Les complications des PAN peuvent être classées arbitrairement de plusieurs façons : médicales et chirurgicales, locales et systémiques, ou précoces et tardives (tableaux V, VI).
La libération systémique des enzymes pancréatiques activées et la cascade physiopathologique qu’elles déclenchent sont responsables des défaillances viscérales que l’on observe la première semaine (circulatoire, pulmonaire, rénale, voire CIVD). Quant aux complications chirurgicales précoces, elles sont liées à l’extension de la nécrose aux organes de voisinage.
Il est donc de règle, devant l’apparition d’une défaillance d’organe, de rechercher une complication chirurgicale. Au-delà de la première semaine, les complications sont essentiellement liées au retentissement de la nécrose sur les tissus de voisinage et surtout à la surinfection de la nécrose. Mais d’autres complications peuvent survenir au contact des coulées de nécrose, en particulier coliques (nécrose ou fistulisation du côlon gauche ou du sigmoïde), spléniques (rupture de rate ou hématomes intraspléniques), vasculaires (hémorragie par érosion des parois vasculaires, thrombose), rénales (nécrose de l’uretère droit ou urétérohydronéphrose) [22, 83, 93].Enfin, dans 8 % des PAN, des pseudokystes peuvent apparaître vers le deuxième ou troisième mois d’évolution [93]. Ils sont dus à une extravasation de liquide pancréatique (parfois, ils sont alimentés directement par un canal pancréatique) et contiennent des débris cellulaires. Ils peuvent se surinfecter, même très à distance de la poussée initiale.
PANCRÉATITES AIGUËS NÉCROSANTES ET SYNDROME DE DÉFAILLANCE MULTIVISCÉRALE
C’est l’apparition de défaillances d’organes et surtout l’évolution vers un SDMV qui font toute la gravité des PAN. Classiquement, un SDMV précoce (inférieur à 7 jours d’évolution) est d’origine toxique, alors que passé la première semaine, il est en rapport avec un problème infectieux. Cependant, la réalité clinique est moins schématique, la nécrose pouvant se surinfecter de façon précoce durant la première semaine d’évolution. Pour Tenner [96], une défaillance viscérale survient dans une PAN sur deux, la nécrose étant stérile dans 50 % des cas et infectée dans les 50 autres. Ces chiffres sont en contradiction avec ceux de Beger [9] qui montrent que la survenue d’une hypoxémie, d’un choc, d’une insuffisance rénale ou d’une hémorragie digestive est statistiquement plus élevée en cas de surinfection de la nécrose. En pratique, la survenue d’une ou plusieurs défaillances d’organes dès le début de l’évolution d’une PAN impose la recherche systématique d’une surinfection de nécrose et d’une complication chirurgicale.
Tableau V. – Complications chirurgicales des pancréatites aiguës (PA) (d’après Steinberg et Tenner [93]).
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Complications
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Physiopathologie
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Traitement
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Nécrose tissulaire Ischémie microvasculaire
- Intrapéritonéale
Côlon, estomac, épiploon, rate, pédicule
vasculaire (splénique et hépatique)
Cf prise en charge chirurgicale (controverse+++)
- Rétropéritonéale
Rein, uretère, graisse, veine cave, aorte
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Ischémie microvasculaire
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Cf prise en charge chirurgicale (controverse+++)
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Infection
Surinfection de la nécrose Antibiotiques - chirurgie
Abcès
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Surinfection bactérienne
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Antibiotiques – chirurgie
Antibiotiques - drainage/chirurgie
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Pseudokyste
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Extravasation de liquide pancréatique dans l’espace péripancréatique
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Hémorragie gastro-intestinale
Ulcération
Varices gastriques
Rupture de pseudoanévrisme
Ulcération des pédicules vasculaires
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Stress, ischémie
Thrombose veine splénique
Nécrose vasculaire
Nécrose vasculaire
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Pansement/antisécrétoires
Sclérothérapie/chirurgie
Embolisation/chirurgie
Chirurgie d’hémostase
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Rupture et hématome spléniques
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Extension de la nécrose et de l’inflammation à la rate
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Chirurgie d’hémostase/surveillance
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Hydronéphrose du rein droit
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Extension de la nécrose et de l’inflammation à l’espace périrénal
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Surveillance
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Tableau VI. – Complications médicales des pancréatites aiguës (PA) (d’après Steinberg et Tenner [93]).
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Complications
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Physiopathologie
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Traitement
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Choc Hypovolémique
Septique
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Séquestration
liquidienne/hémorragie
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Symptomatique
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Coagulopathie
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Protéase circulante
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Symptomatique
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Insuffisance rénale aiguë
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Fonctionnelle/nécrose
tubulaire aiguë
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Symptomatique
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Insuffisance respiratoire aiguë SDRA
Surinfection bactérienne
Atélectasie
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Altération du surfactant, relargage de cytokines
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Symptomatique
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Hyperglycémie
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Hypo-insulinisme, hypersécrétion de glucagon
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Symptomatique
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Hypocalcémie
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Hypoalbuminémie, fixation dans la nécrose
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Symptomatique
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Atteintes cutanées
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Nécrose graisseuse métastatique
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Aucun
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Rétinopathie
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Thrombose de l’artère de la rétine
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Aucun
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Encéphalopathie pancréatique
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Hypoperfusion cérébrale, démyélinisation
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Aucun
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DÉFINITION ET CLASSIFICATION DES LÉSIONS DES PANCRÉATITES AIGUËS NÉCROSANTES
Il existe un polymorphisme des lésions observées au cours des PAN. Ces différentes lésions (nécrose pancréatique et péripancréatique, collections, phlegmons, abcès, ascite, pseudokystes) n’ont pas les mêmes implications pronostiques et thérapeutiques, alors même qu’il existe dans la littérature une confusion terminologique, ces lésions n’ayant pas toujours la même définition (quand elles sont définies). Par exemple, les abcès et les phlegmons peuvent être des lésions stériles ou infectées ! De plus, les études incluent souvent différentes lésions de gravité variable pour étudier un même traitement (pseudokystes, abcès, nécrose...). Cette confusion et cet amalgame rendent les résultats de la littérature difficiles à interpréter, voire ininterprétables.
Une conférence d’experts réunis à Atlanta en 1992 a donné des définitions précises de ces lésions [15] :
– nécrose : zone diffuse ou focale de parenchyme pancréatique non viable pouvant s’étendre aux espaces extrapancréatiques (fig 1 à 4) ;
– abcès : collection purulente à proximité du pancréas ne contenant pas ou peu de nécrose pancréatique (fig 5) ;
– pseudokyste : formation liquidienne constituée de suc pancréatique, bien collectée au sein d’une paroi fibreuse. Il est la conséquence soit d’un traumatisme, soit d’une pancréatite aiguë ou chronique (fig 6, 7).
En pratique, la nécrose est le plus souvent mal liquéfiée et mal délimitée et survient dans les trois premières semaines d’évolution.
L’abcès est par définition infecté. Il contient un liquide plus ou moins épais, il est bien délimité par un tissu fibreux et apparaît au moins après 2 semaines d’évolution. Le pseudokyste est beaucoup plus tardif, il est liquidien, bien limité par une capsule et stérile ou infecté.
SURINFECTION DE LA NÉCROSE
La prévalence des surinfections de la nécrose est difficile à déterminer car la plupart des études proviennent de centres hospitalo-universitaires ou d’hôpitaux de référence qui, de par leur recrutement, sont à l’origine d’une probable surestimation [105]. On peut cependant penser que 40 à 60 % des PAN s’infectent [6, 38, 93, 105, 108]. Il s’agit d’une infection diffuse des zones pancréatiques et/ou péripancréatiques nécrosées ou inflammatoires. Comme cela a déjà été dit, elle est la principale cause de décès des PAN (70 à 80 %), mais surtout après la première semaine d’évolution. Trois localisations, souvent associées, sont possibles : la nécrose pancréatique proprement dite, les coulées extrapancréatiques et l’ascite réactionnelle.
Les modalités de contamination sont nombreuses [54, 86, 108] et se font par voie hématogène et biliaire, par la veine porte et le foie, par translocation bactérienne depuis le côlon et les lymphatiques pancréatiques, voire par contiguïté depuis le tube digestif ischémique ou nécrosé. Enfin, la surinfection de la nécrose est fréquente après une intervention chirurgicale. Le diagnostic d’infection repose sur la TDM. En effet, les signes cliniques et l’hyperleucocytose n’ont aucune spécificité. La ponction percutanée sous contrôle TDM permet de faire le diagnostic d’infection de nécrose dans 94 % des cas. Si toutes les collections visibles sont ponctionnées, la sensibilité du diagnostic est de 100 % et la spécificité de 98 % [38]. La ponction sous échographie, avec une sensibilité et une spécificité respectivement de 90 et 88 %, peut être une alternative facilement réalisable au lit de patients difficiles à transporter. Elle a également l’avantage de pouvoir être répétée à intervalles rapprochés pour un coût moindre que celui de la TDM [79].
Étant donné que 50 % des surinfections surviennent dans les 15 premiers jours et 20 % dans les 7 premiers [79, 105] et que les complications de la ponction sous TDM semblent être exceptionnelles [38], il faut systématiquement effectuer une ponction dès l’admission s’il existe une défaillance d’organes, et en cours d’évolution si le tableau clinique s’aggrave.
L’analyse de la littérature montre que la nature des germes retrouvés est très variable d’une série à l’autre [54, 74, 79, 86, 105] :
– si l’infection semble être le plus souvent monomicrobienne, cela est loin d’être une règle puisque les infections polymicrobiennes sont retrouvées dans 13 à 60 % des cas. Cependant, le caractère polymicrobien est plus fréquent dans les abcès que dans les infections de nécrose ;
– les germes les plus fréquents sont les bacilles à Gram négatif de type entérobactéries avec une nette prédominance d’Escherichia coli (30 à 50 % de tous les germes) ;
– le taux d’anaérobies reste relativement bas, de l’ordre de 4 à 15%, probablement à cause de leur grande fragilité (transport et culture microbiologique) ;
– les infections à Candida sp. sont rares : 4 à 19%;
– Staphylococcus sp. est retrouvé dans 2 à 57% des cas et Enterococcus sp. dans 5 à 40% (le plus souvent il s’agit d’une infection polymicrobienne) ;
– quant à Pseudomonas sp., il est présent dans 0 à 20% des prélèvements.
Ces chiffres extrêmement variables s’expliquent en grande partie par le fait que les séries publiées sont souvent inhomogènes et difficilement comparables entre elles : ponction sous TDM, découverte opératoire, infection après chirurgie d’une nécrose initialement stérile, patients ayant déjà été traités par des antibiotiques... Et il est plus que probable que l’écologie soit différente si la surinfection est postopératoire ou en cas de traitement antibiotique antérieur ou concomitant.
Il est également possible que l’utilisation d’une « antibiothérapie prophylactique », qui est un sujet de controverses, s’accompagne d’une augmentation de la prévalence des infections à Candida sp., à cocci à Gram positif, voire à bacilles à Gram négatif multirésistants.
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