Le maintien de la pression artérielle tout au long de la période opératoire est un des impératifs de la prise en charge des opérés à risque.
En pratique, le problème de l’anesthésie de l’hypertendu est plus celui du dépistage et du traitement de l’hypotension artérielle que celui du contrôle des élévations tensionnelles. Les effets délétères (essentiellement myocardiques, parfois rénaux, plus rarement cérébraux) auxquels exposent les épisodes d’hypotension artérielle périopératoire, et la relation de cause à effet établie entre ces épisodes et la survenue de complications postopératoires rend compte de l’absolue nécessité de maintenir la pression artérielle pendant l’intervention.
HYPOTENSION ARTÉRIELLE PEROPÉRATOIRE
Mécanismes
Les épisodes hypotensifs résultent d’une chute des résistances vasculaires systémiques et de la baisse du volume éjecté à chaque systole. L’effondrement du volume d’éjection n’est pas secondaire à une altération de la fonction systolique du ventricule gauche. Il est provoqué par un effondrement du remplissage ventriculaire gauche. La diminution du tonus du système capacitif sous l’effet de l’anesthésie générale ou rachidienne, éventuellement majorée par l’effet direct de certains médicaments antihypertenseurs, limite d’autant plus le volume télédiastolique ventriculaire gauche que la compliance ventriculaire gauche est réduite.
Les épisodes d’hypotension artérielle, particulièrement fréquents sous anesthésie chez les opérés hypertendus, sont souvent associés à une diminution de la fréquence cardiaque, réalisant un syndrome hypotension-bradycardie. Cette baisse de la fréquence cardiaque contemporaine de la baisse de pression artérielle observée sous anesthésie s’explique aisément par :
– l’augmentation du tonus parasympathique et les modifications de l’arc baroréflexe démontrées chez les patients traités au long cours par IEC ;
– la baisse du retour veineux qui se répercute sur les volorécepteurs à basse pression de l’oreillette droite, dont la désactivation est un puissant stimulus parasympathique ;
– les effets de l’anesthésie générale, et surtout rachidienne, qui diminuent le tonus sympathique au profit du tonus parasympathique.
La survenue d’une bradycardie provoquée par une diminution des conditions de charge ventriculaire gauche a été démontrée sous anesthésie générale et surtout rachidienne. [2, 48] Sous anesthésie, le ralentissement de la fréquence cardiaque peut être considéré comme un mécanisme compensateur indispensable au maintien d’un remplissage ventriculaire gauche suffisant.
Traitement
Le traitement des hypotensions fait appel en tout premier lieu à l’arrêt des agents hypotenseurs (tels les anesthésiques volatils halogénés), au remplissage vasculaire associé et, si l’hypotension persiste, à des agents sympathomimétiques (Fig. 3).
Éphédrine
Sympathomimétique indirect dont le maniement est particulièrement aisé. Son action résulte de la libération de la noradrénaline des granules de stockage.
Les effets cardiovasculaires de l’éphédrine sont la conséquence d’une stimulation des récepteurs alpha et bêta.
De ce fait, l’élévation de la pression artérielle s’associe fréquemment à une augmentation de la fréquence cardiaque ce qui doit limiter son utilisation chez le patient coronarien. Les deux effets secondaires de l’éphédrine sont une action stimulante du système nerveux central et une tachyphylaxie. La stimulation du système nerveux central a peu de conséquence sous anesthésie générale ou anesthésie médullaire. De par son mécanisme d’action indirect, on observe un épuisement de l’effet après des doses répétées. Il conviendra donc d’utiliser un sympathomimétique direct.
Phényléphrine
C’est un alpha-1-agoniste direct puissant, responsable d’une vasoconstriction artérioveineuse diffuse.Son intérêt essentiel est d’élever la pression artérielle sans accélération de la fréquence cardiaque, voire en la diminuant par un réflexe vagal. Les effets délétères potentiels de la phényléphrine sont un accès hypertensif et une baisse du débit cardiaque. La phényléphrine doit donc être administrée en titration avec un délai de 45 secondes pour en évaluer l’effet avant d’injecter un second bolus.
Terlipressine
Cette résistance aux agonistes sympathiques, rare en début d’intervention, est beaucoup plus fréquente lorsque l’intervention chirurgicale se prolonge, notamment chez les patients traités au long cours par IEC ou par antagonistes de l’angiotensine II. La stimulation du système argininevasopressine par un de ses agonistes rétablit de façon spectaculaire et durable la stabilité de la pression artérielle, d’une part en augmentant les conditions de charge ventriculaire gauche, essentiellement la postcharge, d’autre part en restaurant partiellement les fonctions des deux autres systèmes vasopresseurs, le système sympathique et le SRA. [23] L’effet prolongé de la terlipressine, agoniste du système arginine-vasopressine précurseur de la lysine-vasopressine, la rend particulièrement utile en peropératoire. On l’administre en bolus de 1 mg, la dose efficace est généralement de 1 à 3 mg, et son effet apparaît 1 ou 2 minutes après son administration.
Noradrénaline
Cet agoniste sympathomimétique direct a un effet vasculaire périphérique alpha prédominant et un effet myocardique bêta-1 proche de celui de l’adrénaline. Son effet vasculaire bêta-2 est minime. Il est l’agent vasopresseur à utiliser en dernier recours. Dès les faibles doses (5 à 10 μg min–1) apparaissent ses effets agonistes alpha, avec élévation notable de la pression artérielle et ralentissement de la fréquence cardiaque par réflexe vagal.
L’administration de 25 à 50 μg de noradrénaline en bolus intraveineux normalise très fréquemment la pression artérielle et améliore significativement l’hémodynamique, mais est souvent grevée d’accès hypertensifs en raison de l’extrême variabilité de la sensibilité des patients à cet agent. L’effet d’un bolus persiste de 1 à 5 minutes. En dehors de cette indication, la noradrénaline est essentiellement utilisée dans les chocs avec vasoplégie intense.
ACCÈS HYPERTENSIF PER- ET POSTOPÉRATOIRE
La survenue d’un accès hypertensif est un événement particulièrement fréquent, que ce soit en per- ou en postopératoire, chez l’opéré hypertendu.L’incidence varie avec la nature de l’intervention et le degré de contrôle de l’hypertension artérielle par un traitement adapté.
Les effets délétères potentiels de ces poussées hypertensives jouent un rôle majeur dans l’étiopathogénie des complications cardiovasculaires postopératoires.
C’est pourquoi le contrôle de la pression artérielle est d’autant plus impératif qu’il existe une cardiopathie sous-jacente, une insuffisance coronaire, ou une insuffisance cardiaque.
Physiopathogénie
Les accès hypertensifs de la période opératoire résultent de l’accentuation brutale du phénomène
de vasoconstriction artérielle, sous l’effet d’une hyperactivité noradrénergique provoquée par le stimulus nociceptif de l’intubation, de l’acte chirurgical ou de la période de réveil. L’élévation notable et significative du tauxplasmatique de noradrénaline lors de ces stimuli a été quantifiée par de nombreuses études.
Le degré de vasoconstriction artériolaire dépend de l’importance du stimulus nociceptif et de la réactivité vasculaire de l’opéré.La sensibilité accrue du système vasculaire résistif de l’hypertendu aux catécholamines est responsable de l’incidence élevée des accès hypertensifs per- et surtout postopératoires
chez les opérés hypertendus. L’hypertrophie réactionnelle des muscles artériolaires, particulièrement fréquente chez l’hypertendu et ce d’autant plus que sa pression artérielle n’est pas équilibrée, majore la vasoconstriction induite par les catécholamines plasmatiques.
L’existence d’une inflation hydrosodée majore la pression artérielle. Bien que l’on observe généralement pendant la période opératoire, sous l’effet des agents d’anesthésie et de la ventilation artificielle, une baisse du retour veineux, il faut rappeler qu’un remplissage vasculaire excessif chez un opéré hypertendu dont la compliance artérielle et veineuse est généralement diminuée, joue un rôle non négligeable dans l’étiopathogénie des accès hypertensifs. Les anomalies de l’arc baroréflexe très fréquemment retrouvées chez les opérés hypertendus participent à l’étiopathogénie des élévations tensionnelles per- et postopératoires. Chez l’hypertendu, il existe une élévation du seuil de pression artérielle à partir duquel sont mis en jeu les mécanismes réflexes. Cette particularité constante dans la maladie hypertensive traduit l’existence d’un réajustement du baroréflexe vers un niveau de pression artérielle plus élevé. [34, 86]
Retentissement myocardique
L’augmentation du volume télésystolique diminue le volume éjecté à chaque systole et la fraction d’éjection ventriculaire gauche. Elle compromet l’équilibre énergétique du myocarde en majorant la tension pariétale systolique, principal déterminant de la consommation en oxygène du myocarde. De plus, l’existence d’une hypertrophie ventriculaire gauche limite la perfusion des couches sous-endocardiques, et peut ainsi toucher les patients hypertendus exempts de lésions coronaires. [61] Si l’épisode hypertensif a provoqué une ischémie myocardique, la baisse de la fraction d’éjection secondaire à l’accès hypertensif est encore plus marquée car le territoire ischémié perd sa fonction contractile.
En dehors de toute cardiopathie sous-jacente, les épisodes d’hypertension favorisent la survenue de troubles du rythme auriculaires ou ventriculaires : extrasystole auriculaire, arythmie complète par fibrillation auriculaire paroxystique, extrasystoles ventriculaires. Ces troubles du rythme cardiaque résultent de l’augmentation de la tension pariétale auriculaire ou ventriculaire.
Retentissement cérébral
Les artères cérébrales subissent directement l’élévation de pression artérielle, car elles sont pauvres en sphincters précapillaires. Le cerveau est le seul organe ainsi exposé. Chez l’hypertendu, le seuil supérieur d’autorégulation du débit sanguin cérébral est autour de 200 mmHg de PAM (au lieu de 150 mmHg), ce qui confère donc une meilleure protection contre les accès hypertensifs et a contrario une plus grande sensibilité aux épisodes hypotensifs.
C’est la perte de l’autorégulation du débit sanguin cérébral associée à un excès de pression artérielle dans le territoire encéphalique qui provoque un trouble de la perméabilité vasculaire, aboutissant à la constitution d’un oedème cérébral interstitiel. Les accidents hémorragiques cérébraux sont rares en dehors de la chirurgie pour sténose carotidienne.Dans cette dernière situation, le risque d’hémorragie cérébrale est loin d’être négligeable en cas d’élévation brutale de la pression artérielle au décours de l’endartériectomie. L’hypertension est l’un des plus importants facteurs de risque de complications postopératoires après endartériectomie carotidienne, notamment le risque de survenue d’hématome cervical, d’oedème et d’hémorragie intracérébrale. [8]
Menace sur les sutures vasculaires
L’élévation anormale de la pression artérielle majore le saignement peropératoire, et compromet en postopératoire l’étanchéité des sutures artérielles. Il peut en résulter un hématome au niveau d’une suture artérielle, point de départ d’une complication hémorragique ou infectieuse.
Principes du traitement des accès d’hypertension artérielle peropératoire
La principale cause des élévations de pression artérielle aboutissant à un accès hypertensif chez l’opéré hypertendu pendant l’anesthésie est représentée par un niveau de narcose ou d’analgésie inadapté au stimulus chirurgical.
Les anesthésiques volatils halogénés, qui induisent une narcose profonde, ont également un effet analgésique et de réduction du tonus sympathique basal. De plus, ils limitent la réponse catécholaminergique provoquée par les stimuli chirurgicaux en s’opposant de façon particulièrement adaptée et efficace aux élévations de pression artérielle et de fréquence cardiaque. [69] Parmi les différents anesthésiques volatils halogénés, l’isoflurane possède un effet vasodilatateur artériel prédominant, facilitant de ce fait la vidange systolique ventriculaire gauche. [77]
Ceci permet de contrôler facilement les élévations tensionnelles provoquées par les stimuli nociceptifs de la période opératoire, et ce plus particulièrement chez les patients aux réserves cardiaques limitées. On peut y associer un renforcement de l’analgésie par les morphiniques.En effet, ces agents s’opposent aux modifications hémodynamiques que provoquent les stimuli nociceptifs peropératoires, particulièrement délétères chez l’opéré à risque cardiovasculaire. De nombreuses études ont parfaitement établi que les morphiniques limitent l’accroissement préopératoire du taux plasmatique des différentes substances caractéristiques de la réponse neurohormonale au stress : catécholamines, hormone de croissance et hormone du SRA. [82, 87] L’élévation du taux plasmatique de toutes ces hormones est d’autant plus faible que la posologie de morphinique est élevée. [22, 55] La stabilité tensionnelle que procurent les morphiniques limite l’incidence des épisodes d’ischémie myocardique préopératoire en chirurgie coronarienne [49] et en chirurgie générale. [4]
L’esmolol a fait la preuve de son efficacité dans cette indication. Ce bêtabloquant de courte durée d’action doit être administré à une posologie initiale de 500 μg min–1 en 2 à 3 minutes, puis en entretien par une perfusion continue à la dose de 100 à 300 μg kg–1 min–1. Si le malade est indemne de dysfonction systolique ventriculaire gauche, on peut également avoir recours à des bêtabloquants de longue durée d’action comme l’aténolol. En l’absence d’accélération de la fréquence cardiaque associée à l’élévation de la pression artérielle, ou si l’opéré souffre d’une altération de la fonction ventriculaire gauche, il faut avoir recours à des inhibiteurs calciques du groupe de la dihydropyridine. La nicardipine administrée par voie intraveineuse a fait la preuve de son efficacité dans cette indication. Elle contrôle la pression artérielle en augmentant le débit cardiaque. Parallèlement, la fréquence cardiaque est discrètement augmentée. L’élévation du volume éjecté à chaque systole sous l’effet de l’administration de nicardipine résulte d’une diminution de la postcharge ventriculaire gauche qui permet une meilleure éjection ventriculaire, alors que le tonus veineux est maintenu, les inhibiteurs calciques du groupe de la dihydropyridine n’ayant pas d’effet sur le système veineux capacitif.
Principes du traitement des accès d’hypertension artérielle postopératoire
Facteurs favorisant l’élévation tensionnelle postopératoire
Les accès hypertensifs postopératoires résultent essentiellement de l’accentuation brutale du phénomène de vasoconstriction artériolaire qui caractérise la maladie hypertensive sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs caractéristiques de la période de réveil et/ou de l’incapacité du système vasculaire résistif à se vasodilater en réponse à l’élévation constante du débit cardiaque en période de réveil. [19]
Les différents facteurs favorisant les accès hypertensifs spécifiques de la période de réveil et qui influencent directement ou indirectement les conditions de charge ventriculaire gauche, la contractilité myocardique et la réponse baroréflexe sont :
– l’accroissement du tonus dans le système vasculaire résistif sous l’effet de la libération de catécholamines qui caractérise la période de réveil ;
– l’élévation du retour veineux secondaire à :
– la levée de la vasoplégie induite par les agents d’anesthésie ;
– la libération accrue d’adrénaline et de noradrénaline ;
– la redistribution liquidienne contemporaine du réchauffement et de l’arrêt de la ventilation artificielle ;
– les anomalies de la volémie, aussi bien l’hypervolémie que l’hypovolémie ;
– l’élévation de la contractilité myocardique liée à une stimulation sympathique.
Chez l’opéré ayant une hypertension artérielle chronique, d’autres mécanismes interviennent :
– la baisse du taux plasmatique des médicaments antihypertenseurs prescrits avant l’intervention ;
– la modification de la pente du baroréflexe qui n’entre en jeu face à une élévation tensionnelle que pour des chiffres plus élevés de pression artérielle ;
– l’élévation majeure de la contractilité myocardique des cardiopathies hypertrophiques sous l’effet d’une décharge catécholaminergique.
Contrôle des contraintes circulatoires postopératoires
Chez l’opéré hypertendu, il est essentiel pour diminuer le risque opératoire de limiter la cause principale des complications cardiaques postopératoires : les contraintes hémodynamiques et métaboliques.
En effet, alors que le retentissement de l’acte chirurgical est généralement parfaitement contrôlé par les techniques d’anesthésie, les stimuli postopératoires accompagnés de décharges catécholergiques augmentent de façon brutale chez les opérés hypertendus les conditions de charge ventriculaire gauche.Ils favorisent ainsi la survenue d’accès hypertensifs compromettant la balance énergétique du myocarde, d’autant qu’ils sont à l’origine d’une hyperagrégabilité plaquettaire.
La prévention de l’hypothermie peropératoire et une analgésie postopératoire efficace diminuent de façon significative les contraintes circulatoires de la période postopératoire. Ces mesures sont donc indispensables chez l’opéré hypertendu.
Elles limitent de façon très efficace la décharge catécholaminergique caractéristique du réveil et l’hypercoagulabilité postopératoire.
De ce fait, la fréquence de survenue des accès hypertensifs comme leur intensité en sont diminuées ainsi que le développement de processus ischémiques myocardiques. Cependant, bien que diminuées, ces contraintes ne sont pas abolies.
Ils améliorent la stabilité tensionnelle de l’opéré, et réduisent de façon significative la survenue de complications coronariennes chez les opérés hypertendus dont les réserves coronaires sont limitées.
Traitement des accès hypertensifs postopératoires
Les accès hypertensifs postopératoires sont caractérisés sur le plan physiopathogénique par une inadaptation des résistances artérielles systémiques à un état hémodynamique donné. [64] Dans la majorité des cas, l’hypertension artérielle postopératoire résulte d’une vasoconstriction artériolaire avec élévation pathologique des résistances artérielles systémiques. Le traitement fait donc appel à des médicaments vasodilatateurs qui diminuent les facteurs s’opposant à l’éjection ventriculaire gauche. Ce n’est que si le traitement vasodilatateur favorise la survenue d’un syndrome hyperkinétique avec accélération notable de la fréquence cardiaque que l’on peut envisager l’administration par voie intraveineuse de bêtabloquants, comme le propranolol à faible dose. [27]
Les caractéristiques du médicament antihypertenseur idéal pour contrôler les accès hypertensifs postopératoires sont données dans le Tableau 2.
Seront envisagés rapidement l’intérêt et les limites des médicaments qui ont été proposés pour le traitement des hypertensions postopératoires, sans revenir sur les modes d’action précis de chacun d’entre eux (Tableau 3).
INHIBITEURS CALCIQUES
Les inhibiteurs du canal calcique, en particulier ceux du groupe des dihydropyridines, nifédipine et nicardipine, et à un moindre degré le diltiazem lorsqu’il est administré par voie intraveineuse, occupent une place de plus en plus large dans le traitement des accès hypertensifs postopératoires.
Les mécanismes d’action et les effets hémodynamiques de ces médicaments sont particulièrement adaptés au traitement des épisodes hypertensifs qui menacent l’hypertendu après l’intervention. Le risque de voir apparaître une chute trop importante de la pression artérielle lors du traitement d’attaque des épisodes hypertensifs postopératoires par les inhibiteurs calciques est très faible. [45] En effet, l’intensité de l’effet vasodilatateur dépend du tonus dans le système vasculaire résistif. En outre, les interférences médicamenteuses entre les inhibiteurs calciques et les agents utilisés pour une éventuelle sédation postopératoire n’exposent pas à la survenue de complications hémodynamiques postopératoires. [66] La nifédipine et la nicardipine ont même été proposées pour le traitement des insuffisances ventriculaires gauches congestives lorsque la pression artérielle est élevée. Dans cette indication, l’amélioration de la vidange systolique sous l’effet de la baisse de la postcharge ventriculaire gauche prédomine très largement sur un éventuel effet inotrope négatif, d’où l’amélioration de la vidange systolique. [33] Il est à noter que si la nifédipine a un effet inotrope négatif modéré in vivo, la nicardipine quant à elle ne semble pas provoquer de dépression myocardique. [71] La nicardipine, seul inhibiteur calcique du groupe des dihydropyridines à visée antihypertensive actuellement administrable par voie intraveineuse, est utilisée de plus en plus largement dans le traitement des accès hypertensifs postopératoires. À des doses de 0,5 à 20 mg, la nicardipine a un effet hypotenseur dose-dépendant entraînant unebaisse linéaire des pressions artérielles systoliques et diastoliques. [79]
BÊTABLOQUANTS
Sur le plan physiopathologique, l’accès hypertensif postopératoire est caractérisé par une élévation, absolue ou relative, mais toujours inadaptée des résistances vasculaires systémiques.
On a vu que l’effet antihypertenseur des bêtabloquants résulte essentiellement d’une baisse du débit cardiaque, secondaire au ralentissement de la fréquence cardiaque, et à un moindre degré à un effet inotrope négatif. Les bêtabloquants n’ont donc aucune place dans le traitement de première intention des accès hypertensifs postopératoires. En effet, diminuer la contractilité du myocarde et le débit cardiaque sans lever, voire en aggravant la vasoconstriction artériolaire périphérique, expose à la survenue d’une insuffisance ventriculaire gauche.
Il en résulte une inadéquation entre la fonction systolique et les contraintes du ventricule gauche, ce qui ne répond en aucun cas aux impératifs d’un traitement étiopathogénique. [3] En revanche, une fois la vasoconstriction artérielle périphérique diminuée par un médicament vasodilatateur, on peut administrer un bêtabloquant par voie intraveineuse pour limiter un éventuel syndrome hyperkinétique. Dans cette indication, les bêtabloquants ne doivent être administrés qu’à doses faibles et fractionnées (pas plus de 0,5 mg de propranolol toutes les 30 secondes).
Dans le cadre de la période postopératoire, il est intéressant de disposer d’un agent de courte durée d’action. L’esmolol a été proposé dans le traitement des accès hypertensifs associés à une tachycardie. [30] Il s’agit d’un bêta-1 cardiosélectif ayant une demivie d’élimination de 9 minutes, du fait de son hydrolyse rapide par les estérases des globules rouges. En perfusion continue, le taux stable est obtenu en 5 minutes après une dose de charge de 500 μg kg–1 administrée en 2 à 3 minutes ; l’entretien est assuré par une perfusion continue à la dose de 100 à 300 μg kg–1 min–1. L’effet du produit cesse 20 minutes après l’arrêt de la perfusion. L’esmolol peut être proposé à titre préventif lorsqu’il est impératif de contrôler la pression artérielle et la fréquence cardiaque à l’extubation, comme par exemple au décours d’une intervention de neurochirurgie.
Enfin, si l’on utilise des bêtabloquants en postopératoire, il faut se souvenir que ces médicaments ont un effet inotrope négatif d’autant plus marqué que la contractilité myocardique est altérée, et qu’ils limitent l’adaptation du débit cardiaque à l’élévation des besoins métaboliques de l’organisme. Ces derniers ne seront alors satisfaits que par une plus grande extraction périphérique d’oxygène.
LABÉTALOL
Le labétalol a été préconisé pour le traitement des élévations tensionnelles survenant après différents types d’interventions chirurgicales. Par ses effets antagonistes alpha, il diminue le tonus du système résistif, alors que par ses effets bêta, il diminue le débit cardiaque et l’inotropisme ventriculaire gauche, tout en améliorant la balance énergétique du myocarde. [44]
Pour certains auteurs, la demi-vie de 4 heures du labétalol permet à cet antihypertenseur de limiter ses effets aux premières heures de la période opératoire, qui sont celles où les opérés sont soumis aux contraintes hémodynamiques à l’origine des élévations tensionnelles postopératoires. Le rôle joué par l’élévation du taux de catécholamines plasmatiques dans l’étiopathogénie des accès hypertensifs postopératoires a conduit certains auteurs à utiliser le labétalol. En fait, même lorsqu’il est administré pour le traitement des accès hypertensifs postopératoires, les effets antagonistes bêta du labétalol prédominent très largement sur l’effet antagoniste alpha. Cette donnée est en accord avec les études pharmacologiques qui signalent que l’effet antagoniste bêta du labétalol est 4 à 16 fois plus puissant que son effet alpha.
Le traitement curatif des accès hypertensifs postopératoires par le labétalol fait appel à un bolus, qui peut être éventuellement suivi par l’injection de bolus additionnels ou par une perfusion continue. Bien que plusieurs travaux de la littérature aient utilisé des bolus initiaux [31, 47] de 0,5 à 1 mg kg–1, il paraît formellement déconseillé de débuter un traitement par un bolus de plus de 0,2 à 0,3 mg kg–1, si l’on souhaite éviter la survenue de complications hémodynamiques. Il paraît souhaitable d’administrer le bolus initial sur 2 minutes et d’administrer toutes les 5 minutes des bolus de 0,4 à 0,5 mg kg–1 si la pression artérielle systolique reste supérieure à la valeur souhaitée. Cette posologie met à l’abri des hypotensions artérielles au début du traitement. Par la suite on peut, en fonction de la pression artérielle, administrer des bolus de 0,4 mg kg–1 pour renforcer ou prolonger si besoin l’effet antihypertenseur du labétalol.
Certains auteurs ont proposé la mise en route d’une perfusion continue à des posologies [31] de 0,15 à 0,2 mg kg–1 h–1 ; une telle mesure impose le maintien de l’opéré en unité de soins intensifs.
URAPIDIL
Il s’agit d’un antihypertenseur administrable par voie intraveineuse.
Son mécanisme d’action repose sur l’inhibition des récepteurs alpha-1 post-synaptiques aux niveaux central et périphérique. Il se distingue de la prazosine par son action agoniste sur les récepteurs 5HT1 sérotoninergiques, ce qui a pour conséquence d’entraîner une baisse du tonus sympathique et une élévation du tonus parasympathique. Cette propriété explique l’absence de tachycardie réflexe lors de la baisse de la pression artérielle sous urapidil. [6]
Après l’injection d’un bolus de 25 à 100 mg, le contrôle tensionnel est atteint en 2 à 5 minutes chez environ 75 % des patients.
L’entretien de l’effet est obtenu par une perfusion continue à la dose de 60 à 180 mg h–1.
CLONIDINE
Il a pu être démontré que l’administration de clonidine permet de limiter l’élévation du taux plasmatique de noradrénaline généralement observée lors du réveil. [24] Cette modification neuroendocrinienne rend compte en partie de l’effet bénéfique de la clonidine sur les élévations tensionnelles postopératoires.
Néanmoins, son effet sédatif limite son utilisation dans le cadre de la période postopératoire immédiate.
TRINITRINE ET NITROPRUSSIATE DE SODIUM
Ces deux vasodilatateurs extrêmement puissants, administrés par voie intraveineuse, peuvent être utilisés pour le traitement de certains accès hypertensifs postopératoires. Leur administration au décours de la chirurgie cardiaque a été proposée par de nombreux auteurs. [27, 35, 85]
Le nitroprussiate de sodium est actif sur le muscle vasculaire lisse aussi bien artériel que veineux. Son action sur la pression artérielle est dose-dépendante et particulièrement rapide, puisqu’elle apparaît moins de 40 secondes après le début d’une perfusion continue. Elle affecte aussi bien la pression artérielle systolique que diastolique.
L’action principale de la trinitrine est une relaxation de toutes les fibres musculaires lisses de l’organisme, quels que soient leur type d’innervation et leurs réponses aux stimulations. [78] Ses principaux effets thérapeutiques résultent de son action sur les fibres lisses du réseau coronaire, du système artériel périphérique résistif et du système veineux capacitif. Pour une dose inférieure à 1,5 mg h–1, la vasodilatation intéresse principalement le système veineux capacitif. Pour une dose supérieure à 2 mg h–1 apparaît une vasodilatation touchant le système vasculaire résistif. La baisse de la pression artérielle est plus lente avec la trinitrine qu’avec le nitroprussiate, et l’effet disparaît progressivement 4 à 7 minutes après l’arrêt de la perfusion. La diminution de la pression artérielle moyenne est dosedépendante, mais la pression artérielle systolique baisse beaucoup plus nettement que la pression artérielle diastolique. C’est pourquoi la pression de perfusion coronaire est souvent préservée, ce qui explique les effets anti-ischémiques de la trinitrine administrée par voie intraveineuse : baisse de la consommation d’oxygène du myocarde, et également augmentation du flux coronaire dans les territoires myocardiques menacés. Ce médicament est donc particulièrement utile chez les patients aux réserves coronaires limitées. [75]
Les modifications du débit cardiaque que la trinitrine et le nitroprussiate de sodium entraînent dépendent essentiellement de leur posologie d’administration, de l’état de la fonction ventriculaire gauche des opérés et de leur volémie. L’administration de trinitrine ou de nitroprussiate normalise la pression artérielle, mais abaisse peu le volume télésystolique ventriculaire gauche, puisque la vidange systolique est déjà satisfaisante.
En chirurgie générale, le traitement rapide des accès hypertensifs postopératoires peut être obtenu par l’administration de bolus de trinitrine (0,5 mg), répétés toutes les 30 secondes jusqu’au retour à la normale de la pression artérielle. La survenue, lors du premier bolus, d’une baisse notable de la pression artérielle est rare, mais peut être observée chez les patients hypovolémiques. Elle impose un remplissage vasculaire. L’effet bénéfique des bolus de trinitrine ne dure que 5 à 10 minutes. Pour obtenir une prolongation de l’effet antihypertenseur, il faut envisager l’administration de trinitrine par voie intraveineuse à débit continu (extrêmement variable d’une sujet à l’autre), modulé en fonction des modifications tensionnelles obtenues.
L’administration de nitroprussiate ou de trinitrine ne se conçoit qu’en perfusion continue et sous surveillance attentive de la pression artérielle, obtenue au mieux par la mise en place d’un cathéter radial.
Il ne faut pas perdre de vue que sous perfusion de trinitrine ou de nitroprussiate, le débit cardiaque est extrêmement dépendant de la volémie. Or, il est souvent difficile au décours d’une intervention de chirurgie générale de connaître le niveau relatif de la volémie, en dehors d’un monitorage hémodynamique adapté. C’est pourquoi la posologie optimale de trinitrine et de nitroprussiate qu’il convient d’administrer en débit continu est parfois difficile à déterminer. Le développement des nouveaux agents antihypertenseurs a largement simplifié le traitement des accès hypertensifs postopératoires.
Ce traitement restaure un état hémodynamique satisfaisant si sont prises en compte à la fois la physiopathogénie de l’accès hypertensif et les propriétés pharmacodynamiques des différentes molécules administrables par voie intraveineuse en postopératoire .
Conclusion
Les anomalies tensionnelles et circulatoires qui menacent l’opéré hypertendu imposent de définir une démarche permettant d’assurer une bonne stabilité tensionnelle tout au long de la période opératoire. Cette démarche doit porter sur les périodes pré-, per- et postopératoires. À chaque temps une stratégie adaptée assure la prévention efficace des complications liées à la maladie hypertensive. C’est en fait une véritable démarche qualité qui doit être suivie, puisqu’elle intègre les objectifs de soins et des indicateurs assurant que la prise en charge de l’opéré hypertendu a atteint son but : assurer une stabilité hémodynamique et circulatoire tout au long de la période opératoire pour éviter la survenue des complications cardiovasculaires. La stratégie thérapeutique doit être rationalisée. Elle conduit en préopératoire à modifier le traitement cardiovasculaire pris au long cours par l’opéré, et dans certains cas à instaurer dès la période préopératoire certaines thérapeutiques prophylactiques.
En peropératoire, elle impose d’assurer une parfaite stabilité hémodynamique et de contrôler les stimuli nociceptifs de la chirurgie.
En postopératoire, il est essentiel d’assurer la prévention, voire le traitement rapide des épisodes d’hypertension artérielle postopératoire. La démarche proposée chez l’hypertendu s’inscrit dans une perspective logique de réduction des complications cardiovasculaires de l’anesthésie chez les opérés à risque.
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