Douleur : Mécanismes spinaux impliqués dans la nociception


PROJECTIONS SPINALES DES FIBRES PÉRIPHÉRIQUES
La très grande majorité des fibres afférentes primaires atteignent le système nerveux central par les racines rachidiennes postérieures ou leurs équivalents au niveau des nerfs crâniens.
Les fibres Ab qui acheminent, rappelons-le, les informations tactiles et proprioceptives, envoient leurs axones en partie vers la substance grise médullaire de la corne postérieure (couches III à V mais centré sur IV) (Fig. 8) [69] dont les terminaisons sont étalées sur plusieurs segments et en partie via les cordons postérieurs vers les noyaux correspondants situés dans la partie caudale du bulbe. Il s’agit des noyaux gracilis (de Goll) où transitent les informations issues du membre inférieur et du tronc et cuneatus (de Burdach) où transitent les informations issues du membre supérieur, du cou et de la région occipitale (Fig. 9A). Les neurones de ces noyaux envoient leurs axones vers le thalamus latéral via le lemnisque médian - d’où le nom de système lemniscal -, après avoir décussé au niveau bulbaire.
Les neurones du thalamus latéral se projettent vers le cortex somesthésique primaire (SI). Il s’agit d’un système très rapide de communication : l’information concernant la localisation sur le corps (somatotopie), l’intensité et la durée du stimulus atteint le cortex cérébral après deux relais seulement. Tout au long de ce système, l’organisation somatotopique est conservée de telle sorte que les informations précises concernant chaque région du corps sont envoyées vers une région corticale bien définie, chacune représentée sur l’homonculus de la partie supérieure droite de la Figure 9A en fonction de son importance.
Figure 9: Voies somesthésiques
Les fibres Ad et C quant à elles se divisent en une branche ascendante et une branche descendante qui émettent des collatérales vers la corne postérieure de la moelle sur quelques segments adjacents. On y constate une convergence anatomique des afférences nociceptives cutanées, musculaires et viscérales dans les couches I et V (Fig. 8). On constate également une forte dispersion rostrocaudale des afférences.

PARTICULARITÉS DU SYSTÈME TRIGÉMINAL 
La sensibilité de la face et des cavités buccale et nasale est assurée pour l’essentiel par les trois branches du nerf trijumeau (V) qui se regroupent dans le ganglion de Gasser, ce dernier renfermant les corps cellulaires des fibres afférentes. Dans le tronc cérébral, les fibres se séparent en un contingent qui emprunte la « racine ascendante » pour se rendre au noyau principal, et un contingent qui emprunte une « racine descendante » pour émettre des collatérales vers le noyau spinal auquel il est accolé. Le noyau principal constitue le maillon essentiel de la transmission des messages tactiles orofaciaux et le noyau spinal celui des informations thermiques et algiques. On les assimile du reste respectivement aux noyaux des cordons postérieurs et à la corne postérieure qui jouent un rôle équivalent pour le tronc et les membres.
LIBÉRATION DES NEUROMÉDIATEURS
DANS LA MOELLE (Fig. 10)
Deux groupes principaux de substances sont responsables de la transmission des messages nociceptifs périphériques vers les neurones spinaux. Les acides aminés excitateurs comme le glutamate qui sont les neurotransmetteurs à proprement parler et des neuropeptides qui modulent les effets des premiers. Leur libération, par exocytose des vésicules synaptiques, est déclenchée par le calcium cytosolique des terminaisons des fibres afférentes primaires.
Les neuropeptides sont très nombreux (substance P, somatostatine, CGRP, cholécystokinine, neurokinine A, …) et pourraient jouer le rôle de neuromodulateurs, c’est-à-dire de substances endogènes qui, sans avoir d’effets propres, modulent les effets excitateurs ou inhibiteurs des neurotransmetteurs (acides aminés excitateurs et inhibiteurs).
Canaux calciques 
La libération des neuromédiateurs et neuromodulateurs est avant tout déterminée par la concentration du calcium présynaptique, elle-même sous la dépendance de courants calciques qui parcourent des canaux spécifiques. Les canaux calciques dépendants du voltage à haut seuil L-, N- et P/Q- sont présents dans la corne postérieure de la moelle, les deux derniers étant très abondants sur les fibres afférentes primaires. Les canaux L-, « stationnaires », sont sensibles à certains agonistes et antagonistes dérivés de la dihydropyridine (nifédipine) ; les canaux N-, « intermédiaires », sont bloqués par la x-conotoxine ; les canaux P/Q- sont bloqués par la agatoxine.
Récepteurs présynaptiques
La concentration de calcium cytosolique présynaptique est régulée par un certain nombre de mécanismes qui vont favoriser ou inhiber la libération des neuromédiateurs et neuromodulateurs. Ces mécanismes, pour la plupart connus de longue date, sont déclenchés par des récepteurs spécifiques. Parmi les premiers, « pronociceptifs », nous citerons l’ATP (et les récepteurs P2X), la sérotonine (et les récepteurs 5-HT3) et les prostaglandines (et les récepteurs EP). Parmi les seconds, « antinociceptifs », nous citerons l’acide gamma-amino-butyrique (GABA) (et les récepteurs GABAB), la noradrénaline (et les récepteurs a2), la sérotonine (et les récepteurs 5-HT1A et 5-HT1B) et les opioïdes (et, dans l’ordre de leur importance, les récepteurs μ d j). Ces récepteurs agissent par divers mécanismes.
Effets des acides aminés excitateurs 
Les récepteurs du glutamate et de l’aspartate sont répartis en trois grandes familles (Fig. 11). Les deux premiers comprennent un canal ionique qui règle l’entrée des cations dans la cellule. On distingue, selon leurs ligands, les récepteurs AMPA/kaïnate et les récepteurs NMDA. Les troisièmes sont des récepteurs « métabotropiques ».
Le récepteur NMDA a particulièrement retenu l’attention car il est bloqué au repos par un ion magnésium qui n’est évincé du canal que lorsque :
– la membrane du neurone est suffisamment dépolarisée ;
– deux molécules de glutamate et deux molécules de glycine, son coagoniste, le stimulent. Cela peut arriver par exemple à la suite de l’application d’un stimulus nociceptif particulièrement intense ou prolongé. On attribue au récepteur NMDA un rôle central dans l’hyperalgésie d’origine centrale et dans l’évolution de la douleur vers la chronicité, d’autant que sa stimulation provoque des modifications à long terme de l’excitabilité des neurones de la corne postérieure de la moelle.
Il existe plusieurs sous-familles de récepteurs « métabotropiques » liés à une protéine G. Certains (mGluR1 et mGluR5) sont localisés sur les membranes pré- et postsynaptiques et sont couplés à une chaîne de réactions excitatrices intracellulaires :
– soit activation d’une phospholipase C, activation d’une PKC puis phosphorylation du récepteur NMDA ;
– ou production d’AMP cyclique, activation d’une protéine-kinase A puis phosphorylation du récepteur AMPA/kaïnate. Au total, ces récepteurs métabotropiques sont à l’origine d’une augmentation de calcium cytosolique et d’une amplification des effets des récepteurs ionotropiques du glutamate.
Ces « seconds messagers » intracellulaires, qui ne sont du reste nullement spécifiques de la nociception, entraînent un ensemble d’événements cellulaires, notamment la production d’oxyde nitrique et de COX-2, cette dernière, constitutive dans la moelle, provoquant la synthèse de prostaglandines. Après diffusion vers l’élément présynaptique, oxyde nitrique et prostaglandines y favorisent l’entrée de calcium. Il s’agit là typiquement de rétrocontrôles positifs qui, de concert avec les récepteurs NMDA présynaptiques, forment un nouveau « cercle vicieux » par lequel le glutamate favorise sa propre libération, ce qui pourrait provoquer des phénomènes de sensibilisation à long terme. Le paracétamol est capable de rompre ce cercle vicieux en inhibant au niveau central la synthèse de prostaglandines et de NO.
Le processus d’inactivation du glutamate est simple : libéré dans la fente synaptique, il est capturé par des transporteurs actifs situés sur les membranes de la terminaison de la fibre afférente primaire et des astrocytes qui l’entourent. Ces derniers le transforment en glutamine qui est libérée puis recapturée de façon active par les fibres afférentes primaires, elles-mêmes la retransformant en glutamate (partie droite de la Fig. 10).
Effets des peptides 
Le rôle de neuromédiateur de la substance P au niveau des terminaisons centrales des fibres afférentes primaires fines a fait long feu, comme en témoignent les échecs retentissants des essais cliniques de ses antagonistes en tant qu’analgésiques. [50] Il est vraisemblable cependant qu’elle module la transmission synaptique au travers d’une PKC en phosphorylant les récepteurs NMDA. Mais comme le complexe ligand-récepteur sP/NK1 s’internalise très rapidement, on ne peut être surpris par la fugacité de ses effets. Il est frappant à cet égard de noter que les souris transgéniques n’exprimant pas la substance P ou son récepteur NK1 sont à l’origine de résultats confus et contradictoires pour ce qui est de la nociception mais en revanche convergents et homogènes en ce qui concerne l’abolition de l’inflammation neurogène. Le rôle de la substance P « périphérique » est donc, quant à lui, bien confirmé.

CONCLUSION SUR LE PREMIER NEURONE
Le lecteur a remarqué la multiplicité des mécanismes modulateurs élémentaires qui s’exercent aux deux extrémités de ce neurone. Lors d’un traumatisme tissulaire, les nocicepteurs sont activés et sensibilisés non seulement par les substances libérées au sein du foyer inflammatoire, mais également par le biais d’un recrutement supplémentaire de fibres adjacentes, notamment par le phénomène du réflexe d’axone. Cet ensemble d’interactions neurochimiques subtiles fournit le substratum au phénomène d’hyperalgésie. Les « cercles vicieux » ne sont pas cantonnés à la périphérie. Les rétrocontrôles positifs exercés par les récepteurs NMDA, les prostaglandines et l’oxyde nitrique sur les terminaisons centrales présynaptiques en sont un exemple. Ces considérations invitent ainsi à relativiser l’origine « périphérique » ou « centrale » des phénomènes de sensibilisation.
NEURONES SPINAUX IMPLIQUÉS DANS LA TRANSMISSION DE L’INFORMATION NOCICEPTIVE
Deux catégories principales de neurones répondant à des stimulus nociceptifs se dégagent de l’ensemble des études électrophysiologiques consacrées à la corne postérieure : les premiers sont spécifiquement activés par ces stimulus (« neurones spécifiquement nociceptifs »), les seconds y répondent de façon préférentielle mais non exclusive (« neurones à convergence »). Leurs champs récepteurs excitateurs (zone corporelle déclenchant une activité neuronale) sont relativement restreints et bien localisés.
Les neurones nociceptifs spécifiques sont essentiellement localisés dans la couche I de la moelle. Certains répondent exclusivement à un type de stimulus nociceptif, thermique ou mécanique par exemple. Leur champ récepteur est de petite taille et ils ne sont activés que par les fibres Ad et/ou C.
Les neurones nociceptifs non spécifiques sont encore appelés neurones à convergence ou neurones à large gamme dynamique (wide dynamic range ou WDR). Ils sont principalement localisés dans la couche V de Rexed, mais aussi dans les couches plus superficielles. Leur champ récepteur cutané présente un gradient de sensibilité : dans la partie centrale, tout stimulus, nociceptif ou non, active le neurone ; dans une zone plus périphérique, seules les stimulations nociceptives mettant en jeu des fibres Adou C déclenchent une activité neuronale (Fig. 12).
Comme nous le verrons plus loin, ils présentent également un champ récepteur inhibiteur (zone corporelle déclenchant une inhibition de leur activité neuronale).
Compte tenu du recouvrement des champs excitateurs, l’organisation spatiale de la convergence joue probablement un rôle essentiel dans l’élaboration du message issu de cette classe de neurones. En effet, appliqué sur un territoire donné, un stimulus non nociceptif n’activera qu’un nombre restreint de neurones, ceux dont le centre du champ excitateur est situé sur ce territoire (Fig. 13A). En revanche, un stimulus nociceptif appliqué sur le même territoire activera non seulement ces mêmes neurones, mais également les marges de beaucoup d’autres (Fig. 13B). Ce n’est donc pas seulement en simple terme d’activité neuronale qu’il faut raisonner pour tenter de comprendre le rôle de ces neurones, mais aussi en termes de populations neuronales et d’interactions dynamiques s’exerçant entre elles.
PLASTICITÉ DE L’ACTIVITÉ NEURONALE
Concevoir ce système en termes de réseaux dynamiques devient incontournable lorsque l’on tient compte du fait que la taille des champs excitateurs de ces neurones est susceptible d’être modifiée.
La convergence anatomique des influx d’origine périphérique sur un même neurone est en réalité beaucoup plus étendue que celle que l’on constate au premier abord. En effet, dans les conditions physiologiques normales, un stimulus nociceptif active non seulement de façon patente un groupe de neurones (qui émettent alors des potentiels d’action), mais aussi de façon sous-liminaire une large frange de neurones adjacents (insuffisamment dépolarisés pour émettre des potentiels d’action). [106] Au cours de processus pathologiques, qu’ils soient d’origine périphérique ou centrale, cette frange de neurones quiescents pourrait devenir suffisamment dépolarisée pour émettre des potentiels d’action et ainsi, amplifier le transfert de l’information.
Une sensibilisation des mécanismes excitateurs ou un déficit des mécanismes inhibiteurs (cf. infra) se traduira donc à la fois par une augmentation de l’activité et de la taille de la population de neurones concernés par le foyer douloureux. Cette information élaborée dans la moelle est ensuite transmise au cerveau, où elle est décodée sous la forme d’une hyperalgésie.
L’hyperalgésie secondaire pourrait ainsi s’expliquer aussi par une augmentation de la convergence des influx périphériques vers les neurones de la corne postérieure résultant de l’hyperexcitabilité neuronale. Ce mécanisme (« sensibilisation centrale ») épaulerait alors les mécanismes périphériques de recrutement supplémentaire de fibres adjacentes au foyer primaire, fondés sur le réflexe d’axone, nous l’avons vu. En outre, le déficit des mécanismes inhibiteurs pourra se traduire par le déclenchement d’une importante activité neuronale par des stimulus
anodins. Cette information, élaborée dans la moelle, puis transmise au cerveau, peut alors y être décodée sous la forme d’une allodynie.
Des phénomènes de sommation temporelle complètent ces phénomènes de sommation spatiale. Sur le plan expérimental, lorsqu’un stimulus nociceptif bref (généralement électrique) est répété à fréquence rapide (> 0,3 Hz), la réponse neuronale augmente d’un stimulus au suivant, du moins lorsque l’on considère les premières réponses. L’origine de ce phénomène, appelé wind-up (wind-up : remonter [une montre par exemple]), est à rechercher dans le fait que les potentiels postsynaptiques générés par l’activation des fibres C sont lents et que, par conséquent, l’arrivée d’une nouvelle volée afférente produit son effet avant que la membrane du neurone ne soit entièrement revenue à son potentiel de repos. Ainsi, la succession de volées afférentes se traduit par une dépolarisation de plus en plus importante. Par analogie avec la potentialisation à long terme observée dans l’hippocampe, à laquelle on attribue un rôle important dans la mémoire, et compte tenu du rôle des récepteurs NMDA dans lewind-up, certains ont attribué à ce mécanisme un rôle central dans la douleur chronique.
CONVERGENCE DES INFORMATIONS
Une autre propriété importante des neurones à convergence (qu’ils partagent avec certains neurones nociceptifs spécifiques) réside dans leur capacité d’être activés par des stimulus nociceptifs d’origine cutanée et viscérale.On parlera de convergence viscérosomatique. Certains sont également activés par des stimulus nociceptifs d’origine musculaire. Ces convergences permettent d’expliquer le phénomène de douleur projetée (irradiation douloureuse vers le membre supérieur gauche dans l’angine de poitrine, douleur testiculaire de la colique néphrétique, douleur scapulaire droite de la lithiase vésiculaire, etc.), souvent essentiel au diagnostic de certaines affections. On peut souligner à cet égard la faculté des neurones à convergence de saisir la globalité des informations issues de l’interface avec les milieux extérieur (la peau) et intérieur (les viscères, les muscles). Dans le premier cas, ces informations englobent l’ensemble du spectre somesthésique ; dans le second, elles semblent concerner avant tout la nociception.
L’ensemble de ces informations constitue une « activité somesthésique de base », dont le rôle fonctionnel pourrait être d’informer le cerveau qu’aucune perturbation particulière de l’organisme n’est générée par le milieu extérieur ou intérieur. Il est ainsi possible que ces neurones jouent un rôle essentiel dans l’élaboration du schéma corporel, peut-être en « habillant » le schéma postural. 
De concert avec le système vestibulaire qui utilise la gravité comme référence pour assurer notre équilibre et détecter nos mouvements absolus dans l’espace, l’ensemble des informations corporelles est intégré pour synthétiser en permanence des représentations mentales inconscientes de la réalité physiologique du soi. C’est le grand neurologue Henry Head [48] qui a introduit au début du XXe siècle les notions de « schéma postural » et de « schéma corporel », la dénomination de ce dernier ayant été proposée ultérieurement par le psychanalyste Paul Schilder.
Ces représentations, étapes essentielles de l’édification biologique du soi, ne sont pas figées
puisqu’elles résultent de l’histoire du sujet. En particulier, les événements somesthésiques antérieurs, qu’ils soient du reste douloureux (mémoire de la douleur, anticipation de la douleur probable, etc.) ou non, permettent à chacun de construire et reconstruire inconsciemment, progressivement mais sans relâche, son schéma corporel. Ce processus de maturation, très lent au cours des premiers mois de la vie pendant lesquels la confusion entre les mondes intérieur et extérieur est totale, mais qui s’accélère dans la petite enfance pour se stabiliser ultérieurement, concourt à la construction d’une « mémoire » du moi physique. Les expériences antérieures neutres, agréables (les caresses,…) et désagréables (les bobos,…) concourent ensemble à bâtir cette mémoire. Sa consolidation progressive et son incessante restructuration peuvent cependant être remises en cause par de nombreux facteurs biologiques et psychologiques. Tapi dans la monotonie du « normal » il se dilue dans l’inconscient, mais ne demande qu’à se manifester (se « réveiller » ?) à la moindre occasion, soit vers le plaisir soit vers la douleur. Les douleurs intenses, les douleurs qui durent, les douleurs qui évoluent vers la chronicité figurent sans doute parmi les causes physiques les plus banales de perturbation du schéma corporel (cf. infra).
Après intégration par les neurones de la corne postérieure, les messages nociceptifs vont être orientés simultanément dans deux directions différentes : la première, vers les motoneurones des muscles fléchisseurs, est à l’origine des activités réflexes que nous appellerons le transfert spinal ; la seconde, vers les structures supraspinales, s’inscrit dans un processus que nous appellerons le transfert vers le cerveau.
ACTIVITÉS RÉFLEXES OU TRANSFERT SPINAL
Ces réflexes, encore appelés réflexes extéroceptifs, comprennent toutes les activités motrices déclenchées par des messages afférents provenant de la peau ou des tissus sous-cutanés et relayés dans la moelle (Fig. 14A). [69] C’est ainsi que, chez le chien, un réflexe de retrait d’une patte postérieure ne peut être obtenu que par des stimulations nociceptives des coussinets plantaires de cette même patte. Ce réflexe de flexion correspond à une réaction de protection de l’organisme vis-à-vis d’un stimulus potentiellement dangereux pour son intégrité. Le mouvement réflexe résulte de la contraction d’un ensemble de muscles fléchisseurs et du relâchement d’un ensemble correspondant de muscles extenseurs. En outre, l’activation des muscles extenseurs (« antigravitaires ») et l’inhibition des muscles fléchisseurs, observées en station verticale, sont renforcées par le transfert du poids d’une jambe sur celle qui devient porteuse. D’une façon générale, les « réflexes nociceptifs de retrait » sont organisés de façon « modulaire » : qu’ils soient fléchisseurs, extenseurs ou autres (supinateurs, pronateurs…), les muscles d’un membre se contractent lors de la stimulation nociceptive d’une région bien déterminée de la peau. [92] Chaque muscle possède ainsi un « champ récepteur cutané nociceptif » organisé de telle façon qu’il se soustrait au stimulus nociceptif par le mouvement qu’il déclenche.
Les stimulus nociceptifs sont également capables de déclencher des réflexes végétatifs organisés au niveau spinal (Fig. 14B). Les neurones nociceptifs spécifiques de la couche I activent les neurones préganglionnaires situés dans la colonne intermédiolatérale de la substance grise, ces derniers commandant les neurones postganglionnaires des ganglions sympathiques (chaîne paravertébrale et ganglions cervical supérieur, stellaire, coeliaque, et mésentériques).
TRANSFERT VERS L’ENCÉPHALE
Des observations anatomocliniques (syndrome de Brown-Séquard, syringomyélie, syndrome cordonal postérieur) effectuées depuis longtemps chez l’homme (Fig. 15) ont permis d’affirmer que la majeure partie des messages nociceptifs croise la ligne médiane au niveau de la commissure grise antérieure, après avoir été relayée par les neurones de la corne postérieure, puis emprunte les voies ascendantes antérolatérales. En particulier, la lésion de la partie superficielle du quadrant antérolatéral provoque une analgésie controlatérale de longue durée. Il est cependant vraisemblable que d’autres faisceaux médullaires ascendants suppléent, du moins dans certains cas, le contingent antérolatéral.
En volume, c’est la formation réticulée bulbaire qui reçoit la majorité des projections issues du quadrant antérolatéral. Schématiquement (Fig. 9B et 9C), les neurones nociceptifs se projettent principalement vers la formation réticulée, le mésencéphale et le thalamus, mais aussi vers le noyau du faisceau solitaire et le bulbe ventrolatéral.
Bien que ne participant pas directement à la perception douloureuse, ces derniers interviennent dans les réactions neurovégétatives qui l’accompagnent, notamment l’augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle (Fig. 16). [69] On constate ainsi que l’organisation de ces projections est bien différente de celle qui transmet les informations tactiles et proprioceptives au travers du système lemniscal : elle concerne de nombreuses structures étagées à tous les niveaux hiérarchiques du système nerveux central, de telle sorte que c’est le cerveau dans son ensemble, depuis le bulbe jusqu’au cortex cérébral, qui est informé de la survenue d’un événement nociceptif.
 Faisceau spinothalamique
Le faisceau spinothalamique rassemble des neurones qui cheminent dans le quadrant antérolatéral de la moelle, du côté controlatéral à leur site d’origine. Les neurones issus de la corne postérieure (faisceau néo-spino-thalamique, selon la dénomination ancienne) se projettent sur le thalamus latéral (noyau ventro-postéro-latéral et groupe postérieur). Les neurones issus des couches VII et VIII de la corne antérieure (faisceau paléo-spino-thalamique, selon la dénomination ancienne) se terminent dans les régions médianes du thalamus (noyau central latéral). Il existe cependant un certain recouvrement entre ces deux populations puisque certains neurones projettent à la fois sur les parties latérale et médiane du thalamus. Un contingent particulier issu de la couche I se projette vers le nucleus submedius et la partie postérieure du noyau ventromédian.

Faisceau spinoréticulaire
Les mêmes régions de la substance grise médullaire donnent naissance à des neurones spinoréticulaires dont les axones cheminent également dans le quadrant antérolatéral. C’est donc par un abus de langage que les termes faisceau spinothalamique et quadrant antérolatéral sont parfois considérés comme équivalents.
Les régions cibles du faisceau spinoréticulaire sont les noyaux gigantocellulaire et réticulaire latéral, qui reçoivent des fibres issues de la corne antérieure, et une région très caudale, dénommée subnucleus reticularis dorsalis, qui reçoit des fibres issues des couches I et V-VII.  La mise en évidence de fibres ascendantes se projetant à la fois aux niveaux réticulaire et thalamique est une preuve anatomique supplémentaire de la complémentarité de ces deux systèmes.
Faisceaux spino- (ponto) mésencéphaliques
Les faisceaux spino- (ponto) mésencéphaliques projettent essentiellement sur deux structures du tronc cérébral : la substance grise périaqueducale et l’aire parabrachiale, située dans la région dorsolatérale du pont. L’aire parabrachiale reçoit des informations en provenance de la couche I de la moelle par des fibres qui cheminent dans le funicule postérolatéral.

Autres faisceaux
Pour être complets, mentionnons quelques faisceaux dont l’existence n’est étayée que par l’expérimentation animale. Ainsi, les neurones à convergence pourraient également envoyer des messages nociceptifs vers les centres supérieurs, notamment thalamiques, via le faisceau spinocervical (de Morin) et les cordons postérieurs. Quant aux neurones de la corne ventrale, ils projettent essentiellement sur la formation réticulée bulbaire et le thalamus médian.
Enfin, l’ensemble des neurones nociceptifs spinaux se projette vers le noyau du tractus solitaire. Bien que ne participant probablement pas directement à la perception douloureuse, ce dernier faisceau pourrait intervenir dans les réactions neurovégétatives qui l’accompagnent, notamment l’augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire