Les curares



Taysir Assistance.TN
Claude Meistelman : Professeur des Universités, praticien hospitalier
Chef du service d'anesthésie-réanimation chirurgicale des hôpitaux de Brabois, centre hospitalier universitaire de Nancy, rue du Morvan, 54500 Vandoeuvre France
Bertrand Debaene : Médecin des centres anticancéreux, chef du service d'anesthésie
Institut Gustave Roussy, Villejuif France
François Donati : Professeur à l'université de Montréal, chef du département d'anesthésie
Montréal , Canada France

Résumé
Les curares bloquent la transmission neuromusculaire en se fixant sur les récepteurs cholinergiques postsynaptiques de la plaque motrice. Depuis l'apparition de la dtubocurarine, de nombreuses molécules de synthèse sont apparues. Les curares non dépolarisants appartiennent à deux grandes catégories : les benzylisoquinolines dérivées de la d-tubocurarine et les curares stéroïdiens issus du pancuronium. Les effets secondaires des molécules apparues ces dernières années sont inférieurs à ceux de leurs prédécesseurs. En fonction de leur durée d'action clinique, on distingue : des curares ultracourts (moins de 8 minutes) : Org 9487, de courte durée d'action (8 à 20 minutes) : le mivacurium, de durée d'action intermédiaire (20 à 50 minutes) : atracurium, cisatracurium, vécuronium, rocuronium et des curares de longue durée d'action (plus de 50 minutes) : pancuronium. Le suxaméthonium reste le seul curare dépolarisant utilisé malgré ses effets secondaires car son profil pharmacodynamique reste inégalé. C'est le curare de choix en cas d'anesthésie du patient à l'estomac plein.


Curares de courte durée d'action
  • Mivacurium (Mivacron®)
  • Atracurium (Tracrium®)
  • Cisatracurium (Nimbex®)

  
Curares de longue durée d'action
Pancuronium (Pavulon®) 

Curares ultracourts
  •  Org 9487
  • Suxaméthonium (Célocurine®)


INTRODUCTION
Plus de quatre siècles se sont écoulés entre la découverte par Sir Walter Raleigh d'un poison dans lequel les Indiens d'Amérique du Sud trempaient leur flèche et l'utilisation, par Griffith et Johnson en 1942, d'intocostrin ou d-tubocurarine pour provoquer un relâchement musculaire lors d'une anesthésie générale. Dès 1943, Wintersteiner et Dutcher réussissaient à extraire des quantités suffisantes de d-tubocurarine à partir de chondodendron tomentosum pour débuter la commercialisation, ce qui a permis l'essor de l'anesthésie balancée. Depuis la d-tubocurarine, de nombreux curares sont apparus mais la majorité des molécules actuellement disponibles chez l'homme est obtenue par synthèse.

La marge de sécurité des curares au cours de ces 50 dernières années s'est trouvée améliorée grâce à la synthèse de molécules présentant peu ou pas d'effets secondaires.

L'emploi des curares reste limité à l'anesthésie-réanimation, la présence d'un matériel d'intubation et d'assistance ventilatoire étant indispensable avant toute administration.


CURARES NON DÉPOLARISANTS

Propriétés générales


Mode d'action
Les curares agissent essentiellement en se fixant sur les récepteurs cholinergiques nicotiniques de la jonction neuromusculaire.

Récepteur cholinergique (fig 1)
Le récepteur nicotinique postsynaptique est constitué de cinq sous-unités protéiques arrangées en forme de rosette dont le centre devient perméable sous l'effet de l'agoniste approprié. Deux sous-unités α sont identiques mais séparées par une unité β, les deux autres sous-unités sont appelées δ et . Les récepteurs foetaux et extrajonctionnels possèdent une unité γ au lieu d'une unité .

Chacune de ces sous-unités est une protéine dont les deux terminaisons se trouvent du côté extracellulaire de la membrane. Lorsque le récepteur est au repos, les domaines membranaires des cinq sous-unités se touchent de sorte que le récepteur ou canal est bouché. La partie extracellulaire a la forme d'un entonnoir et constitue à peu près la moitié du récepteur. Lorsque le récepteur est ouvert, la partie la plus étroite de l'entonnoir mesure 0,65 nm ce qui permet juste le passage des ions positifs comme le Na+ et le K+. Le poids moléculaire du récepteur est d'environ 250 kDa [151]. La densité des récepteurs cholinergiques au niveau de la plaque motrice est d'environ 10 000/μm2 au niveau des crêtes des replis. En revanche, la densité des récepteurs extrajonctionnels est faible (20/μm2) [198].

La molécule d'acétylcholine a une affinité particulière pour les sous-unités α. Le récepteur ne devient activé que s'il y a deux molécules d'acétylcholine liées simultanément à chacune de ces deux sous-unités. Il en résulte un changement de conformation des protéines du récepteur qui va provoquer l'ouverture du centre de la rosette et le passage des ions. Le délai d'ouverture d'un canal est d'environ 10 μs pour une durée d'ouverture de 1 ms. Les ions Na+ sont en quantité beaucoup plus importante à l'extérieur, ils sont attirés vers l'intérieur de la cellule en raison d'une part du potentiel intracellulaire négatif, et d'autre part du gradient de concentration favorable. La sortie des ions K+ est freinée par le potentiel électrique négatif. L'entrée d'ions positifs entraîne une dépolarisation dont l'amplitude dépendra du nombre de récepteurs activés et donc du nombre de vésicules d'acétylcholine libérées lors de la stimulation nerveuse. Un quantum d'acétylcholine (10 000 molécules environ) active environ 1 700 récepteurs [24].

Sachant qu'il faut deux molécules d'acétylcholine par récepteur, 3 400 molécules environ vont être utilisées pour produire une dépolarisation de 0,5 à 1 mV, les autres molécules d'acétylcholine étant hydrolysées par l'acétylcholinestérase ou diffusant à l'extérieur de la fente synaptique [64]. Lors de l'arrivée d'un potentiel d'action dans la terminaison nerveuse, 200 quanta d'acétylcholine en moyenne sont libérés ce qui permet d'activer environ 340 000 récepteurs de la plaque motrice, ce qui est plus que suffisant pour produire un changement de potentiel au niveau de la plaque motrice appelé " potentiel de plaque " [120]. Ce potentiel a une amplitude d'au moins 40 à 50 mV au-dessus du potentiel de repos [24]. C'est ce potentiel de plaque qui donnera naissance à un potentiel d'action de la fibre musculaire. En plus des phénomènes de libération par quanta, l'acétylcholine extravésiculaire pourrait atteindre la plaque motrice par un processus de fuite [121].

Canaux ioniques
Le potentiel de plaque va s'étendre à la zone périjonctionnelle qui se caractérise par un grand nombre de canaux sodiques qui peuvent être activés par un changement de potentiel électrique mais sont insensibles à l'acétylcholine. Contrairement au récepteur cholinergique, ils sont orientés vers l'intérieur de la cellule et ne laissent passer que les ions Na+. Le canal sodique en position de repos est fermé. La dépolarisation les active ce qui attire encore plus de Na+ vers l'intérieur de la cellule et provoque l'activation de plus de canaux. L'activation de ces canaux produit un potentiel d'action qui va se propager de proche en proche par activation d'autres canaux sodiques sur toute la longueur de la fibre musculaire. Le processus se termine par une inactivation des canaux sodiques 1 à 2 ms après leur activation et l'ouverture des canaux potassiques permettant une sortie rapide d'ions K+ et la repolarisation membranaire. Le potentiel d'action se propage vers les deux extrémités de la fibre musculaire, il provoque une ouverture des canaux calciques qui laissent entrer le calcium dans la fibre musculaire. Les canaux calciques sont situés sur la membrane cellulaire, sur les culs-de-sac de cette membrane ainsi que sur la membrane du réticulum endoplasmique.

L'ouverture des canaux calciques provoque une arrivée soudaine de Ca++ intracellulaire qui inhibe l'action d'une protéine intracellulaire, la troponine, dont le rôle est d'empêcher l'interaction entre les filaments d'actine et de myosine. Les deux protéines vont alors pouvoir former des ponts entre elles, ce qui aura pour effet de raccourcir les filaments, de les solidifier et d'entraîner la contraction musculaire [60].

Effets postsynaptiques des curares non dépolarisants
Les curares non dépolarisants agissent de façon compétitive en se liant au même site d'action que l'acétylcholine au niveau des sous-unités α [184].
L'administration de curare entraîne une baisse progressive du potentiel de plaque motrice. À partir du moment où le potentiel de plaque ne peut plus atteindre le seuil, il n'apparaît plus de potentiel d'action ni de contraction musculaire. Pour chaque fibre musculaire, il s'agit d'une loi du tout ou rien. Il suffit qu'une seule des deux sous-unités α soit occupée par une molécule de curare pour que le récepteur soit bloqué. Cette interaction est appelée compétitive car l'action des curares non dépolarisants peut être contrecarrée par un excès d'acétylcholine.

Dans ce cas, l'interaction entre l'acétylcholine et le récepteur nicotinique devient plus probable que celle entre le curare et le récepteur en raison de la concentration plus élevée d'acétylcholine. Les curares non dépolarisants pourraient aussi obstruer le récepteur cholinergique en position ouverte car ce sont des molécules contenant une ou deux charges positives et attirées vers l'intérieur de la plaque motrice mais trop grosses pour passer par le canal [24].
Cet effet est probablement négligeable aux concentrations usuelles car il y a en moyenne 140 000 à 1 400 000 fois plus d'ions Na+ que de molécules de curare non dépolarisant dans la fente synaptique.

La présence de plus de récepteurs qu'il n'en faut pour atteindre le seuil pour la propagation d'un potentiel d'action est connue sous le nom de marge de sécurité.
Un curare doit se lier à un grand nombre de récepteurs avant que n'apparaisse un bloc neuromusculaire (tableau I). Chez le chat, au moins 75 % des récepteurs, au niveau du muscle tibial postérieur, doivent être occupés par un curare non dépolarisant pour que la paralysie s'installe, le bloc complet n'étant obtenu que lorsque 92 % environ des récepteurs sont occupés [183]. Quoique les chiffres exacts puissent être différents selon les espèces et/ou les muscles étudiés [239], le principe demeure : la curarisation se produit à l'intérieur d'une fourchette de fréquence d'occupation des récepteurs relativement étroite [24].

Effets présynaptiques des curares non dépolarisants
Il existe des récepteurs nicotiniques cholinergiques au niveau des terminaisons nerveuses présynaptiques. Le rôle de ces récepteurs serait de permettre un rétrocontrôle positif et la mobilisation des vésicules d'acétylcholine présynaptiques pour que sa libération soit maintenue lors des stimulations à haute fréquence [25]. L'acétylcholine augmenterait sa propre mobilisation par une activation des canaux calciques avec entrée de calcium qui se combinerait avec la calmoduline pour entraîner une inhibition de la synapsine I et un mouvement des vésicules vers les zones actives [25]. Plusieurs faits sont en faveur du rôle de ces récepteurs. L'application d'acétylcholine directement au niveau de la plaque motrice n'entraîne pas de diminution de potentiel de plaque lorsque la fréquence est élevée. De même, la quantité d'acétylcholine diminue peu lors d'une stimulation à haute fréquence alors que la présence d'un curare non dépolarisant accentue cette baisse [94]. Ces faits indiqueraient que l'épuisement en présence de faibles doses de curare non dépolarisant n'est pas un phénomène postsynaptique mais est lié au blocage de ces récepteurs présynaptiques.

Effets sur le système nerveux autonome (tableau II)
Tableau II. - Effets des curares sur le système nerveux autonome et 
l'histaminolibération.

Curares
Effets
ganglionnaires
Effet sur les récepteurs
muscariniques cardiaques
Effets
sympathomim
étiques
Histaminolibération
Org 9487
-
+
-
-
Mivacurium
-
-
-
+
Atracurium
-
-
-
+
Cisatracurium
-
-
-

Rocuronium
-

-
-
Vécuronium
-
-
-
-
Pancuronium
-

+
-
Suxaméthonium
Transmission
Stimulation
-
+
Ces effets sont tous dose dépendants, additifs. Leur intensité n'est pas diminuée par le ralentissement de la vitesse d'injection.

Effet ganglioplégique
Cet effet est lié au blocage des récepteurs nicotiniques postsynaptiques situés au niveau ganglionnaire. Il peut être mis en évidence, chez le chat, en mesurant la contraction de la membrane nictitante secondaire à une stimulation sympathique ainsi que l'inhibition de la bradycardie induite par une stimulation vagale. L'effet ganglioplégique a été observé essentiellement avec la d-tubocurarine, où il survient à des doses proches des doses curarisantes [110]. Il est quasiment inexistant avec les curares stéroïdiens, l'atracurium ou le mivacurium, car il faut des doses au moins 50 fois supérieures aux doses curarisantes.


Effets sur les récepteurs muscariniques
L'inhibition des récepteurs muscariniques M2 situés au niveau du noeud sinusal peut être responsable d'une tachycardie. Cet effet est mis en évidence chez l'animal en mesurant l'intensité de la bradycardie secondaire à une stimulation vagale [110] ou à l'administration d'un agoniste muscarinique telle la méthacholine [23]. Les éventuelles propriétés vagolytiques d'un curare sont appréciées par le rapport DA50 vagolytique/DA50 curarisante. Le rapport DA50 vagolytique/DA50 curarisante est aux environs de 4 pour le pancuronium alors qu'il est de 25 pour l'atracurium [111] et 80 pour le vécuronium [221]. De tous les curares non dépolarisants, la gallamine est le plus vagolytique, le rapport étant égal à 0,6 [110]. Les effets vagolytiques de la gallamine apparaissent à des doses inférieures aux doses curarisantes. Le rapport DA50 vagolytique/DA50 curarisante est égal à 0,6 pour la d-tubocurarine mais il est la conséquence de récepteurs muscariniques de type M3 qui sont situés dans les vaisseaux et sont impliqués dans les phénomènes de vasodilation.

Il existe également des récepteurs présynaptiques muscariniques de type M2 au niveau des terminaisons noradrénergiques. Ces récepteurs auraient pour rôle du diminuer la libération de noradrénaline. En bloquant ces récepteurs, le pancuronium et la gallamine augmenteraient la libération de noradrénaline ce qui majorerait la tachycardie liée à leurs propriétés vagolytiques [24, 232].

D'autres récepteurs muscariniques de type M2 sont présents au niveau des interneurones dopaminergiques de type SIF (small intensely fluorescent). Ces neurones sont activés par l'acétylcholine libérée par les collatérales des fibres cholinergiques préganglionnaires. La dopamine libérée par ces neurones entraîne une hyperpolarisation des neurones postganglionnaires adrénergiques, ce qui entraîne une inhibition de la transmission ganglionnaire [23, 24]. Le bloc de ces récepteurs muscariniques induit par la gallamine et le pancuronium entraîne une facilitation de la transmission ganglionnaire et de l'activité sympathique [91, 92].

Effets sur la libération et le recaptage de la noradrénaline
Le pancuronium et le fazadinium bloquent le recaptage neuronal de la noradrénaline [57, 196] (type 1) au niveau du muscle cardiaque et des fibres lisses.
Bien que cet effet apparaisse pour de fortes doses, c'est ce mécanisme qui expliquerait l'éventuelle augmentation de concentration plasmatique des catécholamines observée chez certains patients [173], tels ceux porteurs d'un phéochromocytome. Cet effet serait aussi à l'origine des interactions observées avec d'autres médicaments capables de bloquer le recaptage des catécholamines, tels les imipraminiques. Des tachycardies, voire l'apparition de troubles du rythme, ont été décrits chez des patients traités de façon chronique par de l'imipramine et ayant été anesthésiés avec une association halothanepancuronium [78].

L'atracurium peut inhiber le recaptage de type 1 et de type 2 (extraneuronal) mais à des concentrations très supérieures à celles entraînant un bloc neuromusculaire [24].

Libération d'histamine
Histaminolibération non spécifique
De nombreux composés basiques chargés positivement peuvent entraîner une histaminolibération. Le mécanisme est lié à la fixation et à l'action directe du curare à la surface des mastocytes et des basophiles ce qui va entraîner une libération d'histamine, le calcium étant impliqué dans ce mécanisme.

L'histaminolibération non spécifique est une exagération de l'effet pharmacologique. Elle n'est pas médiée par des anticorps et survient sans exposition antérieure au produit. Elle est favorisée par la vitesse d'injection du curare, la dose [200] ainsi que l'existence d'un terrain atopique [133]. La traduction clinique d'une histaminolibération non spécifique est habituellement moins sévère que lors d'une réaction immunologique car la libération d'histamine est moins massive [133]. La d-tubocurarine est fortement histaminolibératrice, celleci survenant pour des doses proches des doses curarisantes. Une dose de 500 à 600 μg/kg en 30 secondes multiplie par 4 à 6 les concentrations d'histamine plasmatique. Les autres benzylisoquinolines (atracurium, mivacurium) entraînent une histaminolibération pour des doses égales à trois fois la DA95. Le cisatracurium est le premier curare de ce groupe quasiment dénué d'effets histaminolibérateurs aux posologies usuelles. Les curares stéroïdiens n'entraînent pas d'histaminolibération. Les curares semblent induire une histaminolibération préférentiellement à partir des mastocytes cutanés plutôt qu'à partir des mastocytes pulmonaires comme ce peut être le cas avec le propofol [150]. Elle peut se traduire cliniquement par une éruption cutanée transitoire au niveau du visage et du cou, une tachycardie, voire une baisse transitoire de la pression artérielle pendant les 5 minutes suivant l'injection.

Anaphylaxie
Les accidents allergiques peuvent survenir avec n'importe quel curare. Il s'agit de réactions d'hypersensibilité immédiate (type I) liées à la production d'IgE (immunoglobulines E) spécifiques qui se fixent sur les récepteurs spécifiques membranaires des mastocytes tissulaires et des basophiles circulants ainsi que sur des récepteurs spécifiques situés sur les plaquettes et les éosinophiles [133].

La partie allergénique des curares est l'ammonium quaternaire. Les patients peuvent avoir été sensibilisés par une exposition antérieure à un curare ou à des substances porteuses d'ions ammonium quaternaires (agents cosmétiques, désinfectants, etc). Ces mécanismes de sensibilisation expliquent la grande fréquence des réactivités croisées entre curares (70 %) ainsi que la possibilité d'accidents chez des patients n'ayant jamais été anesthésiés. L'administration de l'allergène entraîne sa réaction avec les IgE et l'accident anaphylactique par activation membranaire des basophiles et des mastocytes aboutissant à la libération massive de médiateurs préformés (histamine, tryptase, sérotonine) et reformés (prostaglandines, leucotriènes, facteur d'agrégation plaquettaire). En cas d'accident anaphylactique, les signes cliniques sont habituellement au complet et sont souvent plus graves qu'en cas d'accidents anaphylactoïdes [133].
Les curares n'entraînent pas d'activation de la voie du complément.

Activité anticholinestérasique
En raison de leur parenté structurale avec l'acétylcholine, les curares peuvent se fixer sur les sites actifs des cholinestérases et entraîner une éventuelle inhibition de leur activité. L'inhibition de l'acétylcholinestérase d'origine globulaire survient pour des concentrations très supérieures à celles responsables du bloc neuromusculaire et n'a aucune traduction clinique. De même, l'inhibition de la butyrylcholinestérase plasmatique ne survient que pour des doses très élevées, exception faite du pancuronium [220]. L'inhibition de la butyrylcholinestérase par le pancuronium survient pour des concentrations 1 000 fois inférieures à celles observées avec les autres curares non dépolarisants [24]. Le rapport des concentrations inhibant l'activité des cholinestérases de 50 % (I50AChE/I50BuChE) est proche de 5 000 pour le pancuronium alors qu'il est compris entre 2 et 12 pour la majorité des autres curares non dépolarisants.

L'inhibition de la butyrylcholinestérase par le pancuronium explique la longue durée d'action d'une faible dose de mivacurium (10 μg/kg) injectée en fin d'intervention, chez un patient préalablement curarisé par du pancuronium [80].

Relation structure-activité
Les curares non dépolarisants sont tous porteurs d'au moins un groupe ammonium quaternaire, le plus souvent deux, qui permettent la fixation au niveau des mêmes sites que l'acétylcholine sur le récepteur cholinergique. Les deux ammoniums sont séparés par une structure lipophile de taille variable.

Pendant longtemps, on a considéré que la distance entre les deux atomes d'azote devait être comprise entre 12 et 14 A [21]. Cette notion a moins d'importance avec les curares non dépolarisants qu'avec les curares dépolarisants, la distance étant de 10 à 11 A pour certains curares stéroïdiens. À l'opposé, certains dérivés des benzylisoquinolines ont une distance de 18 à 21 A entre les deux ammoniums. De même, l'existence de deux ammoniums quaternaires n'est pas indispensable, le second atome d'azote pouvant être sous forme tertiaire et non quaternaire aux pH physiologiques (d-tubocurarine, vécuronium). La gallamine est le seul curare porteur de trois ammoniums quaternaires [22]. Les curares non dépolarisants sont tous des molécules hydrosolubles diffusant mal en dehors du secteur hydrique extracellulaire en raison de leur ionisation aux pH physiologiques. Le passage de la barrière hématoencéphalique ou foetoplacentaire est donc faible.

Deux grandes familles de curares non dépolarisants existent : les dérivés stéroïdiens et les benzylisoquinolines. La classe des curares stéroïdiens comprend le pancuronium, le pipécuronium, le vécuronium, le rocuronium et l'Org 9487. Ces agents ont en commun leur absence d'effets histaminolibérateurs. Certains peuvent avoir des propriétés vagolytiques (pancuronium). Ils sont tous éliminés par le rein, de plus le vécuronium et le rocuronium sont métabolisés dans le foie. Les benzylisoquinolines ont toutes une parenté structurale avec la d-tubocurarine. Il s'agit de la métocurine, de l'atracurium, du doxacurium, du mivacurium et du cisatracurium. Ces agents sont dépourvus d'effet vagolytique mais sont responsable d'une histaminolibération pharmacologique parfois aux doses thérapeutiques. Leur mode d'élimination varie selon les molécules, même s'ils sont tous excrétés par le rein. Le mivacurium est dégradé par les pseudocholinestérases plasmatiques, l'atracurium et le cisatracurium sont dégradés par la voie de Hofmann.


 Influence des paramètres pharmacocinétiques/pharmacodynamiques



La vitesse d'installation de la curarisation est largement dépendante des facteurs circulatoires et de la puissance de la molécule alors que la durée d'action dépend essentiellement de la vitesse d'élimination.

Vitesse d'installation de la curarisation
Le délai d'installation du bloc neuromusculaire correspond par définition au temps compris entre la fin de l'administration et l'obtention du bloc maximal.

Paramètres hémodynamiques
Il existe une relation directe entre le débit cardiaque et le délai d'installation de la paralysie. Cette relation explique pourquoi les curares ont un délai d'action plus bref chez le nourrisson et l'enfant que chez l'adulte [209] et que les sujets âgés ont un délai d'action allongé par rapport à des patients plus jeunes [93, 128].

L'agent anesthésique d'induction intervient également. Gill et Scott ont démontré que la paralysie induite par le vécuronium s'installait plus rapidement après induction par l'étomidate qu'avec le propofol ou le thiopental. Il existe une corrélation entre la baisse tensionnelle et le délai d'installation du bloc neuromusculaire [95].

Le débit sanguin musculaire peut également intervenir. Chez le chien, l'installation de la paralysie du muscle tibial antérieur, après injection de gallamine, est accélérée par l'augmentation du débit sanguin musculaire alors que la récupération n'est pas modifiée [98]. Il a été démontré l'existence d'une corrélation entre le temps d'apparition du vert d'indocyanine dans l'artère radiale et le délai d'installation du bloc [104]. L'activité métabolique du muscle peut aussi jouer un rôle. Après administration d'un bolus de 400 μg/kg d'atracurium, le délai entre l'injection et une diminution de 90 % de la force de l'adducteur du pouce est en moyenne de 2 minutes au niveau du bras stimulé par train-dequatre alors que ce délai atteint 3,4 minutes au niveau du bras controlatéral stimulé par stimulation simple [47]. Cet effet est probablement lié à la stimulation par train-de-quatre qui augmente l'activité musculaire et les besoins en oxygène d'où l'augmentation du débit sanguin régional. Chez l'homme, l'installation du bloc neuromusculaire est plus rapide au niveau du diaphragme [65] et des muscles adducteurs laryngés [66, 162] qu'au niveau du pouce malgré leur résistance aux curares non dépolarisants. Après administration d'une dose de 40 μg/kg de vécuronium, le délai d'installation de la paralysie est de 3,3 au niveau des muscles laryngés et de 5,7 minutes au niveau de l'adducteur du pouce [66].

Ces résultats, apparemment contradictoires, s'expliquent par le fait que les muscles respiratoires sont mieux vascularisés que les muscles périphériques et reçoivent une quantité importante de molécules, ce qui entraîne l'installation plus rapide de la paralysie malgré leur résistance [104].
Constante de transfert (ke0)
l'évolution des concentrations artérielles plasmatiques de curare qui atteignent un pic 25 à 35 secondes après l'injection alors que la curarisation n'est pas encore détectable [67]. Ce phénomène souligne le rôle joué par les concentrations au niveau de la jonction neuromusculaire par rapport aux concentrations plasmatiques. Pour tenter de répondre à ce problème, Hull et Sheiner ont fait l'hypothèse que le site d'action pourrait être représenté par un compartiment théorique appelé " compartiment effet " en liaison avec le compartiment central et dans lequel la concentration de curare serait directement liée à l'effet, c'est-àdire au bloc neuromusculaire [112, 206]. Ce type de modèle permet de déterminer la vitesse d'équilibration entre le plasma et la jonction neuromusculaire et de définir une constante de transfert ou ke0. Ce paramètre permet de calculer la demi-vie d'installation de l'effet ou T1/2ke0. La valeur de la ke0 est une grandeur théorique mais elle permet d'avoir une approche de la vitesse d'installation de la curarisation. Elle dépend essentiellement des paramètres circulatoires et du coefficient de partition du curare entre le sang et les muscles striés. Stanski a démontré que la ke0 de la d-tubocurarine correspondait au débit sanguin musculaire divisé par son coefficient de partition [219]. Une valeur comparable (5 à 7 min pour la T1/2ke0) a été retrouvée pour la majorité des curares non dépolarisants à l'adducteur du pouce. C'est le doxacurium qui a la demi-vie d'installation de l'effet la plus longue (14-20 min) [93] ce qui correspond au fait que c'est le curare non dépolarisant dont le délai d'action est le plus long de tous les agents utilisés chez l'homme. À l'opposé, la demi-vie d'installation de l'effet du rocuronium est la plus courte (4 min) au niveau du pouce [187]. Elle est significativement plus brève au niveau des muscles adducteurs laryngés (2,7 min) ce qui confirmerait le rôle des facteurs circulatoires pour expliquer le délai d'installation plus bref au niveau des muscles respiratoires.

Accès au récepteur
Le temps de diffusion au sein de la fente synaptique n'influence probablement pas le délai d'action. Il a été démontré que les molécules de d-tubocurarine pouvaient pénétrer et quitter la fente synaptique en quelques millisecondes. De même la vitesse de liaison aux récepteurs cholinergiques, dès que les molécules ont pénétré dans la fente synaptique, est très courte et sans retentissement sur l'installation de la paralysie [7].

Puissance
Il existe un nombre croissant d'arguments en faveur de la relation entre délai d'installation de la paralysie et puissance des curares. En cas de propriétés physicochimiques proches, les curares les moins puissants présentent le délai d'action le plus bref. Bowman a ainsi démontré, chez le chat, l'existence d'une relation inverse entre le délai d'installation du bloc maximal et la DA50 pour les curares stéroïdiens (fig 2) [26]. Chez l'homme, Kopman a démontré qu'en cas d'administration de doses équipotentes de d-tubocurarine, pancuronium et gallamine, l'intensité de la paralysie était comparable mais que le délai d'installation de la paralysie dépendait du curare utilisé. Un bloc de 50 % à l'adducteur du pouce était obtenu plus rapidement avec le curare le moins puissant, la gallamine (66 s), alors qu'il fallait 99 secondes avec la dtubocurarine et 141 secondes avec le pancuronium qui est le plus puissant des trois [127]. De tous les curares non dépolarisants, disponibles chez l'homme, le doxacurium, qui est le plus puissant (DA95 : 25 μg/kg), est celui qui possède le délai d'installation de la paralysie le plus long (10 à 15 min) [9, 93]. À l'opposé, le rocuronium, qui est sept fois moins puissant que le vécuronium, présente à doses équipotentes un délai d'installation de la paralysie plus court que celui du vécuronium, que ce soit au niveau de l'adducteur du pouce (2,4 versus 5,7 min) ou des muscles adducteurs laryngés (1,4 versus 3,3 min) [162]. L'Org 9487, qui est trente fois moins puissant que le vécuronium, est le premier curare non dépolarisant à présenter un délai d'action comparable à celui du suxaméthonium [248].

Ces observations s'expliquent par la théorie d'occupation des récepteurs et le concept de marge de sécurité de la jonction neuromusculaire. Quelle que soit la puissance d'un curare, un nombre critique de récepteurs doit être occupé pour que s'installe le bloc neuromusculaire. La paralysie de l'adducteur du pouce est complète quand environ 92 % des récepteurs sont occupés par les molécules de curare non dépolarisant. Après l'arrivée dans la fente synaptique, quasiment toutes les molécules de curare se retrouvent liées aux récepteurs [7]. En l'absence de différences pharmacocinétiques, quand un curare puissant est utilisé, le nombre de molécules atteignant la jonction neuromusculaire est faible par rapport à un curare de moindre puissance en raison de concentrations plasmatiques plus basses. Il en résultera que le temps nécessaire à la saturation des récepteurs sera plus long avec un curare puissant et que le délai d'installation de la paralysie sera important [63, 97, 130].

Dose
L'intensité du bloc neuromusculaire est dose dépendante mais cette relation n'est pas linéaire. Si de faibles doses sont administrées, il peut ne pas y avoir de bloc neuromusculaire, en revanche au-delà d'une certaine dose, toute augmentation de posologie n'entraînera qu'une discrète variation d'intensité du bloc. En effet quand la paralysie devient proche de 100 %, il faut une augmentation relativement importante des concentrations pour entraîner une baisse de 1 % de la force musculaire. Le délai d'installation de la paralysie est indépendant de la dose aux posologies donnant un bloc de moins de 100 % [128] pour une molécule donnée. En revanche, le délai d'action peut être raccourci en donnant de fortes doses de curare qui permettent d'obtenir plus rapidement un degré de saturation des récepteurs de la jonction neuromusculaire entraînant l'obtention d'un bloc complet. Le délai d'action du vécuronium passe de 208 secondes après un bolus de 100 μg/kg à 106 secondes après une dose de 400 μg/kg (huit fois la DA95) [96, 228]. Aux fortes doses, le facteur limitant est probablement lié aux conditions circulatoires (débit cardiaque, débit sanguin musculaire). L'utilisation éventuelle de fortes doses entraîne deux problèmes : l'augmentation de la durée d'action et l'apparition d'éventuels effets secondaires cardiovasculaires. Seul le vécuronium a pu être utilisé à des posologies comprises entre six et huit fois la DA95 car il était jusqu'à maintenant le seul curare non dépolarisant totalement dénué d'effets secondaires cardiovasculaires, ce qui n'est plus le cas depuis l'apparition du cisatracurium. Les autres curares ne peuvent être utilisés à de telles doses en raison du risque d'effets secondaires. Ainsi l'atracurium ou le mivacurium ne peuvent être utilisés à des posologies supérieures à 600 et 200 μg/kg [200] respectivement, en raison de l'histaminolibération. L'administration de doses de vécuronium de six à huit fois la DA95 pour raccourcir le délai d'action entraîne un allongement important de la durée d'action [96, 228]. La durée d'action clinique à l'adducteur du pouce passe de 42 minutes après un bolus de 100 μg/kg à 115 minutes avec des extrêmes compris ente 35 et 191 minutes lors de l'injection d'une dose de 400 μg/kg [228].

Durée d'action
Les curares peuvent être classés en quatre groupes en fonction de leur durée d'action clinique à l'adducteur du pouce après administration d'une dose de deux fois la DA95 [12]. Cette durée d'action doit être inférieure à 8 minutes pour les curares ultracourts. Elle est comprise entre 8 et 20 minutes pour les curares courts, entre 20 et 50 minutes pour les molécules de durée d'action intermédiaire. Les curares de longue durée d'action ont une durée d'action clinique supérieure à 50 minutes.

Paramètres pharmacocinétiques
Contrairement au délai d'installation de la paralysie, la durée d'action est largement dépendante de la décroissance des concentrations plasmatiques. Cette dernière dépend à la fois des phénomènes de redistribution, de métabolisme et d'élimination. L'effet d'un curare commence à diminuer quand les concentrations plasmatiques artérielles deviennent inférieures aux concentrations à la jonction neuromusculaire [58]. Pour les curares de longue durée d'action (d-tubocurarine, pancuronium), la décurarisation a lieu pendant la phase d'élimination, le pseudoéquilibre entre les concentrations plasmatiques et celles de la jonction neuromusculaire étant déjà obtenu. Il existe dans ce cas une relation entre temps nécessaire pour arriver à une concentration à partir de laquelle la décurarisation s'installe sera prolongé. En revanche, l'index de récupération est relativement constant et en relation avec la constante d'élimination de la molécule considérée. L'atracurium a une demi-vie d'élimination brève (20 min), la décurarisation va donc se produire pendant la phase prédominante d'élimination. En revanche, le vécuronium ou le rocuronium se comportent différemment de l'atracurium. Bien qu'ils aient une demi-vie d'élimination comprise entre 1 et 2 heures, leur durée d'action et leur vitesse de décurarisation sont comparables à celles de l'atracurium. Ces discordances apparentes, par rapport à l'atracurium, s'expliquent par l'importance des phénomènes de redistribution pour ces deux curares [59]. Les concentrations plasmatiques vont diminuer jusqu'à des concentrations compatibles avec la décurarisation pendant la phase de distribution, rendant moins importants que pour les autres curares les phénomènes d'élimination. Ainsi, malgré des profils pharmacocinétiques différents, l'atracurium, le vécuronium et le rocuronium ont des durées d'action et des vitesses de décurarisation proches (fig 3) [59].

Paramètres pharmacodynamiques
Après administration d'un curare non dépolarisant, le diaphragme ou les muscles adducteurs laryngés se décurarisent plus rapidement que les muscles périphériques tels que l'adducteur du pouce. Ces résultats s'expliquent par larésistance des muscles respiratoires. Plaud a pu démontrer qu'en cas de bloc lié au rocuronium, la concentration théorique dans le compartiment effet entraînant une diminution de 50 % de la force musculaire, était de 1424 μg/L pour les muscles laryngés alors qu'elle n'atteignait que 823 μg/L pour l'adducteur du pouce [187]. En cas de patient " sensible " aux effets des curares, la durée d'action sera prolongée par rapport à un autre patient car il faudra atteindre des concentrations plasmatiques plus basses avant que n'apparaissent les premiers signes de décurarisation.

Interactions pharmacologiques

Agents halogénés
Les agents halogénés entraînent une potentialisation des effets des curares non dépolarisants. Ils entraînent un déplacement de la courbe dose-action vers la gauche. C'est l'enflurane qui a, parmi les agents halogénés, les effets les plus marqués en entraînant une baisse d'environ 30-40 % de la DA 50 à 1 CAM (concentration alvéolaire minimale). La potentialisation par l'isoflurane est intermédiaire entre celles observées avec l'halothane et l'enflurane. Les effets des nouveaux agents halogénés (desflurane, sévoflurane) semblent comparables à ceux de l'isoflurane. Cette potentialisation dépend de la concentration alvéolaire de l'agent halogéné. L'augmentation de 1,2 à 2,2 CAM d'isoflurane entraîne une baisse de la DA50 du vécuronium qui passe de 15 à 10 μg/kg [193].

Le mécanisme exact de cette potentialisation est mal connu et n'est probablement pas univoque [147]. L'augmentation du débit sanguin musculaire, qui augmenterait l'apport de curare au niveau musculaire, a été évoqué mais ce mécanisme ne permet pas d'expliquer la potentialisation observée in vitro. Les effets plus marqués en cas de stimulation tétanique ou de train-de-quatre qu'en cas de stimulation simple ont fait évoquer l'hypothèse d'une action des agents halogénés au niveau présynaptique entraînant une diminution de la libération d'acétylcholine dans la fente synaptique [147]. Les agents halogénés diminuent la dépolarisation postsynaptique induite par le carbachol, ce qui traduit leur action au niveau postsynaptique [240]. Ils pourraient agir en modifiant la conformation allostérique du récepteur nicotinique [251]. Les autres mécanismes envisagés sont une action directe sur la contraction musculaire ou une inhibition des mouvements calciques dans le réticulum sarcoplasmique [147].

Une potentialisation des effets du suxaméthonium par le protoxyde d'azote a été mise en évidence chez l'homme. Une dose submaximale de suxaméthonium (0,3 mg/kg) entraîne un bloc maximal de 45 % à l'adducteur du pouce dans le groupe contrôle versus 74 % dans le groupe ayant reçu du protoxyde d'azote. Pour apparaître, cette potentialisation nécessite l'administration de protoxyde d'azote pendant au moins 6 minutes [222], ce qui reste éloigné des conditions cliniques d'utilisation du suxaméthonium.

Autres agents
De nombreuses études se sont intéressées aux interactions éventuelles entre agents anesthésiques intraveineux et curares. Si une potentialisation a pu être démontrée in vitro ou chez l'animal pour de nombreux agents, les conséquences cliniques sont inexistantes comparées aux effets des agents halogénés. Les agents anesthésiques pourraient agir par l'intermédiaire d'un effet stabilisant de membrane.

Les anesthésiques locaux peuvent potentialiser les effets des curares non dépolarisants en bloquant les canaux sodiques, voire en bloquant les récepteurs cholinergiques en position ouverte [147].
Les interactions entre antibiotiques et curares ont été étudiées suite à la survenue de plusieurs cas de curarisations prolongées après administration d'aminosides ou de polymyxines en période peropératoire. Les aminosides semblent diminuer la libération d'acétylcholine dans la fente synaptique [226] ; ils auraient une action proche de celle du magnésium [208], ils agiraient également sur les récepteurs cholinergiques postsynaptiques. Les effets potentialisateurs les plus marqués ont été observés avec la néomycine, puis par ordre d'intensité décroissante, avec la streptomycine, la gentamicine et la kanamycine [68, 208, 226].

La nétilmycine est le seul aminoside pour lequel il n'a pas été démontré de potentialisation de la curarisation. Cette potentialisation est majorée par le magnésium et antagonisée par l'administration de calcium ou de 4- aminopyridine. Les polymyxines ainsi que les lincosamides (lincomycine, clindamycine) potentialisent également la curarisation. Le bloc qu'elles induisent est difficile à antagoniser [208] ce qui traduirait un mode d'action complexe avec des effets à plusieurs niveaux dont un blocage des récepteurs cholinergiques, un effet stabilisant de membrane, voire un effet direct sur la contractilité musculaire [147]. Chez l'homme, la potentialisation a une traduction clinique essentiellement en cas de surdosage, d'insuffisance rénale, d'administration intrapéritonéale ou intrapleurale.

Chez l'animal, l'administration d'inhibiteurs calciques tels le vérapamil ou la nifédipine peut potentialiser un bloc non dépolarisant. Ils agiraient en bloquant les canaux calciques à différents niveaux, mais le lieu exact de l'interaction n'est pas connu. Le bloc est antagonisable chez l'animal par la 4-aminopyridine [1]. Il a été démontré, chez l'homme, une résistance au pancuronium et au vécuronium [177, 225] ainsi qu'à l'atracurium [177] en cas de traitement chronique par diphénylhydantoïne ou carbamazépine. Le principal mécanisme de cette résistance induite par les antiépileptiques semble être pharmacodynamique.

L'administration chronique de phénytoïne pourrait antagoniser l'acétylcholine au niveau pré- et postsynaptique ce qui entraînerait une prolifération des récepteurs extrajonctionnels, comme c'est le cas lors des syndromes de dénervation, et l'apparition d'une résistance aux curares [153]. Il a également été suggéré que la résistance pourrait être liée à l'induction enzymatique hépatique, voire à l'augmentation de la clairance d'élimination pour certains curares [153, 177].

Interactions entre curares
Le vécuronium et le pancuronium administrés simultanément ont des effets curarisants additifs, de même que l'association d-tubocurarine-métocurine [189].

En revanche, il a été démontré une synergie lors de l'administration simultanée de d-tubocurarine avec la gallamine puis lors de l'utilisation de vécuronium ou de pancuronium avec la d-tubocurarine. L'utilisation d'associations cliniques synergiques avait été proposée pour diminuer les posologies et les effets secondaires liés à certaines molécules. Cette méthode est tombée en désuétude, en raison de son intérêt clinique limité et de l'apparition de curares présentant peu d'effets secondaires hémodynamiques. L'administration simultanée de deux par les effets plus marqués d'un des deux curares non dépolarisants au niveau présynaptique ou par une fixation différente des deux molécules au niveau des deux sous-unités α du récepteur cholinergique [189].

L'administration préalable de suxaméthonium entraîne une augmentation de l'intensité et une prolongation du bloc non dépolarisant [48, 189]. Un bolus de 40 μg/kg de vécuronium administré plus de 30 minutes après le suxaméthonium, a une durée d'action totale de 26 minutes versus 12 minutes dans le groupe contrôle n'ayant pas reçu de suxaméthonium [48]. Le mécanisme de cette potentialisation n'est pas encore élucidé [28]. En revanche, en cas d'administration préalable d'une faible dose de curare non dépolarisant pour prévenir les fasciculations, le suxaméthonium est moins puissant et a une durée d'action raccourcie [189]. Il pourrait s'agir d'une compétition entre curare non dépolarisant et suxaméthonium au niveau des récepteurs cholinergiques postsynaptiques.


Utilisation prolongée
L'administration prolongée de curares est rare mais parfois nécessaire chez le patient de réanimation. La survenue d'une tachyphylaxie est fréquente, elle apparaît au bout de 2 à 4 jours, entraînant une multiplication des doses par 2 à 3.

Elle serait liée à l'augmentation du nombre des récepteurs cholinergiques extrajonctionnels, y compris en l'absence d'immobilisation. Plusieurs cas de paralysies prolongées ont été observés après l'arrêt de l'administration prolongée de curares. Les premiers cas de tétraparésie accompagnée d'aréflexie ont été décrits après administration prolongée de pancuronium [175], mais depuis, des atteintes similaires ont été décrites lors de l'utilisation de vécuronium [203] ou d'atracurium. Ces atteintes musculaires s'accompagnent d'atrophie musculaire et peuvent également toucher les muscles respiratoires. Le délai de récupération est très variable d'un patient à un autre.

Selon les cas, une atrophie d'origine neurogène, une nécrose musculaire ou des lésions compatibles avec celles rencontrées lors des myopathies sont retrouvées. Chez certains patients, une association curare stéroïden - corticoïdes administrés à fortes doses (état de mal asthmatique, transplantation d'organes) a été notée. Les curares agiraient en bloquant la transmission neuromusculaire, ce qui favoriserait la prolifération des récepteurs extrajonctionnels [109] et la dénervation d'un certain nombre de fibres musculaires. Cette pathologie est différente de la polyneuropathie de réanimation ou critical illness neuropathy qui survient lors du sepsis en l'absence de toute administration de curare. La survenue d'une hypermagnésémie, d'une acidose métabolique, d'une insuffisance rénale conduisant à l'accumulation de métabolites comme le 3-désacétylvécuronium, apparaissent comme des facteurs aggravants [203].




Propriétés particulières des curares non dépolarisants 

 

Curares de courte durée d'action


Mivacurium (Mivacron®)
Le mivacurium fait partie de la classe des benzylisoquinolines (fig 4). L'hydrolyse plasmatique rapide de cette nouvelle molécule explique d'une part sa courte durée d'action et d'autre part l'absence d'effet cumulatif.

Métabolisme et pharmacocinétique
Le mivacurium, comme le suxaméthonium, est hydrolysé dans le plasma par les butyrylcholinestérases. La vitesse du métabolisme et donc la demi-vie du mivacurium sont directement dépendantes de l'activité des d'une fonction NH4 +. Ils ne traversent pas la barrière hématoencéphalique et n'ont aucun effet sur le système nerveux central, aucun effet curarisant et aucun effet hémodynamique [199]. Le mivacurium est composé de trois isomères : Trans- Trans, Cis-Trans et Cis-Cis. L'isomère Cis-Cis ne représente que 4 à 6 % de la totalité du mivacurium et il est 13 fois moins puissant que les deux autres isomères. La clairance plasmatique des isomères Cis-Trans et Trans-Trans est de 105 et de 56 mL/kg/min respectivement chez l'homme [142]. Ces chiffres très élevés traduisent l'importance du métabolisme par les pseudocholinestérases plasmatiques. Le faible volume de distribution des isomères Cis-Trans (290 mL/kg) et Trans-Trans (150 mL/kg) témoigne de leur diffusion limitée.

L'existence d'une clairance très élevée et d'un faible volume de distribution explique les demi-vies d'élimination très courtes des isomères Cis-Trans (1,8 min) et Trans-Trans (1,9 min). Ces valeurs sont proches des demi-vies d'élimination observées in vitro. En revanche, l'isomère Cis-Cis a une clairance d'élimination (4,6 mL/kg/min) et une demi-vie d'élimination (53 min) comparables à celles des curares de durée d'action intermédiaire (fig 5)[142]. Cet isomère pourrait être éliminé inchangé par le foie et le rein. Bien que de faible puissance, il pourrait s'accumuler chez des patients en insuffisance rénale sévère et contribuer à la prolongation du bloc neuromusculaire. Les paramètres pharmacocinétiques du mivacurium ont été comparés chez des patients normaux, des patients présentant une insuffisance hépatique ou rénale [38] mais sans avoir dosé l'isomère Cis-Cis. Quinze minutes après l'injection d'une dose unique, la concentration des deux isomères actifs n'était plus détectable dans le plasma des patients normaux et insuffisants rénaux (limite de détection : 10 ng/mL). Chez les patients présentant une insuffisance hépatique, la concentration plasmatique des isomères actifs avait diminué en 30 minutes d'environ 95 % par rapport à la concentration maximale. Chez les patients présentant une insuffisance hépatique, l'aire sous la courbe des concentrations plasmatiques est en moyenne deux fois plus importante que chez les patients normaux ou insuffisants rénaux.

Pharmacologie clinique 
Puissance
Chez l'adulte, la DA95 du mivacurium est de l'ordre de 75 μg/kg [56, 90, 199]. Le mivacurium est donc quatre fois plus puissant que l'atracurium. Les agents halogénés potentialisent les effets du mivacurium. La DA95 est égale à 45 μg/kg sous isoflurane (0,5-0,75 %) [241], et à 52 μg/kg sous enflurane (0,9-1,2 %) [33].

La dose d'intubation du mivacurium devrait être de l'ordre de 150 μg/kg en raison de la résistance aux curares non dépolarisants des muscles adducteurs laryngés et du diaphragme. Il a cependant été mis en évidence par Plaud qu'une dose de 140 μg/kg de mivacurium n'entraînait un bloc des muscles adducteurs laryngés que de 90 % en moyenne, un seul des onze patients étudiés ayant été totalement paralysé au niveau des cordes vocales [186]. Dans la pratique, la dose d'intubation du mivacurium semble être plus proche de 200 μg/kg que de 150 μg/kg, d'autant qu'il existe une variabilité interindividuelle importante [32].

Délai d'installation de la curarisation
Pour une dose de 150 μg/kg, le délai d'installation est en moyenne de 3,3 minutes au niveau de l'adducteur du pouce. Il diminue en augmentant la dose : 2,3 minutes après 250 μg/kg [199]. Le délai d'installation de la curarisation induite par le mivacurium est donc plus long que celui de la succinylcholine. Il est comparable à celui de l'atracurium, compris entre 2 et 3 minutes [32]. Le délai d'installation est de 2,2 minutes au niveau des cordes vocales après administration d'un bolus de 140 μg/kg, ce qui reste plus long qu'avec une dose équipotente de succinylcholine (0,9 min).

Durée d'action
La durée d'action est en moyenne de 20 minutes après administration d'un bolus de 200 μg/kg [199]. Même pour des doses supérieures à trois fois la DA95 (250 μg/kg), la durée d'action du mivacurium à l'adducteur du pouce est courte (21 de la succinylcholine et deux fois plus courte que celle de l'atracurium [32, 199].

En cas d'administration répétée, la durée d'action clinique de chaque dose de réinjection reste constante car l'hydrolyse plasmatique prévient les effets cumulatifs. Pour des doses de réinjection de 44 μg/kg, la durée d'action de chaque dose est d'environ 9 minutes jusqu'à la sixième réinjection [56].

La durée d'action totale est de 30 minutes environ après un bolus de 200 μg/kg [199]. La durée d'action totale du mivacurium, même à une dose supérieure à trois fois la DA95, reste inférieure à celle des autres myorelaxants non dépolarisants utilisés. L'halothane (0,4-0,6 %) prolonge la durée d'action : 30 minutes sous halothane contre 24 minutes sans halogéné, pour une dose de 150 μg/kg [90].

Récupération spontanée
La vitesse de décurarisation est proche de 6-7 minutes quelle que soit la dose en injection unique, du fait de l'absence d'effet cumulatif [199]. Les agents halogénés diminuent significativement la vitesse de récupération spontanée. La vitesse de récupération spontanée du mivacurium, pour une dose de 200 à 250 μg/kg, est en moyenne 1,5 fois plus rapide que celle de l'atracurium (500 μg/kg) et deux fois plus lente que celle de la succinylcholine (1 mg/kg).

Perfusion continue
Le mivacurium est un curare de choix pour l'utilisation des myorelaxants non dépolarisants en perfusion continue, car dépourvu d'effet cumulatif. Pour obtenir un bloc de 95 %, au niveau de l'adducteur du pouce, la vitesse moyenne de perfusion est de l'ordre de 6 à 8 μg/kg/min. Le monitorage de la curarisation doit être systématique en raison de la variabilité interindividuelle importante.

L'isoflurane et l'enflurane potentialisent la curarisation et permettent de diminuer la vitesse de perfusion. Après une perfusion d'une durée comprise entre 35 et 324 minutes, l'index de récupération est comparable à celui d'une dose unique [199]. Une fois que la décurarisation spontanée a débuté, la vitesse de récupération est indépendante de la durée de perfusion [6, 37]. Après perfusion continue, la vitesse de décurarisation du mivacurium reste supérieure à celle de l'atracurium et du vécuronium. Pour une durée de perfusion comparable (de l'ordre de 90 à 100 min), l'index de récupération du mivacurium est plus court que celui de l'atracurium (11 min) ou du vécuronium (12 min) [6].

Antagonisation
L'activité des pseudocholinestérases peut être partiellement et transitoirement inhibée par la néostigmine ou l'édrophonium [105, 224]. Dans la pratique clinique, l'antagonisation du bloc neuromusculaire induit par le mivacurium ne semble pas poser de problème, surtout si l'administration de l'anticholinestérasique a lieu quand la force musculaire de l'adducteur du pouce est d'au moins 10 % de la valeur contrôle. Il a été mis en évidence une plus grande fréquence decurarisation résiduelle quand le bloc induit par le mivacurium n'était pas antagonisé [18]. Après administration de néostigmine chez des patients dont le bloc, au moment de l'administration de la néostigmine, était compris entre 67 et 93 %, une récupération de 95 % de la force musculaire était obtenue en 6,3 minutes, comparée à 10,3 minutes en cas de récupération spontanée [199]. Le gain de temps est donc de l'ordre de 4 minutes. Après administration en perfusion continue, la néostigmine administrée lorsque la décurarisation spontanée avait atteint 12 % de la valeur contrôle, permet d'obtenir une décurarisation complète en 8 minutes contre 17 minutes sans antagonisation [99].

Les effets de la néostigmine et de l'édrophonium ont été comparés à la récupération spontanée après administration du mivacurium en perfusion continue [100]. La durée de perfusion a été en moyenne de 58 minutes. Le gain de temps après antagonisation pour obtenir un rapport T4/T1 > 70 % a été de 6 à 8 minutes par rapport à la récupération spontanée (11 min après néostigmine, 8 min après édrophonium et 17 min lors de la récupération spontanée).

Influence du terrain
Âge
Chez le nourrisson, la DA95 du mivacurium est plus élevée que chez le nouveauné [250]. Chez les enfants âgés de 2 à 12 ans, elle est de 110 μg/kg [101]. Sous anesthésie à l'halothane (1 %), la DA 95 est de 95 μg/kg [101, 197] Chez l'enfant, la vitesse de perfusion, pour maintenir un bloc de 95 %, est plus importante que chez l'adulte, de l'ordre de 15 μg/kg/min en l'absence d'agent halogéné [30].

Le délai moyen d'installation de la curarisation, après une dose de 150 μg/kg chez le nouveau-né, est de 1,6 minute. Après 200 μg/kg chez le jeune enfant, ce délai est de 1,5 minute [250]. Le raccourcissement du délai d'action chez l'enfant serait lié à l'augmentation relative du débit cardiaque par rapport à l'adulte.

Après administration d'un bolus de 200 μg/kg, la durée d'action clinique est d'environ 10 minutes chez le jeune enfant [250]. Quelle que soit la dose utilisée, la durée d'action clinique est plus courte chez l'enfant que chez l'adulte. Après une dose unique de 150 μg/kg, la durée d'action totale est de 16 minutes chez le nouveau-né (âgé de 2 à 6 mois) ou le nourrisson (âgé de 7 à 11 mois) [102]. Pour une dose de 200 μg/kg chez l'enfant (âgé de 2 à 12 ans), la durée d'action totale est de 17,9 minutes sous halothane (1 %) contre 18,4 minutes sous anesthésie balancée. La vitesse de décurarisation spontanée est plus rapide chez l'enfant que chez l'adulte, comme c'est le cas pour tous les curares non dépolarisants.

Déficit en pseudocholinestérases
Le mivacurium étant hydrolysé par les pseudocholinestérases plasmatiques, tout déficit acquis ou congénital peut induire des modifications tant pharmacocinétiques que pharmacodynamiques.

La synthèse hépatique des pseudocholinestérases plasmatiques est gouvernée par deux gènes allèles autosomiques situés sur le chromosome 3. Le gène U (usual) ou normal est présent dans la majorité de la population, les trois autres gènes identifiés étant désignés A (résistant à la dibucaïne), F (résistant au fluor) et S (silencieux) selon la réponse à des inhibiteurs (dibucaïne, fluor). Initialement, quatre phénotypes de pseudocholinestérase avaient donc été identifiés dans la population, la découverte récente de nouveaux gènes anormaux mais rares (Kalow, Hammersmith, James) fait que plus de 20 génotypes sont désormais connus [116]. Le génotype normal U-U est présent chez 96 % des patients dans la population européenne et s'accompagne d'une activité de la butyrylcholinestérase comprise entre 3 000 et 7 000 unités internationales (UI)/L [71]. Cette substitution est responsable d'une baisse de l'affinité de la butyrylcholinestérase par la dibucaïne. La constatation d'une baisse de l'activité au-dessous de 1 500 UI/L permet d'affirmer le déficit en butyrylcholinestérase mais pas d'en préciser le caractère homozygote ou hétérozygote. Après administration d'une faible dose de mivacurium (30 μg/kg) chez cinq patients hétérozygotes U-A et cinq patients homozygotes A-A pour le gène anormal A, le bloc maximal était de 91 % (écart 69-100 %) chez les patients U-A et de 100 % chez les patients A-A [178]. Le délai pour obtenir une récupération spontanée de 90 % de la valeur contrôle était en moyenne de 24 minutes (extrêmes 14-31,3 min) chez les patients U-A ; alors que chez les patients A-A, le délai d'obtention d'une récupération de 50 % de la force musculaire était de 95 minutes.

L'existence d'un phénotype homozygote pour le gène anormal est rare (1 sur 2 500 patients) mais entraîne une prolongation considérable de la durée d'action du mivacurium [158]. Après administration d'un bolus de 200 μg/kg, des curarisations pouvant atteindre 6 heures ont été décrites en cas de déficit homozygote [234].

À côté des déficits congénitaux existent des déficits acquis. Les pseudocholinestérases étant synthétisées par le foie, la cause la plus fréquente de déficit acquis est l'insuffisance hépatocellulaire. Devlin a étudié les effets myorelaxants d'une dose de 150 μg/kg de mivacurium chez des patients atteints de cirrhose, la gravité étant appréciée au moyen de la classification de Child- Pugh. L'activité cholinestérasique diminuait avec la gravité de la cirrhose : 687 UI/L pour les cirrhoses classe A, 595 UI/L et 275 UI/L pour les classes B et C respectivement alors qu'elle était de 1 125 UI/L pour les patients normaux.

Il existait une corrélation entre l'activité cholinestérasique et la durée d'action du mivacurium. La courte durée d'action du mivacurium n'était plus observée chez les patients présentant une cirrhose modérée (classe A). Chez ces malades, la durée d'action clinique du mivacurium devenait comparable à celle de l'atracurium. En cas d'atteinte hépatocellulaire sévère (Child C), la durée d'action clinique était de 43 minutes. L'index de récupération était comparable entre le groupe témoin (8,3 min) et les patients Child A (9,9 min) mais était très allongé dans les formes les plus sévères (27,8 min) [55].

Les autres causes de déficit acquis sont les chocs septiques, les dénutritions, les brûlures étendues ou certaines pathologies tumorales (carcinomes). Les plasmaphérèses ainsi que certains médicaments peuvent entraîner une diminution de l'activité de la butyrylcholinestérase. La baisse peut être causée par l'utilisation d'antimitotiques tels que le cyclophosphamide (Endoxan ®) [235], d'écothiopate (Phospholine ®) ou des agents organophosphorés. Le pancuronium, le propranolol ne causent qu'une discrète diminution de l'activité sans traduction clinique. La grossesse entraîne une baisse d'environ 25 % de la butyrylcholinestérase, ce qui est sans conséquence clinique. L'activité chez le nouveau-né est aux environs de 50 % de celle de l'adulte mais va se normaliser dans les 6 premiers mois de vie.

Insuffisance rénale
En cas d'insuffisance rénale, après injection d'un bolus de 150 μg/kg suivie d'une perfusion continue, le bloc maximal et le délai d'installation ne sont pas significativement différents entre les patients normaux et ceux porteurs d'une insuffisance rénale terminale [185]. La décurarisation spontanée, après bolus, est observée plus tardivement chez l'insuffisant rénal (15,3 min) que dans le groupe contrôle (9,8 min). La vitesse de perfusion de mivacurium, pour maintenir un bloc neuromusculaire de 95 %, est diminuée chez l'insuffisant rénal par rapport aux patients normaux. La néostigmine accélère la récupération dans les deux groupes avec la même efficacité [185]. Ces altérations seraient liées à l'accumulation éventuelle de l'isomère Cis-Cis qui est à élimination rénale.

Effets secondaires
Histaminolibération
Comme tous les myorelaxants de la classe des benzylisoquinolines, le mivacurium est histaminolibérateur. Un index permettant de comparer l'histaminolibération des différents myorelaxants a été proposé. Cet index prend en compte les propriétés histaminolibératrices par rapport à la puissance myorelaxante. Il est égal au rapport de la dose de myorelaxant provoquant une augmentation de 100 % de l'histaminémie chez 50 % des patients (DA50 histamine) et de la dose nécessaire à l'obtention d'un effet curarisant de 95 % sur l'adducteur du pouce (DA95). Plus cet index est faible, plus l'agent myorelaxant est histaminolibérateur. Pour le mivacurium, la DA50 histamine est de 243 μg/kg, avec une DA95 curarisante de 80 μg/kg. L'index est donc proche de 3. Le mivacurium est, vis-à-vis de l'histaminolibération, proche de l'atracurium mais moins histaminolibérateur que la d-tubocurarine [200]. Plus la dose est importante, plus l'incidence des effets secondaires est élevée. Pour une dose inférieur à 150 μg/kg, aucun effet secondaire n'a été observé. Pour une dose supérieure à 200 μg/kg, la survenue des effets secondaires (érythème facial et variations hémodynamiques) a intéressé en moyenne 50 % des patients. Après 300 μg/kg, pratiquement tous les patients ont présenté des manifestations cliniques. Pour une dose de 250 μg/kg, la diminution de la vitesse d'injection (30 à 60 s) entraîne une réduction importante de l'incidence des effets cliniques dus à l'histaminolibération [200]. L'importance de l'histaminolibération non spécifique et l'incidence de ces manifestations cliniques semblent acceptables pour une dose inférieure à trois fois la DA95 (soit 250 μg/kg), injectée en 30 secondes au moins.

Effets hémodynamiques
μg/kg, la pression artérielle ne varie pas de manière significative. Pour des doses supérieures à 150 μg/kg, la diminution de la pression artérielle est d'autant plus prononcée que la dose est plus élevée [200]. Pour une dose de 200 μg/kg, la pression artérielle moyenne diminue d'environ 15 % ; alors qu'après 250 μg/kg celle-ci peut être abaissée de 20 %. La diminution de la pression artérielle est encore plus marquée (30 %) pour une dose de 300 μg/kg. Lorsque l'injection est plus lente (30-60 s), la pression artérielle moyenne ne varie plus de manière significative par rapport aux valeurs contrôles [200].

Utilisation clinique
La dose recommandée pour l'intubation doit être au moins égale à 150 μg/kg.
Cette dose peut être éventuellement augmentée, mais ne doit pas dépasser 200 μg/kg afin de minimiser les effets hémodynamiques. Du fait de la courte durée d'action du mivacurium, le premier bolus d'entretien doit être administré 15 à 25 minutes après une dose initiale de 150 à 200 μg/kg. Si la dose d'entretien est de 100 μg/kg, sa durée d'action ne sera que d'une dizaine de minutes. Même s'il existe une grande variabilité interindividuelle, la durée d'action de chaque bolus sera constante pour un même patient. La faible durée d'action et l'absence d'effets cumulatifs facilite l'utilisation du mivacurium en perfusion continue.

L'administration continue ne doit être débutée qu'après réapparition d'au moins une réponse au train-de-quatre afin de ne pas ignorer un éventuel déficit en pseudocholinestérase [158]. Chez l'adulte, la perfusion est débutée à une vitesse de 10 μg/kg/min, alors que chez l'enfant la vitesse initiale est de 15 μg/kg/min.

La vitesse doit être ensuite adaptée sur les données du monitorage. L'adaptation de la posologie est fréquente pendant les 15 premières minutes suivant le début de la perfusion. Passé ce délai, la vitesse de perfusion varie peu.

En cas de survenue d'une curarisation prolongée, il importe de poursuivre la ventilation contrôlée et la sédation. La néostigmine ne peut être utilisée qu'après le début de la décurarisation spontanée avec la réapparition de la quatrième réponse au train-de-quatre.

Curares de durée d'action intermédiaire




Atracurium (Tracrium®)
L'atracurium est un curare non dépolarisant de la famille des benzylisoquinolines.
Il représente un mélange de dix isomères. Son originalité réside dans son métabolisme plasmatique non enzymatique : la voie de Hofmann.

Métabolisme et pharmacocinétique 
L'atracurium est dégradé dans le plasma par la voie de Hofmann en laudanosine et monoacrylate (fig 6) [111]. La vitesse de dégradation par la voie de Hofmann dépend du pH et de la température. La demi-vie de dégradation de l'atracurium est de 71 minutes à pH 7,4 en milieu tampon. La vitesse de dégradation est multipliée par 4 quand le pH passe de 6,9 à 7,6 [164]. La laudanosine représente plus de 60 % des métabolites totaux. La laudanosine est dépourvue d'effets curarisants mais peut provoquer des convulsions chez l'animal. Chez l'homme, sa clairance est d'environ 10 ml/kg/min, la demi-vie d'élimination est proche de 200 minutes. Des concentrations maximales de 1,45 μg/mL ont été retrouvées après 4 heures d'administration continue [76], ce qui reste inférieur au seuil convulsivant (15 μg/mL chez le chien). L'autre métabolite formé par la voie de Hofmann est un monoacrylate quaternaire qui n'a pas d'activité pharmacologique aux concentrations observées chez l'homme. L'atracurium peut également être hydrolysé dans le foie et le plasma par des estérases aspécifiques en un acide et un alcool quaternaire. Chez l'homme, cette hydrolyse est indépendante de l'activité des pseudocholinestérases plasmatiques. La part relative de chacune des deux voies de dégradation de l'atracurium reste discutée [84]. La voie de d'un déficit en pseudocholinestérases [76]. Les produits de dégradation obtenus par cette voie présentent des effets ganglioplégiques et myorelaxants mais à des doses très supérieures à celles retrouvées après administration de doses usuelles d'atracurium.

La décroissance des concentrations plasmatiques peut être décrite par un modèle ouvert bicompartimental avec dégradation par la voie de Hofmann dans les deux compartiments. Sa clairance plasmatique est proche de 5 mL/min/kg [84, 236], le volume de distribution à l'équilibre varie selon les études entre 87 et 141 mL/kg.

Ces paramètres expliquent la courte demi-vie d'élimination de l'atracurium, proche de 20 minutes, ce qui est inférieur à celle des autres curares non dépolarisants de durée d'action intermédiaire, à l'exception du cisatracurium.

Une seule étude s'est intéressée aux trois groupes d'isomères (Cis-Cis, Cis-Trans, Trans-Trans) et n'a pas mis en évidence de différence pharmacocinétique entre les trois groupes [227].

Pharmacologie clinique
La DA50 est proche de 130 μg/kg chez l'homme, sa DA95 à l'adducteur du pouce est d'environ 200 μg/kg lors d'une anesthésie balancée. À cette dose, le délai d'action au niveau de l'adducteur du pouce est de 4 minutes, il est compris entre 3 et 4 minutes après un bolus de 300 μg/kg [8]. Le délai d'action au niveau des cordes vocales est de 2,2 minutes après un bolus de 500 μg/kg [229]. Le délai d'action au niveau du diaphragme (fig 7) [181] est comparable à celui des muscles laryngés. À l'opposé, les muscles des voies aériennes supérieures sont très sensibles aux effets des curares non dépolarisants. Après administration d'une faible dose d'atracurium (50 μg/kg), il existe une paralysie incomplète des muscles des voies aériennes impliqués dans la déglutition alors que des muscles périphériques, tels ceux de la main, ne sont pas curarisés [52]. Ces résultats expliquent pourquoi en cas de curarisation résiduelle, même minime, des muscles périphériques, le risque de survenue d'une détresse respiratoire par obstruction des voies aériennes supérieures existe car certains muscles impliqués dans la perméabilité des voies aériennes supérieures se décurarisent plus tardivement que l'adducteur du pouce.

La durée d'action totale au niveau du pouce est d'une trentaine de minutes à la dose de 200 μg/kg [8] ; elle atteint 50-60 minutes après un bolus de 500 μg/kg.

L'index de récupération reste constant en fonction de la dose, il est en moyenne de 11 à 12 minutes.

Des réinjections de 100 à 200 μg/kg ont une durée d'action clinique de 20 à 35 minutes. Il n'y a pas d'allongement progressif de cette durée d'action ainsi que de l'index de récupération en cas de réinjections multiples, ce qui traduit l'absence d'effets cumulatifs [5]. L'atracurium peut être utilisé en perfusion continue en raison de l'absence d'accumulation. Après administration d'un bolus, le débit de perfusion pour maintenir une dépression de 90 % de la force musculaire de l'adducteur du pouce est compris entre 4 et 10 μg/kg/min. L'index de récupération et le débit de perfusion restent constants quelle que soit la durée de perfusion ainsi que chez les patients âgés de plus de 60 ans [50].

La curarisation induite par l'atracurium est facilement antagonisable par les anticholinestérasiques. Une dose de 2,5 mg de néostigmine administrée quand l'adducteur du pouce est paralysé de 90 % permet d'obtenir un rapport T4/T1 égal à 70 % en 8 minutes alors que le délai est de 25 minutes en cas de décurarisation spontanée [107]. Si l'édrophonium est d'action plus rapide que la néostigmine, ses effets s'épuisent plus rapidement. Une récupération d'au moins 25 % de la force musculaire du pouce (quatre réponses au train-de-quatre) est nécessaire pour antagoniser complètement avec l'édrophonium le bloc induit par l'atracurium [89]. Comme c'est le cas pour tous les curares non dépolarisants, l'administration d'un anticholinestérasique en cas de curarisation profonde ne permet pas d'accélérer la décurarisation. L'injection de néostigmine, quand il n'y a que cinq à six réponses au compte post-tétanique, s'accompagne d'une récupération d'un rapport T4/T1 en 23 minutes en moyenne avec des extrêmes compris entre 19 et 41 minutes [79].

Influence du terrain
Âge
La DA95 de l'atracurium est comprise entre 170 et 280 μg/kg chez l'enfant. Les valeurs retrouvées chez le nourrisson sont un peu plus faibles, comprises entre 156 et 230 μg/kg selon le type d'anesthésie employé. La dose d'intubation recommandée est de 500-600 μg/kg. La DA95 de l'atracurium est plus basse chez le nouveau-né que chez les enfants plus âgés [157], ce qui s'accompagne d'une diminution de 25 % des débits de perfusion pour avoir le même degré de bloc [118]. La durée d'action est plus courte chez l'enfant ou le nourrisson que chez l'adulte, un bolus de 300 μg/kg ayant une durée d'action totale de 32 minutes [29]. Il n'a pas été mis en évidence de différence pharmacocinétique entre les enfants et les adultes, le volume de distribution à l'équilibre et la clairance d'élimination étant de 129 mL/kg et 6,8 mL/kg/min chez l'enfant.

L'augmentation du volume de distribution chez le nourrisson (210 mL/kg) est contrebalancé par une augmentation de la clairance (7,9 mL/kg/min), d'où l'absence de modification de la demi-vie d'élimination de l'atracurium (20 min) [83].

La durée d'action, la vitesse de perfusion et l'index de récupération ne diffèrent pas significativement chez les patients de plus de 60 ans par rapport à des adultes plus jeunes [50]. L'absence d'altération de la clairance plasmatique chez le sujet âgé est probablement expliquée par le mode de dégradation de l'atracurium, indépendant de la fonction rénale.

Insuffisance rénale
Il n'a pas été mis en évidence de différences pharmacocinétiques ou pharmacodynamiques importantes au cours de l'insuffisance rénale [54, 82]. La laudanosine, étant à élimination rénale, peut s'accumuler en cas d'insuffisance rénale sévère mais les concentrations restent très inférieures au seuil convulsivant. Sa demi-vie d'élimination est de 234 minutes au cours de l'insuffisance rénale sévère [236]. D'après les paramètres pharmacocinétiques de la laudanosine, une administration d'atracurium pendant plusieurs heures serait responsable de l'apparition d'une concentration de laudanosine aux environs de 1,6 μg/mL ce qui est très inférieur au seuil convulsivant [236].

Insuffisance hépatique
La durée d'action de l'atracurium n'est pas modifiée en cas d'insuffisance hépatique [13, 207] en raison de l'élimination indépendante de la fonction hépatique. La demi-vie d'élimination de l'atracurium chez des patients présentant une hépatite fulminante est de 23 minutes. Il existait chez ces patients une augmentation de 30 % du volume de distribution traduisant l'augmentation du secteur hydrique extracellulaire [237].

Température
La température peut avoir un retentissement sur la curarisation induite par l'atracurium en raison de son influence sur la vitesse de dégradation par la voie de Hofmann. Au cours des circulations extracorporelles, le débit de perfusion nécessaire pour maintenir une curarisation profonde diminue de 40 % quand la température centrale descend à 25-26 °C [87].

Effets secondaires
Chez l'homme, l'administration d'une dose de 600 μg/kg multiplie par deux les concentrations plasmatiques d'histamine. L'index DA50 histamine/DA95 à l'adducteur du pouce est aux environs de 2-3 [10]. Les manifestations cliniques induites par l'histaminolibération sont comparables à celles liées à l'administration de mivacurium. Elles peuvent être prévenues par une injection lente en 30 secondes. Il importe d'autre part de ne pas dépasser une posologie d'atracurium de 600-800 μg/kg.

L'atracurium est dénué d'effet ganglioplégique ou sympathomimétique, même à des doses très supérieures aux doses curarisantes [106]. Son action vagolytique est faible, le rapport DA50 vagolytique/DA50 curarisante est de 24 chez le chat.
Chez l'homme, la pression artérielle moyenne, la fréquence cardiaque demeurent inchangées après un bolus de 600 μg/kg, la pression capillaire pulmonaire diminuant de 16 %. Il faut une dose de 1 200 μg/kg pour voir apparaître une baisse transitoire de la pression artérielle moyenne (10 %) associée à une élévation de la fréquence cardiaque (10 %) et à une baisse des résistances artérielles systémiques (16 %) vraisemblablement liée à une histaminolibération [103].

Utilisation clinique
La dose recommandée pour l'intubation est de 400-500 μg/kg. L'entretien de la curarisation peut se faire par des bolus de 100 μg/kg dont la durée d'action clinique est d'une vingtaine de minutes. Le maintien de la curarisation par une perfusion continue d'atracurium est possible car il est de durée d'action intermédiaire et dépourvu d'effets cumulatifs. Le débit nécessaire en perfusion continue pour maintenir une paralysie de 90 % de l'adducteur du pouce est compris entre 5 et 10 μg/kg/min. En cas d'administration continue, les variations interindividuelles de sensibilité imposent le recours systématique au monitorage de la curarisation pour adapter le débit de perfusion et éviter tout risque de surou sous-dosage. La perfusion ne doit être démarrée qu'après début de la récupération spontanée (une réponse au train-de-quatre par exemple) ce qui permet d'avoir une indication utile sur la sensibilité du patient et la vitesse de perfusion nécessaire. Les adaptations du débit de perfusion peuvent être réalisées en fonction de la réponse au train-de-quatre et de la profondeur souhaitée de la curarisation. Un débit de perfusion stable est obtenu avec l'atracurium en 30 minutes environ [49]. L'utilisation d'halogénés, surtout en cas d'intervention prolongée, entraîne une diminution des débits de perfusion pour avoir le même degré de paralysie.

Outre les indications habituelles des curares non dépolarisants, l'atracurium est plus spécifiquement indiqué en cas d'insuffisance rénale ou hépatique du fait de son mode d'élimination indépendant de ces deux organes. Son intérêt, chez le sujet âgé, réside dans l'absence d'allongement de la vitesse de décurarisation.

Son utilisation doit être prudente, en cas de terrain atopique ou allergique, en raison des risques plus importants d'histaminolibération chez ces patients.

Cisatracurium (Nimbex®)
Le cisatracurium est l'un des dix isomères de l'atracurium (fig 4). Il fait donc partie de la classe des benzylisoquinolines. Son intérêt essentiel repose sur une histaminolibération moindre que celle liée à l'atracurium. Il est donc attendu que cette nouvelle molécule provoque moins d'effets hémodynamiques à doses élevées que l'atracurium.

Métabolisme et pharmacocinétique
Comme l'atracurium, le cisatracurium est hydrolysé dans le plasma principalement par la voie de Hofmann, indépendamment des fonctions hépatiques et rénales. En revanche, la voie métabolique impliquant les estérases plasmatiques ne joue qu'un rôle limité chez l'homme [243]. In vitro, la demi-vie de dégradation du cisatracurium dans le plasma est de 29 minutes. Les deux métabolites terminaux produits sont la laudanosine et un alcool monoquaternaire dénué d'effet myorelaxant. L'alcool monoquaternaire résulte de l'hydrolyse par les estérases plasmatiques de l'acrylate produit initialement par la voie de Hofmann. Le cisatracurium étant quatre à cinq fois plus puissant que l'atracurium, les doses administrées sont moindres et la production de laudanosine est inférieure à celle induite par l'administration d'atracurium. En doses équipotentes de cisatracurium. Moins de 15 % de la dose administrée de cisatracurium est retrouvée sous forme inchangée dans les urines. Le volume de distribution se limite au secteur hydrique extracellulaire (144 mL/kg), la clairance plasmatique totale est de l'ordre de 5,3 mL/min/kg, et la demi-vie d'élimination est comprise entre 22 et 25 minutes [141]. Ces données sont comparables avec celles de l'atracurium. Les caractéristiques pharmacocinétiques ne sont pas significativement modifiées par l'âge [176]. En cas d'insuffisance rénale, alors que le volume de distribution reste stable, la clairance plasmatique totale augmente de 13 % par rapport aux patients normaux [75].

Pharmacologie clinique
La DA50 et la DA95 sont respectivement égales à 29 μg/kg et 48 μg/kg [14]. La dose d'intubation devrait être égale à 100 μg/kg. Cependant, la dose recommandée est de l'ordre de 150 μg/kg soit trois fois la DA95, ce qui permet d'obtenir de bonnes conditions d'intubation 120 secondes après l'injection. Le délai d'installation de la curarisation au niveau de l'adducteur du pouce est plus long avec le cisatracurium (5,2 min) qu'avec l'atracurium (3,2 min) à doses équipotentes (100 μg/kg et 500 μg/kg pour le cisatracurium et l'atracurium respectivement). L'augmentation de la dose initiale raccourcit le délai d'installation. Ainsi, après une dose de 200 μg/kg (soit cinq fois la DA95), le délai est de 2,7 minutes à l'adducteur du pouce [14].

La durée d'action clinique d'un bolus de 100 μg/kg est de 45 minutes, durée comparable à celle de l'atracurium à dose équipotente. La récupération d'un train-de-quatre supérieur à 70 % est de 67 minutes en moyenne. La durée d'action clinique passe à 68 minutes pour une dose de 200 μg/kg [14]. L'entretien de la curarisation peut être réalisé soit par des bolus répétés (un bolus de 30 μg/kg permet l'obtention d'un bloc satisfaisant de l'ordre de 20 min), soit par l'utilisation d'une perfusion continue. Le débit moyen de la perfusion pour maintenir une paralysie de 90 à 99 % de l'adducteur du pouce est de 1,5 μg/kg/min pour des durées de perfusion continue comprises entre 11 et 249 minutes. L'index de récupération reste constant, quelle que soit la durée d'administration, ce qui traduit l'absence d'effets cumulatifs vraisemblablement liée à la dégradation du cisatracurium par la voie de Hofmann. En réanimation, un train-de-quatre supérieur à 70 % est obtenu en 68 minutes en moyenne après l'arrêt d'une perfusion d'une durée moyenne de 80 heures [190].

La néostigmine permet d'antagoniser efficacement le bloc neuromusculaire induit par le cisatracurium. Administrée après que l'adducteur du pouce a récupéré 10 % de la force musculaire, la néostigmine permet d'obtenir une récupération de 95 % de la force musculaire en 6,8 minutes, l'index de récupération étant proche de 3 minutes [14]. Un rapport T4/T1 supérieur à 70 % était obtenu en 9,3 minutes en moyenne quand la néostigmine était injectée à 10 % de récupération du bloc à l'adducteur du pouce.

Influence du terrain
Âge
La DA95 du cisatracurium, chez l'enfant au cours d'une anesthésie à l'halothane, est de 40 μg/kg. À la dose de 100 μg/kg, le délai d'installation et la durée d'action clinique sont respectivement de 4 et 30 minutes. Comme chez l'adulte, le cisatracurium n'a pas d'effets cumulatifs, l'index de récupération est en moyenne de 11 minutes. L'administration de néostigmine, quand le pouce a récupéré au moins 25 % de sa force musculaire, permet d'obtenir un rapport T4/T1 supérieur à 70 % en 2,5 minutes. Le cisatracurium ne provoque pas de variation significative des paramètres hémodynamiques chez l'enfant.

Les paramètres pharmacodynamiques du cisatracurium sont peu modifiés chez le vieillard. Le délai d'installation de la curarisation est plus long d'environ 1 minute chez les sujets âgés par rapport aux patients plus jeunes. La diminution de 15 % de la keo chez le vieillard serait la conséquence de la baisse du débit cardiaque chez le patient âgé, elle permet d'expliquer l'allongement du délai d'action avec l'âge [217]. La durée d'action clinique est prolongée de 4 minutes chez les sujets âgés, après administration d'un bolus de 100 μg/kg de cisatracurium mais cette différence n'est pas cliniquement significative. Il existe un discret allongement de la demi-vie d'élimination chez le sujet qui serait lié à l'augmentation du volume apparent de distribution (+ 17 %). La clairance plasmatique est inchangée, ce qui confirmerait le faible rôle joué par le rein dans l'élimination du cisatracurium [176, 217].

Insuffisance rénale
En cas d'insuffisance rénale sévère, le délai d'installation de la paralysie est discrètement prolongé. Il n'y a pas d'allongement de la durée d'action clinique, en revanche la durée d'action totale et l'index de récupération sont modérément allongés de 10 % et 34 % respectivement au cours de l'insuffisance rénale [27].

Ces observations s'expliquent par une baisse de 13 % de la clairance, le volume apparent de distribution restant inchangé. Il en résulte un allongement de 4 minutes de la demi-vie d'élimination. Les concentrations plasmatiques de laudanosine chez l'insuffisant rénal, après administration de cisatracurium, restent basses (33 ng/mL) [75].

Insuffisance hépatique
En présence d'une insuffisance hépatocellulaire, le délai d'installation de la curarisation est allongé par rapport aux patients normaux (3,3 versus 2,4 min).
La durée d'action clinique et la durée d'action totale sont allongées par rapport aux patients normaux de 7 et 5 minutes respectivement, l'index de récupération restant constant. Comme avec les autres curares non dépolarisants, le volume apparent de distribution est augmenté de 21 %. La demi-vie d'élimination ne varie pas en raison d'une augmentation concomitante de 16 % de la clairance d'élimination [114].

Effets secondaires
Bien que le cisatracurium soit un des dix isomères constitutifs de l'atracurium, il n'est que très faiblement histaminolibérateur. Après injection de cisatracurium, même pour des doses égales à huit fois la DA95, l'élévation de l'histaminémie reste largement inférieure à celle induite par l'atracurium, aucun des patients de cette série n'ayant présenté de signes cliniques d'histaminolibération [139]. Le cisatracurium n'entraîne que peu de variations hémodynamiques, même à fortes doses. Le rapport DA50 vagolytique/DA95 neuromusculaire est de 27 chez le chat. Ni la pression artérielle ni la fréquence cardiaque ne varient significativement pour des doses de cisatracurium égales à huit fois la DA95 (400 μg/kg) [139]. Chez les patients devant être opérés d'un pontage aortocoronarien, les variations hémodynamiques provoquées par l'administration de 100 μg/kg de cisatracurium ou de vécuronium sont comparables. De plus, l'injection rapide de cisatracurium (5-10 s) ne modifie pas la stabilité hémodynamique [126].

Utilisation clinique
La dose recommandée de cisatracurium pour l'intubation est de 150 μg/kg. À cette posologie, le délai d'action et d'intubation est comparable à celui de l'atracurium mais la durée d'action est plus longue que celle du vécuronium ou de l'atracurium. Il tire son intérêt, en cas d'interventions de longue durée, de l'absence d'accumulation que ce soit en cas de bolus répétés ou d'administration continue comme en témoigne un index de récupération indépendant de la dose.

Étant plus puissant que l'atracurium, les doses administrées sont moindres et la production de laudanosine est inférieure à celle induite par l'administration d'atracurium. L'absence d'effets hémodynamiques en fait un curare de choix en cas d'atteinte cardiovasculaire ou d'état de choc. Il peut être utilisé en cas d'insuffisance hépatique ou rénale sévère car son métabolisme est indépendant des fonctions hépatiques et rénales.

Son utilisation est possible chez le patient de réanimation quand une curarisation est nécessaire, d'autant que ses métabolites n'ont pas d'effets myorelaxants et que sa dégradation est indépendante de l'état rénal ou hépatique. C'est le seul curare non dépolarisant qui possède actuellement l'autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication.

Vécuronium (Norcuron®)
Le vécuronium est un curare stéroïdien dont la structure dérive de celle du pancuronium (fig 8).

Métabolisme et pharmacocinétique
Le vécuronium est peu fixé aux protéines plasmatiques, environ 30 % [73]. Il est métabolisé par le foie par désacétylation en position 3 et 17. Le 3- désacétylvécuronium a des propriétés curarisantes, sa puissance étant comprise entre 50 et 100 % de celle du vécuronium selon les espèces [34]. Le 3-17 bisdésacétylvécuronium a des propriétés curarisantes 60 fois inférieures à celles du vécuronium. La captation hépatique du vécuronium est rapide, le rein ne jouant qu'un faible rôle dans l'élimination. Après administration d'un bolus de 150 μg/kg, chez l'homme, environ 40 % sont retrouvés sous forme inchangée dans la bile [15]. La captation hépatique importante entraîne une baisse rapide des concentrations plasmatiques de vécuronium lors de la phase de distribution.

L'élimination rénale joue un rôle moins important, 20 à 30 % de la dose administrée seraient éliminés par cette voie [15]. Chez le patient sain, le 3- désacétylvécuronium n'est pas détectable dans le plasma [16, 15] et moins de 5 % de la dose de vécuronium injectée sont retrouvés sous cette forme dans les urines [16]. La clairance du 3-désacétylvécuronium est abaissée de 50 % par rapport à celle du vécuronium ce qui, associé à un volume de distribution plus important, explique que sa demi-vie d'élimination soit plus longue que celle du vécuronium [34]. L'absence ou les quantités négligeables de 3- désacétylvécuronium retrouvées dans le plasma, après administration de vécuronium, seraient liées à son élimination biliaire ou à son stockage hépatique prédominant. Chez le chat, l'existence d'une insuffisance hépatique entraîne une baisse de la clairance d'élimination et un allongement du bloc neuromusculaire lié à l'administration de 3-désacétylvécuronium [204]. Chez l'homme, le 3- désacétylvécuronium ne contribue pas au bloc neuromusculaire lié au vécuronium, à l'exception d'une éventuelle administration prolongée de fortes doses de vécuronium chez des patients de réanimation pour lesquels les capacités de captation hépatique seraient saturées [203].

Dans les minutes suivant l'administration de vécuronium, la décroissance des concentrations plasmatiques est plus rapide qu'avec d'autres curares stéroïdiens, tel le pancuronium. Cette baisse est liée à une distribution initiale plus rapide ainsi qu'une clairance importante comprise entre 3 et 5 mL/min/kg [81, 216]. Le volume apparent de distribution est proche de 480 mL/kg alors que celui du pancuronium est de 290 mL/kg. La demi-vie d'élimination du vécuronium est de 116 minutes mais sa durée d'action est comparable à celle de l'atracurium en raison d'une distribution initiale importante avec baisse rapide des concentrations plasmatiques permettant d'atteindre rapidement des concentrations à partir desquelles la décurarisation apparaît [216] (fig 3).

Pharmacologie clinique
Chez l'homme, au cours d'une anesthésie balancée, la DA50 du vécuronium est de 24 μg/kg, la DA95 à l'adducteur du pouce est proche de 40 μg/kg [129, 143]. Le délai d'action est de 3,4 minutes après un bolus de 100 μg/kg [96]. La DA90 du vécuronium est d'environ 80 μg/kg au niveau des muscles adducteurs laryngés [66]. Après administration d'un bolus de 100 μg/kg, le délai d'action est de 1,6 minute au niveau du diaphragme [36]. Comme c'est le cas avec l'atracurium, de faibles doses de vécuronium (10 μg/kg) entraînent une paralysie partielle des muscles impliqués dans la déglutition sans paralysie détectable des muscles de la main [52].

La durée d'action clinique à l'adducteur du pouce est de 30 à 40 minutes, après injection d'un bolus de 100 μg/kg. L'index de récupération est de 12 minutes à l'adducteur du pouce aux doses usuelles, il reste constant en fonction de la dose [2, 16]. Une récupération de 25 % de la force musculaire des muscles adducteurs laryngés est obtenue 12 minutes en moyenne avant celle de l'adducteur du pouce après une dose de 70 μg/kg de vécuronium [66]. Des résultats comparables ont été observés avec le diaphragme.

Des réinjections de 25 μg/kg entraînent une durée d'action clinique de 15 à 20 minutes [31]. Cet intervalle reste constant au fil des réinjections, ce qui traduit l'absence d'effets cumulatifs avec le vécuronium. De même, en cas d'administration continue, la dose nécessaire pour maintenir un niveau constant de curarisation reste stable dans le temps.

Le bloc neuromusculaire induit par le vécuronium est facilement et rapidement antagonisable par la néostigmine. L'administration de néostigmine, quand les quatre réponses au train-de-quatre sont présentes, permet d'obtenir un rapport T4/T1 supérieur à 0,7 en moins de 4 minutes [168]. Comme c'est le cas avec l'atracurium, l'édrophonium a un délai d'action plus rapide que celui de la néostigmine mais ne permet pas d'obtenir un rapport T4/T1 supérieur à 70 % chez tous les patients [168].

Influence du terrain
Âge
La DA95 du vécuronium est voisine de 80 μg/kg chez l'enfant entre 3 et 10 ans au cours d'une anesthésie balancée, alors qu'elle n'est que de 55 μg/kg chez l'adolescent [163]. La DA95 est abaissée de 40 % chez le nourrisson par rapport à l'enfant [163]. Les raisons de cette résistance de l'enfant au vécuronium comme aux autres curares non dépolarisants n'ont pas reçu d'explication claire pourl'instant mais ces valeurs justifient l'emploi d'une dose d'intubation comprise entre 70 et 120 μg/kg chez l'enfant pour le vécuronium. Après administration d'un bolus de 100 μg/kg, le délai d'action est en moyenne de 70 secondes chez le nourrisson versus 107 secondes chez l'enfant âgé de 3 à 10 ans [119].
Le raccourcissement de ce délai chez le nourrisson serait lié à l'augmentation relative du débit cardiaque dans les premiers mois de vie. Après injection d'une dose de 100 μg/kg, la récupération d'une force musculaire de 10 % au pouce est obtenue en 15 minutes chez l'enfant âgé de 3 à 10 ans versus 24 minutes chez l'enfant de 1 à 3 ans et 42 minutes chez le nourrisson [119]. Les différences pharmacocinétiques sont peu importantes entre enfants et adultes, il existe unediminution de 30 % du volume apparent de distribution chez l'enfant par rapport  à l'adulte, les clairances étant comparables. En revanche, le volume apparent de distribution chez le nourrisson est plus élevé (360 mL/kg) ce qui serait lié à l'importance du secteur hydrique extracellulaire dans la première année de vie [85]. L'augmentation du volume apparent de distribution chez le nourrisson contribuerait à l'allongement de la durée d'action du vécuronium observé dans la première année de vie.

Il n'existe pas d'augmentation de la sensibilité au vécuronium chez le vieillard.
En revanche, Lien a mis en évidence un allongement significatif de la durée d'action et de l'index de récupération chez des patients âgés de plus de 70 ans par rapport à des adultes jeunes. Cet allongement des durées a une origine pharmacocinétique et est lié à un abaissement de la clairance d'élimination chez le vieillard par rapport aux patients plus jeunes. La baisse de la clairance s'explique par l'altération des débits et des fonctions rénales et hépatiques liée au vieillissement. Le volume apparent de distribution étant conservé, la demi-vie d'élimination est prolongée de 60 % chez le vieillard [140]. Le débit de perfusion chez les patients âgés de plus de 60 ans doit être diminué d'au moins 30 % [51].

Insuffisance rénale
En raison de son mode d'élimination hépatique prédominant, l'utilisation du vécuronium a été proposée chez l'insuffisant rénal sévère. La durée d'action clinique d'un bolus de 100 μg/kg est modérément allongée en cas d'insuffisance modéré de la demi-vie d'élimination (15 %) [16]. En cas d'injections répétées du quart de la dose initiale, il existe un allongement progressif de la durée d'action clinique qui passe de 11 à 16 minutes à la sixième réinjection chez l'insuffisant [137]. Il a été démontré par d'Honneur que la néostigmine pouvait être utilisée en cas d'insuffisance rénale, et qu'elle restait aussi active que chez les sujets sains en cas de curarisation induite par le vécuronium [53].

Insuffisance hépatique
La demi-vie d'élimination du vécuronium passe de 55 à 73 minutes en cas de cirrhose. Cet allongement est la conséquence d'une baisse de la clairance d'élimination, le volume apparent de distribution restant inchangé [135] de même que la fixation aux protéines plasmatiques [73]. La réponse des patients cirrhotiques au vécuronium dépend de la dose. Jusqu'à une dose de 100 μg/kg, la durée d'action n'est pas allongée chez le cirrhotique [115]. Ces résultats s'expliqueraient par le fait que la distribution reste le principal facteur limitant de la durée d'action à ces doses. En revanche, pour de fortes doses (200 μg/kg), la durée d'action clinique passe de 67 à 95 minutes et l'index de récupération est deux fois plus long chez le cirrhotique [115, 135]. La clairance d'élimination du vécuronium est abaissée de 45 % en cas de cholestase, le volume apparent de distribution restant inchangé [136]. Après injection d'un bolus de 200 μg/kg, la durée d'action clinique est prolongée, atteignant 80 minutes en cas de cholestase au lieu de 53 minutes dans le groupe contrôle. Ces perturbations seraient secondaires à l'accumulation plasmatique des sels biliaires qui diminueraient la captation hépatique du vécuronium et son élimination [244].

Obésité
Le volume apparent de distribution et la clairance d'élimination du vécuronium sont abaissés chez l'obèse quand ils sont calculés en fonction du poids corporel.
En revanche, quand ces valeurs sont normalisées en tenant compte de la surface corporelle, il n'existe plus de différence par rapport aux sujets sains. Il n'a pas été mis en évidence de différence de sensibilité en cas d'obésité. La prolongation de la durée de curarisation et de l'index de récupération, chez le patient obèse, est liée à la prescription de doses plus importantes quand la prescription est faite en fonction du poids [202].

Effets secondaires
L'histaminolibération pharmacologique est quasi inexistante après injection devécuronium, comme c'est le cas avec les curares stéroïdiens.
Le vécuronium, même à des doses dix fois supérieures aux doses curarisantes, est dénué d'effets ganglioplégiques [69]. Les effets sympathomimétiques du vécuronium sont inexistants, contrairement au pancuronium. Ils apparaissent pour des doses 33 fois supérieures à celles du pancuronium, de plus le vécuronium n'inhibe pas le recaptage neuronal des catécholamines [152]. Le rapport DA50 vagolytique/DA50 curarisante est de 96 chez le chat, ce qui traduit son absence d'action vagolytique [70]. Quelle que soit l'espèce étudiée, les effets hémodynamiques du vécuronium sont très discrets. Chez l'homme, l'administration de doses élevées allant jusqu'à 300 μg/kg n'entraîne pas de modification de la fréquence cardiaque ou de la pression artérielle [144].
Certains auteurs ont rapporté des épisodes de bradycardie importante lors d'inductions anesthésiques dans lesquelles étaient utilisé le vécuronium. Il s'agissait dans tous les cas d'anesthésie avec des morphinomimétiques parfois à fortes doses ; leur responsabilité dans la survenue de la bradycardie est vraisemblable. Ces cas de bradycardie ne sont pas observés lors de l'utilisation de morphinomimétiques à doses modérées [45].

Utilisation clinique
minutes. L'entretien de la curarisation fait appel à des bolus du quart de la dose initiale ou à une perfusion continue à la dose de 1 à 2 μg/kg/min. Les
réinjections ou le débit de perfusion nécessaire sont guidés au mieux par l'utilisation du monitorage de la curarisation. Comme c'est le cas avec les autres curares non dépolarisants, le débit de perfusion sera diminué en cas d'utilisation d'agents halogénés.

L'absence d'effets hémodynamiques du vécuronium en fait le curare de choix en cas d'état de choc, chez le patient coronarien ou hypertendu. Il est également proposé préférentiellement en cas de terrain atopique. En cas de contreindication au suxaméthonium, il peut être proposé à fortes doses (six à huit fois la DA95) pour l'anesthésie du patient à l'estomac plein. Mais à cette dose, la durée d'action clinique est de 90 à 120 minutes. Le vécuronium doit être utilisé avec prudence et sous couvert du monitorage de la curarisation en cas d'insuffisance hépatique ou de cholestase.



Curares de longue durée d'action




Pancuronium (Pavulon®) (fig 8)

Métabolisme et pharmacocinétique
D'origine stéroïdienne, la fixation du pancuronium aux protéines plasmatiques est peu importante, d'environ 30 % [73]. Elle n'est pas influencée par l'insuffisance hépatique ou rénale. Il est métabolisé dans le foie en 3-OHpancuronium qui présente des propriétés myorelaxantes deux fois plus faibles que celles du pancuronium. C'est le seul métabolite détectable après administration de pancuronium. Il représente dans les urines 10 à 20 % de la dose totale et moins de 5 % dans la bile [3]. Chez le sujet sain, le pancuronium est éliminé essentiellement par le rein, 40 à 70 % de la dose administrée étant retrouvée dans les urines, essentiellement sous forme inchangée. La filtration glomérulaire est le principal mécanisme d'élimination. En raison de son ionisation importante dans les urines, une réabsorption tubulaire est improbable. De même, l'élimination biliaire est faible et ne joue pas un rôle important dans l'élimination du pancuronium.

Que la cinétique du pancuronium soit décrite par un modèle pharmacocinétique bi- ou tricompartimental, le volume apparent de distribution est compris entre 260 et 284 mL/kg/min, c'est-à-dire proche du secteur hydrique extracellulaire.

La clairance d'élimination est comprise entre 1,7 et 1,9 mL/kg/min. La demi-vie d'élimination varie de 110 à 140 minutes [46, 74]. Bien que la demi-vie d'élimination du pancuronium soit comparable à celle du vécuronium, sa durée d'action est nettement plus longue en raison de sa distribution et d'une baisse plus lente des concentrations plasmatiques dans les minutes suivant l'injection (fig 3).

Pharmacologie clinique
La DA50 et la DA95 du pancuronium à l'adducteur du pouce sont de 30 et 53 μg/kg respectivement au cours de l'anesthésie balancée chez l'homme. Le rapport des DA50 diaphragme/DA50 adducteur du pouce est de 2 [61], ce qui est plus élevé que pour les autres curares non dépolarisants. La DA50 du pancuronium au niveau du masséter est abaissée de 15 % par rapport à celle de l'adducteur du pouce chez l'adulte [212]. À une dose proche de la DA95, le délai d'action est d'environ 5 minutes à l'adducteur du pouce. Il est de respectivement 4,2 et 1,8 minutes après administration d'une dose de 70 et 150 μg/kg [134]. Le délai d'action, au niveau du masséter, est abaissé de 16 % par rapport au pouce [212]. La durée d'action clinique est nettement supérieure à celles observées avec les curares non dépolarisants de durée d'action intermédiaire. Elle est en moyenne de 64 minutes après un bolus de 70 μg/kg et de 160 minutes après administration de 150 μg/kg. La durée d'action totale d'une dose de 70 μg/kg est de 99 minutes [11]. L'index de récupération est en moyenne de 47 minutes après injection d'un bolus de 70 μg/kg.

Le bloc induit par le pancuronium peut être antagonisé par les anticholinestérasiques mais il faut tenir compte de la décurarisation spontanée plus lente avec le pancuronium qu'avec les curares non dépolarisants de durée d'action intermédiaire. Après administration de néostigmine quand la force musculaire était comprise entre 10 et 20 % de la valeur contrôle, il faut 10 à 20 minutes pour obtenir une récupération de 90 % de la force musculaire de l'adducteur du pouce [122]. Si l'édrophonium a un délai d'action plus bref que celui de la néostigmine, son utilisation n'est pas recommandée pour antagoniser les effets du pancuronium car sa durée d'action est inférieure à celle des autres anticholinestérasiques.

Influence du terrain
Âge
μg/kg chez le nourrisson. Après administration d'une dose de 70 μg/kg, le délai d'installation de la paralysie est de 2,4 et 4,3 minutes respectivement chez l'enfant et l'adulte. Au cours d'une anesthésie avec de l'halothane, chez l'enfant, une dose de 100 μg/kg a une durée d'action de 92 minutes, l'index de récupération étant de 28 minutes. Les paramètres pharmacocinétiques, chez l'enfant âgé de 3 à 6 ans, sont comparables à ceux observés chez l'adulte [159].

La sensibilité du vieillard au pancuronium est comparable à celle de l'adulte jeune, le courbes dose-action étant superposables [74]. La clairance d'élimination est abaissée de 30 % chez le sujet âgé alors que le volume apparent de distribution est peu modifié. La baisse de la clairance semble liée à la baisse de la filtration glomérulaire observée chez le sujet âgé ; elle est responsable de l'allongement de la demi-vie d'élimination [74]. Les altérations pharmacocinétiques expliquent l'allongement de la durée d'action (66 %) et de l'index de récupération (59 %) chez le sujet âgé.

Insuffisance rénale
La demi-vie d'élimination du pancuronium est augmentée de 500 % chez l'insuffisant rénal sévère par rapport au sujet sain. Cet allongement est essentiellement lié à la baisse de la clairance d'élimination, l'excrétion biliaire ne pouvant compenser la diminution d'élimination par voie rénale [154].

L'augmentation modérée du volume du compartiment central est secondaire à l'hyperhydratation liée à l'insuffisance rénale. L'administration d'un bolus de 80 μg/kg entraîne une durée d'action totale de 200 minutes en cas d'insuffisance rénale versus 120 minutes dans le groupe contrôle.

Insuffisance hépatique
Bien que le foie ne soit pas le principal organe impliqué dans l'élimination du pancuronium, il existe une diminution de 25 % de la clairance plasmatique en cas de cirrhose. Elle est associée à une augmentation de 50 % du volume apparent de distribution qui expliquerait la " résistance " et l'allongement du délai d'action lors de l'administration de pancuronium chez le cirrhotique. La demi-vie d'élimination passe de 114 à 208 minutes en cas de cirrhose [72]. Il existe, en cas de cholestase, un allongement de 60 à 100 % de la demi-vie d'élimination lié selon les études à une augmentation du volume apparent de distribution ou une baisse d'environ 50 % de la clairance d'élimination. La captation hépatique du pancuronium pourrait être diminuée en cas de cholestase.

Effets secondaires
Même à des doses huit fois supérieures aux doses myorelaxantes, le pancuronium est dénué d'activité ganglioplégique chez l'animal. Le rapport DA50 vagolytique/DA50 curarisante est de 5,1 chez le chat [110]. Chez le chien, l'administration d'une dose triple de la DA95 entraîne une élévation de 15 % de la fréquence cardiaque liée aux effets sympathomimétiques du pancuronium. En effet, le pancuronium entraîne une augmentation de la libération des catécholamines en inhibant les récepteurs présynaptiques muscariniques des terminaisons noradrénergiques ainsi que les interneurones dopaminergiques [23].

De plus, le pancuronium peut inhiber, mais à doses élevées, le recaptage intraneuronal des catécholamines. Chez l'homme, l'administration d'une dose de 100 μg/kg entraîne une augmentation d'environ 10 % de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle systémique et de l'index cardiaque sans modifications des résistances vasculaires systémiques. L'effet tachycardisant est d'autant plus marqué que la fréquence cardiaque initiale est basse. En pratique cet effet est parfois recherché pour contrebalancer l'effet bradycardisant de fortes doses de morphinomimétiques.

Utilisation clinique
doivent être de un quart de la dose initiale. Les réinjections doivent être de plus en plus espacées dans le temps compte tenu des risques d'accumulation du pancuronium. Le monitorage de la curarisation permet d'adapter de façon optimale l'intervalle entre deux réinjections. L'antagonisation du bloc par la néostigmine ne doit être envisagée que quand les quatre réponses au train-dequatre sont présentes en raison de la lenteur de la décurarisation spontanée sous pancuronium.

Les indications du pancuronium sont limitées depuis l'apparition des curares non dépolarisants de durée d'action intermédiaire car la fréquence des curarisations résiduelles en salle de réveil est nettement plus importante [19]. Il reste utilisé en cas d'intervention de longue durée ou quand la ventilation postopératoire est souhaitée. La tachycardie qu'il entraîne est parfois gênante mais il reste utilisé par de nombreuses équipes en chirurgie cardiaque pour contrebalancer l'effet des hautes doses de morphinomimétiques. Il est contre-indiqué, en association avec l'halothane, chez les sujets traités par antidépresseurs tricycliques car, en élevant la concentration en catécholamines circulantes, il expose au risque d'arythmie ventriculaire sévère. Il est également contre-indiqué en cas de phéochromocytome


Curares ultracourts


Org 9487
L'Org 9487 est un curare stéroïdien dont la structure dérive directement de celle du vécuronium (fig 8). Les propriétés pharmacologiques de l'Org 9487 sont liées à sa faible puissance.

Métabolisme, pharmacocinétique
Chez l'homme, l'Org 9487 semble être métabolisé dans le foie en 3-désacétyl- ou 3-hydroxy-Org 9487 qui est retrouvé dans le plasma puis dans les urines. Sa puissance est d'environ 50 % de celle de l'Org 9487. Au bout de 24 heures, 12 à 20 % d'une dose d'Org 9487 sont retrouvés dans les urines dont un tiers environ sous forme inchangée et deux tiers sous forme de 3-désacétyl-Org 9487. Des traces de 3,17-bisdésacétyl-Org 9487 peuvent être également retrouvées [245].

Après administration d'un bolus de 1,5 mg/kg, le volume apparent de distribution est de 457 mL/kg et la clairance plasmatique de 11,1 mL/kg/min chez l'homme.
La demi-vie d'élimination serait comprise entre 71 et 88 minutes [231, 245], ce qui est un peu plus court qu'avec le vécuronium ou le rocuronium. La courte durée d'action de l'Org 9487 par rapport aux autres curares s'expliquerait par l'importance de la distribution initiale [231].

Pharmacologie clinique
La DA90 de l'Org 9487 à l'adducteur du pouce varie selon les études entre 1 et 1,15 mg/kg, chez l'homme, ce qui en fait un curare environ 30 fois moins puissant que le vécuronium. Après administration d'une dose de 1,5 mg/kg, le délai d'installation à l'adducteur du pouce est de 83 secondes [248]. Une dose de 1,5 mg/kg a une durée d'action clinique de 9 minutes et une durée d'action totale de 17 minutes. L'index de récupération est de 6 minutes. Un train-de-quatre supérieur à 70 % est obtenu en 23 minutes en moyenne [245]. En raison de sa durée d'action plus brève que celle des autres curares non dépolarisants, il a été proposé d'administrer la néostigmine (40 μg/kg) précocement 2 minutes après l'injection d'Org 9487. La durée d'action clinique est alors de 5,7 minutes et la durée d'action totale de 10,8 minutes. Un train-de-quatre égal à 70 % est obtenu en 12 minutes environ [248].

La dose d'Org 9487 pour maintenir un bloc de plus de 80 % à l'adducteur du pouce lors d'une perfusion est d'environ 3,4 mg/kg/h. L'allongement du délai d'obtention d'un train-de-quatre supérieur à 70 % à l'arrêt de la perfusion par rapport à un bolus traduit l'accumulation de l'Org 9487 chez l'homme [231]. Cette accumulation pourrait être liée à la production de 3-hydroxy-Org 9487 ou plus vraisemblablement à la survenue de la récupération en phase d'élimination et non plus de distribution, d'où une baisse moins rapide des concentrations plasmatiques.

Les indications précises de l'Org 9487 ne sont pas encore définies avec précision mais il pourrait être amené à remplacer le suxaméthonium. Outre ses indications en cas d'anesthésie chez le patient à l'estomac plein, il pourrait être utilisé lors des interventions de courte durée mais où l'intubation est indiquée. La possibilité de pouvoir antagoniser les effets de l'Org 9487 par la néostigmine, 2 minutes après son administration, pourrait en faire un curare de choix en cas d'intubation difficile ou d'un autre problème prévu sur les voies aériennes.



Suxaméthonium (Célocurine®)
Synthétisé en 1906 par Hunt et de Taveau [113], il fallut attendre 1949 pour que ses propriétés curarisantes soient décrites chez l'animal. Brucke, von Dardel et Mayrhoffer furent les premiers à l'utiliser chez l'homme pour ses propriétés curarisantes [88]. C'est le seul curare non dépolarisant utilisé en France. La vitesse d'installation de la curarisation et la courte durée d'action restent inégalées mais ses effets secondaires limitent son utilisation.

Propriétés physiocochimiques
Le suxaméthonium est formé de deux molécules d'acétylcholine unies par leurs radicaux quaternaires (fig 11). Les deux fonctions ammonium quaternaire sont distantes de 14 A. Fortement soluble dans l'eau, le suxaméthonium est dégradé par la chaleur, la lumière et les pH alcalins. Son poids moléculaire est de 544 Da.

En raison de sa destruction à la chaleur, le suxaméthonium doit être conservé entre + 4 et + 10 °C.

Métabolisme et pharmacocinétique
Il est difficile de déterminer la pharmacocinétique précise du suxaméthonium, en raison de problèmes analytiques liés à la dégradation plasmatique. En effet, le suxaméthonium est hydrolysé rapidement dans le plasma par les pseudocholinestérases ou butyrylcholinestérases en succinylmonocholine, dont les effets myorelaxants sont 40 fois plus faibles que ceux du suxaméthonium, puis plus lentement en acide succinique et choline [146]. La vitesse d'hydrolyse de la succinylcholine est estimée à environ 100 μg/kg/min [62]. La choline et la succinylmonocholine sont éliminées par filtration glomérulaire. La métabolisation hépatique est très lente, quant à l'hydrolyse plasmatique alcaline non enzymatique, elle n'a qu'un faible rôle et n'intervient qu'en cas de déficit en pseudocholinestérases.

Après administration d'un bolus, les concentrations plasmatiques décroissent rapidement selon une cinétique d'ordre 1. Cette décroissance rapide est liée, outre l'hydrolyse plasmatique, à la distribution dans l'ensemble de l'organisme, seule une faible fraction de la dose administrée atteint la jonction neuromusculaire. La demi-vie du suxaméthonium serait comprise entre 3 et 4 minutes. Il n'y aurait pas de distribution par passage intracellulaire car le suxaméthonium est fortement ionisé au pH plasmatique. La constante d'élimination est plus importante chez le nourrisson et l'enfant que chez l'adulte.
La demi-vie serait comprise entre 1,7 et 1,8 minutes.

Mode d'action
Le suxaméthonium se fixe au niveau des deux sous-unités α du récepteur nicotinique cholinergique postsynaptique de la plaque motrice. Il entraîne une dépolarisation initiale de la membrane postsynaptique similaire mais de durée prolongée par rapport à celle déclenchée par l'acétylcholine. Alors que l'acétylcholine est rapidement détruite par l'acétylcholinestérase, la succinylcholine va rester plusieurs minutes au niveau de la fente synaptique, réagissant de façon répétée avec les récepteurs cholinergiques en les maintenant ouverts. Les potentiels de plaque induits par la succinylcholine ne se limitent pas à la plaque motrice elle-même mais s'étendent à la zone périjonctionnelle. Celleci se caractérise par la présence d'un grand nombre de canaux sodiques insensibles à l'acétylcholine mais qui peuvent être activés par un changement de potentiel, donc par le potentiel de plaque. C'est l'activation de ces canaux sodiques qui va produire le potentiel d'action qui se propagera sur toute la longueur de la fibre musculaire. Le processus d'inactivation de ces canaux sodiques est normalement rapide permettant le retour au potentiel de repos de la cellule car le potentiel de plaque ne dure que quelques millisecondes. En maintenant dépolarisée la plaque motrice, le suxaméthonium est responsable du maintien en état inactivé des canaux sodiques de la zone périjonctionnelle. Ces canaux vont agir comme une barrière, empêchant la propagation d'un potentiel d'action dans la fibre musculaire, d'où le bloc neuromusculaire [160]. Outre ce mécanisme, le suxaméthonium induit une désensibilisation des récepteurs cholinergiques. Le récepteur désensibilisé n'est pas activé même s'il y a deux molécules d'acétylcholine fixées sur les deux sous-unités α. La désensibilisation diminuerait l'effet des agonistes. Le mécanisme serait une phosphorylation du récepteur protéique par une kinase présente dans la membrane.

Cette phosphorylation entraînerait un changement de conformation du canal ionique du récepteur, ce qui préviendrait tout mouvement ionique. Contrairement à un autre curare dépolarisant, le décaméthonium, le suxaméthonium ne bloque pas directement le canal ionique. Ces actions du suxaméthonium sont responsables du bloc de phase I observé après administration d'une dose unique [160]. Les fasciculations seraient liées à l'action présynaptique et à la dépolarisation des récepteurs cholinergiques présynaptiques induites par le suxaméthonium. La dtubocurarine inhiberait les fasciculations en se fixant sur ces récepteurs présynaptiques.

Pharmacologie clinique
Puissance
Chez l'adulte, la DA90 du suxaméthonium à l'adducteur du pouce est de 0,26 mg/kg [210]. Les agents halogénés potentialisent les effets du suxaméthonium, la DA90 étant de 0,21 mg/kg sous halothane. Le protoxyde d'azote potentialise les effets du suxaméthonium d'environ 30 % [222], mais cette interaction n'a probablement pas de retentissement clinique en raison des conditions habituelles d'induction anesthésique. L'administration préalable d'une dose minime de curare non dépolarisant diminue la puissance du suxaméthonium. La sensibilité du masséter est comparable à celle de l'adducteur du pouce alors que le diaphragme est plus résistant au suxaméthonium que le pouce, la DA90 étant 1,8 fois celle de l'adducteur du pouce [211]. Le bloc neuromusculaire est plus intense au niveau des muscles adducteurs laryngés que de l'adducteur du pouce (fig 12) [161]. Les muscles adducteurs laryngés diffèrent des muscles périphériques par leur richesse en fibres musculaires de type II et une vitesse de contraction plus grande. Plusieurs travaux ont démontré que ces fibres de type II seraient plus sensibles aux effets du suxaméthonium que les fibres de type I qui sont à cette différence de composition des muscles.

Évolution de la curarisation
L'injection intraveineuse d'un bolus entraîne l'apparition rapide de fasciculations musculaires dont l'intensité est influencée par la dose utilisée et l'importance des masses musculaires. Une dose de 1 mg/kg entraîne une paralysie complète de l'adducteur du pouce en 60 secondes. Ce bloc de phase I se caractérise à un stade de paralysie partielle par : une réponse musculaire soutenue à un tétanos 50 Hz ; l'absence de facilitation post-tétanique ; un rapport T4/T1 soutenu lors d'une stimulation par train-de-quatre ; une potentialisation du bloc par les anticholinestérasiques ; l'antagonisation partielle par les curares non dépolarisants.

Une dose de 0,5 mg/kg entraîne une paralysie complète des muscles laryngés en 54 secondes pour 100 secondes à l'adducteur du pouce [161]. C'est ce phénomène et la sensibilité des muscles laryngés au suxaméthonium qui expliqueraient pourquoi il est possible d'intuber dans de bonnes conditions alors que l'adducteur du pouce n'est pas encore totalement paralysé. Après administration d'un bolus de 1 mg/kg, la décurarisation de l'adducteur du pouce apparaît en 4 à 8 minutes chez le sujet normal. Une force musculaire de 90 % de la valeur contrôle est obtenue en 6 à 13 minutes [117].

La survenue d'un bloc de phase II est rare ; elle a été décrite lors de l'utilisationde suxaméthonium pour l'entretien de la curarisation en perfusion ou en injections répétées. Ce type de bloc est observé pour des doses totales d'un moins 3 à 5 mg/kg ou lors d'une administration continue d'un moins 60 à 90 minutes [191]. Le mécanisme retenu serait lié à une activation persistante des récepteurs nicotiniques présynaptiques entraînant une baisse de la libération d'acétylcholine. De plus, les fortes doses de suxaméthonium agiraient comme l'hémicholinium en bloquant la synthèse d'acétylcholine [160]. L'installation du bloc de phase II est souvent précédée d'une tachyphylaxie avec diminution des effets neuromusculaires pour des doses identiques et répétées. Il se caractérise par : une réponse musculaire non soutenue lors d'une stimulation tétanique ; une facilitation post-tétanique ; un rapport T4/T1 inférieur à 50 % ; une inhibition du bloc par les anticholinestérasiques.

La durée de récupération d'une force musculaire normale lors d'un bloc de phase
II est variable d'un patient à un autre ; elle dépend également de la dose et de la durée d'administration. Elle est en moyenne d'une quinzaine de minutes après l'arrêt de l'administration de suxaméthonium [191].

Effets secondaires
Il importe de différencier les effets secondaires habituels du suxaméthonium des complications beaucoup plus rares mais souvent imprévisibles. Les premiers sont d'intensité limitée et/ou peuvent être évités par la connaissance de la pharmacologie du suxaméthonium.

Effets secondaires habituels
Effets musculaires
suxaméthonium. Cette technique expose à des troubles de la déglutition ou de la ventilation liés aux effets du curare non dépolarisant. La fréquence des douleurs musculaires varie selon les études de 5 à 83 % [180]. Une relation entre leur fréquence de survenue et la mobilisation précoce du patient a été envisagée mais n'a jamais pu être confirmée. Il semblerait que les douleurs musculaires puissent survenir chez environ 50 % des patients subissant une laparotomie, que le suxaméthonium soit utilisé ou non. Zahl et Apfelbaum n'ont pu démontrer une baisse de fréquence des myalgies quand le vécuronium remplaçait le suxaméthonium [252]. Leur intensité peut être diminuée par l'administration préalable de diazépam ou d'une faible dose de curare non dépolarisant mais au prix d'un allongement de 30 % du délai d'installation de la curarisation. Il est nécessaire d'augmenter d'environ 50 % la dose de suxaméthonium pour avoir un bloc neuromusculaire d'intensité comparable [160]. La précurarisation permet d'autre part de limiter l'élévation de la kaliémie et des créatine phosphokinases (CPK) d'origine musculaire [155]. L'augmentation des CPK est plus importante en cas d'utilisation d'agents halogénés que lors de l'administration d'agents anesthésiques intraveineux ; le mécanisme en serait une perturbation de la régulation des mouvements du calcium intracellulaire [160].

Le spasme des masséters se définit comme une rigidité des muscles masséters après administration de succinylcholine, pouvant gêner l'intubation, alors que les autres muscles sont relâchés [194]. De nombreuses études ont démontré au cours de ces dernières années qu'il existait, après administration de succinylcholine, une augmentation de tonus des muscles masséters durant 1 à 2 minutes [188, 195, 213]. Cet effet semble être dose dépendant, maximal durant les fasciculations, et est observé même quand l'halothane est remplacé par l'isoflurane. Une précurarisation ne prévient pas cette augmentation de tonus contrairement à une dose paralysante de curare non dépolarisant [214]. Il est maintenant admis que c'est l'exagération de cette réaction qui pourrait entraîner chez certains patients un trismus, voire des difficultés d'intubation. Sa fréquence varie selon les études entre 0,1 et 1 % [145, 194]. Le spasme des masséters a été longtemps considéré comme un signe précurseur d'hyperthermie maligne. S'il ne fait pas de doute qu'un trismus est observé au cours de l'hyperthermie maligne, la mise en évidence de cette hypertonie ne signifie pas forcément l'apparition d'une hyperthermie maligne [194]. En revanche, l'attention de l'anesthésiste doit être attirée par ce signe et impose la recherche des autres signes d'hyperthermie maligne (hypercapnie, tachycardie, acidose métabolique).

Hyperkaliémie
Une élévation discrète de la kaliémie est constante après injection de suxaméthonium. Elle est plus importante en cas d'anesthésie à l'halothane (0,2 - 0,5 mmol/L) qu'au thiopental (0,1 - 0,35 mmol/L) [108, 123, 182, 242]. Cette élévation de la kaliémie n'est pas totalement abolie par une précurarisation. Contrairement à ce qui a été longtemps admis, ces modifications ne sont pas plus marquées chez les enfants porteurs de strabisme que dans une population témoin [156]. En revanche, certaines situations peuvent s'accompagner d'une hyperkaliémie majeure en cas d'administration de suxaméthonium. Le mécanisme serait dû au fait que le suxaméthonium n'agit plus uniquement au niveau de la plaque motrice mais à la totalité de la membrane musculaire. Les pathologies en cause sont souvent des atteintes neurologiques ou musculaires : accident vasculaire récent, paraplégie, dystrophies musculaires ou myotonies, sepsis ou traumatismes étendus [42, 43] ; elles sont une contre-indication à l'utilisation de succinylcholine.

En cas d'hémiplégie, le risque de déclenchement d'une hyperkaliémie est maximal entre la première semaine et le sixième mois après sa survenue. Le risque pourrait cependant persister, même 10 ans plus tard [153]. La précurarisation ne garantit pas l'abolition de l'hyperkaliémie. L'insuffisance rénale n'est pas une contre-indication formelle à l'utilisation de succinylcholine si la kalièmie est contrôlée. En cas de brûlures, le risque d'hyperkaliémie est dépendant de l'étendue de la brûlure. Il serait maximal pendant 7 à 8 jours mais il est recommandé d'éviter la succinylcholine pendant plusieurs semaines jusqu'à cicatrisation complète [153].

Effets cardiovasculaires
stimuler les différents récepteurs cholinergiques nicotiniques et muscariniques de l'organisme. L'effet dominant est une bradycardie par stimulation des récepteurs cardiaques muscariniques, en particulier sinoauriculaires [201, 249]. Cet effet est plus marqué chez l'enfant et en cas de réinjections. Il peut être prévenu par l'administration préalable d'atropine. La stimulation des récepteurs nicotiniques ganglionnaires est faible et sans retentissement clinique dans la majorité des cas. En cas d'injections répétées, la choline, issue de la dégradation du suxaméthonium, sensibiliserait le coeur et majorerait les effets bradycardisants du suxaméthonium [249]. Le suxaméthonium semble dépourvu d'effet inotrope négatif. La survenue d'une tachycardie, après injection de suxaméthonium, est liée à la stimulation des récepteurs nicotiniques ganglionnaires des voies sympathiques et à l'augmentation de la libération de noradrénaline [174]. L'apparition d'une tachycardie serait favorisée par l'existence d'une hypoxie ou d'une hypercapnie ou l'utilisation d'halothane ou de digitaliques. Chez certains patients, l'existence d'une tachycardie est secondaire à la survenue d'une hyperkaliémie massive.

Effets digestifs
Le suxaméthonium entraîne une augmentation transitoire de la pression intragastrique. Elle dépend en partie de l'intensité des fasciculations [166] ; l'augmentation moyenne est comprise entre 7 et 12 cm d'eau mais elle peut atteindre 40 cm d'eau. Cependant, il a été démontré que lors des fasciculations, la pression du sphincter oesophagien inférieur augmentait plus que la pression intragastrique [215], ce qui limiterait le risque de régurgitations chez le patient à l'estomac plein. L'augmentation de pression intragastrique peut être prévenue par une précurarisation [166]. L'augmentation de pression intragastrique est plus faible chez l'enfant car les fasciculations musculaires sont de moindre intensité.

Effets oculaires
Le suxaméthonium entraîne une augmentation de pression intraoculaire comprise entre 5 et 10 mm de mercure. Cet effet dure 5 à 6 minutes ; il serait lié en partie à la contraction prolongée de la musculature oculaire extrinsèque et n'est pas aboli par une précurarisation [165]. L'augmentation de pression intraoculaire est d'autant plus marquée que l'anesthésie est légère, elle est maximale lors de lalaryngoscopie et de l'intubation. Cette propriété expose au risque d'expulsion du vitré en cas d'ouverture de la chambre antérieure ou de plaie du globe oculaire.

Cependant, Edmonson a démontré qu'en cas d'utilisation des techniques de crash induction, la pression intraoculaire n'atteignait jamais les valeurs contrôles mesurées avant l'induction de l'anesthésie [77].

Accidents graves
Accidents allergiques
Les curares sont une des principales causes d'accidents allergiques en cours d'anesthésie. La fréquence des réactions anaphylactoöides, tous mécanismes confondus, serait d'environ un cas pour 3 500 anesthésies, un accident anaphylactique vrai étant observé pour 6 000 anesthésies. Le suxaméthonium ne représente qu'environ 10 % des parts de marché des curares en France mais serait impliqué dans 43 % des accidents allergiques liés aux curares. Il serait en cause dans environ 28 % des accidents anaphylactiques liés à l'anesthésie [131].

En Grande-Bretagne, après calcul en fonction de la consommation relative des agents anesthésiques, le suxaméthonium est en tête des accidents anesthésiques. Watkins estime la fréquence à environ 1 pour 4 000 quand le thiopental est utilisé en association pour l'induction [238]. Bien qu'une activation non spécifique de la voie du complément ait été parfois rendue responsable, le principal mécanisme apparaît être anaphylactique et lié à la présence d'IgE. Les IgE présentes sur les basophiles et les mastocytes sont responsables de la libération d'histamine, de tumor necrosis factor (TNF) et de platelet activating réactions cutanées ou oedème de Quincke [169]. Ces accidents surviennent plus fréquemment chez les femmes et ont même été observés chez des patients qui n'avaient jamais reçu de suxaméthonium, voire n'avaient jamais été anesthésiés [169]. Il est probable que les patients peuvent se sensibiliser par des expositions préalables à des cosmétiques, des aliments ou des produits industriels contenant des ammoniums quaternaires [86]. Un terrain atopique serait retrouvé chez un patient sur trois [169]. une allergie croisée avec les autres curares in vitro est retrouvée chez environ 80 % des patients [131].

Curarisation prolongée
Le suxaméthonium étant hydrolysé par les pseudocholinestérases plasmatiques, un déficit acquis ou congénital peut entraîner une prolongation de la durée de curarisation car seule la butyrylcholinestérase est capable d'estérifier le suxaméthonium. L'acétylcholinestérase, présente dans la fente synaptique de la jonction neuromusculaire, n'est pas capable de compenser un déficit en pseudocholinestérases. Une corrélation entre l'activité pseudocholinestérasique et la durée d'action du suxaméthonium a pu être démontrée chez les patients porteurs d'un génotype U-U [233].

En cas de déficit congénital hétérozygote de génotype UA ou UF, la durée d'action du suxaméthonium n'est que très modérément prolongée, la force musculaire à l'adducteur du pouce réapparaissant une dizaine de minutes après l'administration d'un bolus de 1 mg/kg, une force musculaire de 90 % de la valeur contrôle étant obtenue en 9 à 38 minutes selon les patients [117]. Dans le cas rare d'un déficit hétérozygote avec deux gènes anormaux, la durée totale de la curarisation peut atteindre 30 à 60 minutes. C'est en cas d'anomalie congénitale homozygote que la durée d'action du suxaméthonium est très allongée. Un bolus de 1 mg/kg peut entraîner une paralysie complète d'une quarantaine de minutes, l'adducteur du pouce récupérant une force musculaire normale en 90 à 180 minutes [117]. La fréquence des patients homozygotes, porteurs du gène anormal, est d'environ 0,04 % en France, soit une incidence d'une curarisation prolongée pour 2 500 patients environ. Les déficits acquis en pseudocholinestérases n'entraînent que très rarement un allongement significatif de la durée d'action d'un bolus de suxaméthonium car il faut une réduction d'un moins 50 % de l'activité cholinestérasique pour avoir une traduction clinique.

En cas de survenue d'une curarisation prolongée, le traitement nécessite la poursuite de la ventilation contrôlée et la sédation jusqu'à la récupération d'une fonction musculaire normale. Dans certains pays sont disponibles des solutions de pseudocholinestérases purifiées qui ont pu être utilisées avec succès chez des patients présentant une curarisation prolongée [172, 179].

Hyperthermie maligne
L'hyperthermie maligne est une complication rare de l'anesthésie, sa fréquence étant comprise entre 1/15 000 et 1/30 000 anesthésies. Elle est induite par l'exposition à des agents halogénés associés ou non au suxaméthonium. Elle est liée à une anomalie localisée sur le chromosome 19 qui entraîne une anomalie du récepteur à la ryanodine, responsable de la libération de calcium dans le myoplasme. Outre l'hyperthermie, l'acidose, les signes cardiaques, il existe une rigidité de tous les muscles du corps et une rhabdomyolyse. Parmi les signes musculaires, le spasme des masséters peut être un signe avant-coureur d'hyperthermie maligne, mais sa fréquence est beaucoup plus importante (1/100) et il peut être de survenue isolée. Plutôt qu'une hyperthermie maligne vraie, il semblerait que le suxaméthonium puisse déclencher, chez des patients porteurs de maladie neuromusculaire (dystrophie musculaire de Duchenne [192, 205], myotonies [4], des complications non spécifiques et liées à l'atteinte musculaire préexistante. Il peut s'agir, selon les patients, d'hyperkaliémie, de tachycardie ou fibrillation ventriculaire, d'hyperthermie, de contractures musculaires ou de rhabdomyolyse ; une élévation sérique des CPK est très fréquemment associée.

Utilisation clinique
Les indications du suxaméthonium se sont progressivement réduites, plus en raison des risques d'accidents rares mais imprévisibles que de ses autres effets secondaires.

Posologie
La dose recommandée chez l'adulte est de 1 mg/kg par voie intraveineuse, l'intubation pouvant alors être réalisée 30 secondes après l'injection.
Le principal avantage du suxaméthonium est l'association d'un bref délai d'installation de la curarisation associé à une courte durée d'action. Le relâchement musculaire favorise la laryngoscopie et la paralysie des muscles adducteurs laryngés permettant l'introduction de la sonde d'intubation dans des conditions optimales. D'un point de vue pratique, l'apparition des fasciculations au niveau des muscles périphériques s'accompagne de l'installation de la paralysie des muscles laryngés. En cas de précurarisation par une faible dose de curare non dépolarisant (un dixième de la dose usuelle), la posologie de suxaméthonium doit être portée à 1,5 mg/kg chez l'adulte pour avoir une vitesse d'installation et une intensité de curarisation comparables à celles d'un bolus isolé de 1 mg/kg. Chez l'enfant et le nourrisson la posologie initiale est plus importante que chez l'adulte, une dose de 1,5 mg/kg est recommandée.

L'administration préalable d'atropine prévient la survenue d'une bradycardie sinusale. En cas d'administration d'un curare non dépolarisant après une dose de succinylcholine pour l'intubation, le bloc non dépolarisant est plus profond et dure plus longtemps qu'habituellement, cette potentialisation est observée même 30 minutes après l'administration du suxaméthonium [48].

Indications
L'indication de choix reste l'anesthésie du patient à l'estomac plein ou chaque fois qu'il existe une situation à un risque d'inhalation du contenu gastrique. De même le suxaméthonium reste le curare de choix en cas d'anesthésie générale pour césarienne, aucun curare non dépolarisant, jusqu'à maintenant, n'offrant des conditions d'intubation aussi bonnes dans un délai si court. Une autre indication reste la prévention des fractures au cours des sismothérapies.

En cas de contre-indication à la succinylcholine chez un patient à l'estomac plein, plusieurs attitudes sont possibles. Le patient peut être intubé sans curare en associant propofol et morphinomimétique mais il existe un risque de toux, voire de laryngospasme. Si la curarisation du patient est nécessaire, plutôt que d'utiliser la technique de la priming dose qui expose, elle-même, au risque de régurgitation, voire d'inhalation, il est préférable d'utiliser le rocuronium ou de fortes doses de vécuronium mais au prix d'une curarisation durant plus de 1 heure.

En cas d'intubation difficile prévue, plusieurs attitudes existent. Certains proposent parfois l'emploi de suxaméthonium en raison de la qualité du relâchement procuré et de la possibilité de reprise rapide de la ventilation spontanée en cas d'intubation impossible.
L'apparition des curares non dépolarisants de durée d'action intermédiaire (vécuronium, atracurium), puis plus récemment du mivacurium, ont fait progressivement disparaître les indications du suxaméthonium pour le maintien de la curarisation car il existe un risque de passage en bloc de phase II. Ce bloc peut apparaître en cas de bolus répétés ou surtout d'administration continue quand la dose dépasse 3 à 5 mg/kg.

Contre-indications
Certaines contre-indications sont formelles et ne doivent pas être transgressées, il s'agit : des antécédents personnels ou familiaux d'hyperthermie maligne ; des myopathies, de la maladie de Steinert ; des antécédents d'allergie à la succinylcholine ou d'allergie croisée aux myorelaxants ; des déficits congénitaux en pseudocholinestérases ; des hyperkaliémies ou des situations exposant à une fuite potassique majeure (paraplégie ou hémiplégie d'installation récente, syndrome de dénervation, brûlures, tétanos).

D'autres contre-indications sont relatives mais imposent la prudence dans l'utilisation : terrain atopique ; troubles du rythme, insuffisance cardiaque ; chirurgie à globe oculaire ouvert, en cas de plaie du globe oculaire ; chez un patient à l'estomac plein, il est recommandé de réaliser une précurarisation ; myasthénie ; traitement par l'écothiopate (Phospholine®).
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