Anesthésie-réanimation pour chirurgie des glandes parathyroïdes



Yves Ozier : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier
Nicole Pras-Jude : Praticien hospitalier. Service d'anesthésie-réanimation chirurgicale (Pr Conseiller)
Yves Chapuis : Professeur des Universités, praticien hospitalier, clinique chirurgicale
Université René-Descartes - Paris V, Faculté de médecine Cochin - Port Royal, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris France

Résumé
La chirurgie des glandes parathyroïdes s'adresse en règle aux hyperparathyroïdies et revêt des aspects contrastés. Les progrès effectués dans leur détection ont contribué à augmenter la fréquence des interventions de chirurgie parathyroïdienne. Dans la majorité des cas, il s'agit aujourd'hui d'interventions peu traumatisantes s'adressant à des affections auxquelles un diagnostic plus précoce a conféré un aspect bénin. Toutefois, les conséquences de l'hyperparathyroïdie et de sa chirurgie sur le métabolisme phosphocalcique peuvent générer des perturbations physiologiques mettant en jeu le pronostic vital.

PHYSIOLOGIE DES GLANDES PARATHYROÏDES
Les parathyroïdes interviennent dans l'homéostasie calcique et le maintien à un niveau constant de la concentration plasmatique de calcium ionisé. L'hormone parathyroïde ou parathormone (PTH) tend à augmenter la calcémie en agissant sur deux cibles, l'ost et le rein, par plusieurs mécanismes :rétention calcique rénale : la PTH favorise la réabsorption calcique au niveau du tube contourné distal ; la PTH favorise l'hydroxylation rénale de la vitamine D en 1-25 cholécalciférol qui favorise l'absorption digestive de calcium ; la PTH augmente le renouvellement osseux avec activité ostéoclastique prédominante.

Le calcium est le principal régulateur de la sécrétion de la PTH [9]. La cellule sécrétrice est sensible à la concentration plasmatique du calcium ionisé, de sorte que sa diminution stimule la sécrétion de PTH et que son augmentation l'inhibe. Cette régulation est rapide, les variations du taux sérique de la PTH se manifestant 1 à 3 heures après les variations de calcémie.

LaPTH est un polypeptide (84 acides aminés, poids moléculaire = 9 600) présent dans la circulation sous forme de PTH intacte, de prohormone et de fragments N-terminal biologiquement actif et C-terminal inactif.

HYPERPARATHYROÏDIE
Conséquences physiopathologiques de l'hypersécrétion de PTH
Conséquences biologiques
La conséquence essentielle de l'hypersécrétion de PTH est l'hypercalcémie (calcémie normale = 95-105 mg/l ou 2,4-2,6 mmol/l) qui, par son amplitude ou son ancienneté, conditionne la plupart des manifestations cliniques. Le calcium figure dans le sérum sous plusieurs formes : diffusible ionisée (forme active représentant 46 % du calcium total), non diffusible liée aux protéines (44 %) notamment à l'albumine, et diffusible sous forme de complexes avec divers anions (10 %). La fraction ionisée est relativement plus élevée dans le cas de l'hyperparathyroïdie [7]. Elle s'accompagne souvent d'une hypercalciurie, due à l'augmentation du calcium filtré, mais moins importante que ne le voudrait l'hypercalcémie du fait que la PTH favorise la réabsorption tubulaire du calcium. Il existe une hypophosphorémie sauf en cas d'insuffisance rénale, d'une hyperphosphaturie ou d'une tendance à l'acidose hyperchlorémique.

Manifestations cliniques
Rénales
L'hypercalcémie est responsable d'une perte du pouvoir de concentration des urines conduisant à une polyurie-polydipsie et une tendance à la déshydratation. Une lithiase rénale affecte 60 à 70 % des patients avec hyperparathyroïdie. L'hypercalcémie prolongée entraîne une acidose tubulaire de type II, une néphrocalcinose, et peut conduire à l'insuffisance rénale chronique.

Osseuses
L'ostéite fibrokystique classique est devenue très rare. Plus fréquemment existe une ostéopénie, responsable de douleurs osseuses et de fractures pathologiques.

Musculaires et neurologiques
Elles consistent en fatigue et atrophie musculaire, troubles de la mémoire, somnolence progressant vers la confusion ou allant jusqu'au coma en cas d'hypercalcémie sévère.

Digestives
Douleurs abdominales non spécifiques, anorexie et constipation sont fréquentes. Les vomissements en cas d'hypercalcémie élevée majorent la déshydratation. Une hypergastrinémie avec augmentation de la sécrétion acide gastrique est responsable d'une fréquence accrue d'ulcères gastroduodénaux. La pancréatite est une complication classique.

Cardiovasculaires
L'hypertension artérielle est fréquente. Les troubles de l'électrophysiologie cardiaque constituent le danger immédiat des hypercalcémies sévères : raccourcissement de l'intervalle QT aux dépens du segment ST, troubles du rythme à type d'extrasystoles ventriculaires faisant courir le risque de fibrillation ventriculaire. L'hypokaliémie et surtout les digitaliques majorent ce risque.
L'hypercalcémie chronique entraîne le développement de calcifications viscérales : cardiaques, cérébrales, vasculaires, articulaires, pulmonaires.

Hyperparathyroïdie primaire
Elle représente 80 % des cas avec une nette prépondérance féminine (60 à 80 % des cas) et une fréquence maximale vers 50-60 ans. La prévalence de cette affection a été revue à la hausse depuis la pratique courante de dosages systématiques de la calcémie [4] : elle est actuellement estimée entre 1 et 4 % [13].
La cause en est un adénome solitaire dans 75 à 85 % des cas [19, 20], des adénomes multiples dans 5 % des cas, une hyperplasie diffuse dans 10 à 20 % [19], très rarement un carcinome (1 à 2 % des cas).

L'association de plusieurs types de lésions sur des glandes différentes est possible, de même que l'existence de parathyroïdes surnuméraires ou ectopiques (thymique, intrathyroïdienne, péricardique, rétrooesophagienne). Une hyperplasie ou un adénome peut s'intégrer dans un tableau de néoplasie endocrinienne multiple (NEM) type I (tumeurs hypophysaire, pancréatique et carcinoïde) ou type IIA (cancer médullaire de la thyroïde, phéochromocytome).
La présentation clinique peut être résumée en trois modes. Les formes mineures dites asymptomatiques ou paucisymptomatiques (fatigue musculaire, lassitude, céphalées) sont mieux reconnues et plus fréquentes qu'autrefois [4]. Les formes symptomatiques " classiques " avec manifestations rénales et osseuses s'observent toujours. Les formes graves [3, 16] avec hypercalcémie sévère ou crises aiguës parathyroïdiennes menacent rapidement la vie du patient pris dans un cercle vicieux hypercalcémie - polyurie, vomissements, troubles de la vigilance - déshydratation - aggravation de l'hypercalcémie.

Hyperparathyroïdies secondaire et tertiaire [8, 12]
Elles représentent 20 % des cas, touchant également les deux sexes avec un pic de fréquence vers 40-50 ans. En règle, la cause est une insuffisance rénale chronique avec hémodialyse dans 85 % des cas, sans hémodialyse dans 5 à 10 % des cas ; les hyperparathyroïdies survenant après allogreffe rénale sont dites " tertiaires " et représentent 5 à 10 % des cas.

Dans cette situation, une hyperplasie parathyroïdienne est la conséquence d'une hypocalcémie chronique liée à l'insuffisance rénale (rôles d'une réduction de synthèse ou de libération de 1-25 cholécalciférol et de l'hyperphosphorémie), ou à quelques affections plus rares (ostéomalacie par déficit en vitamine D, pseudohypoparathyroïdie par déficit de la réponse à la PTH au niveau du récepteur). L'hypersécrétion de PTH constitue alors une réponse adaptée, mais qui peut dans certains cas dépasser la résistance à l'action de l'hormone et conduire à une hypercalcémie.

La prévalence des manifestations osseuses histologiques de cette affection chez les hémodialysés est élevée (67 % des cas). En dépit de la prévention reposant sur la réduction de l'absorption digestive de phosphore, la supplémentation en calcium (carbonate de calcium), et l'apport de vitamine D, une hyperplasie parathyroïdienne peut à la longue générer des douleurs osseuses, un prurit et une hypercalcémie.

La transplantation rénale supprime la stimulation parathyroïdienne chronique et entraîne une involution des glandes. Après allogreffe rénale, environ un tiers des receveurs ont une hypercalcémie postopératoire, le plus souvent transitoire.Toutefois, elle va persister chez une minorité d'entre eux et s'accompagner de complications (notamment douleurs et lésions osseuses, lithiase du greffon, pancréatite) [12].

L'indication d'un geste chirurgical sur les glandes parathyroïdes est posée s'il persiste une hypercalciurie au-delà du 6e mois après la greffe rénale.

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