Nutrition entérale chez l’adulte





P. Boulétreau, M. Berger, K. Berrada, J.-M. Boles, R. Chioléro, A. Gente Dobez,
E. Lerebours, A. Renault

La nutrition entérale représente aujourd’hui la première technique de suppléance de la fonction digestive, plus physiologique, plus simple et moins coûteuse que la nutrition parentérale. Les nombreux progrès techniques récents ont permis d’en élargir considérablement le champ d’application.
L’administration des nutriments sous forme liquide, directement dans le tube digestif, modifie de façon importante la motricité comme les sécrétions digestives ; elle joue par ailleurs un rôle important sur la trophicité de la muqueuse et la préservation de ses diverses fonctions. Les mélanges nutritifs actuels permettent de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels des patients, de s’adapter à des situations très variées, et certains possèdent à côté de leur rôle nutritionnel un impact immunomodulateur.
Les voies d’accès au tube digestif ont également bénéficié de nombreux progrès portant sur les matériaux (silicone, polyuréthane) et les techniques (gastrostomie percutanée endoscopique). Les indications de nutrition entérale sont très larges ; elle doit être envisagée de principe dès que le tube digestif est, au moins en partie, fonctionnel. La préservation qu’elle assure de la trophicité et de la fonction immunologique de la muqueuse digestive peut constituer un avantage important chez les patients les plus graves. Les complications sont souvent bénignes, les complications pulmonaires en cas d’inhalation peuvent en revanche être graves, en particulier en réanimation ou dans les suites opératoires. Elles sont en partie prévenues par une technique adéquate et une surveillance assurées par une équipe entraînée.
Mots clés : Nutrition entérale ; Solutions nutritives




Introduction
Longtemps négligée ou considérée comme accessoire, la nutrition artificielle représente aujourd’hui une part importante de la thérapeutique : soit à titre curatif chez les patients dénutris, soit à titre préventif lorsque le contexte médical ou chirurgical est associé à un risque élevé de dénutrition.
Chez le sujet sain, la nutrition est un facteur essentiel de santé : elle permet de maintenir la composition corporelle, ainsi que les fonctions de l’organisme. Lors de nombreuses maladies aiguës ou chroniques, cet équilibre est perturbé et il apparaît une dénutrition. Son délai d’installation, sa vitesse de développement et ses conséquences fonctionnelles varient fortement selon le contexte clinique et les altérations métaboliques associées. Une dénutrition sévère peut se constituer très rapidement, en 2 ou 3 semaines, compliquant un acte chirurgical majeur, un traumatisme ou une brûlure sévère, une pathologie gastroentérologique aiguë, ou lors de pathologies septiques ou inflammatoires décompensées [1]. Elle évolue plus lentement, durant des semaines ou des mois, chez les patients souffrant de maladies subaiguës ou chroniques.
Sa fréquence est importante, atteignant dans toutes les statistiques européennes et américaines de 30 à 50 % des patients hospitalisés. Certains états sont associés à un risque plus élevé de dénutrition : cancers avancés, affections inflammatoires chroniques, chirurgie majeure, patients âgés.
 Les effets de la dénutrition sont bien connus : fatigabilité, diminution de l’activité physique, de la dépense énergétique, troubles de l’immunité et de la cicatrisation. Il est donc essentiel d’entreprendre une détection précoce des états de dénutrition réels ou potentiels chez tous les malades hospitalisés par le recueil de données cliniques simples :poids et taille, degré de perte pondérale récente, force musculaire, enquête
diététique permettant de repérer les sujets à risque chez qui un bilan plus complet peut être proposé (recherche de carences spécifiques, mesures de la dépense énergétique et de la composition corporelle) [2].
Le sujet normal possède des mécanismes d’adaptation qui lui permettent de supporter des périodes prolongées de jeûne partiel ou même total, sans autre dommage qu’une modification progressive de la composition corporelle. De nombreuses maladies altèrent la capacité d’adaptation de l’organisme au jeûne, en particulier la réduction progressive du catabolisme protidique. Cela est le cas lors du stress chirurgical, du sepsis et des maladies inflammatoires aiguës : sous l’action des hormones de contre-régulation et des cytokines, le catabolisme protéique est élevé, ainsi que la production hépatique de glucose [1].
L’absence ou l’insuffisance prolongée d’apport alimentaire par voie buccale, la mise en évidence ou le risque de survenue d’un état de dénutrition nécessitent alors l’institution précoce d’une nutrition artificielle. Celle-ci peut être administrée par voie veineuse, alimentation parentérale (NP), ou par voie digestiveen court-circuitant la bouche, c’est l’alimentation entérale (NE).
Chaque fois que le tube digestif est fonctionnel, en totalité ou au moins en partie, c’est la NE qui doit être privilégiée.
Elle a comme avantages une technique plus simple d’administration, un moindre coût et une action locale de préservation de l’intégrité fonctionnelle et structurelle du tube digestif. Elle connaît cependant des complications spécifiques qui peuvent être sévères.
Longtemps limitée dans son utilisation par l’imperfection des techniques et des mélanges employés, elle bénéfice aujourd’hui de progrès technologiques considérables qui lui assurent une grande fiabilité, une grande simplicité et un large champ d’applications.

Rappels physiologiques
L’administration des nutriments sous forme liquide, directement dans le tube digestif, modifie de manière très sensible la physiologie digestive.
Les modifications sont complexes et dépendent de plusieurs facteurs : type de mélange utilisé ; site d’administration, gastrique, duodénal ou jéjunal ; débitd’administration.
Les modifications induites par la NE concernent la motricité, les sécrétions digestives, la trophicité, l’immunité et les translocations bactériennes. Ces modifications peuvent être bénéfiques, à la base de l’utilisation de la technique, ou néfastes, sources d’effets secondaires et de complications.

Motricité digestive
Les modifications de la motricité induites par la NE concernent l’ensemble des composants de la motricité digestive : vidange gastrique, motricité duodéno-iléale, motricité colique et vidange vésiculaire.
Vidange gastrique
Un repas normal comporte une phase liquide et une phase solide ; la phase liquide s’évacue plus rapidement que la phase solide, qui quitte l’estomac après une phase de latence (lag phase). Globalement, l’évacuation d’un repas homogénéisé est plus rapide ; elle est essentiellement sous la dépendance de la motricité fundique puisqu’elle se produit en l’absence de toute motricité antropylorique.
Au cours de la NE, la vidange gastrique augmente proportionnellement à la charge calorique (nombre de calories infusées par minute dans l’estomac) jusqu’à un débit d’infusion inférieur ou égal à 3 kcal.min–1 [3], alors que la nature des calories infusées et la composition du mélange, polymérique ou non, n’ont qu’un rôle secondaire.
Lorsqu’un état d’équilibre est atteint, le volume gastrique reste constant mais non nul, l’augmentation du débit d’infusion ayant pour conséquence principale d’augmenter le volume intragastrique à l’équilibre.
Pour une charge calorique supérieure à 3 kcal.min–1, les mécanismes de régulation sont dépassés et le débit d’évacuation des nutriments devient inférieur au débit d’infusion [3]. Le volume intragastrique augmente donc progressivement, accentuant le risque de régurgitations.
L’osmolarité des mélanges joue en effet un rôle important dans la régulation de la vidange gastrique. L’infusion intragastrique d’un mélange hyperosmolaire provoque, pendant la première heure, un ralentissement de la vidange par rapport à l’infusion d’un mélange iso-osmolaire [4].
Le rythme d’administration, en bolus ou à débit constant, influence la vidange gastrique. Pour une même charge calorique globale quotidienne, l’augmentation de la durée d’infusion diminue la charge calorique par unité de temps, avec pour conséquence une diminution de volume intragastrique et du débit pylorique.
Plusieurs thérapeutiques ont été proposées pour améliorer l’évacuation gastrique et limiter le risque de reflux gastrooesophagien qui serait de 5 à 8 % pour une charge de kcal.min–1 : l’érythromycine (3 mg.kg–1 par voie intraveineuseen 30 minutes, renouvelée trois ou quatre fois par jour) [5] et le métoclopramide (10 mg trois fois par jour) [6] qui accélère la vidange gastrique.
En conclusion, lorsque la NE est administrée en site gastrique, la vidange gastrique joue un rôle clé dans la régulation de la quantité de calories et de l’osmolarité du contenu digestif arrivant dans le duodénojéjunum, facteurs essentiels pour limiter le risque de diarrhée induite par la NE.
Motricité du grêle
Chez le sujet normal prenant deux ou trois repas, la motricité duodénojéjunale est modifiée par la prise des repas qui induit le passage d’une motricité de jeûne à une motricité de type interprandial.
La motricité du grêle en période interprandiale est caractérisée, chez l’homme, par une organisation cyclique comprenant trois phases : la phase I de repos moteur, la phaseII d’activité irrégulière non propagée et la phase III caractérisée par un train de contractions régulières à une fréquence de dix à 13 par minute qui se propagent de l’estomac jusqu’au grêle. La phase III est normalement suivie d’une nouvelle phase de repos moteur. La succession de ces trois phases compose le complexe migrant moteur (CMM). La durée du CMM, habituellement comprise entre 90 et 120 minutes, est très variable d’un individu à l’autre. L’ingestion d’un repas va modifier fortement la motricité du grêle. Les phases III sont abolies et la motricitéde type interprandial est remplacée par une motricité de type postprandial [4]. La motricité interprandiale jouerait un rôle dans le maintien de l’écologie bactérienne du grêle, les CMM ayant un rôle de balayage et de « nettoyage » du tube digestif (housekeepers).
Dans la majorité des études menées chez l’animal ou chez l’homme, la NE, sauf en cas de perfusion de triglycérides à chaîne moyenne (TCM) ou d’oligopeptides, induit en début de perfusion une interruption ou une diminution de l’incidence des phases III du CMM qui réapparaissent avant la fin de l’infusion, ce qui laisse donc persister un profil moteur de « jeûne » malgré la présence de nutriments dans la lumière [7].
Cependant, dans une étude réalisée chez des sujets ventilés, Dive et al. n’ont pas noté d’interruption des phases III [8] : la persistance des CMM pourrait en partie expliquer la réduction des translocations bactériennes observées expérimentalement chez l’animal au cours de la NE par comparaison avec la NP totale.
L’iléon terminal et la région prévalvulaire jouent un rôle important dans le contrôle de la motricité digestive. L’arrivée delipides et de sucres non digestibles dans l’iléon entraîne, par un phénomène de rétrocontrôle, le « frein iléal », une inhibition de la vidange gastrique et de la motricité du grêle supérieur ainsi qu’une inhibition de la sécrétion pancréatique exocrine [4]. Le frein iléal pourrait expliquer en partie la diminution du débit de fistule ou de stomie d’amont en cas de réinstillation dans le segment d’aval.
Motricité colique
L’effet de la NE continue sur la motricité colique n’a été que peu étudié. En NE, la suppression complète ou quasi complète des résidus non digestibles dans les mélanges nutritifs ralentit le transit colique et diminue le poids des selles. L’influence des fibres sur la motricité est variable selon le type de fibres (cf. infra).
Motricité vésiculaire
Une seule étude a étudié l’effet de la NE au long cours sur la motricité vésiculaire. Dans un groupe de dix patients, Douard et al. ont montré que la vésicule était en état de contraction permanente, mais qu’elle gardait la capacité de se contracter après ingestion d’un repas gras standardisé [9].
Sécrétions digestives
Sécrétion gastrique acide
Les modifications de la sécrétion gastrique acide peuvent jouer un rôle important chez des malades fragiles, en particulier en réanimation. L’hypersécrétion gastrique acide a potentiellement des effets néfastes (ulcérations de stress), aggravant la morbidité de ces malades. Inversement, une diminution de la sécrétion pourrait avoir des effets délétères (l’augmentation du pH et la prolifération bactérienne accrue favorisant la survenue de pneumopathies nosocomiales après régurgitation).
La NE modifie, de façon majeure, les mécanismes physiologiques de régulation de la sécrétion gastrique acide [10] : suppression de la phase céphalique du repas, réduction de la sécrétion acide liée au caractère homogénéisé du mélange. La NE a des effets différents sur la sécrétion gastrique acide selon que le site d’infusion est gastrique ou duodénal. D’une façon générale, quel que soit le rythme d’administration ou la composition (élémentaire, semi-élémentaire ou polymérique), l’infusion en site gastrique stimule la sécrétion gastrique acide. Les différences observées en fonction du type de mélange sont en partie liées à l’osmolarité et donc à l’évacuation gastrique, les mélanges non polymériques induisant une distension gastrique et donc une sécrétion de gastrine plus importante.
Au contraire, la NE en site duodénal diminue la sécrétion gastrique acide par rapport à une alimentation orale standard, que le mélange nutritif soit polymérique ou semi-élémentaire.
Mais, dans cette situation, la sécrétion gastrique n’est pas tamponnée par le mélange nutritif et il existe un ralentissement de la vidange gastrique par un mécanisme de rétrocontrôle négatif.

Sécrétion pancréatique
La nutrition artificielle modifie les mécanismes physiologiques de régulation de la
sécrétion pancréatique exocrine.
Une réduction de cette sécrétion peut être l’effet recherché dans certaines situations pathologiques (pancréatite, fistule entérocutanée).
En revanche, elle peut avoir un effet délétère, par exemple en diminuant la capacité de digestion des nutriments. 
 Physiologiquement, la stimulation de la sécrétion exocrine enzymatique et bicarbonatée a trois composantes : une phase céphalique (vue, odeur...), une phase gastrique et surtout une phase intestinale liée à la modification du pH duodénal et à la présence de nutriments (graisses, et surtout peptides) dans lalumière. Il est donc habituel d’observer une augmentation de la sécrétion pancréatique exocrine au cours de la NE administrée en site gastrique ou duodénal [3, 11]. La NE en site jéjunal augmente aussi, mais de façon moins importante, la sécrétion pancréatique. Dans ce cas, l’effet sur la sécrétion pancréatique dépend de la charge calorique. La sécrétion augmente lorsque la charge calorique est faible. En revanche, les débits élevés, supérieurs à 3,5kcal.min–1, ont un effet paradoxal d’inhibition de la sécrétion pancréatique (« frein jéjunal ») avec un risque de malabsorption [3]. Ces conditions de débit calorique élevé dans le jéjunum peuvent s’observer au cours des gastroentéroanastomoses, ou au cours d’une NE en site duodénojéjunal avec un niveau d’apport élevé.
La réponse sécrétoire pancréatique dépend également du type de nutriment : à charge azotée égale, elle est indépendante de la nature polymérique ou élémentaire du mélange [3]. En revanche, la stimulation de la sécrétion pancréatique par les lipides semble corrélée à la longueur de la chaîne des triglycérides.
Ce résultat est probablement dû à la stimulation plusimportante de la production de cholécystokinine par les triglycérides à chaînes longues (TCL) que par les TCM.

Trophicité intestinale et rôle métabolique de l’intestin
Jusqu’à une date récente, l’intestin n’a été considéré que comme un site d’absorption des nutriments.
Des études ont montré qu’il jouait également un rôle clé dans les échanges métaboliques entre organes.
L’intestin tire son énergie, pour moitié, de substrats d’origine intraluminale et, pour l’autre moitié, de substrats venant du pôle vasculaire. Le principal substrat énergétique de l’intestin grêle est la glutamine, qui fournit cinq fois plus d’énergie au grêle que le glucose. Sa captation est augmentée dans les états de malnutrition aiguë associés au stress, notamment postopératoire. Dans le côlon, les acides gras à chaînes courtes produits par la fermentation colique, butyrate, acétate, propionate, représentent le substrat énergétique majeur.L’étude du rôle des nutriments sur la trophicité intestinale a fait l’objet de résultats discordants entre les travaux expérimentaux et les données humaines [12]. Chez le rat, la NE avec des mélanges élémentaires s’accompagne, surtout dans l’iléon, d’une atrophie de la muqueuse, d’une diminution de son poids et de son contenu en acide désoxyribonucléique. À titre comparatif, la NP induit une atrophie de la muqueuse plus marquée dans le jéjunum que dans l’iléon. Chez l’homme, les résultats sont beaucoup moins nets. Dans une étude longitudinale, Cummins et al. n’ont pas trouvé de modification de la hauteur des villosités et des cryptes chez 12 sujets après 3 mois de NE [13].
La NP totale n’induit qu’une diminution très modérée de la hauteur des microvillosités ou des villosités, plus marquée chez l’enfant que chez l’adulte. S’y associe une diminution des activités enzymatiques de la bordure en brosse. Ces modifications sont rapidement réversibles après reprise d’une alimentation par voie orale.L’effet de la nutrition sur la trophicité intestinale dépend de l’apport en fibres fermentescibles, sources d’acides gras à chaînes courtes (acétate, propionate et butyrate) qui stimulent l’absorption colique d’eau et d’électrolytes. Le butyrate est le nutriment de choix du colonocyte ; la perfusion de butyrate dans le côlon augmente significativement la masse muqueuse.
Ces résultats suggèrent l’intérêt d’incorporer aux mélanges de NE des
substrats fermentescibles par le côlon, d’éviter l’emploi d’antibiotiques susceptibles de modifier la flore intestinale et de limiter la formation des acides gras à chaîne courte.
Les polyamines (putrescine, spermine et spermidine) ont également un rôle important dans le maintien de la trophicité intestinale.
Les polyamines ont une double origine, exogène fournie par l’alimentation et la synthèse bactérienne intestinale, et endogène, l’intestin contenant l’ornithine
décarboxylase, enzyme à l’origine de la putrescine. L’effet trophique des polyamines s’exercerait surtout sur la multiplication des cellules jeunes en division alors que leur implication dans les phénomènesde maturation et de différenciation est plus discutée.

Immunité, perméabilité et translocationbactérienne
De nombreuses pathologies intestinales correspondent à une agression muqueuse liée à un déséquilibre entre des facteurs d’agression intraluminaux et des mécanismes de défense liés à la trophicité de la paroi et au système immunitaire du tube digestif [12]. La NE peut intervenir dans plusieurs de ces mécanismes.
Le système immunitaire associé au tube digestif (gut associated lymphoid tissue [GALT]) est quantitativement l’organe lymphoïde le plus abondant de l’organisme. L’agression, comme le jeûne et la dénutrition, s’accompagnent d’une augmentation de la perméabilité intestinale qui pourrait jouer un rôle dans la genèse du syndrome de défaillance multiviscérale, d’une altération de la barrière immunitaire, d’une diminution de la motricité intestinale et de la sécrétion biliaire [14].Ces altérations sont susceptibles de favoriser la pullulation et la translocation bactériennes.
La translocation bactérienne se définit comme le passage de micro-organismes vivants ou d’endotoxines de la lumière intestinale dans les ganglions mésentériqueset éventuellement le foie, la rate et le sang périphérique.
Le phénomène a été bien démontré chez l’animal ; chez l’homme, en revanche, son rôle physiopathologique reste discuté. Plusieurs facteurs peuvent en être responsables, isolément ou en association : la prolifération de germes dans le tube digestif, la rupture de l’équilibre écologique, une altération de la muqueuse épithéliale digestive et une altération des défenses immunitaires.
La NE préserve mieux la structure et les fonctions de l’appareil digestif que la NP : elle stimule la vascularisation et la motricité intestinales, la sécrétion biliaire, et prévient les troubles de la perméabilité [15].
Chez l’animal, la NE diminue la translocation bactérienne [16] et il est probable que le même mécanisme intervienne chez l’homme agressé [17]. La NE stimule également la sécrétion des immunoglobulines A sécrétoires [18].La réalité et la physiopathologie de la translocation bactérienne sont en fait plus controversées chez l’homme. Dans une étude de 267 malades chirurgicaux, Sedman et al. [19] ont noté une prévalence globale de 10,3 %, significativement plus élevée en cas d’occlusion intestinale distale (38,5 %) et à un moindre degré en cas de maladie inflammatoire (15,8 %). La translocation était associée à une incidence plus élevée de complications septiques postopératoires (28 % versus 11 %). En revanche, la survenue d’une translocation bactérienne était indépendante de l’état nutritionnel et surtout de la réalisation d’une NP (12 %) ou NE (10,1 %) préopératoire. Par ailleurs, la hauteur villositaire n’était pas différente entre les malades avec et sans translocation bactérienne.

Mélanges nutritifs disponibles



Les produits utilisés doivent permettre de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels du patient : glucides, lipides, protéines, eau, électrolytes, vitamines et oligoéléments. Les premiers résultats de la NE ont été obtenus avec des aliments naturels homogénéisés ; compte tenu des risques qu’elles présentent, ces préparations artisanales ne sont plus justifiées aujourd’hui, la gamme des produits industriels, stériles et de composition connue est très vaste et favorise une adaptation aussi parfaite que possible des formulations aux besoins nutritionnels des malades.
Caractéristiques physicochimiques et bactériologiques
C’est essentiellement d’elles que dépend la tolérance du produit.
Le pH doit être voisin de la neutralité, entre 7 et 7,5. Un pH inférieur à 3,5 réduit la motricité gastrique. Les mélanges industriels répondent tous à ce critère.
L’osmolarité de la solution doit être la plus faible possible pour éviter des troubles digestifs.Cette osmolarité augmente avec le degré d’hydrolyse des substrats (par exemple, des solutions de glucose et de maltodextrine à 100 g.kg–1 d’eau ont respectivement une osmolarité de 569 et 104 mOsmol.kg–1). La majorité des mélanges polymériques standards a une osmolarité inférieure à 300 mOsmol.l–1 ; les mélanges élémentaires ont une osmolarité supérieure à 500 mOsmol.l–1.
Les solutions nutritives commerciales sont stériles.
Elles subissent, durant leur fabrication, l’une des deux techniques de stérilisation suivantes [20] :
• stérilisation UHT qui consiste en un chauffage pendant 2 à 7 secondes en flux continu entre 140 et 150 °C, suivi d’un conditionnement aseptique ;
• autoclavage, qui est un chauffage entre 115 et 120 °C pendant 15 à 20 minutes dans le conditionnement final.
La procédure de stérilisation utilisée(surtout autoclavage) peut entraîner une
dégradation des vitamines hydrosolubles (B1, B6, B12, acide folique, vitamine C), ainsi qu’une réaction de
Maillard entre la lysine et certains sucres réducteurs.
La contamination des solutions nutritives peut se produire lors de la reconstitution de produits à diluer, lors des opérations de transvasement dans des containers ou des opérations diverses de manipulation et de raccordement au patient.
L’utilisation desolutions de nutrition entérale prêtes à l’emploi, conditionnées en flacon de 1 litre, permet, grâce à la diminution du nombre de manipulations, de réduire le risque de contamination bactérienne.
En France, il n’existe aucune législation fixant le degré de pureté bactériologique des solutions de nutrition entérale. En 1986, l’association britannique de diététique a fixé ce seuil à 103 organismes par millilitre en fin d’infusion [21]. Les solutions ne doivent pas avoir une viscosité élevée afin de ne pas obstruer les sondes. Les composés monomériques ont la viscosité la plus faible. Les fibres et les additifs visqueux (tapioca, eau de riz) peuvent augmenter considérablement la viscosité des solutions.
Les solutions ne devraient pas contenir d’allergène ; en réalité, aucun produit de NE, même de poids moléculaire faible, n’est totalement incapable de provoquer une réaction immunitaire [20].
Principaux composants des solutions nutritives
Hydrates de carbone
Principale source d’énergie, ils sont aussi agents de texture et sources de fibres. Dans les solutions industrielles, on les rencontre sous diverses formes.
Amidon
Extrait de maïs, riz, manioc, etc., il nécessite l’action des enzymes pancréatiques pour sa digestion. L’amidon présente l’inconvénient d’être peu soluble et on ne le rencontre que rarement dans les solutions commerciales standards. En revanche, certains produits riches en amidon sont intéressants chez le patient diabétique (cf. infra).
Polysaccharides
Ils proviennent de l’hydrolyse de l’amidon. Leur solubilité mais aussi leur pouvoir osmotique augmentent quand ils sont de petite taille.
Ils sont la principale source d’hydrates de carbone dans les solutions polymériques et semi-élémentaires.
Oligosaccharides
Composés de deux à dix monosaccharides, leur absorption nécessite uniquement l’intervention des enzymes de la muqueuse intestinale. On les trouve en grande quantité dans les solutions modulaires glucidiques (de 50 à 90 %).
Disaccharides
Ils représentent une faible proportion de l’apport glucidique (moins de 10 %) dans les solutions commerciales. L’intolérance digestive aux disaccharides et surtout au lactose (glucosegalactose) est fréquente.
Elle peut être primaire ou secondaire à une malnutrition, une infection, une maladie coeliaque, etc. En France, pour qu’un produit bénéficie de l’appellation « sans lactose », la teneur en lactose doit être inférieure à 0,5 % du poids du produit [20].
Glucose
Il présente peu d’intérêt dans les solutions de NE. En effet, son absorption n’est pas supérieure à celle des oligosaccharides, et son pouvoir osmotique est très important. On le trouve en petites quantités dans tous les produits.
Lipides
Ils sont présents dans toutes les solutions en proportions variables, sauf dans les produits modulaires glucidiques. Ils représentent une source importante d’énergie dans un faible volume, sans effet sur l’osmolarité de la solution. Pendant le processus de fabrication, la peroxydation (oxydation des acides gras insaturés) est limitée en évitant tout contact de la matière première avec l’oxygène (préparation et stockage sous azote).
Les lécithines de soja sont souvent utilisées dans les solutions de NE pour leur pouvoir émulsifiant.
Les matières grasses utilisées sont d’origine laitière ou végétale (huile de soja, arachide, maïs, coco...). Chaque huile possède un profil en acides gras bien défini. Ces acides gras sont apportés sous forme de triglycérides.
Les TCL assurent les besoins en acides gras essentiels qui doivent couvrir de 3 à 4 % de l’apport calorique total.
Ces acides gras essentiels sont indispensables pour maintenir l’intégrité de la membrane cellulaire, le transport des vitamines liposolubles et la production des eicosanoïdes. L’absorption intestinale des TCL nécessite une mycélisation par les sels biliaires, puis une hydrolyse par la lipase pancréatique en acides gras à longues chaînes et en monoglycérides. Ceux-ci peuvent alors être absorbés passivement par l’épithélium intestinal où ils doivent subir une réestérification en TCL avant d’être sécrétés sous forme de chylomicrons dans le système lymphatique. C’est la principale source de lipides dans la plupart des solutions commerciales.
Les TCM sont des triglycérides hydrosolubles semisynthétiques provenant de l’huile de noix de coco. Leur hydrolyse est indépendante des sels biliaires. Ils sont, pour l’essentiel, absorbés tels quels par la muqueuse intestinale et y subissent une hydrolyse locale sous l’effet d’une lipase intracellulaire ; les acides gras et le glycérol ainsi libérés sont alors sécrétés dans la circulation portale (Fig. 1). Les acides gras libérés pénètrent rapidement dans la mitochondrie, le plus souvent sans intervention de la carnitine ; ils sont ensuite rapidement oxydés.
Dans les mélanges polymériques et semi-élémentaires, 25 à 50 % des lipides sont des TCM, ce taux atteint 80 % dans les produits modulaires lipidiques. Les indications principales des solutés enrichis en TCM sont la malabsorption des lipides et l’ascite chyleuse.
Les acides gras insaturés sont classés selon la position de la première double liaison à partir du méthyl terminal en trois familles principales : n-3 (huiles de poissons), n-6 (la plupart des huiles végétales, dont le soja), n-9 (huile d’olive). Les acides gras n-3, extraits essentiellement des huiles de poissons des mers froides, sont des précurseurs des prostaglandines PGE2 et des leucotriènes de la série 5 (LTB5) dont l’effet sur l’immunité et les phénomènes inflammatoires sont inférieurs à ceux des PGE2 et LTB4 dérivés des acides gras en n-6, principaux composants des huiles végétales. Chez l’animal, l’enrichissement de la diète en acides gras n-3 améliore les défenses immunitaires.
Chez l’homme, seule l’action de protection vasculaire a été clairement démontrée.
L’apport recommandé en nutrition humaine est pour l’acide linoléique (n-6) de 3 à 4 % du contenu énergétique du régime, ce qui correspond chez l’adulte sain à un apport de 10 g/j. Pour l’acide a-linolénique (n-3), l’apport conseillé est de 0,8 % de l’apport énergétique, soit pour l’adulte sain de 2 g/j [22].
Protéines
Protéines intactes
D’origine variable, lait, viande, oeuf, soja, elles sont retrouvéesdans les solutions polymériques sous forme de caséine ou de lactalbumine.
Les protéines de lait de vache ont un rendement métabolique supérieur à 90 % (déchets azotés minimes), mais sont souvent à l’origine d’intolérance digestive, surtout chez l’enfant.
Peptides
L’hydrolyse enzymatique des protéines permet d’obtenir des mélanges complexes de peptides dont la taille varie de deux à 50 acides aminés. Ce sont les composants protéiques des diètes semi-élémentaires.
L’absorption des oligopeptides est rapide et se fait dans le duodénojéjunum proximal, grâce à des transporteurs non spécifiques ; elle n’est pas sodium-dépendante.
L’avantage des produits semi-élémentaires apportant des peptides par rapport aux protéines intactes n’est retrouvé que dans certaines situations pathologiques comme l’insuffisance pancréatique exocrine, le grêle court ou l’atrophie villositaire [23].
Solutions d’acides aminés
Les diètes élémentaires ne comportant que des acides aminés présentent peu d’intérêt clinique. En effet, l’absorption des acides aminés nécessite des transporteurs spécifiques sodiumdépendants, leur absorption est moins importante que celle des oligopeptides et leur osmolarité est élevée. Encore très utilisés aux États-Unis, ces produits ne sont plus commercialisés en France.
Vitamines et oligoéléments
En NE, les besoins en vitamines et oligoéléments sont équivalents à ceux del’alimentation orale.
Quels que soient le produit et le conditionnement choisi, les besoins en vitamines et en oligoéléments ne sont couverts que si la ration quotidienne est au moins égale à 1 500 kcal en dehors de pertes importantes. On doit faire toutefois une restriction pour la vitamine D dont l’apport est souvent à la limite inférieure des valeurs préconisées. Pour le sélénium, l’adjonction dans les solutions est autorisée en France depuis 1995.
Certains produits sont spécialement enrichis en micronutriments antioxydants (cf. infra).
Sodium
L’apport en sodium est très variable d’un produit à l’autre, mais en général faible. Les mélanges polymériques apportent entre 30 et 40 mmol.l–1, les mélanges semi-élémentaires entre 25 et 60 mmol.l–1. Les produits modulaires sont pauvres en sodium (de 0,5 à 5 mmol.l–1 pour les produits modulaires protidiques, traces à 18 mmol.l–1 pour les glucidiques).
L’absorption d’eau dans le jéjunum est optimale pour des solutions contenant au moins 90 mmol.l–1 de sodium [24]. Il apparaît donc que l’apport sodé peut être insuffisant dans certaines situations pathologiques où les pertes hydroélectrolytiques sont importantes (grêles courts, fistules).
Fibres
Les fibres alimentaires sont des matières résistantes à la digestion dans l’intestin grêle de l’homme. Il s’agit principalement de polysaccharides de parois végétales (cellulose, hémicellulose, gomme, mucilages, alginates, pectines), de lignine, d’amidons résistants et d’autres composants non glucidiques des parois des cellules végétales.
Les fibres sont classées en solubles et insolubles : les fibres hydrosolubles (pectines en particulier et gommes guar) augmentent la viscosité du milieu, ralentissant la vidange gastrique et le transit intestinal, réduisant la réponse glycémique et insulinique postprandiale. Les fibres solubles sont par ailleurs très sensibles à la fermentation colique avec production d’acides gras à chaînes courtes dont l’effet bénéfique sur la trophicité de la muqueuse et la translocation bactérienne a été bien démontré chez l’animal [25].
Les fibres insolubles (principalement représentées dans les mélanges industriels par les polysaccharides de soja) sont peu sensibles à la fermentation colique, et capables d’augmenter le poids et la fréquence des selles.
Les mélanges polymériques disponibles en France apportent entre 13 et 20 g de fibres par litre, avec une proportion variable (de 45 à 100 %) de fibres solubles (cf. infra). L’apport minimal pour espérer un effet physiologique semble être de 25 g/j [26].
Mélanges nutritifs
Préparations diététiques artisanales
Elles ont été utilisées dès les années 1970. Elles sont réalisées à base d’oeuf, de viande de boeuf, de lait, de farine, d’huile de maïs ou de soja. Ces préparations nécessitent un service diététique équipé. Elles doivent être conservées sans rupture de la chaîne du froid à + 4 °C. Sauf exception tenant à la qualité et à l’expérience du service diététique, elles ne sont plus justifiées aujourd’hui.
Préparations industrielles
Elles présentent plusieurs intérêts :
• stockage de longue durée à température ambiante ;
• composition bien déterminée et stable ;
• choix très large de produits qui peuvent s’adapter à toutes les situations ;
• sécurité bactériologique ;
• disponibilité immédiate ;
• utilisation facile ;
• prix de revient acceptable pour les produits simples.
Préparations polymériques (Tableaux 1 à 5)
Ce sont des produits naturels peu ou pas dégradés. Les glucides sont des polysaccharides et des oligosaccharides dérivés du maïs, les lipides sont sous forme d’huile végétale (arachide, soja, tournesol et coco), et les protides sous forme de lactalbumine ou de caséine. La gamme des produits dits « prêts à l’emploi » offre un choix important et croissant de produits. Les mélanges complets et polymériques peuvent être standards (1 kcal.ml–1), hypercaloriques (1,5 à 2 kcal.ml–1), hypocaloriques (0,5 à 0,75 kcal.ml–1), hyperazotés, enrichis en fibres ou appauvris en sodium. La teneur en vitamines, oligoéléments et TCM est variable d’un produit à l’autre. L’osmolarité est habituellement basse, autour de 300 mOsm.l–1, sauf pour certains produits hypercaloriques.
Les produits sont conditionnés sous forme de flacon plastique, flacon en verre, poche souple ou boîte métallique.
Préparations modulaires
Elles comportent, exclusivement ou de façon prédominante (le nutriment prédominant est en proportion d’au moins 80 % par rapport aux autres), un seul nutriment. Elles peuvent être polymériques ou semi-élémentaires.Il existe des préparations modulaires glucidiques, lipidiques et protidiques. La combinaison de ces divers produits permet de réaliser des régimes adaptés à des situations spécifiques (Tableaux 6 à 8).
Préparations semi-élémentaires (Tableau 9)
Elles sont constituées d’un mélange de nutriments partiellement dégradés ou hydrolysés. Les protéines sont sous forme de petits peptides, les glucides essentiellement sous forme de dextrine-maltose, les lipides sous forme de TCM (de 25 à 70 %).
Leur prix est cependant très supérieur à celui des diètes polymériques, alors que leur efficacité, en termes de synthèses protéiques, n’est pas prouvée.
Préparations élémentaires
Elles sont constituées de produits totalement dégradés, les protides (de 15 à 18 %) sont sous forme d’acides aminés, les glucides (de 70 à 80 %) sont sous forme de mono- ou disaccharides et les lipides (de 3 à 6 %) sous forme d’acides gras essentiels. Ces produits, souvent mal tolérés car leur osmolarité est élevée, ne sont plus commercialisés en France.
Mélanges particuliers (Tableau 10)
Insuffisance respiratoire
Un mélange particulier, riche en lipides, a été développé pour cette indication : il apporte 55 % de la ration calorique sous forme lipidique et 27 % sous forme glucidique. En cas d’apport énergétique élevé, la production de gaz carbonique liée aux lipides est en effet inférieure à celle générée par les glucides.
Cependant, lorsque l’apport énergétique total est proche de la dépense énergétique mesurée, comme cela est souhaitable, l’effet « qualité des substrats » sur l’élimination du gaz carbonique (V CO2) est plus discuté [27, 28].
Insuffisance hépatique
Les solutions entérales enrichies en acides aminés à chaînes ramifiées ont suscité beaucoup d’intérêt dans le traitement de l’encéphalopathie hépatique chez le cirrhotique. Actuellement, et après de nombreuses études, l’efficacité de ces solutions est loin d’être établie chez tous les patients insuffisants hépatiques.
Ces produits ont montré leur supériorité par rapport aux protéines alimentaires pour prévenir l’encéphalopathie uniquement chez les patients sévèrement intolérants aux protéines.
Certaines études récentes affirment leur intérêt par voie entérale dans des suites de grandes résections hépatiques ou des chémoembolisations [29].
Glutamine et ses précurseurs
Acide aminé non essentiel chez le sujet sain,
il devient essentiel en période postagressive, les besoins, très augmentés dans les cellules en multiplication, devenant supérieurs aux possibilités de synthèse. Plusieurs études cliniques ont bien montré l’impact positif d’une supplémentation de la NE en glutamine ou précurseur chez le brûlé [30] ou le traumatisé crânien [31].
Mélanges « immunomodulateurs » (Tableau 10)
Plusieurs formules originales associant aux nutriments habituels des substances susceptibles de modifier les réactions immunitaires ont fait récemment l’objet d’études contrôlées chez l’homme.
L’apport nutritionnel est plus ou moins enrichi, selon les formules, en glutamine, arginine, acides gras de la série n-3, nucléotides et oligoéléments antioxydants. Les études cliniques concernant ces produits sont aujourd’hui nombreuses, permettant de se faire une idée assez précise de leurs avantages et leurs inconvénients, même si la variabilité des formules et la multiplicité des composants ne permettent pas précisément de savoir « qui fait quoi ».
En chirurgie réglée, carcinologique digestive en particulier, ces produits, surtout lorsqu’ils sont administrés en préopératoire, permettent une amélioration significative du pronostic, avec réduction des complications infectieuses [32-34]. Les résultats sont bien plus décevants chez les patients de réanimation : sur 18 essais randomisés, aucun n’a démontré de bénéfice et certains groupes de patients, septiques en particulier, ont été aggravés avec augmentation de la mortalité [35] ; il est recommandé actuellement de ne pas les utiliser chez ce type de patients [36].

Voies et techniques d’administration de nutrition entérale



Choix de la technique de nutrition artificielle : nutrition entérale ou parentérale ?
La NE doit, de principe, être préférée à la NP chaque fois que cela est possible [37]. La NP ne se discute que lorsque la voie$ entérale n’est pas utilisable ou en complément de celle-ci lorsqu’elle est insuffisante. Les deux techniques sont complémentaires, pouvant selon les patients être utilisées de façon exclusive, ou simultanée, ou successivement dans le temps, en fonction de l’évolution générale et des fonctions digestives. La NE offre de nombreux avantages : maintien de l’intégrité de la muqueuse digestive et de sa fonction, meilleure utilisation des substrats, meilleure tolérance au glucose, réduction des infections sur cathéter, facilité d’utilisation, diminution des coûts. En revanche, sa mise en oeuvre est souvent difficile et ses complications fréquentes chez les patients les plus graves [38].
La mise en route d’une NE nécessite la présence d’un tube digestif fonctionnel, en particulier une motricité gastrointestinale et une capacité d’absorption suffisantes [39]. L’ischémie digestive, l’iléus paralytique et les fistules digestives hautes constituent des contre-indications relatives.
Ces affections n’excluent pas l’administration d’une NE partielle combinée à une NP. La chirurgie abdominale récente, la présence d’anastomoses digestives fraîches ne sont pas des contre-indications à la NE.

Accès au tube digestif : techniques et indications
Sondes nasogastrique et nasoduodénale
Les premières descriptions de NE par sonde datent du XVIIe siècle avec l’utilisation par Aquapendente d’un tube gastrique en argent [40].
Caoutchouc, puis polyéthylène, silicone et polyuréthane ont avantageusement remplacé ce matériel rigide. Pour les NE de courte et moyenne durées, les sondes nasogastriques (SNG) ont deux avantages : leur facilité de placement et leur coût réduit. Les voies d’administration de NE sont résumées dans la Figure 2.
Modèles
De nombreux modèles, dont le diamètre et la longueur varient, ont été développés pour répondre aux multiples besoins et indications : Charrière (CH) ou French (F) 7 à 18 correspondant à des diamètres externes de 2,3 à 5,9 mm. Les SNG et les sondes nasoduodénales en silicone ou polyuréthane sont mieux tolérées. Elles doivent être de faible calibre (10 ou 12 F) [41]. Elles peuvent être munies d’un guide ou mandrin métallique pour faciliter l’insertion. Certains modèles sont radio-opaques pour faciliter le contrôle de leur position. Il existe aussi des sondes multilumières permettant à la fois la nutrition jéjunale et le drainage gastrique, particulièrement intéressantes dans les suites de chirurgie sus-mésocolique (estomac, pancréas...). La présence d’un lest à l’extrémité peut faciliter le passage transpylorique, de même que l’utilisation de médicaments prokinétiques.
Cependant, les sondes jéjunales sont plus habituellement mises en place sous contrôle endoscopique ou radiologique.
D’autres techniques ont aussi été proposées : utilisation d’un aimant, insufflation d’air, mise en décubitus latéral droit [42]. La sonde est habituellement mise en place par voie nasale ; le risque d’infection sinusienne lié à cette voie a surtout été établi pour des sondes de gros calibre [43] en polyvinyle chloride (PVC), il pourrait être réduit par l’emploi de sondes fines en silicone ou en polyuréthane. La voie orale est utilisée en cas d’obstacle nasal ou de traumatisme facial [44].
Indications. Contre-indications
Les SNG sont communément utilisées pour la NE de courte et moyenne durées [45]. Le positionnement de la sonde au-delà de l’angle de Treitz permettrait une réduction significative du volume résiduel gastrique, et des apports nutritionnels supérieurs et plus rapides [39].
Il n’est pas démontré que le placement de la sonde en postpylorique réduise le risque d’inhalation de liquide nutritif ; certaines complications gastro-intestinales (régurgitation, vomissement, résidu gastrique élevé, distension abdominale) paraissent cependant moins fréquentes [46].
Les principales contre-indications sont représentées par l’obstruction oesophagienne, les traumatismes crâniofaciaux avec fracture de la base (risque de fausse-route). Les varices oesophagiennes sont une contre-indication relative, tout comme les diathèses hémorragiques et les thrombocytopénies.

Mise en place
Après avoir expliqué au patient la procédure, il faut lubrifier la narine et la sonde, puis insérer la sonde en la dirigeant postérieurement en suivant le plancher de la cavité nasale, et l’avancer jusque dans l’oropharynx. Si le patient peut collaborer, il facilite la descente de la sonde en avalant une gorgée d’eau.
Dans certains cas, il faut procéder à une pharyngoscopie après anesthésie locale ou sédation et guider la sonde avec une pince de Magill. L’extrémité distale de la sonde doit être située dans le fundus gastrique, sa position doit être vérifiée systématiquement : en effet, près de 20 % des sondes ne sont pas dans la position intragastrique attendue [47].
Pharyngostomie cervicale et oesophagostomie
En cas d’indication d’une NE de longue durée, c’est-à-dire de plus de 30 jours, la SNG n’est pas idéale en raison du risque de sinusite, et pour des raisons esthétiques, psychologiques, pratiques et de confort. Bien que décrites dans les années 1950, l’usage des pharyngostomies cervicales et des oesophagostomies est resté limité malgré l’absence de complications sérieuses [45].
La gastrostomie percutanée décrite ci-après les a largement supplantées.
Gastrostomie chirurgicale
En cas d’indication de nutrition artificielle de longue durée, la gastrostomie est une voie d’accès intéressante au tube digestif ; la technique chirurgicale est longtemps restée la seule méthode de mise en place. La procédure nécessite une anesthésie générale ou locale. La combinaison des risques anesthésique et opératoire, les complications (infections, éventrations, fuites...), ainsi que le coût de l’intervention, doivent être pris en considération chez des patients de réanimation en état critique ou atteints de pathologies chroniques. En pratique, la gastrostomie chirurgicale ne devrait être utilisée que si elle est planifiée en même temps qu’une laparotomie.
Gastrostomie percutanée endoscopique (GPE) ou radiologique
C’est actuellement la technique habituelle de mise en place d’une sonde de gastrostomie.
Indications. Contre-indications
On utilise surtout la GPE pour la nutrition de longue durée.
Les avantages principaux de la GPE sur la sonde nasale sont la diminution du risque de déplacement, la réduction des inhalations de liquide gastrique [44] et l’amélioration du confort des patients (aspect esthétique en particulier).
Les principales contre-indications liées à la technique sont représentées par l’ascite, l’hypertension portale avec varices oesophagiennes, gastriques ou duodénales, les antécédents de chirurgie gastrique, l’obstruction oesophagienne totale, la découverte d’une pathologie gastrique lors de la gastroscopie, les diathèses hémorragiques, les infections de la paroi abdominale.
Mise en place
Technique endoscopique. Le gastroscope est introduit sous sédation dans l’estomac, l’extrémité lumineuse du gastroscope est orientée vers la paroi abdominale antérieure, que l’on transillumine. Après une petite incision réalisée sous anesthésie locale, un cathéter court est introduit à travers la peau et le tissu sous-cutané dans l’estomac distendu : un fil ou un guide est passé à travers le cathéter et saisi avec une pince à biopsie passée dans le gastroscope ; sorti par la bouche, ce fil sert alors de guide pour emmener la sonde vers le bas et la positionner à travers l’orifice de gastrostomie. La sonde est fixée sur la paroi abdominale antérieure. La nutrition est habituellement commencée 24 heures après le placement de la GPE ; certains auteurs considèrent qu’un délai de 2 à 6 heures est suffisant. À la fin de la période de nutrition, l’ablation de la sonde se fait par voie rétrograde et nécessite une endoscopie.
Gastrostomie radiologique. Elle peut être une alternative intéressante à la GPE en cas de sténose oesophagienne, empêchant l’introduction d’un gastroscope [44].
Sous contrôle radiologique, sans endoscope, on perfore la paroi abdominale antérieure avec une aiguille et on place la sonde directement dans l’estomac.
Bouton de gastrostomie
En cas de nutrition gastrique définitive, les sondes peuvent être remplacées par un bouton de gastrostomie qui, en général, est placé dans une fistule bien cicatrisée après usage de GPE. On l’utilise essentiellement pour la nutrition gastrique intermittente.
Choix de la technique de gastrostomie
Aucune de ces techniques de pose n’a démontré de bénéfice évident sur les autres. Il n’y a pas de différence en termes de complication (25 %) entre gastrostomie chirurgicale et gastrostomie endoscopique, la gastroscopie radiologique semblant la meilleure [48] : infections ou hématome de paroi ; hémorragies ; désunion des cicatrices ; fuites autour de la sonde [49].
Entérostomies
Comme pour les gastrostomies conventionnelles, des duodénostomies et des jéjunostomies peuvent être confectionnéeschirurgicalement.
La technique de la jéjunostomie percutanée par cathéter transpariétal reste sous-utilisée.
Ces techniques doivent être envisagées lors de certaines interventions de chirurgie abdominale associées à un risque élevé d’iléus postopératoire prolongé (pancréatite aiguë grave, abcès intraabdominaux et rétropéritonéaux, chirurgie oesophagienne ou gastrique compliquée, chirurgie biliaire compliquée) ; chez ces patients, il est souhaitable de discuter avant l’intervention le type d’accès entéral nécessaire à la période postopératoire, en tenant compte des impératifs chirurgicaux et nutritionnels. Pour les jénunostomies percutanées, les indications spécifiques sont représentées par les gastroparésies et les tumeurs gastriques ou pancréatiques non réséquables.
Mode d’administration
La NE artificielle peut être administrée selon trois modes différents : nutrition intermittente, continue, ou continue cyclique.
Nutrition intermittente
Elle consiste en l’administration rapide de bolus de 200 à 300 ml à l’aide d’une seringue. Elle nécessite une motricité gastro-intestinale suffisante et expose le patient au risque de régurgitation. Elle est bien adaptée à des patients alertes et actifs, particulièrement lors de NE à domicile. Toutefois, lorsque le transit digestif est ralenti, on observe fréquemment une distension abdominale lors des repas amenant à une diminution de l’apport énergétique journalier. La nutrition intermittente semble offrir des avantages métaboliques en comparaison des techniques continues. Dans une étude effectuée chez des patients cancéreux subissant une intervention chirurgicale dans la région pharyngocervicale, la NE intermittente administrée à intervalles de 2 heures pendant 5 jours produit une meilleure balance azotée que la NE continue. De plus, les patients du groupe NE intermittente ont une thermogenèse plus basse, ce qui représente un avantage si l’on considère le rendement énergétique de la nutrition [50]. Toutefois, ces patients se plaignent plus souvent de distension abdominale.
Nutrition continue
Elle est utilisée lorsque le transit est insuffisant pour l’utilisation de la technique intermittente ; c’est la seule technique adaptée à la nutrition jéjunale, afin d’éviter les effets secondaires des bolus ou des solutions hyperosmolaires (augmentation des sécrétions jéjunales, accélération du transit et distension abdominale). Diverses études montrent l’avantage de cette technique chez les patients de soins intensifs, permettant en particulier d’administrer des quantités suffisantes d’énergie en condition d’atonie digestive [51, 52]. Une étude effectuée chez des patients âgés montre que la nutrition intragastrique continue diminue l’incidence et la gravité des complications de la NE, telles que diarrhées et inhalations bronchiques [53].
Nutrition entérale continue cyclique
Elle est administrée sur une partie des 24 heures seulement, généralement la nuit. Elle préserve mieux l’appétit chez les patients capables de s’alimenter per os et constitue la technique de choix chez ces derniers. Elle permet aussi de préserver l’ambulation diurne. En réanimation, la NE continue est préférable (meilleure stabilité glycémique, débit d’infusion inférieur), mais il est souvent utile d’effectuer l’administration sur 20 heures, l’interruption de 4 heures étant réservée à différents soins.
Matériel
Pompes
L’administration par gravité est la méthode la plus simple, mais le débit n’est jamais régulier, ce que certains patients tolèrent mal. De plus, la sédimentation des mélanges finit par gêner l’écoulement du mélange nutritif et contribue à une fréquence accrue des obstructions de sondes.
 Pour l’alimentation à débit continu, diverses pompes sont disponibles : elles sont en général produites par les compagnies industrielles de nutrition et proposées avec leurs produits. On dispose de pompes à vitesse fixe, dont le débit dépend avant tout du diamètre de la tubulure et de la viscosité du mélange nutritif, et de pompes à vitesse variable, qui assurent une large gamme de débits. Ces deux types de pompes sont généralement très robustes et de faible encombrement. Leur précision est de plus ou moins 10 % du débit réglé, elles sont calibrées pour de l’eau distillée et le débit varie avec la viscosité du mélange : en cas d’adjonction de suppléments sous forme de poudres à la solution d’origine, le débit diminue considérablement par augmentation de la viscosité ; la vérification du débit réellement délivré est importante. De gros efforts de miniaturisation ont abouti au développement de pompes portables pour les patients en NE à domicile. Elles sont en général à débit variable.
Les pompes réfrigérées assurant la conservation du mélange nutritif à 4 °C pendant 24 heures permettaient de réduire les risques de prolifération microbienne lors de l’utilisation de mélanges artisanaux. Ces systèmes ont l’inconvénient de l’encombrement et de leur coût élevé, et nécessitent le déconditionnement des produits industriels. Ils n’ont plus de raison d’être aujourd’hui.
Tubulures et sacs réservoirs
Parallèlement à l’évolution des pompes, des systèmes d’infusion comprenant un sac réservoir et une tubulure ont été développés. Il existe divers types de modèles de sacs réutilisables ou à usage unique et de prix variable. Les sacs réservoirs et les solutions nutritives doivent être manipulés de manière aseptique.Il faut éviter de garder les nutriments plus de 24 heures : ceux-ci sont des milieux de culture idéaux, favorisant une prolifération microbienne intense [45].Les produits industriels prêts à l’emploi sont stériles à leur ouverture, mais toutes lesétapes de préparation précédant l’administration au patient (branchement de tubulure, etc.) sont associées à un risque de contamination de ces solutions.
Les flacons de 500 et 1 000 ml directement utilisables pour la perfusion de NE, la tubulure se branchant dans le flacon, ont l’avantage d’éviter les manipulations et représentent la meilleure prévention des complications infectieuses (système clos).


Indications de la nutrition entérale


Indications générales
La durée maximale de jeûne tolérable sans conséquences cliniques dépend de nombreux facteurs, tels l’état nutritionnel, la nature et la gravité de la maladie, le niveau de dépense énergétique et de catabolisme, le contexte thérapeutique, en particulier la nécessité d’une intervention chirurgicale majeure ou la présence de maladies associées à une résistance à la nutrition. Chez les patients non dénutris, il est recommandé de ne pas excéder un jeûne de 7 jours. En cas de dénutrition antérieure ou d’agression sévère, ce délai doit être réduit [37, 54,55].
En fait, les données disponibles reposent souvent sur une base scientifique faible ou sont contradictoires.
 Si l’on considère par exemple une population à risque élevé de dénutrition rapide, tels les patients sévèrement traumatisés ou brûlés, de nombreuses études métaboliques démontrent l’importance de l’hypermétabolisme et du catabolisme tissulaire accéléré.
En revanche, la relation entre les altérations métaboliques et l’évolution clinique reste encore mal connue, de même que les effets de l’alimentation artificielle. En pratique, les patients doivent bénéficier d’une alimentation artificielle s’ils sont incapables d’absorber des apports nutritionnels appropriés dans les circonstances suivantes : apports nutritionnels insuffisants durant plus de 7 jours ; présence d’une dénutrition sévère (perte pondérale d’au moins 10 %). Le contexte clinique précise les indications et le délai de mise en route de l’alimentation artificielle. La présence d’affections associées à une dénutrition rapide devrait raccourcir ce délai, alors qu’en présence d’affections altérant peu l’état de nutrition il est possible de prolonger le délai de renutrition chez le sujet non préalablement dénutri.
Indications particulières
Nutrition entérale précoce en période postopératoire et en réanimation
La possibilité d’utiliser sans délai la voie digestive pour la nutrition lors de traumatisme ou même lors de chirurgie intraabdominale est largement documentée.
Polytraumatisés et brûlés graves
Chez des patients souffrant de traumatismes ou de brûlures graves, plusieurs études effectuées au cours de la dernière décennie suggèrent que la nutrition entérale précoce (NEP), c’est-à-dire commencée dans les premières 24 heures, pourrait influencer favorablement
l’évolution clinique en réduisant l’incidence des infections nosocomiales.Une méta-analyse publiée en 1992 rassemble les résultats de huit études randomisées comparant l’effet de la NEP et de la nutrition parentérale chez 230 patients chirurgicaux subissant des interventions chirurgicales à haut risque [56] :
l’incidence des complications infectieuses abdominales et pulmonaires est réduite, mais la mortalité n’est pas modifiée. La NEP par jéjunostomie et la NP sont comparées chez 98 patients souffrant de traumatismes sévères nécessitant une laparotomie [51] : chez les patients recevant une NEP, on observe moins d’infections pulmonaires et intra-abdominales que dans le groupe recevant la nutrition par voie parentérale, ainsi qu’une réduction du nombre total d’infections par patient. En revanche, ni la mortalité, ni la durée de séjour ne sont influencées par le mode de nutrition.
L’étude montre également que seuls les patients le plus sévèrement blessés (injury severity score supérieur à 20) bénéficient de la NEP. Ces résultats, confirmés par d’autres études, semblent liés aux effets digestifs et immunitaires de la NE : effet trophique sur la muqueuse et maintien de son intégrité, préservation de la fonction immunologique du grêle.
Une réduction de la translocation digestive de bactéries et de toxines, démontrable chez l’animal, ne semble pas jouer chez l’homme un rôle prépondérant.
L’enthousiasme initial pour la NEP doit être tempéré aujourd’hui par la fréquence de ses complications chez les patients les plus graves, même si elle reste techniquement possible [52] : ces patients présentent souvent une gastroparésie et des troubles de la motricité intestinale (rôle des thérapeutiques sédatives, descatécholamines...) et la NE est responsable d’un inconfort digestif fréquent et de complications pulmonaires qui peuvent augmenter la morbidité et la mortalité [38] ; par ailleurs, les difficultés d’administration font que l’objectif nutritionnel souhaité n’est atteint que chez 22 % des patients, contre 75 % avec la nutrition parentérale [57]. Il paraît donc raisonnable, chez les patients les plus graves, d’utiliser de façon associée NE et NP, en fonction de la tolérance du patient : si la NE s’avère difficile ou mal tolérée, en particulier les premiers jours, la nutrition parentérale doit rester le premier choix, seule ou associée à un apport entéral minime, jusqu’à ce que l’amélioration de la condition du patient permette de reprendre une nutrition entérale totale.
Chirurgie réglée
Les résultats des études sur la NEP sont assez contrastés : les coûts sont inférieurs à ceux d’une NP [58], mais les bénéfices en termes de durée de séjour et de morbidité sont très variables selon des auteurs [56, 59, 60]. Une méta-analyse portant sur 837 patients met en évidence une réduction des complications septiques sans modification significative de la mortalité, des ;désunions anastomotiques et des complications intra-abdominales [61]. Compte tenu de la fréquence de l’inconfort digestif et du risque de complications, la NEP, en chirurgie digestive, ne peut donc être conseillée en routine que si l’équipe soignante est parfaitement motivée et entraînée à sa surveillance. Dans tous les autres cas, il paraît prudent de conserver la règle classique de commencer la NE dès la reprise clinique de la motricité digestive.
C’est en pratique surtout la chirurgie susmésocolique et ses suites qui sont concernées, la NE étant administrée par jéjunostomie ou sonde nasojéjunale mise en place en peropératoire ; en effet, les recommandations actuelles en chirurgie colique vont plutôt à une réalimentation orale progressive dès le lendemain de l’intervention, sous réserve de sa tolérance immédiate [62], en particulier dans le cadre d’une prise en charge multimodale du stress périopératoire [63]. En chirurgie extradigestive, le bénéfice d’un apport nutritionnel oral ou entéral est possible, mais reste controversé à la lumière d’une récente méta-analyse regroupant 18 études randomisées réalisées chez des personnes âgées atteintes d’une fracture de hanche [64].
Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin
La place des thérapeutiques nutritionnelles est différente dans la rectocolite
hémorragique et dans la maladie de Crohn.
 Au cours de la rectocolite hémorragique, aucune étude n’a démontré l’intérêt d’un support nutritionnel par voie entérale ou parentérale. Le traitement de référence reste la corticothérapie associée à un arrêt des apports par voie orale.
En l’absence d’amélioration rapide, une intervention chirurgicale doit être envisagée.
Au cours de la maladie de Crohn, la situation est différente.
Avant le développement de l’infliximab (Remicade®), les principales indications de la NE étaient la dénutrition et les formes résistantes aux corticoïdes. Actuellement, c’est l’infliximab qui représente le premier choix thérapeutique, la NE étant réservée aux cas de contre-indications, inefficacité de ce produit ou intolérance.
Poussées aiguës de maladie de Crohn
La NE n’a pas de place en traitement de première intention.
Deux méta-analyses [65, 66] ont montré que les corticoïdes sont plus efficaces que la NE et plus simples à utiliser, permettantd’obtenir une rémission dans 60 à 83 % des cas indépendamment de la localisation des lésions. Le taux de rémission global est identique pour les mélanges élémentaires et pour les mélanges non élémentaires (petits peptides et polymériques), la seule différence observée dans certaines études étant un délai d’action plus bref des mélanges élémentaires [67].L’indication de la NE ne se discute donc théoriquement que dans les formes corticorésistantes et corticodépendantes. Dans les maladies de Crohn corticodépendantes, la nutrition artificielle n’est indiquée que dans un nombre limité de cas, lorsque les immunosuppresseurs sont contre-indiqués ou mal tolérés, ou s’il existe un retentissement nutritionnel important.
La corticorésistance est une situation beaucoup plus grave qui correspond à l’absence d’amélioration clinique après une cure de corticothérapie adéquate. Cette situation constitue l’indication privilégiée de la nutrition artificielle en cas d’impossibilité d’emploi de l’infliximab. Le choix entre NE et NP totale dépend des habitudes de chaque équipe, la fréquence des rémissions étant la même. Quels que soient l’indication, le traitement de première intention et la forme (corticodépendante ou corticorésistante), la NE ne semble pas modifier l’histoire naturelle de la maladie de Crohn, avec un taux élevé de rechutes à 1 an : 65 % versus 67 % après traitement corticoïde [66].
Formes compliquées de maladie de Crohn
Trois complications principales peuvent justifier l’utilisation d’une nutrition artificielle au cours de l’évolution d’une maladie de Crohn : les fistules, les sténoses et les syndromes du grêle court (cf. infra). En cas de syndrome occlusif ou subocclusif, après avoir éliminé une occlusion sur bride, de traitement toujours chirurgical, la nutrition artificielle réalisée par voie parentérale plutôt qu’entérale peut permettre d’obtenir une amélioration malheureusement souvent transitoire. En l’absence d’amélioration rapide ou devant la survenue à court terme d’une récidive, l’indication d’un traitement chirurgical doit être posée. L’utilisation de la nutrition artificielle en période préopératoire pourrait avoir une influence sur le pronostic en améliorant l’état nutritionnel et en permettant pour certains de réduire la longueur de grêle réséqué, mais ce fait est discuté [68].
La fermeture spontanée des fistules est variable (de 6 à 75 %) selon les études et le délai de surveillance. La nutrition artificielle peut permettre la fermeture de fistules récentes, notamment en postopératoire, mais les réouvertures précoces sont fréquentes. Les fistules anopérinéales ne sont pas améliorées par la nutrition artificielle, ou de façon très transitoire.
Résections du grêle
La nutrition artificielle n’est indiquée que dans les résections étendues du grêle. La prise en charge des malades comprend trois phases successives :
• la phase postopératoire immédiate ;
• la phase dite d’adaptation ;
• la phase d’équilibre ou séquellaire.
Phase postopératoire immédiate
Elle correspond à la réanimation des malades qui impose l’utilisation d’une voie veineuse centrale pour assurer les apports hydroélectrolytiques. L’utilisation précoce de la voie digestive pourrait faciliter les phénomènes d’adaptation et limiter les complications infectieuses [25].
Phase d’« adaptation »
Elle dure plusieurs mois (de 6 à 12 mois).Bien démontrée chez l’animal et l’enfant, l’adaptation du grêle après résection est beaucoup plus controversée chez l’adulte [69]. Il est logique de privilégier à cette phase l’utilisation de la voie entérale pour essayer de stimuler le processus d’adaptation. L’objectif est de sevrer progressivement le malade de l’alimentation parentérale et de reprendre une alimentation par voie orale pour tenter d’obtenir une « autonomie nutritionnelle » par voie digestive (orale ± entérale). Dans cette indication, les mélanges semiélémentaires et polymériques ont une efficacité similaire.
Phase d’équilibre
Le facteur limitant le sevrage de la NP et l’autonomie des patients est plus souvent l’équilibration hydroélectrolytique que l’équilibre nutritionnel, notamment en cas de résection colique associée.
Les patients ayant moins de 50 cm de jéjunum restent souvent dépendants d’une NP à domicile. Chez certains malades, le sevrage de la NP peut être obtenu grâce à la poursuite d’une NE discontinue nocturne à domicile.
Nutrition entérale et insuffisance respiratoire chronique
Les patients atteints d’une insuffisance respiratoire chronique sont habituellement
dénutris en raison d’une diminution de leurs apports alimentaires et surtout d’une demande énergétique accrue.
Au cours d’une décompensation aiguë de l’insuffisance respiratoire chronique, les besoins énergétiques, mesurés par calorimétrie indirecte, sont compris entre 1,3 et 1,5 fois le métabolisme de base. Des apports hypercaloriques supérieurs à 2 200 kcal, en grande majorité glucidiques, sont responsables d’effets ventilatoires délétères. En effet, de tels apports entraînent une production excessive de gaz carbonique à l’origine d’une hypercapnie chez des patients insuffisants respiratoires en cours de sevrage de la ventilation mécanique, incapables d’augmenter leur ventilation par minute. Afin de limiter l’augmentation de la V CO2 ainsi induite, il a été recommandé de fournir de 55 à 60 % de l’apport énergétique total sous forme de lipides : de tels apports permettent de réduire la V CO2 d’environ 20 % et de réduire la pression partielle artérielle en CO2 d’une dizaine de millimètres de mercure chez les patients sous ventilation artificielle ; chez des patients ventilés pour diverses causes d’insuffisance respiratoire aiguë, ils permettent de réduire significativement la durée du sevrage [70].
En fait, lorsque l’apport énergétique total est voisin de la dépense énergétique mesurée, les conséquences du rapport calories glucidiques/calories lipidiques sur la production de gaz carbonique sont plus discutées [27, 28]. Il faut donc fournir des apports caloriques adéquats, en évitant sans doute un excès d’apport glucidique.
La NE est la voie d’apport privilégiée chez ces patients, mais la tolérance digestive d’apports caloriques élevés, parfois médiocre, peut nécessiter le recours à une NP de complément.
La stratégie nutritionnelle idéale chez les patients porteurs d’une bronchopneumopathie chronique obstructive décompensée et ventilés au masque reste à préciser [71].


Nutrition entérale et insuffisance rénale aiguë
L’insuffisance rénale aiguë, qui survient le plus souvent chez des patients
déjàsévèrement agressés, s’accompagne d’un hypercatabolisme protéique,
d’unhypermétabolisme et d’une diminution de l’apport de substrats nutritionnels,
variables selon le type et l’intensité de l’agression responsable.Les techniques
d’épuration, indispensables à la survie, entraînent une majoration de pertes en
macronutriments, micronutriments et électrolytes, pertes particulièrement importantes avec des techniques d’hémofiltration continue (continuous veno-venous hemofiltration [CVVH], continuous veno-venous hemodialysis [CVVHD]) très utilisées actuellement dans les unités de réanimation ; il est possible par ailleurs que ces techniques contribuent à une majoration de la protéolyse, par des réactions inflammatoires induites [72].
Un support nutritionnel efficace est donc indispensable chez ces patients : les besoins énergétiques, variables selon l’état clinique, sont habituellement compris entre 25 et 35 kcal/kg/j, l’apport azoté recommandé entre 0,55 et 1,8 g N.kg–1.j–1[37,72], et même jusqu’à 2,5 g N.kg–1.j–1 pour certains [73].
Les pertes électrolytiques et en micronutriments nécessitent des apports importants, par exemple 59 mmol de calcium et 20 mmol de magnésium par jour en CVVH [74], une surveillance rapprochée permettant d’éviter tout déficit et tout excès.
La NE, comme toujours, doit être privilégiée lorsque le tube digestif est fonctionnel et débutée au plus tôt. Cependant, compte tenu de la gravité des patients, sa tolérance est souvent médiocre, et ses difficultés d’administration font que l’objectif nutritionnel est rarement atteint par la seule nutrition entérale.
Il faut donc le plus souvent associer NE et NP, en assurant autant que possible une NE même minime jusqu’à ce que l’amélioration des conditions cliniques permette de reprendre une NE totale.
Nutrition entérale et pancréatite aiguë
Au cours de la pancréatite aiguë nécrosante grave, les perturbations métaboliques et hormonales sont comparables à celles observées dans les états d’agression aiguë ou dans les états septiques sévères. Les buts de l’assistance nutritionnelle sont donc les mêmes et les apports sont comparables. La grande variabilité des dépenses énergétiques justifie leur mesure par calorimétrie indirecte chaque fois que cela est possible. Le plus souvent, un apport de 1,2 à 1,4 fois la dépense énergétique de base suffit à couvrir les besoins. Les glucides fournissent de 60 à 70 % des besoins énergétiques non protéiques, sous surveillance stricte de la régulation glycémique, les lipides couvrant les 30 à 40 % restants. L’utilisation des lipides dans la pancréatite aiguë a longtemps été discutée, mais en réalité les lipides peuvent être utilisés sans risque à condition de respecter certaines contre-indications : hypertriglycéridémie spontanée, primitive ou secondaire à la pancréatite, apparition d’unehypertriglycéridémie au décours d’une perfusion. L’apport se fait essentiellement avec des TCM, absorbés sans intervention de la lipase pancréatique et qui n’augmentent pas les sécrétions pancréatiques. La perte azotée intense peut justifier un apport allant jusqu’à 2 g N.kg–1.j–1 pour tenter de maintenir un bilan azoté positif. Un apport en vitamines et oligoéléments doit être assuré dès le début de l’assistance nutritionnelle.
Le bénéfice d’une assistance nutritionnelle est démontré pourles pancréatites aiguës nécrosantes ayant un indice de Ranson supérieur à trois à la quarante-huitième heure. La NP est classiquement indiquée en phase aiguë, malgré un risque significatif de complications infectieuses, la NE étant administrée secondairement, préférentiellement en site jéjunal.
Plusieurs études récentes confirmant des études expérimentales établissent l’intérêt de la NE administrée dès la quarantehuitième heure par sonde nasojéjunale [75-79] : sans intérêt dans les formes modérées, la NE n’aggrave pas l’évolution de la pancréatite car elle n’augmente pas le débit des sécrétions, et s’accompagne d’un risque inférieur de complications, infectieuses en particulier, d’une amélioration plus rapide des index de sévérité et d’un coût très inférieur. En l’absence d’iléus important, la NE est actuellement recommandée dans les formes sévères, les produits semi-élémentaires et la voie jéjunale étant privilégiés [80].
Nutrition entérale et fistules entérocutanées
Les fistules digestives externes surviennent le plus souvent dans un contexte postopératoire ; les fistules spontanées sont plus rares, compliquant une affection carcinologique, une irradiation ou une maladie inflammatoire intestinale.
Malgré de nombreux progrès, leur mortalité reste élevée, supérieure à 15 % [81, 82]. Leur prise en charge a pour objectifs la fermeture de la fistule et le rétablissement de la continuité intestinale. Les priorités sont représentées par la correction des désordres hydroélectrolytiques et acidobasiques, le contrôle de l’infection et le drainage des abcès souvent associés, la mise au repos du tube digestif par aspiration gastrique et/ou antisécrétoires gastriques, intestinaux et pancréatiques, le drainage, l’appareillage correct de la fistule et la protection de la peau. Le support nutritionnel joue un rôle essentiel en évitant la survenue d’une dénutrition, voire en la corrigeant, tout enmaintenant le repos digestif. La NP comme la NE ont leurs adeptes, compte tenu des expériences des équipes, et des avantages et inconvénients propres à chaque technique.
 En fonction de ces considérations et du rôle possible d’augmentation du débit de certaines fistules par la NE, on peut proposer la NE par SNG en première intention dans les fistules coliques ou iléales à faible débit, et dans les fistules
susmésocoliques (oesophage, estomac, duodénum), si un abord jéjunal est possible.
La NP paraît en revanche préférable dans les fistules jéjunales ou iléales hautes à fort débit, et dans les fistules susmésocoliques lorsqu’un apport jéjunal n’est pas possible [83].
Enfin, une cure chirurgicale de la fistule s’impose en l’absence de guérison après 30 à 40 jours, parfois plus tôt si les conditions anatomiques semblent défavorables à une fermeture spontanée, tout en maintenant la même assistance nutritionnelle
et métabolique [81].
Nutrition entérale à domicile
Elle permet, en évitant l’hospitalisation, une meilleure prise en charge des patients dans leur environnement habituel et une réduction des coûts. Ses principales indications sont représentées par les affections neurologiques avec troubles de la déglutition (dans ce groupe sont inclus les sujets âgés) et les malades cancéreux (sphère
 otorhino- laryngologique [ORL], oesophage...) ayant un tube digestif fonctionnel.En dehors de ces deux situations, l’indication de la NE à domicile est plus rare :pathologies digestives, séquelles de chirurgie ORL ou de radiothérapie, états de dénutrition chronique de causes variées.
Le vieillissement de la population entraîne une augmentation des indications de la nutrition à domicile en gériatrie, que celle-ci soit réalisée au domicile du patient ou en institution. L’indication peut cependant poser des problèmes éthiques dans cette population, notamment chez les déments grabataires, d’autant que le bénéfice n’est pas clairement démontré [84].
Le choix de la voie d’administration dépend de la durée prévisible de la nutrition artificielle. La SNG est la technique la plus appropriée pour une durée de moins de 3 mois ou si le pronostic est mauvais à court terme. Dans les autres cas, la GPE est la technique de choix.
Dans la très grande majorité des cas, ces malades ont un grêle sain et peuvent recevoir un mélange polymérique. L’utilisation de présentations en drips prêts à l’emploi facilite les manipulations.
La prise en charge de la NE à domicile est actuellement assurée en France dans le cadre de l’arrêté du 20 septembre 2000, sur la base de forfaits hebdomadaires, après une première consultation dans un service spécialisé dans la prise en charge nutritionnelle. Un suivi et une surveillance régulière sont prévus dans le forfait, de même que l’éducation du patient et de ses proches.
Le succès de la NE à domicile nécessite une parfaite organisation de la prise en charge initiale à l’hôpital et une bonne coordination entre les différents intervenants : entourage familial, médecins et infirmières libéraux, organismes d’assistance à domicile, pharmaciens et centre de référence.


Complications de la nutrition entérale






Les complications de la NE sont nombreuses, souvent bénignes et habituellement évitées par une technique correcte ; certaines sont cependant graves.
On distingue les complications mécaniques, liées à la technique d’abord du tractus digestif, de celles résultant de l’apport des nutriments eux-mêmes.
Leur éventualité justifie une surveillance étroite afin de les prévenir ou de les dépister précocement.
Complications mécaniques, liées à la sonde elle-même
Complications liées à la mise en place de la sonde gastrique
La mise en place de la sonde peut être à l’origine de complications graves, notamment lorsque l’intubation oesophagienne a été difficile ou traumatisante. Celles-ci surviennent surtout chez les patients peu coopérants, agités, n’ayant plus de réflexe de toux ou de déglutition, ou comateux.
Une mauvaise position de la sonde peut être immédiate (malposition lors de la mise en place) ou plus tardive à l’occasion d’un déplacement secondaire.
L’extrémité de la sonde peut ainsi se situer dans l’oesophage, exposant au risque de vomissements et d’inhalation bronchique lors de l’infusion du mélange nutritif, ou dans le duodénum ou même le jéjunum, pouvant expliquer certaines diarrhées osmotiques. La fréquence des fausses-routes bronchiques, habituellement dans la bronche souche droite, est estimée dans la littérature de 0,5 à 1,5 % [24, 85].Le diagnostic de cette fausse-route, qui peut survenir même en cas d’intubation trachéale avec ballonnet gonflé, peut être retardé de quelques heures, jusqu’à l’apparition de
complications respiratoires préoccupantes liées à l’instillation intrabronchique
du mélange nutritif ; le retrait immédiat de la sonde, une antibiothérapie adéquate et une surveillance prolongée s’imposent, d’autant qu’un abcès peut survenir secondairement.
Le passage nasopharyngé peut entraîner des hémorragies importantes. Une hémorragie par érosion ou rupture de varices oesophagiennes lors du passage d’une sonde de gros calibre et rigide est rare. Les patients porteurs de cette pathologie ne doivent être intubés qu’avec des sondes de petit calibre, souples et bien lubrifiées.
La perforation intempestive de l’oesophage et de la plèvre peut survenir, même en cas d’utilisation de sondes lestées, sans pour autant que l’introduction ait été brutale [24, 86]. La survenue d’un pneumothorax par embrochage pleural peut se compliquer d’un épanchement après instillation de soluté dans la plèvre. Une perforation de la lame criblée de l’ethmoïde avec passage intracrânien a plus exceptionnellement été décrite chez des malades porteurs d’une fracture de la base du crâne [87].
La mise en place de la sonde doit donc être effectuée par des personnes entraînées, sans geste brusque, et sa bonne position doit impérativement être vérifiée par une radiographie avant la mise en place de la nutrition artificielle [88].
OEsophagites
Une endoscopie systématique peut mettre en évidence une oesophagite chez 50 à 60 % des patients porteurs d’une sonde gastrique au terme de 10 jours de réanimation [89]. Elle se manifeste assez souvent au début par un hoquet persistant et peut être responsable d’une hémorragie, peu fréquente et rarement abondante. Le diagnostic repose sur la fibroscopie qui objective le stade de l’atteinte oesophagienne. Par analogie avec le traitement classique des oesophagites, un traitement par inhibiteur de la pompe à protons est préconisé en cas de lésions au moins de stade 2 de la classification de Miller et Savary [89] ; cependant, aucune étude n’en a démontré le bien-fondé dans le cas précis des oesophagites sur sonde en réanimation.
La présence d’une sonde gastrique crée les conditions théoriques d’un reflux gastro-oesophagien, d’une part en favorisant la béance cardiale, d’autre part en déprimant le tonus du sphincter inférieur de l’oesophage.
De plus, elle modifie le péristaltisme gastrique et ralentit l’évacuation gastrique.
Cependant, le rôle de la sonde n’est pas exclusif, le reflux gastro-oesophagien et l’infection étant les autres facteurs étiologiques principaux. Les sondes en PVC, plus traumatisantes, doivent être abandonnées au profit de celles en silicone ou polyuréthane dont la supériorité a été prouvée [90] ; aucune étude n’a formellement démontré la supériorité des sondes en silicone, dont le coût est élevé, sur celles en polyuréthane chez des patients de réanimation. En revanche, la position semi-assise, à 45°, est recommandée car elle diminue l’incidence du reflux gastro-oesophagien, bien que ne le prévenant pas totalement [91].
Gastrites et ulcérations gastriques
Le rôle propre de la sonde gastrique dans la survenue des gastrites et ulcérations gastriques diffuses, dites de stress, reste mal élucidé.
Une étude expérimentale a démontré que celles-ci n’apparaissaient pas lorsque la sonde gastrique était remplacée par une gastrostomie et que le bilan azoté était positif [89]. Enoutre, ces lésions, dont la fréquence varie selon la population étudiée, sont presque toujours asymptomatiques. La survenue d’une hémorragie digestive, qui peut en être la conséquence, a quasiment disparu chez les patients bénéficiant d’une NEP, puisque son incidence n’était que de 0,8 % dans une étude datant de plus de 20 ans [92].
Autres complications liées au maintien de la sonde
Retrait inopiné ou déplacement secondaire de la sonde gastrique
Il survient dans 50 à 70 % des cas, sans différence significative, en fonction du caractère lesté ou non de la sonde [24, 45].

Ce retrait est provoqué neuf fois sur dix par le patient luimême, notamment en cas d’agitation ou de confusion, plus rarement par le personnel soignant lors des soins. Ce risque, identique que la voie d’abord soit nasale ou buccale (expérience personnelle), est plus fréquent avec les sondes de petit calibre.
Il n’est pas significativement diminué par le positionnement postpylorique de la sonde [92]. Sa complication la plus grave est l’inhalation de liquide nutritif.
Lésions nasales
Elle associent une irritation, une érosion douloureuse, voire une escarre de l’aile du nez qui doivent être prévenues par des soins locaux attentifs [91].
Toute traction intempestive sur la sonde peut provoquer une compression de la cloison nasale responsable de douleurs, d’infection, d’hémorragie, voire de déformations locales. L’occlusion de l’ostium du sinus maxillaire peut provoquer une sinusite qui se résorbe après le retrait définitif de la sonde ou son repositionnement par voie buccale.
Manifestations pharyngolaryngées
La présence de la sonde peut être à l’origine de diverses manifestations
pharyngolaryngées, allant de la simple irritation traduite par une sensation de désagrément, rarement une douleur vraie, jusqu’à une dysphonie nécessitant le remplacement de la sonde par une autre du plus petit calibre possible.
Fistule trachéo-oesophagienne
Elle est rarissime, survenant chez un patient porteur par ailleurs d’une sonde d’intubation trachéale.
La fistule ellemême est la conséquence d’une pression excessive sur la muqueuse oesophagienne comprimée également par la sonde trachéale.Une telle complication requiert la mise en place d’une gastrostomie ou d’une jéjunostomie d’alimentation jusqu’au tarissement de la fistule [24] ; une intervention chirurgicale par thoracotomie est parfois nécessaire.
Occlusion de la sonde
Elle relève de plusieurs mécanismes : comprimés insuffisamment broyés, mélanges nutritifs comportant des particules de+ caséine intactes, faible calibre de la sonde et surtout défaut de rinçage. Elle est significativement plus fréquente en cas de nutrition continue [53]. L’occlusion d’une sonde de calibre 8F survient significativement plus fréquemment en cas d’aspiration régulière du résidu gastrique, pratique qui réduit le risque de régurgitation importante, mais qui mérite d’être discutée, tout au moins à un rythme élevé (toutes les 4 heures) en l’absence de signe d’intolérance digestive de la NE. En revanche, le rinçage de la sonde toutes les 8 heures avec 20 ml d’eau semble efficace pour maintenir celle-ci perméable et doit être recommandé [91].




Complications des gastrostomies et jéjunostomies
Gastrostomie percutanée sous fibroscopie
C’est une procédure simple et bien codifiée. Ses complications sont cependant aussi fréquentes que celles de la gastrostomie chirurgicale, de l’ordre de 25 % [93] :fuite au site de ponction cutanée, infection du site de gastrostomie,nécrose pariétale abdominale, péritonite localisée, perforation colique ou gastrique, occlusion du tube nécessitant son remplacement [44, 51].
Des cas exceptionnels de fasciite nécrosante et de péritonite ont aussi été décrits. La fréquence des pneumopathies d’inhalation est, selon les études, soit inférieure, soit égale à celle observée avec la SNG [94].
Jéjunostomie percutanée ou chirurgicale
Elle expose à diverses complications, dont la fréquence est estimée entre 1 et 2 % [24, 94] :
• à l’insertion cutanée du cathéter, une irritation souvent liée à la fuite de soluté, pouvant se compliquer elle-même d’une infection sous-cutanée ;
• le déplacement inopiné du cathéter par mauvaise fixation à la peau ou par arrachage intempestif par inadvertance ou en cas d’agitation ;
• une fuite du soluté dans la cavité péritonéale ; la bonne position du cathéter est vérifiée par une injection de produit de contraste hydrosoluble ;
• une occlusion du cathéter ;
• des complications intestinales, rares, à type d’obstruction, de volvulus, de perforation, justifiant l’arrêt de la NE, et le remplacement de la sonde à l’occasion d’une intervention chirurgicale.
Complications pulmonaires et générales
Pneumonies d’inhalation
La fréquence des pneumopathies d’inhalation varie selon la population étudiée et les critères diagnostiques utilisés : de moins de 1 % dans la population générale, jusqu’à 22 % chez des patients de réanimation [46, 95]. Complications graves de la NE, elles surviennent habituellement dans les 2 premières semaines d’une nutrition au long cours [94]. Elles se présentent sous la forme de toux, d’une dyspnée ou d’une désadaptation au respirateur dont la survenue brutale et inexpliquée doit faire évoquer une inhalation de liquide gastrique.Le diagnostic est porté sur la conjonction de la dyspnée, d’une fièvre rapidement croissante inexpliquée par ailleurs, d’anomalies localisées à la radiographie pulmonaire ; une réaction positive au glucose par bandelette réactive dans le liquide d’aspiration pulmonaire est inconstante ;
la coloration des aspirations trachéobronchiques par du bleu de méthylène instillé dans la sonde gastrique signe la régurgitation du soluté et son passage dans les bronches ; le diagnostic microbiologique est confirmé, si besoin, par un prélèvement bronchique protégé. Le traitement associe une antibiothérapie efficace contre les germes aérobies et anaérobies,l’interruption provisoire de l’instillation du soluté, la vérification de l’étanchéité du ballonnet de la sonde d’intubation ou de trachéotomie, la correction des troubles de l’hématose et la mise du patient en position semi-assise.
Le risque de survenue d’une pneumopathie d’inhalation est plus important chez les patients sous sédation profonde, n’ayant plus de réflexes de déglutition ou de toux, lors de l’utilisation d’une sonde de gros calibre majorant la béance du sphincter inférieur de l’oesophage, chez les patients porteurs de pathologies dans lesquelles le rythme de vidange gastrique est ralenti, telles que suites de chirurgie viscérale,
traumatisme crânien, coma hépatique, myxoedème, malnutrition, ainsi que chez ceux recevant de nombreux médicaments, comme les opiacés, les anticholinergiques et les bêtabloquants [24, 96]. LaNE, comme l’utilisation de médicaments (antiacides, inhibiteurs de la pompe à protons), modifie le pH gastrique et favorise la colonisation à contre-courant du liquide gastrique, normalement stérile, par des germes du tube digestif [97].
La fréquence des pneumopathies d’inhalation est diversement appréciée selon la position gastrique ou postpylorique de la sonde : absence de différence significative [98] ou tendance à une moindre fréquence lorsque la sonde est en position jéjunale [99].
Le caractère continu ou intermittent de la NE ne semble pas avoir d’incidence significative sur la fréquence de ces pneumopathies [53]. En réanimation, le risque d’inhalation est particulièrement élevé après l’intubation en raison d’une sédation résiduelle et de la persistance de troubles de la vidange gastrique et de la déglutition [97].
Les mesures de prévention de cette complication souvent mortelle sont essentielles : position semi-assise systématique, débit d’instillation du soluté constant sans injection de bolus important, vérification pluriquotidienne de l’absence de résidu gastrique supérieur à 150 ml chez les patients à risque [91]. Contamination bactérienne des solutés nutritifs
 Une telle éventualité, fréquente autrefois du fait de l’utilisation de préparations
artisanales ou de reconstitution de produits donnant lieu à de multiples manipulations, est devenue bien plus exceptionnelle. Le risque persiste néanmoins et l’infection des nutriments administrés peut, exceptionnellement, être responsable de diarrhées : on trouve alors les mêmes germes dans les coprocultures et dans les solutés instillés. On estime que la contamination bactérienne des nutriments est significative si elle dépasse 102 germes par millilitre pour certains auteurs [24], 105 pour d’autres [97]. Elle peut survenir à n’importe quel temps de la manipulation ou de l’administration par faute d’asepsie, la culture pratiquée sur le personnel soignant retrouvant fréquemment les mêmes germes que ceux présents dans le soluté [97]. La stagnation du soluté à la température ambiante favorise une croissance bactérienne rapide en quelques heures.
Elle peut être responsable d’une colonisation de l’estomac, notamment chez les patients recevant des médicaments modifiantle pH gastrique, à l’origine de celle de l’arbre trachéobronchique en cas d’épisodes de régurgitation.Dans certains cas,
sa responsabilité a été prouvée dans des syndromes infectieux sévères, digestifs à type de gastroentérite, respiratoires consécutifs à des épisodes de régurgitations, voire généralisés à l’occasion du passage des germes dans le sang [24].
L’emploi de produits industriels stériles prêts à l’emploi sans manipulation, l’utilisation préférentielle de flacons clos avec tubulures d’instillation raccordées directement sur la sonde gastrique, l’abandon des Nutripompes® même réfrigérées qui nécessitent le déconditionnement et la manipulation de produits initialement stériles, des manipulations aseptiques des raccords de tubulures pour toute injection de médicaments, ont rendu ce type de contamination exceptionnel aujourd’hui.
Complications digestives
Nausées et vomissements, flatulences, crampes et météorisme abdominaux
Ces symptômes, relevés avec une fréquence très variable selon les populations étudiées de 1,5 % [92] à 52 % des cas [46, 95], sont d’origine multifactorielle. Traduisant une intolérance digestive haute, ils représentent les complications les plus fréquentes de la NE en réanimation. La motricité gastrique est fréquemment altérée chez les patients de réanimation, en particulier lors de l’emploi de curares, d’opiacés, de catécholamines ou en présence de troubles hydroélectrolytiques tels que hypokaliémie et hypomagnésémie [38, 97]. En dehors de la réanimation, une vitesse d’administration excessive (bolus en particulier) ou une mauvaise position de la sonde (duodénale ou jéjunale) peuvent aussi être en cause alors que le rôle de l’osmolarité des solutions administrées paraît négligeable [97].
La surveillance de cette intolérance digestive haute et la prévention de ses complications (vomissements, inhalation du liquide digestif et pneumopathie, arrachement de la sonde, troubles hydroélectrolytiques) repose sur la mesure régulière du volume résiduel gastrique et sur l’emploi de prokinétiques : l’érythromycine par voie intraveineuse à la dose de 3 mg.kg–1 en 30 minutes, trois à quatre fois par jour, facilite la vidange gastrique ; le métoclopramide, par voie intraveineuse (10 mg) ou en solution buvable, améliore la coordination antro-pyloroduodénale [91, 97].
Diarrhée
La diarrhée demeure la plus fréquente des complications digestives de la NE, survenant avec une fréquence très variable, de 2,3 à 50 % [97], probablement en raison de l’absence de définition unique. Elle se définit communément par l’émission de plus de trois selles molles ou liquides par jour.
Erreurs techniques
Il convient en premier lieu d’éliminer une erreur technique telle que l’administration d’un bolus de gros volume, d’une charge calorique trop importante ou d’un débit d’infusion trop rapide. Ces erreurs peuvent être à l’origine d’un véritable dumping syndrome lorsque l’instillation a lieu directement dans le duodénum ou le jéjunum. L’utilisation d’une pompe régulatrice de débit, indispensable en cas de positionnement jéjunal d’une sonde, réduit significativement la fréquence de la diarrhée.
Il faut ensuite en diagnostiquer la cause précise, principalement d’origine infectieuse, nutritionnelle ou médicamenteuse.
Diarrhée d’origine infectieuse
Deux mécanismes intriqués rendent compte de cette origine : l’apport de germes pathogènes dont la fréquence a beaucoup diminué avec les techniques modernes de NE, et le déséquilibre de la flore intestinale. Cependant, la sensibilité du tube digestif à l’agression bactérienne est étroitement dépendante du degré d’immunodépression ou de dénutrition du malade.Les germes pathogènes le plus souvent responsables de diarrhées sont les entérobactéries, les levures et les staphylocoques.
Leur développement est favorisé par les modifications de l’acidité et du péristaltisme gastrique, d’origine pathologique ou médicamenteuse.
La flore intestinale autochtone constitue un écosystème qui participe aux mécanismes de digestion et d’absorption des nutriments et protège l’organisme contre l’implantation d’une flore pathogène. Cette flore se trouve profondément remaniée sous NE, avec notamment diminution de sa composante anaérobie qui est rapidement remplacée, entre autres, par des colibacilles et des klebsielles. Ce déséquilibre bactériologique provoque une diarrhée par malabsorption.
La diarrhée est également fréquente en cas d’infection extradigestive grave. Elle résulte de divers mécanismes altérant la perméabilité capillaire dans l’intestin grêle et la survenue d’une diarrhée sous NE, doit par principe, après élimination descauses simples, faire rechercher un foyer infectieux intraabdominal,  une péritonite, une pancréatite, voire un simple fécalome.
Une ischémie mésentérique aiguë survenant dans tout état d’insuffisance circulatoire sévère ou prolongé est associée dans 80 % des cas à une diarrhée. C’est également le cas après arrêt cardiocirculatoire, où la diarrhée est de mauvais pronostic et souvent associée à une bactériémie par translocation bactérienne digestive. La diarrhée est alors sanglante, associée à des douleurs abdominales, de la fièvre, des signes généraux importants, une distension colique visible sur l’abdomen sans préparation; la coloscopie montre des lésions ulcérées congestives.
Diarrhée d’origine médicamenteuse
De nombreux médicaments peuvent entraîner une diarrhée par modification de
 l’écosystème intestinal ou altération des mécanismes d’absorption : les antibiotiques surtout, mais aussiles antiacides et les antisécrétoires, les anti-inflammatoires,
les produits de chimiothérapie, etc. Les médicaments représentent dans plusieurs études la première cause de diarrhée chez les patients sous NE.
Antibiotiques. La diarrhée due aux antibiotiques résulte de plusieurs phénomènes : déséquilibre de la flore intestinale normale, modification de la motilité intestinale, toxicité muqueuse directe. De très nombreux antibiotiques, à l’exception probablement de la vancomycine et des aminosides, peuvent favoriser la croissance de Clostridium difficile, germe produisant deux toxines responsables d’une colite pseudomembraneuse qui peut provoquer une diarrhée parfois gravissime. Il s’agit d’une infection nosocomiale imposant des mesures d’isolement pour en éviter la transmission.
Anti-inflammatoires. Les anti-inflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens sont connus pour leur agressivité à l’égard des muqueuses digestives.
Antisécrétoires. Les antisécrétoires, notamment la cimétidine, du fait des modifications du pH gastrique qu’ils induisent, favorisent la croissance de germes coliformes qui altèrent l’absorption des nutriments.
Diarrhée d’origine nutritionnelle
Hyperosmolarité. La responsabilité de l’hyperosmolarité du mélange instillé dans la survenue d’une diarrhée n’est plus en cause aujourd’hui. La tolérance des nutriments est identique quelle que soit l’osmolarité de la préparation, du moins lorsque l’intestin est sain, pour des osmolarités comprises entre 150 et 700 mOsm.l–1 et si l’on utilise une pompe à débit contrôlé [97].

Toutefois, l’administration brutale d’un soluté hypertonique peut être source de diarrhée par hypermotilité intestinale. Par ailleurs, un régime apportant plus de 50 % des calories sous forme de lipides entraîne significativement plus de diarrhée qu’un régime hypolipidique. En revanche, une diarrhée osmotiquepeut s’observer après administration de substances osmotiques non absorbables, lactulose, sorbitol ou autres excipients.
Malabsorption. Lorsque les capacités de réabsorption de l’eau sont diminuées ou dépassées du fait d’une résection digestive étendue ou d’une pathologie iléocolique préalable, la NE peut entraîner une diarrhée avec négativation du bilan hydrique. Dans ces mêmes situations de malabsorption ou de grêle court, les nutriments malabsorbés ainsi que les sels biliaires ont un effet laxatif si le côlon est en place. Ceci conduit à limiter les apports et à observer des paliers plus progressifs dans l’augmentation des apports caloriques. Les diètes semi-élémentairesdépourvues de lactose qui apportent les lipides sous forme de TCM et les protéines sous forme de petits polypeptides peuvent être essayées.
Carence d’apport sodé.Il faut souligner la possibilité de diarrhée par carence en apport sodé. L’absorption d’eau est dépendante de la concentration de sodium dans la lumière intestinale. Une alimentation pauvre en sodium peut induire une sécrétion d’eau endogène génératrice de diarrhée. Un apport sodé minimal de 80 mmol.l–1 est alors souhaitable. Hypoalbuminémie.
La dénutrition entraîne par elle-même une diarrhée et une malabsorption par atrophie de la muqueuse intestinale. L’hypoalbuminémie, lorsqu’elle est inférieure à 25 g/l, est associée à une diarrhée dans les deux tiers des cas ; il n’est cependant pas certain que l’hypoalbuméniémie soit la cause de la diarrhée, mais plutôt un facteur associé, dans le cadre d’une pathologie aiguë hypercatabolique [47].
Lactose. L’intolérance au lactose atteint 20 à 40 % de la population en France, 80 à 100 % dans d’autres populations (Asiatiques, Africains), et peut apparaître après une agression. Le risque est en fait devenu théorique aujourd’hui car la quasitotalité des produits commerciaux utilisés en NE sont dépourvus de lactose.
Prise en charge
La diarrhée sous NE relève donc de causes multiples qu’il convient d’identifier
systématiquement afin de pouvoir engager le traitement étiologique approprié, clé de la thérapeutique ; les traitements symptomatiques sont utiles en complément. Parmi les ralentisseurs du transit, le lopéramide a également une action antisécrétoire ; les antisécrétoires gastriques sont particulièrement utiles chez des patients présentant un grêle court ou une fistule haute ; les chélateurs des sels biliaires (colestyramine) sont utiles chez des patients ayant une résection du grêle terminal avec anastomose iléocolique. Sauf cas particuliers, la réhydratation se fait par voie digestive, en utilisant la solution de référence de l’Organisation mondiale de la santé (20 g.l–1 de glucose, 2,5 g.l–1 de bicarbonate, 5,38 g.l–1 de chlorure de sodium, 1,86 g.l–1 de chlorure de potassium), suivie d’une réintroduction progressive de la nutrition entérale. L’effet des fibres alimentaires est différent selon leur type : les fibressolubles, par leur effet trophique sur la muqueuse, et en favorisant la réabsorption hydroélectrique colique, pourraient être utiles, mais les résultats cliniques sont encore limités et discordants [97]. L’utilisation de Saccharomyces boulardii a fait la preuve de son intérêt dans la prévention de la diarrhée chez les patients de réanimation, mais il reste à démontrer qu’il est licite d’utiliser cette levure chez tout patient recevant une nutrition entérale [97].
Complications métaboliques
Celles-ci sont liées aux apports des nutriments et se voient surtout dans le contexte d’un patient en phase d’agression aiguë.
Anomalies de la glycémie
Une hyperglycémie résulte d’un apport de glucides mal toléré dans ce contexte particulier qui comporte une augmentation de la néoglucogenèse et une insulinorésistance. Un mauvais contrôle de la glycémie peut entraîner une déshydratation extracellulaire par diurèse osmotique et s’accompagne par ailleurs d’une morbidité importante : une insulinothérapie adaptée est nécessaire chez ces patients, elle peut permettre une amélioration notable du pronostic global [100].
Des apports intermittents ou interrompus intempestivement peuvent être responsables d’une hypoglycémie chez un patient traité par insuline.
Anomalies hydroélectrolytiques
Celles-ci sont liées à des apports hydroélectrolytiques inadéquats, venant s’intriquer dans la situation métabolique générale du patient :
• les anomalies de la natrémie sont banales et d’origines diverses ;
• une hypokaliémie est la conséquence des pertes potassiques liées à une diarrhée abondante ou à des besoins augmentés en phase anabolique (3 mmol par gramme d’azote) ;
• une hypophosphorémie est le reflet de la déplétion des réserves de l’organisme et peut survenir pendant la phase de renutrition ; une supplémentation adéquate est nécessaire dès que le taux sanguin est inférieur à 0,7 mmol.l–1, avant que n’apparaissent les manifestations cliniques pour des taux sanguins inférieurs à 0,5 mmol.l–1 ;
• une hypomagnésémie est à rechercher et à corriger de principe.
Complications hépatobiliaires
Des atteintes des fonctions hépatiques, un sludge biliaire et des cholécystites ont été rapportées, avec une fréquence faible, environ dix fois inférieure à celle observée sous NP totale.
L’augmentation des phosphatases alcalines est plus banale.
Cette anomalie est habituellement en rapport avec des apports caloriques trop importants pendant une période prolongée, notamment en hydrates de carbone, en particulier en présence d’un état nutritionnel défaillant. La modification de la nutrition est alors indispensable, de même que la surveillance biologique des fonctions hépatiques.


Conduite et surveillance de la nutrition entérale






Administration et surveillance
L’administration et la surveillance de la NE par une équipe médicale et paramédicale entraînée à cette technique, et disposant de protocoles écrits, est le meilleur gage de sécurité et d’efficacité.
Chez les patients les plus sévères, l’administration continue à débit constant est toujours préférable au début. L’utilité d’un régime starter de basse osmolarité (par exemple 0,5 kcal.ml–1n’est pas démontrée. En revanche, une augmentation progressive du débit d’administration est essentielle chez les sujets fragiles : 25 ml par heure au début, puis, si la tolérance est bonne, augmentation de 25 ml par heure toutes les 12 à 24 heures jusqu’à ce que le volume nécessaire soit atteint.
Toute manifestation d’intolérance digestive (vomissements, ballonnement abdominal, résidu gastrique) doit faire ralentir voire arrêter temporairement l’administration [91].

Ce n’est que secondairement, ou chez les malades les moins sévères, que l’on envisage l’administration continue cyclique ou par bolus.

Surveillance de la nutrition entérale
La surveillance de la NE, essentiellement clinique, porte sur trois éléments :
• le dispositif d’assistance nutritionnelle lui-même ;
• l’état clinique du patient ;
• le contrôle de l’efficacité de la méthode.

Surveillance du dispositif d’assistance nutritionnelle
Positionnement de la sonde gastrique
Il doit être vérifié avant le début de l’instillation du soluté.

Plusieurs moyens sont utilisés.
La seule méthode de référence est radiologique : une radiographie thoracique de face, incluant le tiers supérieur de l’abdomen, doit être réalisée avant de débuter la NE [88, 91]. Une bonne fixation et un contrôle régulier de la position de la sonde (repère extérieur marqué sur la sonde, radiographies thoraciques) sont ensuite nécessaires.
Les autres méthodes de contrôle (insufflation d’air, pH du liquide aspiré) ne permettent pas de prédire avec certitude la bonne position [91].

Tolérance locale de la sonde
Elle est appréciée par l’interrogatoire et l’examen clinique.
Un hoquet persistant, évoquant une oesophagite, justifie la réalisation d’une fibroscopie oesogastrique à la recherche de lésions relevant d’un traitement médical.

Contamination du soluté instillé
Elle doit être prévenue, notamment au moment des manipulations des tubulures, par une asepsie soigneuse et en particulier l’hygiène des mains.

Obstruction de la sonde
Elle est prévenue par un rinçage fréquent avec 10 à 20 ml d’eau, deux ou trois fois par jour, avant et après toute prise médicamenteuse ; les médicaments instillés dans la sonde doivent, chaque fois que cela est possible, être sous forme liquide.

Administration de médicaments par la sonde
Toute administration de médicament dans la sonde nécessite l’avis d’un pharmacien pour confirmer sa biodisponibilité et son absence d’interaction avec les solutés nutritifs ; la modification de la forme galénique de certains médicaments (par réduction en poudre par exemple) peut en modifier la pharmacocinétique.

Rapports de la sonde
La sonde ne doit jamais exercer une pression continue sur la narine ou sur la bouche, au risque de créer des lésions cutanées, voire une nécrose.

Entretien
Un changement de la tubulure toutes les 24 heures est suffisant [91].

Surveillance clinique du patient
Le maintien en position semi-assise doit être systématiquement assuré pendant toute la période de NE.
Chez les patients à risque, la surveillance régulière (toutes les 4 ou 8 heures) de l’existence d’un résidu gastrique, par aspiration suivie d’un lavage de la sonde par 20 ml d’eau, permet de ralentir ou d’arrêter temporairement la NE, dès que le résidu est 
supérieur ou égal à 150 à 300 ml selon les auteurs [91].

L’examen clinique quotidien évalue la tolérance générale de la NE en recherchant des manifestations digestives (vomissements, météorisme et douleurs abdominales, diarrhée ou constipation), en relevant le nombre, la consistance et le volume des selles, des troubles de l’hydratation (oedèmes déclives ou signes de déshydratation), des troubles respiratoires, ainsi que la sensation de bien-être clinique ou d’asthénie.

Le poids et ses variations, s’ils sont correctement interprétés en tenant compte de l’état d’hydratation, sont les meilleurs reflets de l’efficacité nutritionnelle globale ;
sa surveillance s’impose au minimum une fois par semaine.

La glycémie capillaire au lit du patient doit être mesurée plusieurs fois par jour en début de NE. Une hyperglycémie doit être contrôlée par une insulinothérapie adaptée [100].

Surveillance biologique
Les excès ou les carences d’apports, qualitatifs ou quantitatifs, exposent à des troubles biologiques et métaboliques dont l’éventualité justifie une surveillance biologique.

En période aiguë, un ionogramme sanguin, incluant glycémie, 
azotémie, calcémie, magnésémie, phosphorémie et un ionogramme urinaire sont pratiqués quotidiennement au début de la mise en route de la NE.Par la suite, en période de stabilité, leur contrôle peut être bihebdomadaire puis hebdomadaire.

La réalisation d’un bilan azoté quotidien, par simple dosage de l’urée urinaire des 24 heures convertie en azote (urée urinaire en mmol.l–1 × 0,003) auquel on rajoute, sauf diarrhée importante, 2 g représentant l’azote urinaire non uréique et l’azote non urinaire, permet d’avoir un bon reflet du catabolisme protéique qui caractérise la phase catabolique ; le dosage direct de l’azote urinaire, plus long et plus coûteux, par exemple
par la méthode de Kjeldahl ou de chémoluminescence, reste la méthode de référence.
Un bilan hépatique comportant le dosage des phosphatases 
alcalines et des transaminases doit être pratiqué également de façon hebdomadaire ou en cas d’apparition d’un ictère. Un bilan lipidique régulier permet de dépister des troubles du métabolisme lipidique.

Évaluation de l’efficacité
L’examen clinique, la pesée régulière et le dosage de l’albuminémie répondent le plus souvent à cet objectif.
Le dosage des autres protéines sériques : transferrine et préalbumine, ne se conçoit que chez des patients nécessitant une surveillance particulière en raison de leur état.

Nutrition entérale et éthique




Comme toute thérapeutique médicale, la NE n’échappe pas à la réflexion éthique, elle a même été au centre de discussions largement médiatisées dans le cadre des comas prolongés.
Sa simplicité actuelle d’utilisation, son efficacité et le caractère naturel, physiologique, de ce support nutritionnel font que plusieurs attitudes morales, plusieurs stratégies, peuvent exister.
La NE doit en effet être considérée comme une thérapeutique de suppléance d’organe et de fonction, au même titre que d’autres thérapeutiques rénales ou respiratoires, mais on ne peut oublier la symbolique propre attachée à l’alimentation qui peut aussi faire classer la NE parmi les thérapeutiques « de confort » et les soins humanitaires de base.
Cette relative ambiguïté explique sans doute la difficulté et la diversité des décisions prises à son sujet, chez les patients en coma chronique ou en phase terminale [84].
Elle doit de toutes façons susciter dans les cas difficiles une large réflexion d’équipe, pour permettre une décision adaptée au mieux aux besoins du malade.

Conclusion
La NE, près de 30 ans après son introduction en réanimation par Lévy et al. [101], affirme aujourd’hui sa place comme premier mode de nutrition artificielle. La NP, longtemps et sans doute encore trop utilisée en première intention, voit ses indications limitées aux seules contre-indications, temporaires ou prolongées, de la NE. Les multiples progrès techniques et la diversité des solutions nutritives disponibles ont permis d’étendre ses
indications à de nombreuses situations, en particulier chez les patients aigus, tout en assurant une sécurité et une simplicité d’emploi pour un coût environ dix fois inférieur à celui de la nutrition par voie veineuse.

“ Points essentiels
• Lorsque l’alimentation par la bouche est impossible ou insuffisante, un relais ou un complément doit être assuré par une technique de nutrition artificielle, entérale ou
parentérale : chaque fois que le tube digestif est fonctionnel, en totalité ou en partie, c’est la NE qui doit être privilégiée.
• Les préparations industrielles actuellement disponibles, d’une grande diversité, permettent, de façon sûre et stérile, de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels de la plupart des patients.
• Les sondes nasogastriques et nasoduodénales doivent être de petit calibre, en silicone ou en polyuréthane. Pour les NE de longue durée (plus de 1 mois), la gastrostomie percutanée paraît être la meilleure technique.
• La NE peut être utilisée précocement, de 24 à 36 heures après une intervention chirurgicale, une brûlure, un traumatisme ou en réanimation. Cette utilisation précoce semble influencer favorablement l’évolution clinique et réduire la fréquence des infections nosocomiales. Les intolérances, voire les complications, sont cependant fréquentes et cette technique nécessite une surveillance particulièrement attentive par une équipe soignante entraînée.
• Les complications de la NE sont le plus souvent bénignes, habituellement évitées par une technique correcte. Les complications pulmonaires (pneumopathies
d’inhalation) et certaines complications digestives (infection à Clostridium difficile) peuvent cependant être mortelles.
• L’administration et la surveillance de la NE par une équipe médicale et paramédicale entraînée disposant de protocoles écrits est le meilleur gage de sécurité et d’efficacité.


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