Anesthésie et réanimation pour les actes chirurgicaux, endoscopiques et de radiologie interventionnelle sur les voies biliaires





Taysir Assistance.TNG. Kierzek, B. Ouaknine-Orlando, J.-L. Pourriat
La chirurgie des voies biliaires répond aux mêmes impératifs d’anesthésie et de réanimation que la chirurgie abdominale. En revanche, les actes opératoires sur les voies biliaires présentent des spécificités, liées d’une part aux techniques de laparoscopie, d’endoscopie et de radiologie interventionnelle, d’autre part au terrain avec des patients souvent âgés ou porteurs de comorbidités. Lithiase biliaire (non compliquée mais symptomatique, ou compliquée) et tumeurs (malignes ou bénignes) représentent les deux grands groupes d’indications opératoires. En préopératoire, l’ictère, traduisant un taux anormalement élevé de bilirubine dans le sang, constitue un facteur de risque de complications : incidence plus élevée d’insuffisance rénale postopératoire, mais aussi de sepsis, d’hémorragies, de dysfonctions hépatiques et risque de surmortalité de l’ordre de 16 %. La prise en charge préopératoire est essentielle et a pour objectifs de corriger l’hypovolémie, les troubles de la coagulation et les troubles métaboliques afin, notamment, de prévenir l’insuffisance rénale postopératoire. Le choix des produits d’anesthésie doit tenir compte des interférences pharmacocinétiques : les benzodiazépines sont à éviter en prémédication, le propofol et l’étomidate restent les agents d’induction à privilégier et les morphiniques doivent être maniés avec précaution en cas d’insuffisance hépatique ou rénale (accumulation).
Les curares non métabolisés par voie hépatobiliaire (atracurium, cisatracurium) sont à utiliser en première intention avec un monitorage adéquat. L’antibioprophylaxie, indispensable dans cette chirurgie de classe 1 et 2 d’Altemeier, vise essentiellement les entérobactéries (Escherichia coli) et les staphylocoques.
L’actualisation en 1999 des recommandations de 1992 pour la pratique de l’antibioprophylaxie en chirurgie propose, pour la chirurgie biliaire, la céfazoline (2 g), en dose unique à l’induction, avec réinjection de 1 g si la chirurgie dépasse 4 heures. La phase postopératoire peut être émaillée de complications : pancréatite aiguë, ictère postopératoire d’origine chirurgicale par obstacle sur les voies biliaires extrahépatiques ou cholestase intrahépatique, plaies sur la voie biliaire ou lâchage de suture (à évoquer systématiquement devant une hyperthermie précoce avec syndrome péritonéal). Les nouvelles techniques d’endoscopie comme la cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) et la radiologie interventionnelle permettent un abord non chirurgical et s’adressent particulièrement à des patients âgés ou fragiles. Réalisées sous anesthésie générale, les conditions de sécurité requises restent les mêmes que pour tout acte chirurgical, notamment en matière de surveillance postopératoire.

Mots clés : Voies biliaires ; Lithiase biliaire ; Cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) ; Cholécystite ; Angiocholite


Introduction
La chirurgie des voies biliaires répond aux mêmes impératifs d’anesthésie et de réanimation que la chirurgie abdominale. Ils sont traités par ailleurs dans plusieurs articles de l’Encyclopédie Médico-Chirurgicale [1-5] et ils ne seront pas repris ici. En revanche, les actes opératoires sur les voies biliaires présentent des spécificités liées d’une part aux techniques de laparoscopie, d’endoscopie et de radiologie interventionnelle, et d’autre part au terrain avec des patients souvent âgés ou porteurs de comorbidités. Enfin, les actes endoscopiques et radiologiques sont souvent effectués en dehors du bloc opératoire ou en ambulatoire, mais imposent pourtant les mêmes règles de sécurité que celles appliquées en anesthésie conventionnelle.



Rappel anatomo-physiopathologique

Rappel sur l’anatomie et la physiologie du système biliaire
Le système biliaire comprend l’ensemble des organes et des structures associées qui participent à la production et au transport de la bile (Fig. 1). Il intervient dans le drainage des substances éliminées par le foie vers le duodénum et dans la physiologie de la digestion.
La bile (de 600 à 1 200 ml j–1) est élaborée par le foie. Deux étapes se succèdent : sécrétion par les hépatocytes avec passage dans les canalicules hépatiques situés entre les cellules et les travées hépatiques, puis écoulement vers les canaux biliaires terminaux droit et gauche, aboutissant dans le canal hépatique.

Celui-ci rejoint le canal cystique issu de la vésicule biliaire pour former le canal biliaire commun (cholédoque) qui va jusqu’au duodénum. Les canaux hépatique et cholédoque forment la voie biliaire principale (VBP). La bile va donc soit directement dans le duodénum (50 %), soit dans la vésicule biliaire via le canal cystique (50 %). Parallèlement, dans les canaux biliaires, une sécrétion secondaire composée de solutions hydriques d’ions sodium et bicarbonate complète la composition initiale de la bile. Au total, la bile est constituée d’acides biliaires, de cholestérol et de produits organiques divers (bilirubine, lécithine etc.). La bile joue ainsi un rôle important dans la digestion et l’absorption des graisses, et dans l’excrétion de déchets qui transitent dans la circulation générale (bilirubine, excès de cholestérol).

Grâce à des contractions rythmiques de sa paroi, la vésicule biliaire déverse dans le duodénum le contenu biliaire, en réponse à la stimulation produite par la sécrétion de cholécystokinine. 
 Certains agents anesthésiques modifient le tonus des voies biliaires ou du sphincter d’Oddi. Ces effets sont à connaître afin d’éviter tout risque de spasme du sphincter d’Oddi ou d’augmentation des pressions intracholédociennes (cf. infra). Ce risque a néanmoins été largement surestimé pour la pratique anesthésique courante.


Physiopathologie de la lithiase biliaire
Causes
La lithiase biliaire est une pathologie fréquente dans les pays occidentaux, avec une incidence de l’ordre de 20 % après 50 ans.

Dans certaines circonstances, le cholestérol contenu dans la bile peut précipiter, induisant la formation de calculs biliaires de cholestérol : ce sont les plus fréquents (80 %). Quatre facteurs participent au phénomène lithiasique :
- excès d’absorption d’eau à partir de la bile ;
- excès d’absorption d’acides biliaires à partir de la bile ;
- excès de cholestérol dans la bile (régime trop riche en graisses) ;
- inflammation, par infection chronique, de l’épithélium vésiculaire dont les caractéristiques d’absorption sont ainsi modifiées.
Il en résulte une précipitation de cholestérol sous forme de cristaux qui vont croître progressivement et s’enrichir d’ions calcium qui les rendent radio-opaques. Le risque de formation de calculs biliaires de cholestérol est accru chez les sujets âgés, les femmes, les habitants de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord, les obèses, les sujets au régime hypercalorique ou hypercholestérolémiant, les sujets sous oestroprogestatifs et hypolipémiants.

La lithiase pigmentaire due à un excès de bilirubine libre est plus rare (20 %) : elle est liée à l’augmentation de la concentration biliaire en bilirubine non conjuguée. Ce phénomène s’observe en cas d’anémie hémolytique, dans la cirrhose et dans les infections biliaires chroniques. Il explique la fréquence de la lithiase intrahépatique dans les maladies kystiques congénitales des voies biliaires ou dans les cholangites secondaires.

La taille du calcul joue un rôle important dans l’expression clinique de la maladie ; en particulier, les calculs de petite taille (microlithiase), dont certains sont invisibles aux examens d’imagerie, exposent au risque de migration et d’enclavement dans le carrefour biliodigestif.

Lithiases non compliquées
La lithiase peut être localisée à la vésicule ; les formes symptomatiques non compliquées sont une indication chirurgicale. [6]
La lithiase de la VBP représente de 20 à 25 % des lithiases biliaires. Les calculs proviennent de la vésicule dans 90 à 95 % des cas. Les autres calculs se forment en amont d’une sténose chronique (sténose postopératoire, cholangite, anomalie congénitale).

Elle peut être asymptomatique, mais elle est généralement rapidement obstructive, conduisant à l’ictère rétentionnel après des épisodes d’élévation enzymatique isolée et d’ictère transitoire. Son dépistage fait partie du bilan préopératoire et du contrôle peropératoire de la perméabilité des canaux biliaires.

Lithiases compliquées
Les complications engendrées par une lithiase vésiculaire ou de la VBP sont essentiellement de deux types : infectieuses à type d’angiocholite ou de cholécystite, ou mécaniques (cholestase, fistule biliodigestive, syndrome de Mirizzi ou pancréatite).

Ces complications graves justifient les efforts diagnostiques et thérapeutiques qui doivent être mis en oeuvre à titre préventif et curatif.
Complications infectieuses
Leur expression clinique est variable selon la localisation du calcul.
La cholécystite aiguë est une infection bactérienne du contenu vésiculaire, suite à l’obstruction du canal cystique par une lithiase. Elle se manifeste par l’association d’une douleur de l’hypocondre droit (avec signe de Murphy) et de fièvre. La cholécystectomie, associée à l’antibiothérapie, est la clé du traitement.


L’angiocholite aiguë est une infection de la VBP ou des voies biliaires intrahépatiques. Elle est à l’origine des bactériémies (entérobactéries ou entérocoques) à point de départ biliaire. La clinique est typique, avec l’apparition successive d’une douleur abdominale, puis d’une fièvre et enfin d’un ictère. La prise en charge médicale (antibiothérapie) puis chirurgicale doit être rapide en raison de la gravité.

La cholécystite aiguë alithiasique est un processus inflammatoire de la paroi vésiculaire dont l’origine n’est ni lithiasique ni infectieuse. Elle est la conséquence d’un bas débit sanguin local, généralement dans un contexte de défaillance multiviscérale.
 Seule une intervention chirurgicale précoce permet d’éviter la perforation et la péritonite biliaire.

Complications mécaniques
Elles sont dues à l’enclavement du calcul en divers endroits du système biliaire, notamment dans le canal cystique avec compression de la VBP et réaction inflammatoire locale (syndrome de Mirizzi). L’enclavement dans le carrefour biliopancréatique conduit à des complications locorégionales majeures,  entraînant rapidement un état septique grave.
Tumeurs des voies biliaires
Elles se subdivisent en tumeurs bénignes, pseudotumeurs de la vésicule et tumeurs malignes des voies biliaires.
Tumeurs bénignes et pseudotumeurs
Elles regroupent les polypes vésiculaires, la cholestérolose (dépôt anormal de triglycérides dans la paroi vésiculaire) et l’adénomyomatose ou invagination de la muqueuse à travers la musculeuse de la paroi vésiculaire.
Tumeurs malignes
Elles sont représentées par le carcinome cholangiocellulaire ou cholangiocarcinome à forme périphérique (aspect de masse nodulaire hépatique), le cholangiocarcinome ou cancer des voies biliaires qui concerne la voie biliaire principale, le hile ou les voies intrahépatiques, et le cancer de la vésicule biliaire. La qualité du geste chirurgical conditionne le pronostic.

Autres pathologies des voies biliaires
Elles sont nombreuses, incluant notamment les cholangites sclérosantes, les cholécystites liées au virus de l’immunodéficience humaine et les malformations congénitales des voies biliaires.

Problèmes posés par l’ictère préopératoire
L’ictère traduit un taux anormalement élevé de bilirubine dans le sang dont l’origine peut être un excès de production, un défaut du métabolisme ou une difficulté à l’élimination [7]; il s’agit alors d’un ictère obstructif. En préopératoire, il constitue un facteur de risque de complications. [8, 9] De nombreuses études ont pu l’associer à une incidence plus grande d’insuffisance rénale postopératoire, mais aussi de sepsis, d’hémorragies, d’insuffisances hépatiques et à un risque de surmortalité de l’ordre de 16 %. [10] L’ictère entraîne une rétention des acides et sels biliaires. À long terme, il peut générer une cholangite ascendante et des lésions hépatocellulaires secondaires.

Ictère et état pro-inflammatoire
En cas d’interruption du flux biliaire, les acides et sels biliaires ne peuvent plus inhiber les phénomènes de translocation et d’endotoxinémie engendrés par les bactéries à Gram négatif du tube digestif. Ces bactéries vont donc se multiplier et, par un phénomène de translocation, contribuer à la diffusion d’endotoxines dans la circulation générale. Il y a alors création d’un état pro-inflammatoire avec production de cytokines par les macrophages activés. Il en résulte, si l’état perdure, un risque élevé de défaillance multiviscérale, avec notamment l’apparition de troubles de la coagulation.

Ictère et insuffisance rénale
Cette association morbide se rencontre chez 9 % à 20 % des patients nécessitant une intervention chirurgicale pour traitement d’un ictère obstructif. La mortalité, en cas d’insuffisance rénale associée, est élevée, les autres défaillances viscérales apparaissant rapidement. Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la survenue de cette complication incluent une hypotension réactionnelle à une hypovolémie, des modifications de la réactivité vasculaire systémique et rénale, une ischémie rénale et surtout la présence d’endotoxines bactériennes d’origine intestinale. [11]

Ictère rétentionnel et risque opératoire
En cas d’ictère obstructif préopératoire, des travaux anciens montraient que la mortalité postopératoire était majorée par des facteurs de risque indépendants qu’il était nécessaire de corriger autant que possible :
- albuminémie inférieure à 30 g l–1 (< 450 μmol l–1) ;
- hématocrite inférieur à 30 % ;
- bilirubinémie supérieure à 100 mg l–1 (> 70 μmol l–1) ;
- pathologie cancéreuse ; [12]
- créatininémie supérieure à 13 mg l–1 (> 150 μmol l–1).




Interactions des agents anesthésiques avec la chirurgie des voies biliaires

Actions des médicaments de l’anesthésie sur le tonus des voies biliaires
Les morphiniques, notamment la morphine et le fentanyl, ont été accusés d’augmenter le tonus des voies biliaires et de poser des problèmes diagnostiques (oddite spasmodique fonctionnelle versus oddite scléreuse organique), notamment en cas d’hypertonie prolongée et de spasme du sphincter d’Oddi.

Le fentanyl ainsi que la morphine induisent un spasme du sphincter d’Oddi. [13] La pression de passage dans le cholédoque, augmentée sous l’effet du fentanyl, est atténuée par les halogénés. [14] Néanmoins, les conséquences en pratique clinique sont limitées : la pression intracholédocienne reste le plus souvent dans les limites de la normale et le retard au passage de la bile dans le duodénum n’est pas significatif. [15] Les curares non dépolarisants ont, pour leur part, un effet hypotonique, de même que les neuroleptiques par relâchement des fibres musculaires lisses. Les hypnotiques sont sans effet.

En revanche, l’apparition d’une hypertonie des voies biliaires peut avoir d’autres causes : calcul restant, migration d’un calcul intrahépatique et, à la rigueur, analgésie insuffisante responsable d’une réponse neurovégétative hypertonique ou phénomène irritatif local par le produit de contraste iodé au cours de la radiomanométrie peropératoire. L’administration d’un dérivé nitré permet de traiter efficacement cette hypertonie.

Interférences entre l’ictère rétentionnel et la pharmacocinétique des agents anesthésiques
Bien que de nombreux actes de chirurgie biliaire s’effectuent sur des patients sans insuffisance hépatocellulaire (cholécystectomie simple), d’autres patients présentent une altération du métabolisme hépatique en rapport avec l’âge, une infection locale ou systémique, un syndrome rétentionnel. Il en résulte des modifications pharmacocinétiques qu’il est important de connaître. [16]

Agents d’induction [17]
Le thiopental n’a plus la place qu’il a eue pendant de très nombreuses années. De plus, son utilisation était largement déconseillée en présence d’une pathologie hépatobiliaire, en raison de son métabolisme hépatique par la voie du cytochrome P450. Son utilisation exposait donc à un retard de réveil.


Le propofol est l’agent de choix, non seulement pour l’induction, mais aussi pour la sédation chez les patients nécessitant une assistance ventilatoire postopératoire. Il a une courte durée d’action et un effet rapide ; son métabolisme est peu influencé en présence d’une insuffisance hépatique. [18]

L’étomidate, utile en cas d’état cardiovasculaire précaire, ne pose pas de problèmes particuliers pour l’induction de ces patients.

La kétamine a une pharmacocinétique variable en présence d’un obstacle biliaire extrahépatique : certaines études ne montrent aucune modification [19]; d’autres, chez le rat, retrouvent une augmentation des concentrations de kétamine et de ses dérivés en cas de ligature du cholédoque. [20] Dans tous les cas, les effets hallucinatoires postopératoires en ont largement limité l’utilisation en pratique clinique.

Benzodiazépines
Leur utilisation en pré-, per- et postopératoire est largement déconseillée en raison de leur métabolisme hépatique qui expose à une augmentation de la demi-vie, à une prolongation de la durée d’action et à un retard de réveil.

Morphiniques
La morphine et ses dérivés sont indispensables à la période peranesthésique et sont fréquemment utilisés pour assurer l’analgésie postopératoire. Néanmoins, en cas d’insuffisance hépatique, la demi-vie des morphiniques est globalement augmentée. Le risque d’accumulation est majeur en cas d’insuffisance rénale associée, notamment par élévation du taux plasmatique de la morphine-6-glucuronide, métabolite actif de la morphine.

Le fentanyl est métabolisé par hydrolyse et N-déalkylation, puis ses métabolites sont excrétés dans l’urine. Une fonction hépatique dans les limites de la normale est nécessaire à la clairance plasmatique en cas d’injections itératives. La pharmacocinétique de l’alfentanil est également modifiée, avec un allongement de la durée d’action et un effet initial plus prononcé. En revanche, celle du sufentanil est peu altérée, même en cas d’insuffisance hépatocellulaire modérée. La courte durée d’action du rémifentanil et, surtout, un métabolisme purement extrahépatique sont un avantage dans cette indication. [21]

Halogénés
Les halogénés sont connus pour leur hépatotoxicité dont le degré varie selon les agents considérés. La toxicité hépatique de l’halothane est la plus ancienne et de nombreux cas d’hépatite médicamenteuse sont décrits dans la littérature. [22] L’isoflurane a été proposé car moins métabolisé, et donc entraînant théoriquement peu ou pas de toxicité hépatique. Des cas cliniques publiés incitent évidemment à la prudence. [23, 24] L’enflurane est potentiellement néphrotoxique par ses métabolites fluorés ; il est à éviter chez des patients ictériques, déjà à risque d’insuffisance rénale. La même prudence doit s’exercer vis-à-vis des halogénés plus récents. Chez l’animal, il a été démontré que l’incidence de l’hépatotoxicité était de deux types : elle peut être dose-dépendante et directement corrélée à la réactivité de la voie métabolique catalysée par le cytochrome P450 2E1 vers la constitution de protéines trifluoroacétylées. [25] Elle peut être également imprévisible (dite idiosyncrasique), traduisant alors une prédisposition génétique. Chez l’homme, un cas récent a été décrit après exposition au sévoflurane chez un enfant souffrant d’hyperoxalurie primaire. [26]

Curares
Une étude française, déjà ancienne, a montré l’effet prolongé du vécuronium chez les patients porteurs d’une cholestase, en rapport avec un retard d’élimination. [27] De tous les curares non dépolarisants, le vécuronium est le plus dépendant de l’excrétion biliaire, mais le rocuronium, dont le mécanisme principal d’élimination est l’excrétion biliaire après un métabolisme hépatique, est également concerné en cas de cholestase.

Le métabolisme hépatique du pancuronium est altéré en cas d’élévation du taux plasmatique d’acides biliaires, et la demivie d’élimination ainsi que le délai de récupération du bloc neuromusculaire sont prolongés. L’atracurium et le cisatracurium, dont le métabolisme est indépendant du foie, gardent une clairance et une demi-vie d’élimination normales en dépit d’un volume de distribution augmenté chez les patients en insuffisance hépatique aiguë. Dans tous les cas, l’utilisation d’un monitorage de la curarisation est évidemment indispensable. [28]

Implications anesthésiques
Un patient ictérique, avec un obstacle sur les voies biliaires, est un patient fragile, au risque anesthésique élevé. [29] Par le passé, il avait donc été logiquement proposé une décompression préopératoire par un drainage biliaire percutané. [30] Des études randomisées prospectives ont montré par la suite que cette attitude ne présentait aucun bénéfice. [31]

La prise en charge préopératoire repose notamment sur la prévention de l’insuffisance rénale postopératoire par le contrôle de la volémie : expansion volémique, normalisation de l’hématocrite, monitorage des performances cardiaques en per- et postopératoire.

L’administration per os préopératoire de sels biliaires ou de lactulose a été proposée dans le but de diminuer le risque d’endotoxinémie en bloquant les phénomènes de translocation bactérienne à partir de l’intestin. [32] L’efficacité de cette pratique n’a pas été validée.

Les anti-inflammatoires et les antibiotiques néphrotoxiques sont à éviter.
Concernant l’antibioprophylaxie, la chirurgie du tube digestif et/ou de ses annexes correspond soit à une chirurgie propre (classe 1 d’Altemeier) en l’absence d’ouverture du tube digestif, soit le plus souvent à une chirurgie propre-contaminée de classe 2, lorsque le tube digestif est ouvert. Pour la chirurgie des voies biliaires, la présence de facteurs de risque (âge supérieur à 70 ans, calcul cholédocien, ictère obstructif, histoire récente de cholécystite aiguë ou de cholangite, chirurgie biliaire ou sphinctérotomie endoscopique préalable, prothèse biliaire) accroît le risque d’infection postopératoire et impose d’autant plus l’administration d’une antibioprophylaxie. Les bactéries cibles sont essentiellement les entérobactéries (E. coli) et les staphylocoques dont le caractère résistant à la méticilline doit être envisagé si le patient a déjà subi de nombreux séjours hospitaliers. Le rôle pathogène de Enterococcus sp. est discuté pour la chirurgie avec ouverture du tube digestif. L’actualisation en 1999 des recommandations pour la pratique de l’antibioprophylaxie en chirurgie [33] propose pour la chirurgie biliaire la céfazoline (2 g), en dose unique à l’induction, avec réinjection de 1 g si la chirurgie dépasse 4 heures. En cas d’allergie à la pénicillline, il est théoriquement recommandé d’associer de la clindamycine (600 mg) et de la gentamicine, avec réinjection de 600 mg de clindamycine seule en cas de durée opératoire supérieure à 4 heures. La gentamicine en dose unique, recommandée en association à la dose de 2 à 3 mg kg–1, est néanmoins à éviter chez le patient ictérique. Le choix d’une quinolone peut se discuter.



Gestion de l’anesthésie et des suites opératoires en chirurgie


Spécificités chirurgicales
Chirurgie laparoscopique
La coelioscopie a remplacé la traditionnelle laparotomie dans la plupart des actes de chirurgie biliaire. Ses particularités anesthésiques sont décrites dans un autre article du traité, [2] mais on peut souligner :
- une diminution de la douleur postopératoire qui abaisse les besoins antalgiques, facilite la kinésithérapie respiratoire, améliore les capacités de récupération et raccourcit la durée d’hospitalisation ; cependant, la douleur viscérale, qui prédomine par rapport aux douleurs pariétale et scapulaire, peut être violente au cours des premières heures postopératoires, mais son intensité diminue rapidement, contrairement à ce qui est observé après laparotomie ; la qualité de l’exsufflation en fin d’intervention permet de diminuer les douleurs scapulaires ;
- la conversion en laparotomie est souvent obligatoire en présence d’une cholécystite, surtout si les lésions datent de moins de 48 heures car le degré d’inflammation rend difficile la dissection du canal cystique ; l’augmentation de l’épaisseur des parois vésiculaires en échographie est d’ailleurs un facteur prédictif de conversion ; l’expérience de l’opérateur interfère également avec le pourcentage de conversions.

Type de chirurgie
Cholécystectomie
La cholécystectomie est indiquée en cas de lithiase vésiculaire symptomatique ou de complications. En l’absence de complications, l’intervention se fait habituellement sous coelioscopie. Les autres indications sont représentées par les vésicules porcelaines, les adénomes supérieurs à 10 mm et les patients à haut risque de complications (transplantés, immunodéprimés). [34, 35]

Chirurgie des voies biliaires
La présence d’une lithiase de la voie biliaire principale peut bénéficier d’un traitement par laparotomie, laparoscopie ou d’une sphinctérotomie endoscopique. La coeliochirurgie a pris un essor considérable, mais elle impose des chirurgiens expérimentés ; les indications dépendent de la taille de la voie biliaire, elle-même conditionnée par le nombre, la taille et la localisation des calculs. Elle est recommandée par de nombreux auteurs, en cas de voie biliaire dilatée : cholédocotomie laparoscopique avec mise en place d’un cystic duct tube (C-tube) permettant, en cas de besoin, la réalisation d’une sphinctérotomie endoscopique de rattrapage. [36, 37] À l’inverse, la gestion des calculs en cas de voie biliaire non dilatée, notamment dans le cadre d’une cholangite lithiasique, se fait en deux temps : réalisation d’une sphinctérotomie endoscopique première pour libérer la voie biliaire, suivie d’une cholécystectomie laparoscopique. 

La chirurgie des cancers des voies biliaires est le plus souvent une chirurgie palliative, visant à améliorer transitoirement la qualité de vie des patients, en diminuant l’ictère.

Formes compliquées
Cholécystite aiguëL’infection du contenu vésiculaire est le plus souvent consécutive à une obstruction lithiasique du canal cystique. Une amélioration peut être obtenue par le traitement antibiotique, mais la cholécystectomie précoce est de règle afin d’éviter les complications graves de la cholécystite, et notamment l’empyème et la perforation. L’apport de l’échographie est indéniable, ce qui permet le diagnostic dans le service des urgences. Les signes principaux sont la douleur au passage de la sonde d’échographie et l’épaississement de la paroi vésiculaire qui peut prendre un aspect feuilleté ou stratifié avec une couche centrale hypoéchogène. Le doppler de la paroi vésiculaire, lorsqu’il objective des signes d’hypervascularisation pariétale, apporte des arguments supplémentaires pour le diagnostic d’inflammation. La tomodensitométrie (TDM) retrouve la distension vésiculaire et l’épaississement de la paroi, dont la densité se rehausse après injection. La préparation préopératoire repose sur le repos au lit, la rééquilibration hydroélectrolytique, la prise en charge analgésique (antalgiques et antispasmodiques) et une antibiothérapie appropriée (par exemple : amoxicilline/ acide clavulanique à la dose de 3 à 4 g j–1).

Angiocholite aiguëL’échographie évalue la dilatation des voies biliaires d’amont, localise le ou les calculs, détermine leur taille. Lorsque sa réalisation est difficile, elle est complétée par une TDM des voies biliaires. Le scanner peut être remplacé par une échoendoscopie, si l’état général du patient le permet. Le problème majeur pour l’anesthésiste-réanimateur est la correction des anomalies circulatoires, hydroélectrolytiques et rénales :de 3 à 4 litres d’apport hydrosodé par jour afin de préserver la fonction rénale, la normalisation de la kaliémie et l’instauration d’un traitement antibiotique adapté (molécule et doses efficaces).
La cure chirurgicale (ou endoscopique) est une urgence.

Spécificités anesthésiques
Consultation d’anesthésie
La chirurgie des voies biliaires est réalisée chez l’adulte pour des pathologies acquises, le plus souvent inflammatoires ou néoplasiques : cholécystite, lithiase, carcinome de la vésicule ou de l’arbre biliaire.

La chirurgie laparoscopique est devenue la règle pour tout ou partie de l’intervention chirurgicale. Sur le plan anesthésique, les impératifs de sécurité et de prise en charge sont les mêmes, car la possibilité de conversion en laparotomie peut se produire à tout moment. Cette éventualité doit être clairement expliquée au patient lors des consultations chirurgicale et anesthésique. La durée d’intervention est plus longue, mais le bénéfice pour le patient, notamment en termes de douleur postopératoire et de durée de séjour hospitalier, n’est plus à démontrer.

Préparation préopératoire
En dehors de la cholécystectomie simple, l’état général de ces patients est souvent altéré, aggravant un terrain déjà débilité. Il convient donc de vérifier certains éléments en préopératoire, afin de pouvoir corriger les anomalies retrouvées.

Correction de l’hypovolémie
Il peut être nécessaire de restaurer le volume circulant sanguin par des dérivés du sang ou des substituts plasmatiques, en cas de saignement chronique. De même, tout saignement récent aigu peut induire une déplétion volémique occulte, qui doit être réglée avant l’induction anesthésique. L’apport d’albumine peut s’imposer chez les patients dénutris ou dont la synthèse hépatique est suffisamment altérée pour produire une hypoalbuminémie. [40] Par ailleurs, en cas de nausées et vomissements, une hypokaliémie doit être recherchée et corrigée.

Troubles de la coagulation
Ils peuvent être cliniques ou biologiques, essentiellement par diminution des facteurs vitamine K-dépendants ou par une consommation anormale des facteurs de la coagulation et des plaquettes. Des tests de laboratoire sont donc nécessaires en préopératoire. L’administration de plasma frais congelé, pour une chirurgie urgente, permet de suppléer à court terme les facteurs de la coagulation, et la vitamine K, à plus long terme, permet de corriger le taux de prothrombine en cas de cholestase.
L’apport de plaquettes est indiqué en cas de thrombopénie inférieure à 50 000 mm–3.

Contrôle de la fonction rénale
Son importance a déjà été décrite. Le bilan biologique habituel (ionogrammes sanguin et urinaire, créatinine, osmolalité urinaire etc.) est systématique. Dans les cas les plus sévères, une séance d’hémofiltration préopératoire permet d’aborder l’acte chirurgical avec plus de sérénité.

Contrôle nutritionnel
Deux situations sont possibles :
- soit une dénutrition, en cas de pathologie cancéreuse sousjacente ; dans ce cas, l’hypoprotidémie aura notamment des conséquences sur la pharmacocinétique des médicaments administrés et sur l’augmentation de leur demi-vie ;
- soit une obésité, voire une obésité morbide car la pathologie lithiasique y est fréquente ; la prise en charge de ces patients pose des problèmes anesthésiques spécifiques, notamment cardiovasculaires et respiratoires ; ils sont décrits dans un autre chapitre de ce traité. [41]

Prémédication
À l’exception des patients ictériques, les benzodiazépines sont indiquées comme anxiolytique la veille et/ou le jour de l’intervention.
Un antiH2 peut être indiqué chez les patients ayant une symptomatologie de type reflux gastro-oesophagien, afin de réduire le volume et d’augmenter le pH des sécrétions gastriques.

Techniques anesthésiques
Anesthésie générale avec ventilation mécanique C’est la règle. Elle est sans spécificités, si ce n’est le fait d’éviter les halogénés, notamment en cas d’ictère ou d’anesthésies itératives.

Les curares à élimination biliaire (par exemple le vécuronium) sont à éviter au profit de ceux métabolisés par la voie d’Hoffman (atracurium, cisatracurium).
Le monitorage peranesthésique dépend du type de chirurgie, mais aussi du terrain. Dans les cholécystectomies simples, les bonnes pratiques médicales et les normes réglementaires sont respectées (surveillance scopique, pression artérielle, monitorage des gaz expirés, saturation de l’hémoglobine en oxygène etc.).

En cas de chirurgie plus importante chez un patient en mauvais état général, une mesure de la pression veineuse centrale et une surveillance invasive de la pression artérielle sont souhaitables, surtout si des pertes sanguines importantes sont prévisibles.

Anesthésie péridurale
C’est une technique alternative qui nécessite un bloc de haut niveau dont les conséquences doivent faire partie du choix stratégique. L’analgésie postopératoire est alors assurée par le cathéter laissé en place. [42]

Prise en charge postopératoire
Surveillance postopératoire
Elle est classique, incluant le contrôle de l’oxygénation, de l’équilibre hémodynamique et la prévention des nausées et des vomissements.

Nécessité de l’analgésie
L’analgésie est indispensable en raison des interférences neurogènes avec la commande ventilatoire, à l’origine de la dysfonction diaphragmatique.

L’injection peropératoire de bupivacaïne 0,5 % adrénalinée à la dose de 75 à 100 mg (soit 15 à 20 ml) dans la région sousdiaphragmatique et dans la zone opératoire permet de réduire les douleurs.

Cette technique peut être associée au bloc nerveux intercostal (3 ml de bupivacaïne 0,5 % adrénalinée), mais dont le pneumothorax est le principal risque. Ces deux techniques permettent d’obtenir une analgésie d’environ 8 heures.

L’infiltration intrapéritonéale diminue significativement la douleur scapulaire pendant plus de 24 heures.
L’anesthésie locorégionale (rachianesthésie ou péridurale) est peu utilisée, car elle nécessite un bloc de haut niveau, avec risque d’hypotension, et de ce fait une surveillance rapprochée dans une unité spécialisée. Le rapport bénéfice/risque n’est donc pas en faveur de l’utilisation de la péridurale pour les chirurgies mineures de l’arbre biliaire.

Les morphiniques peuvent surtout être utilisés par voie intraveineuse, avec une attention particulière en cas d’insuffisance hépatique. Ils peuvent être également administrés en intrathécal (0,1 mg).

En l’absence de retentissement hépatique, les antiinflammatoires non stéroïdiens peuvent être prescrits, seuls ou en association : le kétoprofène (de 25 à 100 mg toutes les 12 heures) permet ainsi de réduire la quantité de morphiniques de 25 à 50 %, [43] avec parallèlement une diminution des effets secondaires de la morphine (nausées, vomissements, dépression respiratoire, rétention urinaire).

Complications per- et postopératoires
Les réactions aux produits de contraste sont exceptionnelles, mais le risque existe quel que soit le produit de contraste utilisé.
En préopératoire, la cholangiographie intraveineuse est totalement abandonnée ; elle est remplacée par l’échographie et la cholangiopancréatographie sous IRM, dont la valeur diagnostique est superposable à celle de la cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique, sauf en cas de microlithiase ou de cholangite. [44] Les produits de contraste iodés hydrosolubles sont responsables le plus souvent de réactions mineures ne nécessitant pas de traitement, mais qui peuvent précéder un accident sévère et justifient une vigilance permanente. [45] Ainsi, les effets secondaires observés (5 %) sont minimes ou modérés : céphalées, vomissements, nausées, sensations de brûlure locale, vertiges, goût anormal. En peropératoire, une opacification des voies biliaires est recommandée afin d’en vérifier la perméabilité avant la fermeture. Elle expose donc au risque de réaction anaphylactique comme toute procédure utilisant les produits de contraste.

La pancréatite aiguë est la complication la plus grave des interventions sur les voies biliaires, avec un risque majeur en cas de geste sur le sphincter d’Oddi. [4]

L’ictère postopératoire peut être dû, soit à un obstacle sur les voies biliaires extrahépatiques d’origine chirurgicale (ligature accidentelle de la voie biliaire, sténose post-traumatique ou lithiase résiduelle), soit à une cholestase intrahépatique. La présence d’une lithiase résiduelle doit conduire à la mise en oeuvre rapide d’un traitement complémentaire chirurgical, endoscopique ou par le drain s’il y en a un.
Une plaie sur les voies biliaires ou un lâchage de suture (moignon vésiculaire) sont à évoquer systématiquement devant l’apparition précoce d’une hyperthermie associée à un syndrome péritonéal, témoignant d’un cholépéritoine et d’une péritonite biliaire. Le pronostic est sombre chez les patients âgés ou porteurs de comorbidités. Une réintervention précoce est indispensable.

Les complications respiratoires postopératoires, à type d’atélectasies ou de pneumopathies, ne sont pas exceptionnelles, principalement chez le patient âgé ou porteur de comorbidités.
L’altération de la fonction diaphragmatique est plus faible après laparoscopie qu’en chirurgie conventionnelle. [46]
 

Gestion de l’anesthésie et des suites opératoires en endoscopie et en radiologie interventionnelle




Les techniques endoscopiques (cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique [CPRE]) et de radiologie interventionnelle permettent un abord non chirurgical des voies biliaires, notamment chez les patients les plus âgés ou les plus fragiles.

Ces méthodes, à la fois diagnostiques et thérapeutiques, présentent quelques particularités anesthésiques.

Cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique
Définition
Introduite en 1974, la CPRE est désormais très répandue (150 000 actes par an aux États-Unis [47]), utilisée aussi bien pour le diagnostic que pour le traitement des pathologies biliaires et pancréatiques. [48] C’est une endoscopie digestive haute qui permet l’opacification des voies biliaires et du canal de Wirsung. Des actes complémentaires peuvent être effectués : sphinctérotomie endoscopique, drainage biliaire, prothèse biliaire (pour compression ou sténose des voies biliaires). [49]

Les complications apparaissent dans 5 à 10 % des cas et sont surtout le fait des CPRE thérapeutiques.

Indications des différentes techniques
La CPRE est une alternative à la chirurgie permettant la détection et l’extraction des lithiases cholédociennes. [50, 51]

Éventuellement combinée à une papillotomie (ou sphinctérotomie), elle permet l’extraction des calculs des voies biliaires notamment du cholédoque après cholécystectomie ainsi qu’en cas de lithiase vésiculaire in situ associée [52]; elle facilite le placement de stents dans les sténoses biliaires malignes ou bénignes, ainsi que dans les dysfonctions du sphincter d’Oddi.

Ce geste complexe est pratiqué sous contrôle visuel. Il comprend l’insertion profonde d’une canule dans le canal biliaire au travers de l’ampoule de Vater, suivie d’une incision avec électrocautérisation du sphincter d’Oddi. [48] Cette canulation s’avère parfois difficile, nécessitant la répétition du geste ou l’injection du pancréas.

Lorsque le canal biliaire ne peut être abordé, la papille est disséquée pour exposer le canal biliaire : c’est une sphinctérotomie avec precut (pré-incision).
L’autre possibilité est la ponction du foie avec montée antérograde transhépatique d’un guide métallique depuis le canal biliaire vers le duodénum, afin de compléter la sphinctérotomie : c’est une procédure combinée percutanée- endoscopique.

Complications (Tableau 1)
Elles sont multiples et variables selon le type de CPRE réalisée (diagnostique seule, avec geste thérapeutique associé, avec sphinctérotomie etc.).

Technique en elle-même
Elle possède sa propre morbidité : hémorragie des voies biliaires, infections (angiocholite, choc septique), hyperamylasémie asymptomatique transitoire, apparition ou aggravation possible d’une pancréatite préexistante, perforation digestive, lésion des muqueuses par le matériel utilisé. [4] On observe jusqu’à 3,3 % de pancréatites après CPRE (définies comme l’apparition d’une douleur de type pancréatique avec élévation de l’amylasémie à plus de quatre fois la normale, 24 heures après la CPRE). [53]

Sphinctérotomie (ou papillotomie) endoscopique
Les complications de la sphinctérotomie sont définies comme tout effet indésirable en rapport avec la CPRE pendant la réalisation de la sphinctérotomie et nécessitant plus d’une nuit d’hospitalisation. [54] La sévérité des complications est évaluée en fonction de la durée de l’hospitalisation et du degré d’intervention requis : mineure pour 2 à 3 jours d’hospitalisation, modérée pour 4 à 10 jours et sévère pour plus de 10 jours, avec geste chirurgical ou de radiologie interventionnelle. L’incidence des complications est de l’ordre de 5 à 10 % : cholangite, cholécystite, récidive de cholédocolithiase, hémorragie ou pancréatite. [47, 55]

Prise en charge anesthésique
Consultation d’anesthésie
Elle est fondamentale chez ces patients souvent ASA 3 ou 4, ou récusés pour la chirurgie et pour lesquels la CPRE est la seule possibilité. [56] Il s’agit de situations extrêmement difficiles, cumulant des risques liés au terrain et ceux liés à une anesthésie effectuée souvent en dehors du bloc opératoire. La plus grande vigilance est donc requise, tant sur le bilan préopératoire que sur la vérification des conditions de sécurité peranesthésique.

Préparation préopératoire
Le dépistage des facteurs favorisant les complications postopératoires est impératif, notamment la correction des troubles hydroélectrolytiques.
La correction des troubles de l’hémostase (notamment du taux de prothrombine par administration de vitamine K) est souvent requise. L’utilisation d’héparine, à doses préventives avant la CPRE-sphinctérotomie, a été proposée, mais sans confirmation ultérieure, pour réduire significativement l’incidence des pancréatites post-CPRE, sans augmenter le risque d’hémorragies. [57, 58]

Concernant les complications infectieuses, deux cas de figures sont possibles. L’infection est patente et elle requiert alors une antibiothérapie probabiliste ou adaptée si des micro-organismes ont déjà été isolés, notamment dans des hémocultures. Il n’y a pas d’infection : dans ce cas, l’antibioprophylaxie à l’induction est obligatoire, mais le choix de la molécule doit être discuté.

Classiquement, en l’absence d’hospitalisation ou d’antibiothérapie préalable, la conférence de consensus recommande une céphalosporine de première ou deuxième génération (par exemple, céfazoline 2 g) en dose unique en préopératoire avec réinjection de 1 g si le geste dépasse 4 heures. Cependant, ces patients ont souvent été soumis à de nombreux séjours hospitaliers, voire à des actes répétés sur les voies biliaires. Le risque de colonisation par des germes multirésistants, notamment des staphylocoques résistants à la méticilline (SARM), est majeur. Le choix de la molécule d’antibioprophylaxie doit tenir compte de ce risque, éventuellement par la recherche d’une colonisation préopératoire à SARM. En cas de positivité, un glycopeptide est recommandé. L’allergie et la prévention de l’endocardite n’ont pas de particularités. 

Technique anesthésique
La technique anesthésique doit prendre en compte plusieurs impératifs.
Pour toutes ces raisons, l’anesthésie générale est la règle et l’endoscopie est un domaine où l’anesthésie intraveineuse à objectif de concentration a été largement développée afin d’adapter au mieux les impératifs d’anesthésie et de qualité de réveil. [5, 59]

L’anesthésie « vigile » expose à un risque certain d’hypoxie ou à une nécessité d’intubation dans des conditions périlleuses. [60]
Certains agents intraveineux inhibiteurs de la motricité intestinale sont parfois injectés, à la demande des gastroentérologues, dans un but hypothétique de faciliter le cathétérisme de la papille. Les antispasmodiques n’ont au minimum aucun  effet ; les dérivés atropiniques ou le glucagon ne sont pas dénués d’effets secondaires cardiovasculaires ou glycémiques.

Surveillance postopératoire
La surveillance en salle de soins postinterventionnelle (SSPI) est de même nature que pour une intervention chirurgicale, en s’attachant au dépistage précoce des complications liées à l’acte endoscopique. Ce point est à souligner car ces patients peuvent séjourner parfois trop rapidement en SSPI.


 Points forts
Contraintes à prendre en compte pour l’anesthésie lors de CPRE
- Acte réalisé le plus souvent en dehors du bloc opératoire
- État général souvent altéré
- Induction souvent réalisée sur le chariot puis transfert sur la table d’examen
- Position en décubitus latéral gauche, voire ventral
- Non-accès à la tête avec des mouvements de va-et-vient de l’endoscope lors de la recherche de la papille induisant des risques de déplacement de la sonde d’intubation, voire d’extubation
- Utilisation d’un fibroscope de gros calibre
- Durée d’intervention souvent imprévisible et toujours longue : 45 minutes en moyenne (10 % durent moins de 20 minutes et 10 % plus de 90 minutes)
- Risque d’inhalation et de régurgitation silencieuse, favorisées par l’insufflation d’air dans le tractus digestif
 Points forts
Détection des complications possibles après CPRE
- Réaction pancréatique précoce, dépistée par un dosage répété de la lipasémie ou du trypsinogène-2 urinaire. [61]
En cas de doute, l’examen TDM peut montrer un élargissement et une prise de contraste hétérogène du pancréas.
- Décharge bactérienne à point de départ biliaire, par la prise répétée de la température au cours des 24 premières heures et hémocultures dans les conditions habituelles.
L’antibiothérapie est impérative en cas de drainage biliaire incomplet.
- Perforation suspectée sur l’intensité de la douleur postopératoire avec examen radiologique au moindre doute (abdomen sans préparation ou TDM). La reconnaissance précoce de cette complication conditionne le pronostic. La prise en charge est variable, pouvant être simplement attentiste (antibiothérapie, arrêt de l’alimentation per os et/ou sonde nasogastrique en aspiration) ou invasive avec geste chirurgical en urgence.
- Hémorragie locale, par surveillance des paramètres hémodynamiques, mesure extemporanée de l’hémoglobine (Hemocue®) et numération formule sanguine.

Radiologie interventionnelle
Technique
C’est une thérapeutique qui s’est beaucoup développée ces dernières années et, comme tout traitement, elle s’accompagne d’un cortège de possibles effets secondaires. La cholangiographie transhépatique diagnostique ne nécessite pas systématiquement une anesthésie. En revanche, l’anesthésie est obligatoire pour l’abord transhépatique des voies biliaires, curatif ou palliatif : obstructions biliaires extrinsèques, le plus souvent cancéreuses (cancer de la tête du pancréas, de la vésicule, métastases périportales), lithiases biliaires (notamment chez les patients à haut risque et/ou âgés), sténoses biliaires. [62-64] Elle est également proposée en première intention dans le traitement des lithiases intrahépatiques primaires et secondaires, [62] ou dans le traitement des lithiases des canaux biliaires (dilatation par un ballonnet de la papille et évacuation des calculs dans l’intestin). [63]

La prise en charge anesthésique préopératoire est superposable à celle de la CPRE (y compris pour l’antibioprophylaxie), mais la période opératoire est marquée par la nécessité d’une analgésie profonde en raison de la douleur engendrée par le cathétérisme biliaire et surtout l’utilisation de matériel de gros calibre (de 10 à 15 F pour les prothèses, 7 mm de diamètre pour les ballons de dilatation en cas de sténose). Les composantes de la douleur sont multiples :
- irritation des voies biliaires dont l’innervation est sympathique (chaînes paravertébrales D6-D9) ;
- la peau, l’espace intercostal, innervés par le nerf intercostal ;
- le péritoine, occasionnant une douleur de très courte durée.
La prise en charge analgésique est donc fonction de la taille du matériel utilisé :
- s’il est de petit calibre, l’abord et le cathétérisme des voies biliaires peuvent être réalisés sous sédation associant midazolam ou hydroxyzine et éventuellement un morphinique, ou préférentiellement propofol et morphinique avec infiltration locale d’un anesthésique local sur le trajet pariétal de l’aiguille (de Chiba) ou du guide ;
- si le matériel est de plus gros calibre, il faut avoir recours à une anesthésie générale avec des agents de courte durée d’action (propofol/rémifentanil par exemple) car la mise en tension des voies biliaires est très douloureuse ; l’anesthésie locorégionale est une alternative par la réalisation d’un bloc intercostal ; cette technique est suffisante dans la majorité des cas pour les interventions sur les voies biliaires droites et gauches ; si un abord xiphoïdien est nécessaire pour le drainage des voies biliaires gauches, il faut pratiquer un bloc intercostal bilatéral, bloquant les deux chaînes sympathiques. [65]

Complications
Bien qu’il s’agisse d’une technique efficace et sûre, les gestes transhépatiques sur les voies biliaires peuvent se compliquer d’hémobilie, de bilomes ou d’effusion biliaire pleurale, de cholangite, de pancréatite, de pneumothorax, de bactériémies ou d’un simple inconfort cutané. Le risque de choc septique est élevé, proportionnel à la durée de l’acte et aux manipulations justifiant alors une antibiothérapie, initialement probabiliste puis adaptée aux micro-organismes retrouvés dans le prélèvement biliaire.

Des lésions cornéennes (opacités punctiformes souscapsulaires type cataracte) ainsi que des atteintes cutanées en rapport avec une surexposition aux radiations ionisantes peuvent se voir, aussi bien chez le patient que chez le personnel soignant exposé.
Des réactions allergiques sont toujours possibles au cours de l’injection du produit de contraste, ainsi que douleur ou hématome.
Conclusion
La chirurgie des voies biliaires concerne souvent des patients âgés ou porteurs de comorbidités, rendant les interventions susceptibles de complications per- et postopératoires. La prise en charge préopératoire (consultation, choix de la technique anesthésique, contrôle de la volémie et corrections des désordres métaboliques ou des troubles de la coagulation) est fondamentale et doit permettre de les limiter au minimum.

Les techniques opératoires, en particulier les plus récentes comme l’endoscopie (CPRE) ou la radiologie interventionnelle, présentent des spécificités qui nécessitent une parfaite collaboration entre l’opérateur et l’anesthésiste-réanimateur. Une connaissance approfondie des complications possibles est requise et la surveillance postopératoire de ces patients reste évidemment une priorité, surtout si ces actes endoscopiques et radiologiques sont réalisés en dehors du bloc opératoire.

 Points essentiels
- La lithiase biliaire est une pathologie fréquente dans les pays occidentaux, liée à la formation de calculs principalement cholestéroliques (80 %) ou pigmentaires par excès de bilirubine libre (20 %).
- L’ictère préopératoire représente un facteur de risque de complications (insuffisance rénale, sepsis, hémorragies, dysfonctions hépatiques) et est lié à une surmortalité de l’ordre de 16 %.
- La période préopératoire doit permettre une correction de l’hypovolémie et des troubles de la coagulation, un contrôle de la fonction rénale (prévention de l’insuffisance rénale postopératoire) ainsi qu’un bilan nutritionnel (dénutrition avec hypoprotidémie augmentant la demivie de certains médicaments ou au contraire problèmes anesthésiques spécifiques de l’obésité).
- Le propofol reste l’agent d’induction de choix, de même que l’étomidate en cas d’instabilité hémodynamique. Les benzodiazépines sont à éviter en raison de leur métabolisme hépatique.
- Les morphiniques voient leur demi-vie augmentée en cas d’insuffisance hépatique et le risque d’accumulation est majeur en cas d’insuffisance rénale associée.
- Les curares à élimination biliaire (vécuronium et rocuronium) sont à éviter au profit de ceux métabolisés par la voie d’Hoffman (atracurium, cisatracurium).
- L’antibioprophylaxie (entérobactéries et staphylocoques) reste indispensable dans cette chirurgie propre-contaminée (classe 2 d’Altemeier) et repose sur l’administration de céfazoline (2 g) en dose unique à l’induction si la chirurgie ne dépasse pas 4 heures.
- Les complications per- et postopératoires concernent la pancréatite aiguë, l’ictère postopératoire (obstacle d’origine chirurgicale sur les voies biliaires extrahépatiques ou cholestase intrahépatique), les plaies sur la voie biliaire ou un lâchage de suture sur un moignon vésiculaire (hyperthermie précoce avec syndrome péritonéal).
- La cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) et la radiologie interventionnelle permettent un abord non chirurgical, notamment chez des patients âgés ou fragiles sous anesthésie générale.
- La surveillance postopératoire en salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI) est indispensable et de même nature que toute intervention chirurgicale, en s’attachant au dépistage précoce des complications liées à l’acte endoscopique.



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