurgical n’ayant pu assurer une éradication satisfaisante du foyer infectieux ;
• les patients vivant en institution ou ayant reçu une antibiothérapie préalable, chez qui le risque d’écologie bactérienne digestive modifiée est important impliquant Pseudomonas aeruginosa, Enterobacter cloacae, des entérobactéries multirésistantes ou d’autres bacilles à Gram négatif non fermentants.
Dans ces cas particuliers, le risque d’une impasse thérapeutique ne paraît pas acceptable ; le spectre thérapeutique pourrait être élargi en utilisant un traitement identique à celui utilisé dans les infections nosocomiales et postopératoires. [41, 63] La prise en compte des entérocoques dans le schéma thérapeutique doit être discutée.

Péritonites nosocomiales et postopératoires
Une bithérapie par des molécules qui associent une activité antianaérobie et une large activité antiaérobie est justifiée.
La pipéracilline/tazobactam (4,5 g × 4/j) ou l’imipénème (1 g × 3/ j) + amikacine (20 mg/kg en 1 à 2 injections par jour) sont indiqués. Cette association peut être arrêtée ou adaptée au troisième jour, en fonction de la flore intra-abdominale retrouvée à l’intervention. La vancomycine (15 mg/kg en dose de charge puis administration continue ou discontinue pour atteindre une concentration à l’équilibre ou en résiduel d’environ 20 mg/l) peut se justifier en cas de suspicion de staphylocoque méticilline-R ou d’Enterococcus faecium de haut niveau de résistance à la pénicilline (CMI > 16 mg/l). [63] La nécessité d’un traitement probabiliste antifungique est débattue. [62]

Péritonites tertiaires
Il ne paraît pas possible de faire des recommandations supplémentaires par rapport aux infections postopératoires.
La seule possibilité serait d’adjoindre un traitement antifongique jusqu’aux résultats microbiologiques du fait de la présence très fréquente de Candida spp. [2, 45

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