Démarche diagnostique de pancréatite aiguë nécrosante



Cette démarche a trois buts principaux :
– faire le diagnostic positif ;

– évaluer la sévérité : l’évaluation de la gravité initiale, tant clinique qu’anatomique, est essentielle dans cette démarche diagnostique pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, ce sont les formes initialement les plus sévères qui vont préférentiellement se compliquer d’infection et de défaillance d’organe [56]. Il faut donc d’emblée apprécier le risque de survenue d’une complication potentielle et rechercher des éléments prédictifs de survenue d’un SDMV. Cette évaluation initiale devrait également permettre de suivre l’évolution des patients, de comparer et de stratifier les patients entre eux, de comparer les différents traitements et les résultats publiés dans la littérature et, enfin, de sélectionner des groupes de patients « homogènes » lors des essais thérapeutiques ;
– rechercher une ou des complications qui peuvent être présentes dès l’admission (cf infra).
Cette démarche, qui est capitale dans la prise en charge des PAN, a eu comme conséquences le développement de très nombreux scores et index de gravité (cliniques, biologiques, clinicobiologiques, radiologiques) plus ou moins spécifiques et la recherche de facteurs de risques prédictifs d’infection, de morbidité et de mortalité.

SIGNES CLINIQUES ET MARQUEURS BIOLOGIQUES
Les signes cliniques de pancréatite sont peu spécifiques [56]. La douleur abdominale est le signe le plus sensible et elle est fréquemment associée à des nausées ou à des vomissements.
Le diagnostic biologique repose sur l’existence d’une hyperamylasémie, ou mieux d’une hyperlipasémie [47, 75].
L’hyperamylasémie n’est pas sensible et sa spécificité est médiocre.
 Il a été décrit des pancréatites histologiques sans élévation de l’amylasémie, alors qu’une hyperamylasémie peut être observée en l’absence de pancréatite clinique, toute ischémie même transitoire et sans conséquences sur la glande pouvant s’accompagner d’une augmentation de l’amylasémie.
Le dosage de la lipasémie est plus sensible et plus spécifique. Il se normalise plus tardivement que l’amylasémie et son augmentation est identique, quelles que soient les circonstances étiologiques, ce qui n’est pas le cas de l’amylasémie, souvent moins élevée dans les PA alcooliques. Quant aux dosages immunologiques du trypsinogène, de la lipase et des isoenzymes de l’amylase, ils ne présentent pas de supériorité sur le dosage de la lipasémie.
De nombreux marqueurs biologiques ont été testés dans le but de trouver un indicateur unique de sévérité et de pronostic [47] : CRP (C reactive protein), IL6, PAP, PlA2, élévation sérique de l’élastase des polynucléaires, TAP (trypsinogen activated peptide), néoptérine, TNF-á. Malheureusement, la sensibilité de tous ces examens est médiocre et seule la CRP est utilisable en routine [47]. Un taux supérieur à 150 mg/L suggère l’existence d’une pancréatite grave avec des valeurs prédictives positives et négatives respectivement de 66 % et 90 %.
L’intérêt du dosage est cependant limité en clinique courante par le fait que l’ascension de la CRP est souvent retardée de 48 heures par rapport au début des signes cliniques. À l’opposé, l’élévation de l’IL6 est beaucoup plus précoce, permettant de prédire la sévérité de la pancréatite dès l’admission.

Une élévation de la procalcitonine (PCT) et de IL8 peut permettre de distinguer, au sein des PAN, les formes avec infection de nécrose [81].

IMAGERIE
Ce sont les techniques d’imagerie, et plus particulièrement la tomodensitométrie (TDM), qui vont permettre de confirmer le diagnostic de PA et d’orienter le diagnostic étiologique (fig 1 à 5).

L’échographie reste la méthode de référence de l’exploration des voies biliaires et, si des gaz digestifs ne gênent pas l’examen, elle permet de faire le diagnostic de PA avec une spécificité de 100 % et une sensibilité de 67 % [67].
La TDM avec injection de produit de contraste est la méthode de choix pour explorer le pancréas. Elle permet d’identifier les zones ne prenant pas le contraste qui correspondent aux territoires nécrosés ou à risque de nécrose par altération de la microcirculation, et de mesurer l’extension extrapancréatique d’éventuelles coulées de nécrose mésentérique et rétropéritonéale [6]. La valeur prédictive positive de la pancréatographie dynamique par TDM pour le diagnostic de nécrose est de 92 % si la nécrose intéresse plus de 30 % de la glande [4].
La zone de nécrose intéresse rarement toute la glande. Elle est le plus souvent multifocale ou localisée à la périphérie, respectant le corps du pancréas. Elle apparaît rapidement après le début des symptômes et elle est généralement constituée en moins de 96 heures.
Tous les patients présentant un tableau sévère ont des images de nécrose à la TDM. Mais comme un certain nombre de patients avec un tableau clinique modéré en ont également, la valeur prédictive de la nécrose à la TDM comme signe de gravité n’est que de 59 % [93].
Les indications de la TDM devant une suspicion de PA sont résumées ci-dessous [108].

Indications de laTDMavec injection de produit iodé (d’après Wincoll [108]).
- Diagnostic clinique de PA incertain.
- Hyperamylasémie + pancréatite clinique sévère + distension abdominale + fièvre supérieure à 39 °C + hyperleucocytose.
- Score de Ranson supérieur à 3 ou APACHE II (Acute Physiology and Chronic Health Evaluation) supérieur à 8.
- Absence d’amélioration après 72 heures de traitement conservateur.
- Dégradation du tableau clinique après une amélioration initiale.


En dehors de son rôle essentiel dans le diagnostic de PA, la TDM permet également :
– d’évaluer la gravité et le pronostic par l’intermédiaire de scores scanographiques ;
– d’effectuer des prélèvements à visée microbiologique ;
– de guider la mise en place d’un drain percutané ;
– de suivre l’évolution de la maladie et de repérer d’éventuelles complications locales ou locorégionales. Cependant, un nouvel examen par TDM n’est indiqué que si l’évolution est marquée par une aggravation clinique. Cette aggravation est liée le plus souvent à une surinfection et/ou à une extension de la nécrose, au développement d’un abcès ou d’un pseudokyste, à un syndrome hémorragique ou enfin à une ischémie (voire une nécrose) du côlon, habituellement à gauche.
Ranson a élaboré un score tomodensitométrique qui classe les atteintes du pancréas en cinq stades cotés de A à E, et qui est est inférieure à 2 % chez les patients de grade A, B, C ou D, contre 57 % chez les patients de grade E. À partir de ce score, Balthazar a développé un index de sévérité basé sur l’extension de la nécrose et le degré d’ischémie pancréatique [4] (tableau III).
L’étendue de la nécrose pancréatique est divisée en trois niveaux : inférieur ou égal à 30 %, 30 à 50 % et supérieur à 50 %, et l’extension péripancréatique est représentée par les grades A à E définis initialement par Ranson. La combinaison de ces éléments permet de calculer un index de sévérité total qui est statistiquement corrélé au risque de complications et au risque de décès.
La lecture du tableau III montre que les critères de gravité sont l’existence d’une ischémie de plus de 30 % et une extension extrapancréatique correspondant aux grades D et E de Ranson.

Cependant, les résultats d’une étude rétrospective publiée en 1996 semblent montrer que le site initial de la nécrose est un meilleur indicateur prédictif que la mesure de son étendue : une nécrose localisée à la queue entraîne moins de complications et a un meilleur pronostic qu’une nécrose de tête ou qu’une nécrose diffuse. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait qu’une nécrose de la tête s’accompagne d’une obstruction du canal de Wirsung, responsable d’une augmentation de la pression dans les cellules acineuses,d’où une activation
et une libération massive d’enzymes protéolytiques activées. À partir de ces résultats, les auteurs proposent d’intégrer la localisation de la nécrose au score pronostique tomodensitométrique, voire aux scores d’évaluation clinicobiologique globaux [48].
Depuis 1994, il existe un doute sur l’existence d’un effet potentiellement délétère des produits de contraste, utilisés au cours de la TDM initiale, sur l’évolution des PAN. Chez le rat atteint de PAN sévère, l’injection précoce de produit de contraste augmente l’étendue de la nécrose et la mortalité précoce, sans doute en transformant des zones d’ischémie pancréatique en zone de nécrose irréversible [32] et ce, en raison d’une diminution de la microcirculation avec un effet de stase capillaire [89]. Selon les auteurs de ce modèle expérimental, les indications de la TDM précoce avec injection de produit de contraste doivent être reconsidérées.
Cependant, ce modèle animal est très éloigné des conditions cliniques humaines. À l’opposé, une autre étude animale, avec un mode de déclenchement unique de la PA et l’utilisation de produit de contraste à différentes doses entre la 48e et la 96e heure suivant l’induction de la pancréatite, conclut à l’absence d’aggravation du tableau et d’effet sur la mortalité [44]. Une seule étude existe chez l’homme : elle est rétrospective et montre que l’injection précoce de produit de contraste semble augmenter la durée clinique de la pancréatite jugée sur les douleurs abdominales et la reprise alimentaire [63]. À partir de l’ensemble de ces données, on peut raisonnablement penser qu’aucun argument sérieux ne remet en question la TDM précoce avec injection. Cependant, des travaux expérimentaux et cliniques apparaissent nécessaires pour pouvoir tirer des conclusions définitives.
Deux modèles expérimentaux de PAN montrent que les images obtenues par résonance magnétique (IRM) sont une bonne alternative à la TDM pour différencier les PAN des pancréatites oedémateuses, et pour quantifier et évaluer les lésions pancréatiques et extrapancréatiques [72, 104]. Il semble également que le produit de contraste utilisé, le gadolinium, n’ait aucun effet sur la microcirculation et n’aggrave pas les lésions des acini. Chez l’homme, l’IRM a été comparée à la TDM et à l’échographie dans le but de différencier les collections drainables des collections non drainables par voie percutanée (présence de débris ayant un diamètre inférieur ou égal, ou supérieur à 1 cm). Pour faire le diagnostic de collection, les performances de l’IRM et de la TDM sont équivalentes, et elles sont supérieures à celles de l’échographie.
Pour différencier le caractère drainable/non drainable, l’IRM est supérieure à la TDM et à l’échographie avec une sensibilité et une spécificité de 100 % (contre 25 % et 100 % pour la TDM, et 88 % et 54 % pour l’échographie) [65].

SCORES CLINICOBIOLOGIQUES
Dans le cadre de l’évaluation de la gravité des PA, de nombreux auteurs ont développé à partir de données cliniques et biologiques des indices spécifiques, alors que d’autres ont appliqué les « scores généralistes » de gravité utilisés habituellement chez les patients de réanimation. Récemment, un certain nombre de travaux ont tenté de déterminer de façon plus précise les facteurs de risque de mortalité des PAN.
Les deux scores le plus largement utilisés sont les critères de Ranson [77] et les critères de Glasgow ou score de Blamey [12]. Dans les critères de Ranson, 11 paramètres sont retenus (tableau IV). Cinq sont mesurés à l’admission et sont la traduction de l’intensité du processus inflammatoire (sauf l’âge), tandis que les six autres sont évalués durant les 48 premières heures et reflètent le retentissement systémique et général de la PA. La mortalité et la morbidité sont corrélées au nombre de paramètres présents :
– score de 1 à 2 : mortalité inférieure à 1 % (même en cas d’infection de nécrose) ;
– score de 3 à 4 : mortalité de l’ordre de 15 % ;
– score de 5 à 6 : mortalité de l’ordre de 40 % ;
– score supérieur à 6 : mortalité proche de 100 %.
Le score de Blamey (tableau IV) est une version simplifiée du score de Ranson, qui ne contient que huit paramètres recueillis dans les 48 premières heures. Bien que le délai de 2 jours ne soit plus incontournable pour calculer le score et donc pour évaluer la gravité, les performances du score de Blamey sont comparables à celles du score de Ranson, tout en étant moins sensibles (60 versus 80 %), mais plus spécifiques (90 versus 80 %) [5].
Un certain nombre de critiques ont été formulées depuis le milieu des années 1980, montrant les limites des deux scores [5] :
– l’évaluation de la gravité à 48 heures est tardive ;
– certains paramètres sont difficiles à obtenir en urgence (LDH [lacticodéshydrogénase]) ou à évaluer (séquestration liquidienne) ;
– il existe une interférence avec les traitements symptomatiques administrés (hématocrite, déficit en base, séquestration liquidienne...) ;
– les patients opérés en urgence sont exclus ;
– l’utilisation rétrospective est souvent impossible en raison des données manquantes ;
– le score de Ranson est davantage adapté aux pancréatites éthyliques, d’où l’existence d’un score modifié pour les étiologies biliaires (tableau IV) ;

– la valeur pronostique du score de Ranson est bonne uniquement aux extrêmes (chiffre inférieur à 2 ou supérieur à 6), alors que la grande majorité des patients se situent entre 2 et 6.
D’autres scores spécifiques d’évaluation de la gravité des PA ont depuis été développés, mais aucun d’entre eux n’a montré d’avantages décisifs [5, 93].
L’échec relatif des scores spécifiques est à l’origine d’une évolution dans deux directions différentes : définition plus précise des facteurs de risque de mortalité et utilisation des « scores généralistes » utilisés en réanimation. Pour Malcynski [55], les facteurs de risque de mortalité à l’admission sont un âge supérieur à 55 ans et une créatinémie supérieure à 177 ímol/L, alors que pendant l’hospitalisation, seule l’utilisation de drogues vasoactives et l’apparition d’une insuffisance rénale sont corrélées à la mortalité.
En revanche, tous les autres paramètres du score de Ranson, ainsi que la survenue, au cours de l’évolution, d’événements tels que l’existence d’une insuffisance respiratoire, d’une intervention chirurgicale, d’hémocultures positives, d’une thrombopénie, d’une infection de nécrose ne sont pas corrélés à la mortalité.
Dans une analyse multicentrique espagnole [29], la mortalité de 223 PAN, avec un score tomodensitométrique de Balthazar D ou E, est de 26,6 % et est corrélé avec un âge supérieur à 55 ans, l’existence d’un état de choc, d’une insuffisance respiratoire ou rénale ou d’une hémorragie gastrique. Talamini [95], dans une série de 539 PA comprenant 163 PAN dont 11 sont infectées à l’entrée en réanimation, conclut que l’existence à l’entrée en réanimation d’une créatininémie supérieure à 177 ímol/L et d’épanchements pleuraux et/ou d’une condensation parenchymateuse pulmonaire permettront d’isoler un sous-groupe présentant une évolution plus grave et un risque de décès plus important.
La performance prédictive de ces deux facteurs est comparable à celles des scores de Blamey et de Ranson.
Les scores généralistes de gravité, indice de gravité simplifié (IGS I et IGS II), APACHE II, ont été validés dans l’évaluation de la gravité des PA [5]. Ces scores ont l’avantage de pouvoir être calculés en routine à l’admission en réanimation, ce calcul pouvant être répété au cours de l’évolution. Ils permettent également une évaluation globale du patient dans les 24 premières heures sans que les mesures thérapeutiques n’aient d’influence majeure sur le score. De plus, l’APACHE II et l’IGS II donnent une prédiction de mortalité très peu différente de celle donnée par les critères de Ranson ou de Blamey. Cependant, il est important de noter que ces deux scores ont été validés pour des PA évoluant depuis 24 à 48 heures, mais qu’ils ne l’ont pas été si l’évolution dure depuis plusieurs jours, ce qui est le cas pour les transferts secondaires en réanimation.
 Van den Biezenbos [102] montre, dans une étude prospective incluant 45 PA, que la prédiction de la mortalité et de la morbidité est identique, que l’on utilise les scores tomodensitométriques (Ranson ou index de sévérité total de Balthazar) ou l’IGS II. En revanche, les performances des deux scores radiologiques sont supérieures en termes de prédiction d’une évolution favorable.
Au total, il apparaît qu’aucun score clinicobiologique et radiologique, ni aucun marqueur biologique (cf supra) ne sont très performants dans l’évaluation de la gravité initiale des PA. Les scores généralistes de gravité peuvent sans doute avantageusement remplacer les scores clinicobiologiques spécifiques. Quant à l’avenir, il repose sans doute sur l’association de plusieurs scores (spécifique, radiologique, défaillances d’organes...) qui permettra une stratification des patients atteints de PAN et facilitera l’analyse et la comparaison des résultats.

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