Anesthésie pour chirurgie du kyste hydatique du foie








Taysir Assistance.TNM. Boussofara, M.-R. Sallem, M. Raucoules-Aimé
L’hydatidose humaine, due au développement dans l’organisme de la forme larvaire du tænia Echinococcus granulosus, est une pathologie fréquente dans les pays du pourtour méditerranéen. Le Maghreb est considéré comme une région d’endémie hydatique. La localisation privilégiée de cette parasitose est le foie. L’évolution intra- ou extrahépatique du kyste hydatique peut engendrer des conséquences graves par compression parenchymateuse ou vasculaire. L’évaluation préopératoire des caractéristiques et des rapports anatomiques du kyste est un élément essentiel dans le choix de la stratégie de la prise en charge périopératoire. La chirurgie du kyste hydatique du foie est souvent simple.

Toutefois, les accidents peropératoires se caractérisent par leur brutalité de survenue, leur gravité, ainsi que la difficulté du diagnostic étiologique du collapsus hémodynamique. Ce collapsus peut être d’origine anaphylactique, hémorragique ou toxique. L’évacuation du kyste comporte le risque de dissémination intrapéritonéale du liquide hydatique. Il est important de prendre les précautions chirurgicales qui s’imposent pour éviter d’ensemencer la cavité abdominale et d’injecter prudemment le scolicide dans le kyste. La morbidité du traitement chirurgical du kyste hydatique du foie est essentiellement de nature chirurgicale, dominée par les complications de la cavité résiduelle.

Mots clés : Chirurgie hépatique ; Kyste hydatique ; Tænia ; Scolicide


Introduction
L’hydatidose humaine est une anthropozoonose due au développement dans l’organisme de la forme larvaire du tænia Echinococcus granulosus. Les pays du pourtour méditerranéen et plus particulièrement ceux du Maghreb sont considérés comme étant des pays d’endémie hydatique. Cette parasitose atteint essentiellement le foie (de 50 à 70 % des cas) ; le poumon vient en seconde position (de 20 à 30 % des cas). Elle peut aussi intéresser, mais beaucoup moins fréquemment, d’autres localisations telles que la rate, les reins, le coeur, l’os ou le système nerveux central. Une évaluation préopératoire des caractéristiques ainsi que des rapports anatomiques du kyste constitue un élément essentiel dans la prévention des complications graves, particulièrement en peropératoire.



Profil évolutif d’Echinococcus granulosus

Au début de son évolution, le kyste jeune, ou hydatide, se présente comme une poche liquidienne incluse dans le foie et limitée par deux membranes propres. La membrane interne, dite germinative ou proligère, donne naissance à des capsules contenant des scolex qui se détachent puis se déposent dans la poche, formant ainsi le sable hydatique.

L’évolution est variable. Le kyste peut se calcifier et mourir sans jamais se compliquer. [1] Il peut augmenter de volume et comprimer le parenchyme hépatique, la voie biliaire principale ou les gros axes vasculaires. Il peut être à l’origine d’un syndrome de compression cave inférieure ou d’hypertension portale. La compression des veines sus-hépatiques peut être à l’origine d’un syndrome de Budd-Chiari. Cette évolution kystique peut augmenter significativement le risque de saignement peropératoire, d’embolie hydatique ou d’allergie par migration intravasculaire des membranes ou du liquide hydatique.

La compression du hile du foie est à l’origine de la survenue d’un ictère par rétention ou de poussées angiocholitiques aggravant le risque infectieux per- ou postopératoire. [2, 3] Enfin, le kyste peut se fistuliser dans les voies biliaires, les vaisseaux ou le tube digestif, ou encore se rompre dans le péritoine. [4]



Évaluation préopératoire

Consultation préanesthésique
Outre l’évaluation du terrain, l’interrogatoire ainsi que les examens cliniques et paracliniques (bilan hépatique, radiographie du thorax, échographie doppler, tomodensitométrie hépatique et imagerie par résonance magnétique) vont permettre d’évaluer le stade évolutif du kyste hydatique, de préciser son siège et son retentissement sur les différents organes de voisinage, particulièrement sur le hile hépatique, les veines sushépatiques et la veine cave inférieure. Ces examens vont permettre d’identifier une éventuelle localisation secondaire intra- ou extra-abdominale et dépister une communication kystopleurale, kystobiliaire ou kystocave. La présence d’une toux et/ou d’une hémoptysie à l’interrogatoire associée à un kyste unique ou multiple à la radiographie du thorax doit faire craindre une localisation pulmonaire secondaire. Les métastases pulmonaires des kystes hydatiques du foie sont connues depuis les travaux de Dévé en 1901. Le plus souvent, elles se font à bas bruit, mais, dans 30 % des cas, la rupture du kyste dans la veine cave, la veine sus-hépatique ou la veine rénale droite est brutale et mortelle. [3, 5] L’échographie et l’examen tomodensitométrique peuvent sous-estimer le risque de fissuration veineuse. En effet, un plan de clivage entre le kyste hydatique du foie et la veine cave inférieure résultant d’un épaississement de la paroi kystique fissurée peut être à tort confondu avec du parenchyme hépatique résiduel. L’embolie pulmonaire hydatique mortelle peropératoire, rapportée par Letessier et al., survenue lors d’une hépatectomie pour kyste hydatique, confirme combien l’interprétation de ces examens paracliniques est difficile, voire erronée. [6] L’intérêt de l’imagerie par résonance magnétique en matière de détection des fistules kystoveineuses n’a pas encore été évalué. [7] Toutefois, cet examen devrait permettre de mieux préciser le risque de migration intravasculaire peropératoire du matériel hydatique (membrane, liquide hydatique ou scolex) par une meilleure définition des rapports de la masse kystique avec les gros vaisseaux et la recherche d’un éventuel envahissement vasculaire ou d’une infiltration extrahépatique.

Bien qu’elles soient recommandées par certains auteurs, la cavographie ou la phlébographie sus-hépatique ne peuvent éliminer formellement une fissuration kystoveineuse et permettent rarement de prouver la communication par une opacification du kyste hydatique du foie. [6, 8]

Les compressions vasculaires engendrées par le kyste peuvent entraîner des modifications circulatoires dans le foie avec le risque d’hypertension portale. Cette dernière peut être la conséquence d’une obstruction infra-, intra- ou suprahépatique.

Les conséquences sur le parenchyme hépatique sont variables. Une hypertension portale peut être liée à une compression du tronc porte secondaire à des kystes extériorisés venant en contact du pédicule hépatique, tels que les kystes juxtavésiculaires ou du segment I. L’hypertension portale par compression des veines sus-hépatiques peut se traduire cliniquement par un syndrome de Budd-Chiari avec retentissement parenchymateux sévère et stase veineuse liée à une gêne considérable à l’écoulement du sang portal. Ce syndrome de Budd-Chiari peut à son tour se compliquer d’une fibrose hépatique atrophique. [9]


Préparation du patient
La préparation préopératoire est différente selon que les kystes sont compliqués ou que, de par leur siège, ils constituent un obstacle avec le risque d’envahissement des voies biliaires, des gros vaisseaux ou encore de la cavité pleurale.

En cas d’infection du kyste ou de suspicion d’angiocholite hydatique, il est impératif d’instituer une antibiothérapie de première intention diffusant dans le parenchyme hépatique et couvrant les bacilles à Gram négatif et les germes anaérobies habituellement rencontrés dans les infections hépatobiliaires.

L’association d’une céphalosporine de première génération à un aminoside ou encore de l’amoxicilline à l’acide clavulanique peut être recommandée. En cas de retentissement général du sepsis avec survenue d’une défaillance multiviscérale, un traitement symptomatique adapté doit être institué.
L’existence d’un risque hémorragique potentiel ou fortement suspecté de par la localisation intrahépatique du kyste impose la disponibilité de concentrés de globules rouges au bloc opératoire. La transfusion autologue différée est possible en l’absence d’une complication infectieuse. [10] Un accélérateur et un réchauffeur de transfusion doivent être disponibles en salle le jour de l’intervention.

Dans le cas où une communication kystocave est fortement suspectée par la clinique ou l’imagerie médicale, la voie d’abord doit être large pour limiter l’importance de la mobilisation hépatique et permettre un contrôle de la veine cave inférieure intrapéricardique. [6] Certains auteurs recommandent le recours à des centres chirurgicaux spécialisés pouvant réaliser une exclusion vasculaire du foie par triple clampage avant la mobilisation hépatique. [3, 11]

La prévention des accidents anaphylactiques peropératoires par des antihistaminiques associés ou non à des corticoïdes reste controversée. Pour certains auteurs, l’utilisation préventive d’antihistaminiques n’a modifié ni la soudaineté, ni la gravité du collapsus. Pour d’autres, l’administration d’une prémédication à base d’antiH1 (hydroxyzine) et d’antiH2 (cimétidine) a été efficace et a permis d’atténuer les variations hémodynamiques secondaires à la fuite accidentelle peropératoire du liquide hydatique. 

Quant à l’indication d’une prescription préopératoire d’antiparasitaires, Bekhti et al. ont rapporté quatre cas de kystes hydatiques traités efficacement par du mébendazole (Vermox ®). [13] Pour d’autres auteurs, l’administration orale préopératoire d’albendazole (Zentel®), à la dose de 10 mg.kg–1 durant 4 semaines, semble assurer une stérilisation complète du kyste hydatique et réduire le risque d’essaimage intrapéritonéal du contenu kystique en peropératoire. [14, 15] L’antiparasitaire semble agir par inhibition de l’absorption du glucose par les scolex ainsi que par autolyse cellulaire. Cependant, pour d’autres auteurs, l’administration préopératoire d’antiparasitaires ne présente aucun intérêt. En effet, l’absorption dans le tractus gastro-intestinal de ces médicaments est très faible. Seulement 10 % de la concentration plasmatique de l’antiparasitaire absorbé par voie orale est retrouvé dans le liquide hydatique.

Rosa et Teggi ont évalué la relation entre les concentrations plasmatiques et kystiques et l’effet scolicide. [16] Après administration orale de 30 mg.kg–1 de mébendazole, les concentrations plasmatiques varient entre 20,6 et 160,3ng.ml–1, alors que dans le liquide kystique les concentrations mesurées à la quatrième heure fluctuent entre 0,9 et 17,8 ng.ml–1. À ces concentrations, aucun effet scolicide n’est observé. [17]




Période opératoire

Monitorage
Si le risque hémorragique ou le risque de migration intravasculaire de matériel hydatique est important, une surveillance cardiovasculaire invasive est recommandée. Il en est de même en cas de kystes hydatiques du foie compliqués ou rompus.

Lareconnaissance d’une détresse hémodynamique et l’évaluation de sa gravité imposent de disposer au minimum d’une surveillance de la pression veineuse centrale. Le monitorage par Swan Ganz ou par échographie transoesophagienne est à réserver aux cas où les kystes sont situés près du confluent de la veine cave inférieure et des veines sus-hépatiques, car ils peuvent imposer éventuellement un contrôle de ces dernières ou une exclusion vasculaire temporaire du foie. [18]

Technique anesthésique
Il s’agit d’une chirurgie abdominale qui nécessite un relâchement musculaire et une analgésie parfaits durant toute la durée de l’acte opératoire. L’intubation sélective par sonde de Carlens est nécessaire dans les kystes hydatiques du foie rompus dans les bronches pour éviter les fuites dans le poumon droit, ainsi que le risque d’inondation et de contamination du poumon sain.

En cas d’obstruction ou d’atteinte hépatique par envahissement intra- ou suprahépatique, le maintien d’un débit sanguin hépatique proche de la normale doit constituer une priorité. Contrairement à l’halothane, l’isoflurane et les nouvelles générations d’halogénés ne semblent pas avoir d’effet délétère important sur la circulation hépatique. [19] La pharmacocinétique des anesthésiques intraveineux est diversement perturbée, ce qui rend difficile le choix d’un agent anesthésique « idéal ». [20] La majorité des médicaments utilisés lors de l’induction anesthésique ont un métabolisme hépatique. Cependant, la disparition de leurs effets est dépendante plutôt de leur distribution que de leur métabolisme hépatique. [21]

 Point important
L’association d’une anesthésie péridurale thoracique à une anesthésie générale ne diminue en rien la morbidité et la mortalité de cette chirurgie abdominale haute.

Techniques opératoires
Abord chirurgical
L’abord sous-costal droit est préconisé dans la quasi-totalité des cas. Il permet d’accéder à tous les segments hépatiques. Il peut être élargi à gauche pour aborder un kyste du foie gauche ou un kyste de la rate. [1, 24]

Exploration peropératoire
L’exploration visuelle et manuelle précise le siège et les rapports du kyste. Sa libération, en particulier vis-à-vis des organes de voisinage auxquels il peut adhérer (diaphragme, côlon, duodénum, estomac), doit être très prudente afin d’éviter toute effraction pleurale ou du tube digestif. L’aspiration du contenu kystique permet d’apprécier son aspect. Un liquide kystique bilieux permet de confirmer l’existence d’une communication kystobiliaire. Un liquide trouble ou purulent est en faveur d’une surinfection du kyste. Un prélèvement du liquide hydatique pour étude bactériologique permet d’adapter l’antibiothérapie. L’échographie peropératoire permet de préciser les rapports du kyste, en particulier avec les pédicules hépatiques, et de montrer un éventuel obstacle sur la voie biliaire principale. [25]


Stérilisation du kyste
La rupture, voire la simple évacuation du ou des kystes, expose à la dissémination intrapéritonéale du liquide hydatique et au risque d’une échinococcose péritonéale secondaire. C’est la raison pour laquelle certains auteurs préconisent l’injection d’un produit scolicide dans le kyste avant son évacuation, la protection du champ opératoire et l’isolement de la partie accessible du kyste par des champs imbibés de solution scolicide. [26, 27] Le premier scolicide utilisé a été la solution de formol à 2 %. [28] La survenue d’accidents anaphylactiques graves, de cholangite sclérosante et d’arrêt cardiaque par passage sanguin en quantité importante de formol a fait abandonner cet agent scolicide. [26, 29] D’autres substances ont été utilisées, notamment le sérum salé hypertonique à 10, 20 ou 30 %, le cétrimide (cétyltriméthyl-ammonium bromide), l’éthanol, l’alcool à 95 %, la solution de nitrate d’argent à 5 %, l’eau oxygénée, [12, 28, 30] la povidone iodée (polyvinyle pyrrolidone) [16] et la solution de mébendazole-albendazole. [17] Bien que de nombreux auteurs s’accordent sur l’efficacité de ces agents parasiticides, [17, 31] certains effets secondaires liés à leur utilisation ont été rapportés dans différents travaux cliniques et expérimentaux. Ces effets secondaires s’expliquent en partie par le passage du scolicide dans les voies biliaires à l’origine de phénomènes inflammatoires, de fibrose et de nécrose hépatiques. [17, 32] De plus, le sérum hypertonique peut être à l’origine de troubles hydroélectrolytiques sévères à type d’hypernatrémie et de déshydratation intracellulaire par absorption intravasculaire de la solution salée hypertonique. [33, 34] Certains auteurs ont rapporté des embolies gazeuses à la suite de l’injection intrakystique d’eau oxygénée. [16, 35] L’absorption systémique de la cétrimide peut être responsable d’accidents aigus allant jusqu’à l’arrêt cardiaque, [36] mais aussi retardés à type d’hémolyse et de méthémoglobinémie. [37] L’éthanol, scolicide préconisé par certains auteurs pour son excellent effet parasiticide, semblerait réduire le risque de fistule biliaire grâce à une action anti-inflammatoire puissante. [31]

Afin de réduire le risque de toxicité de ces agents scolicides, il est recommandé d’en réduire la concentration, de raccourcirle temps d’exposition et de les diluer dans le liquide hydatique. [38] Cependant, certains auteurs remettent en doute le principe même de la stérilisation étant donné le risque de toxicité secondaire à l’injection intrakystique des parasiticides et préconisent plutôt de badigeonner la cavité kystique résiduelle avec de la povidone iodée. [39]

Mise en garde
Il est important de retenir la nécessité de prendre les précautions chirurgicales qui s’imposent pour éviter d’ensemencer la cavité abdominale et d’injecter prudemment le scolicide en intrakystique après avoir aspiré une partie du liquide hydatique. 

Techniques chirurgicales
Après destruction et ablation du parasite, le traitement chirurgical s’adresse à la cavité hépatique restante, limitée par l’adventice. Les techniques chirurgicales recommandées sont de nature conservatrice plutôt que radicale. La chirurgie radicale à type de périkystectomie totale, subtotale, de périkystorésection ou de résections hépatiques réglées doit rester exceptionnelle. [16] La majorité des auteurs s’accordent sur le risque significativement plus élevé des complications per- et postopératoires immédiates du traitement chirurgical radical. [26]
Plusieurs variantes chirurgicales sont préconisées.
La périkystectomie consiste à réaliser l’exérèse de l’adventice en la clivant du parenchyme hépatique sain. Cette résection peut être complète dans le cas d’une périkystectomie totale, qui a l’avantage de supprimer tout risque de vésiculation exogène etde laisser une cavité hépatique à paroi souple et saine prête à se régénérer. Elle peut être subtotale, laissant en place une petite pastille de l’adventice plus ou moins calcifiée au contact d’un pédicule vasculobiliaire. Elle est partielle quand la périkystectomie est incomplète et abandonne la plus grande partie de l’adventice intrahépatique ou simplement limitée à une résection du dôme saillant par ablation de la partie extériorisée du kyste. La technique de résection du dôme saillant est l’intervention la plus pratiquée en zone d’endémie. Il s’agit d’une méthode conservatrice, de réalisation rapide, techniquement facile et peu hémorragique. [24]

La périkystorésection consiste à réaliser l’exérèse du parenchyme hépatique adjacent au kyste.
L’hépatectomie est d’indication exceptionnelle ; elle est choisie lorsque la taille ou le nombre de kystes a totalement détruit un hémifoie, empêchant le recours aux méthodes thérapeutiques conservatrices.
L’approche laparoscopique a été récemment introduite dans le traitement du kyste hydatique du foie. [40] L’abord endoscopique semble réduire l’intensité de la douleur postopératoire ainsi que la durée du séjour hospitalier.
Cependant, le taux de conversion en laparotomie reste élevé (de l’ordre de 23 %). [16, 41] Enfin, quelle que soit la technique utilisée, un éventuel geste biliaire complémentaire peut être nécessaire en raison de la migration canalaire de vésicules filles.

Accidents et incidents peropératoires
Le risque peropératoire est évalué dans la plupart des travaux à 20 % et serait significativement augmenté en cas de chirurgie radicale comparée à la chirurgie conservatrice. [31, 42] Les accidents en peropératoire sont essentiellement de type anaphylactique, cardiovasculaire ou hémorragique.

Accidents anaphylactiques
Les fuites ou les ruptures accidentelles peropératoires des kystes hydatiques du foie peuvent être à l’origine de réactions anaphylactiques secondaires à une absorption systémique du liquide hydatique. [43] Le mécanisme de ces réactions est complexe. Dans certains cas, il s’agit typiquement d’une réaction d’hypersensibilité de type I liée à des immunoglobulines E en réponse à la forte concentration plasmatique des antigènes d’Ecchinococcus. [26] La réaction anaphylactique ou anaphylactoïde peut être aussi secondaire à une activation du complément avec libération d’anaphylatoxines. In vitro, le liquide hydatique active la voie alterne du complément avec formation de C3a. [44] Les manifestations anaphylactiques peuvent revêtir des aspects très différents à type de bronchospasme et/ou de choc anaphylactique. [13, 43] Les observations de Terpstra et celles de Jakubowski ont le mérite d’insister sur la rareté de ce type d’accident, sur l’absence de signes prémonitoires, et sur la difficulté du diagnostic devant un collapsus hémodynamique brutal après la stérilisation et l’évacuation du kyste. [35, 45] Le choc anaphylactique doit être évoqué devant l’association à des degrés variables de signes cutanés, d’un bronchospasme ou d’un collapsus inexpliqué par un saignement peropératoire. Des prélèvements sanguins permettent à distance une confirmation immunologique reposant sur les diverses réactions d’immunofluorescence, d’immunoélectrophorèse et d’hémagglutination. Le traitement est symptomatique ; il repose sur l’expansion volémique et l’adrénaline, recommandée pour ses effets b2 bronchodilatateurs et a1 vasoconstricteurs.

 Point important
La prévention du choc anaphylactique est uniquement chirurgicale :
- éviter de manipuler le kyste ;
- commencer à le vider avant d’injecter le scolicide ;
-ne pas administrer celui-ci sous forte pression. [24]

Accidents hémorragiques
L’incidence des complications hémorragiques dépend du degré de destruction du parenchyme hépatique, de la nature du geste chirurgical (conservateur ou radical) et surtout du siège du kyste par rapport aux grands axes vasculaires. Un traitement radical trop étendu peut être à l’origine d’un saignement important mettant en jeu le pronostic vital. Ces accidents hémorragiques sont parfois imprévisibles et nécessitent la mise en place d’une voie veineuse de gros calibre permettant unremplissage vasculaire et une transfusion sanguine rapide. Cette complication grave peut se voir après ponction du kyste qui est à l’origine d’un décollement des membranes qui colmataient la brèche kystovasculaire. [46]

Accidents cardiovasculaires
Les complications hémodynamiques observées en peropératoire ne sont pas toujours de nature anaphylactique ou toxique dues au passage sanguin de formol ou de cétrimide, [28, 36] mais peuvent aussi être secondaires à une embolie pulmonaire hydatique ou gazeuse. Une observation d’aéroembolisme liée à l’eau oxygénée a en effet été rapportée. [8]

Réveil anesthésique
Cette étape n’a rien de spécifique ; l’extubation se fait habituellement sur la table d’opération, une fois les critères d’extubation réunis. La continuité de la prise en charge du réveil anesthésique se fait en salle de surveillance postinterventionnelle où sont assurés le monitorage des paramètres vitaux et la surveillance des drainages chirurgicaux.


Période postopératoire
La surveillance hémodynamique et respiratoire, ainsi que celle des drainages chirurgicaux et de l’état local, doivent se poursuivre en postopératoire. Dans le cas où les suites opératoires sont simples, la durée du séjour hospitalier est d’environ 10 jours. [26, 41] Cette durée peut être réduite à 4 jours si le kyste a pu être traité par un simple drainage percutané ; elle pourrait être encore plus raccourcie en cas de traitement chirurgical par voie laparoscopique. [41] La morbidité du traitement chirurgical du kyste hydatique du foie est d’environ 20 %. [26] La mortalité postopératoire est évaluée, quant à elle, entre 1 et 14 %. [47]
La morbidité chirurgicale est dominée par les complications de la cavité résiduelle.

Suppuration de la cavité résiduelle
Elle est définie par la survenue en postopératoire d’un tableau de suppuration profonde, le plus souvent torpide, se résumant à une fébricule associée à un liquide de drainage purulent.
Letraitement repose sur l’installation d’un système d’irrigation-aspiration ou sur la prolongation du drainage quand une irrigation ne peut être mise en place. L’antibiothérapie est adaptée au germe isolé dans les prélèvements. [48]

Rétention purulente
Elle est définie par la survenue d’une infection du contenu de la cavité résiduelle. Le diagnostic est évoqué devant un tableau infectieux franc associé parfois à des signes abdominaux, à unedouleur à l’ébranlement du foie ou à des signes respiratoires. Certains signes échographiques plaident en faveur de la rétention, tels qu’un important volume, des contours réguliers sous tension de la cavité résiduelle associés à un aspect hétérogène du liquide hydatique, parfois même de type aérique. La tomodensitométrie est le plus souvent systématique, en particulier en cas de doute ou de discordance entre la clinique et l’aspect échographique. La rétention apparaît alors comme une collection de densité paraliquidienne. Le recours à une réintervention ou à une ponction percutanée associée à une antibiothérapie adaptée s’impose. [49]

Fistules biliaires externes
Elles sont caractérisées par l’écoulement de bile non infectée par le drainage sans aucun signe infectieux, persistant au-delà de 10 jours et nécessitant la prolongation du drainage. La liberté des voies biliaires est nécessaire pour accélérer le traitement de la fistule. La fistulographie permet d’étudier le trajet et de confirmer la communication kystobiliaire. Ces fistules se tarissent habituellement spontanément sans mise en place de système d’irrigation-aspiration. [23] Les fistules biliaires peuvent être anormalement productives et nécessiter une compensation hydroélectrolytique.

Cholépéritoine postopératoire
Il est défini par l’apparition précoce d’une fuite biliaire qui se déverse directement dans la cavité péritonéale. La reprise chirurgicale s’impose afin d’assurer la bilistase, la toilette péritonéale et la mise en place d’un drainage efficace. [48]

Conclusion
La chirurgie du kyste hydatique du foie est souvent simple, mais peut parfois être grevée de complications per- et/ou postopératoires pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Ces accidents peropératoires se caractérisent souvent par leur= brutalité de survenue et leur gravité. Ceci souligne l’intérêt de l’évaluation préopératoire du kyste hydatique du foie, qui doit préciser en particulier la taille, le siège, les rapports avec les gros axes vasculaires du kyste, ainsi que l’existence éventuelle d’une localisation secondaire pulmonaire. La chirurgie conservatrice à type de résection du dôme saillant semble être la technique recommandée de par sa simplicité. La technique laparoscopique, encore peu évaluée, semble être prometteuse. Les complications peropératoires sont surtout dominées par les risques hémorragiques et anaphylactiques aux antigènes hydatiques, ou toxiques avec certains scolicides. L’identification peropératoire de la cause du collapsus hémodynamique est souvent très difficile.

Pour l’anesthésiste-réanimateur, l’essentiel est de dépister précocement et de traiter rapidement ces accidents, en les différenciant bien d’une hypovolémie aiguë hémorragique. La prévention du choc allergique par la prescription des antihistaminiques et/ou des corticoïdes, ainsi que celle du risque postopératoire d’échinococcose secondaire par une prescription orale de mébendazole ou d’albendazole lors de la prémédication, semblent illusoires.


Autoévaluation
Questions
I
A - Au début de son évolution, le kyste hydatique se présente comme une poche liquidienne limitée par deux membranes propres
B - La cavographie et la phlébographie sus-hépatique permettent d’éliminer formellement une fissuration kystoveineuse
C - La transfusion autologue programmée est contre-indiquée chez un patient présentant un kyste hydatique du foie
D - L’administration d’antiparasitaires par voie orale a démontré son efficacité pour stériliser complètement le kyste hydatique en préopératoire
E – Quatre-vingt-dix pour-cent de la concentration plasmatique des antiparasitaires administrés per os se retrouve dans le liquide hydatique au bout de 12 heures
II
A - L’injection d’un produit scolicide dans le kyste avant son évacuation permettrait de réduire le risque d’échinococcose péritonéale secondaire
B - Les accidents anaphylactiques lors de la chirurgie du kyste hydatique sont fréquents (> 20 %)
C - La simple ponction du kyste hydatique peut être à l’origine d’une hémorragie
D - En postopératoire de chirurgie du kyste hydatique, les fistules biliaires externes nécessitent une réintervention rapide
E - La survenue d’un cholépéritoine en postopératoire nécessite une reprise chirurgicale



Réponses
I
A -
Vrai : la membrane interne donne naissance à des capsules contenant des scolex
B -
Faux
C -
Faux
D -
Faux
E -
Faux
II
A -
Vrai
B -
Faux : ces accidents anaphylactiques sont rares. Leur prévention est uniquement chirurgicale : éviter de manipuler le kyste, commencer à le vider avant d’injecter le scolicide, ne pas administrer celui-ci sous forte pression
C -
Vrai : par décollement des membranes qui colmataient la brèche kystovasculaire
D -
Faux : ces fistules se tarissent habituellement spontanément
E -
Vrai

Références
[1] Abid F, El Fares F, Bouzidi A. Les kystes hydatiques du foie : à propos de 181 cas dont 150 compliqués. Lyon Chir 1988;84:418-20.
[2] Bourgeon R. L’ouverture des kystes hydatiques aux voies biliaires intrahépatiques. Lyon Chir 1985;81:161-4.
[3] Poli P, Peillon C, Testart J. Embolie pulmonaire per-opératoire d’une membrane hydatique. J Chir (Paris) 1994;131:544-5.
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