Douleur Chronique :Conduite du traitement



L’évaluation des différentes composantes - somatique, psychologique
et sociale - de la douleur chronique conduit à porter l’indication de moyens thérapeutiques très divers : médicamenteux, physiques, psychologiques, chirurgicaux.
Plutôt qu’une succession dans le temps de chaque thérapeutique, il est préférable de les envisager d’emblée en combinaison sous la forme d’un programme structuré ouprogramme multimodal.
Cette démarche n’interdit pas l’évaluation respective des traitements introduits qui n’ont pas les mêmes délais d’action, ni le respect d’une progression hiérarchisée qui doit prendre en compte le caractère plus ou moins invasif et le rapport bénéfice/ risque de chaque méthode.
Sans être exhaustif, nous allons envisager les traitements analgésiques les plus usuels, en soulignant les causes habituelles d’échecs. En ce qui concerne plus spécifiquement le traitement de la douleur cancéreuse, on peut se reporter aux recommandations disponibles.
 Traitements médicamenteux
Analgésiques
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé, dans le cadre des douleurs cancéreuses, une échelle de décision thérapeutique comportant trois paliers d’analgésiques. Ce schéma reste actuellement un guide didactique de référence dans la douleur cancéreuse. On peut l’extrapoler à d’autres douleurs d’origine nociceptive en utilisant les paliers de l’OMS
comme une échelle de prescription selon l’intensité de la douleur. Le niveau I correspond aux analgésiques non morphiniques (paracétamol et aspirine) et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ; le niveau II, à l’association des analgésiques non morphiniques aux opioïdes mineurs (codéine, dextropropoxyphène, tramadol) ; le niveau III, aux analgésiques
opioïdes majeurs, dont le chef de file est la morphine orale (à libération immédiate [LI] et prolongée [LP]). L’inefficacité d’un analgésique conduit au passage d’un échelon à l’autre dans l’échelle de l’OMS.
Quel que soit le contexte clinique, à partir du moment où une douleur est continue dans la journée, les prises gagnent à être administrées de façon préventive, à horaire fixe, à intervalle régulier, en tenant compte de la durée d’efficacité du produit utilisé. D’un point de vue psychologique, cette attitude réduit l’anxiété d’anticipation ; d’un point de vue pharmacologique, elle maintient des taux plasmatiques stables, dans la zone d’efficacité.
 Dans cette optique, il est intéressant en milieu hospitalier de prévoir des protocoles de prescription du traitement antalgique ; rédigés en fonction des particularités du service, adoptés par des équipes soignantes formées, ces protocoles présentent le double avantage d’encadrer la prescription d’antalgiques (choix des molécules, règles d’utilisation) et de mettre à disposition des équipes soignantes un canevas d’administration adapté aux différentes évolutions prévisibles de la douleur (dose efficace,
intervalle adéquat entre les prises, administration préventive).
 Ces protocoles peuvent comporter, pour un palier antalgique donné, la prescription d’une (ou plusieurs) molécule (s) donnée (s), administrée (s) à intervalles réguliers, et une prescription complémentaire anticipée («interdoses ») en cas de douleur imprévue. L’utilisation de tels protocoles limite les causes d’échec du traitement antalgique (insuffisance de dose, mode d’administration inadapté, prise « au coup par coup », intervalle
irrégulier).
La morphine LP est administrée toutes les 12 heures, pour le Moscontin® et le Skenan LP®, ou à raison d’une prise par 24 heures pour le Kapanol®. Les comprimés (Moscontin®) doivent être avalés avec un peu d’eau et non pas mis sous la langue, croqués, ou mixés. Les gélules (Skenan®) peuvent être ouvertes, ce qui facilite l’absorption des microgranules contenus dans les gélules ; elles peuvent ainsi être administrées (après ouverture) dans une sonde nasogastrique ou une sonde de gastrostomie. En cas d’échec, il faut vérifier le mode
d’administration.
Malgré l’apport de la morphine LP, la morphine LI, Actiskenan ®, Sevredol®, conserve toujours sa place : lors de la mise en route du traitement morphinique par voie orale, il est possible de débuter par la morphine LI (« titration ») pour prendre le relais secondairement par la morphine LP (dose totale de morphine quotidienne alors répartie sur deux prises). La morphine LI peut également être très utile comme médicament
de secours indiqué pour la prévention et le contrôle des accès douloureux prévisibles ou non prévisibles (interdoses) et lors de toute période d’ajustement de posologie. Si le malade doit prendre régulièrement plus de trois à quatre interdoses par jour (hors douleurs des soins), ces interdoses doivent être intégrées dans la dose totale quotidienne de morphine LP après 2 à 3 jours de traitement.
Le remplacement de la morphine par un autre opioïde ou le changement d’un opioïde par un autre (fentanyl, hydromorphone, oxycodone), appelé « rotation des opioïdes », est indiqué en cas d’effets indésirables rebelles, malgré un traitement adéquat, ou de résistance à la morphine (exceptionnelle).
Mentionnons particulièrement l’autoadministration possible de morphine par le patient (patient controlled-analgesia ou PCA)  à l’aide d’une pompe programmable portable, par voie intraveineuse ou sous-cutanée, plus particulièrement dans les cas de douleurs instables, de douleurs difficiles à équilibrer, d’effets indésirables incontrôlables, ou de troubles digestifs rendant l’utilisation de la voie orale impossible. Dans le cas de douleur
cancéreuse, la morphine est administrée par perfusion continue associée à des interdoses ou bolus que le malade s’autoadministre à l’aide d’un bouton-poussoir.
Selon l’autorisation de mise sur le marché (AMM), la voie transdermique (patchs de fentanyl transdermique : Durogésic®) est indiquée dans les « douleurs chroniques cancéreuses intenses ou rebelles aux autres antalgiques en cas de douleurs stables ».
 Causes d’échec du traitement antalgique
Une fois l’indication correctement posée, les causes d’échec sont parfois un choix inapproprié de molécule, mais le plus souvent le non-respect des règles d’utilisation : une dose insuffisante par prise, un intervalle inadéquat entre les prises, un mode d’administration mal adapté (à la demande, c’est-àdire « au coup par coup », et non de façon préventive, en anticipant par des prises à horaires fixes et réguliers ou avant la
reprise de la douleur, lorsqu’il s’agit d’accès prévisible).
Une autre cause d’échec provient de la non-correction des effets indésirables des morphinomimétiques : nausées, vomissements,
constipation, somnolence. Il faut informer le patient de la possibilité d’effets indésirables à l’initiation d’un traitement morphinique et lui expliquer comment les traiter. Toute prescription de morphiniques doit envisager la prescription associée d’un antiémétique (surtout si le patient est naïf de morphinique), et d’un laxatif qui doit être conseillé systématiquement du fait de la fréquence de la constipation. On informe
le patient d’une somnolence, souvent transitoire, en début de traitement. Chez le patient douloureux, la dépression respiratoire due aux morphiniques est exceptionnelle et ne doit pas constituer un frein à la prescription des morphiniques par voie orale ou à l’augmentation des doses. Une surveillance spécifique est cependant nécessaire sur un terrain fragilisé.
Beaucoup plus rarement, l’apparition d’effets indésirables liés au retentissement du traitement morphinique sur les systèmes hormonaux, [4] particulièrement l’axe hypothalamo-hypophysosurrénalien (décroissance des taux plasmatiques de cortisol) et l’axe gonadique (augmentation de libération de prolactine, baisse de luteinizing hormone[LH] et follicle stimulating hormone [FSH], décroissance des oestrogènes et de la testostérone), peut être source d’échec du traitement.
 Que faire en cas d’escalade de dose ?
Plusieurs situations beaucoup plus rares peuvent engendrer un échec du traitement bien conduit chez des patients recevant un traitement morphinique au long cours :
• l’apparition d’une tolérance, définie comme une réduction de l’efficacité analgésique d’un morphinique, conduit à une escalade de dose sans bénéfice ; la tolérance peut provenir, soit d’une adaptation au niveau cellulaire (diminution du nombre de récepteurs, désensibilisation) ou des mécanismes de contrôle (avec implication des récepteurs N-méthyle-
D-aspartate [NMDA]), soit de l’intervention de facteurs environnementaux ou psychiques ;
• l’apparition d’une hyperesthésie diffuse est aussi à l’origine d’une augmentation rapide de dose ; elle peut se manifester par une
hyperalgésie (perception douloureuse anormalement intense à un stimulus douloureux) et/ou une allodynie  (perception douloureuse à un stimulus habituellement non douloureux) ; là aussi, des mécanismes d’adaptation cellulaire ou des mécanismes de contrôle sont à l’origine de cette sensibilisation centrale.
Le praticien doit cependant garder à l’esprit que le premier facteur nécessitant une augmentation des doses antalgiques est une évolution de la maladie. Celle-ci étant écartée, un mécanisme de tolérance ou d’hyperesthésie liée à la morphine peut alors être évoqué. Devant une tolérance ou une sensibilisation liée à un morphinique, persistant après une phase d’ajustement de dose bien menée, l’association à une molécule bloquant les récepteurs NMDA ou une rotation d’opioïdes doivent alors être évoqués.

Antalgiques par voie médullaire
La mise en évidence de récepteurs morphiniques au niveau spinal a conduit à la mise au point de techniques d’administration périmédullaire de morphine, délivrée par des cathéters périduraux ou intrathécaux (sous-arachnoïdiens), reliés à une seringue électrique externe ou à une pompe, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un réservoir sous-cutané. Ces voies d’administration ont l’avantage d’induire une analgésie puissante
avec des doses faibles de morphine injectée (quelques milligrammes). Les indications actuelles sont encore mal codifiées et sujettes à controverses ; elles varient également en fonction de l’expérience de l’équipe et nécessitent une formation préalable.
Exceptionnellement, on peut être amené à injecter la morphine par voie centrale pour traiter certaines douleurs néoplasiques terminales, notamment localisées au niveau de la sphère orofaciale et ne cédant pas au traitement médical bien conduit administré par une autre voie.
D’autres produits peuvent être administrés par voie intrathécale, souvent associés aux morphiniques, comme les anesthésiques locaux et la clonidine, ou seuls, comme le baclofène, qui trouve une bonne indication dans certaines spasticités douloureuses (par le biais d’une pompe implantable programmable).
 Antidépresseurs
Les antidépresseurs sont utilisés dans deux indications : d’une part pour leur action analgésique propre, d’autre part pour le traitement des symptômes psychiquesfréquemment associés à la douleur chronique, comme les syndromes anxiodépressifs. Les indications spécifiques les plus intéressantes concernent les douleurs neuropathiques, où les antidépresseurs sont efficaces sur la composante continue comme sur la composante paroxystique  (neuropathie diabétique, mononeuropathie, douleur postzostérienne), mais aussi les céphalées (migraine, céphalées
de tension ou mixtes) et la fibromyalgie.
Les molécules qui ont fait la preuve de leur efficacité dans des essais contrôlés sont des antidépresseurs tricycliques (clomipramine, amitriptyline, imipramine, désipramine).
L’administration se fait à doses progressivement croissantes. L’effet analgésique se manifeste de façon retardée (après 1 à plusieurs semaines). Il est raisonnable d’attendre au moins 4 semaines avant de conclure à un échec. Les causes d’échec sont l’arrêt précoce du traitement, le dosage insuffisant, la noncorrection des effets secondaires, la mauvaise adhésion des malades qui ne comprennent pas pourquoi un antidépresseur a été prescrit pour une douleur (manque d’information).
Les effets secondaires sont nombreux et expliquent un certain nombre d’abandons lorsque les traitements doivent être prolongés : prise de poids, somnolence, sécheresse des muqueuses, constipation, troubles sexuels.
Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont mieux tolérés, mais le niveau de leur efficacité dans la douleur n’est pas démontré.
 Anticonvulsivants
Certains anticonvulsivants sont indiqués dans les douleurs neuropathiques (neuropathies diabétiques ou infectieuses, algies postzostériennes, douleurs centrales) et dans la névralgie essentielle du trijumeau. Les produits les plus étudiés sont la carbamazépine (Tégrétol®, en particulier dans la névralgie du trijumeau) et la gabapentine (Neurontin®). On manque de travaux sur d’autres produits tels que la lamotrigine (Lamictal®) et le clonazépam (Rivotril®).
Ici encore, il est impératif d’augmenter progressivement les doses pour déterminer pour chaque patient la dose efficace. Le niveau de preuve acquis par les études publiées fait de certains anticonvulsivants des médicaments de choix en seconde ligne, dans ces indications, en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux antidépresseurs tricycliques.
 Anxiolytiques et sédatifs
Les patients douloureux chroniques consomment plus de benzodiazépines que la population générale. Pourtant, leur intérêt dans le traitement de la douleur n’est pas démontré.
Souvent prescrits pour un trouble du sommeil ou comme myorelaxant, les benzodiazépines ne sont pas des médicaments inoffensifs. Leurs effets secondaires (sédation, troubles cognitifs) vont à l’encontre du programme de reprise d’activité. Du fait du risque de pharmacodépendance, il est recommandé de les prescrire pour de courtes périodes. Ils peuvent être souvent avantageusement relayés par l’apprentissage d’une technique de
relaxation.
Neurostimulation électrique transcutanée et acupuncture
Neurostimulation électrique transcutanée
La transcutaneous electrical nerve stimulation (TENS) se propose de renforcer ou de suppléer un mécanisme inhibiteur défaillant.
Il était donc logique de la proposer dans les douleurs neuropathiques
dont le mécanisme physiopathologique peut être interprété comme un défaut d’inhibition. La TENS met en oeuvre des contrôles inhibiteurs segmentaires (gate control), mais stimule aussi probablement des contrôles supraspinaux. Les indications les plus intéressantes sont : les douleurs neuropathiques bien systématisées après lésion de nerf périphérique, ou lombosciatalgies séquellaires. À coté de ces indications
classiques, la TENS s’est également révélée efficace dans certaines douleurs d’origine non neurologique, comme les douleurs chroniques post-traumatiques ou rhumatologiques.
Bien que la TENS soit une technique simple, son efficacité clinique réclame le respect d’un certain nombre de règles qui découlent d’une compréhension correcte des facteurs impliqués dans son succès (douleur de topographie localisée, recouvrement de la zone douloureuse par les paresthésies produites par la stimulation, bon effet de masquage de la douleur aux tests initiaux, bonne adhésion du malade pour l’autoadministration).
Il faut rappeler la possibilité d’échappement thérapeutique après quelques mois.
Acupuncture
Le terme « acupuncture » s’applique aujourd’hui à des pratiques et à des conceptions extrêmement différentes. Certaines restent imprégnées par la tradition chinoise antique, d’autres sont très proches des stimulations périphériques analgésiques. Les données actuelles permettent de comprendre comment certaines stimulations utilisées par l’acupuncture
peuvent mettre en jeu des mécanismes physiologiques communs
aux diverses techniques de contre-stimulation. Elles ne permettent pas pour autant de confirmer la pertinence de la théorie chinoise classique. Les indications restent très difficiles à cerner. L’acupuncture ne constitue pas dans notre expérience un traitement à part entière de la douleur chronique. Elle peut avoir un intérêt dans certains épisodes aigus, notamment d’origine musculaire, rencontrés dans les syndromes douloureux chroniques. Il est inutile de poursuivre le traitement après
quatre ou cinq séances sans effet.
D’une façon générale, ce type de thérapeutique, dont le statut reste incertain, pose le problème de l’attitude vis-à-vis du placebo. Il nous paraît légitime de respecter la demande des malades, à condition que la démarche ne les éloigne pas des traitements qui paraissent utiles dans leur cas.
 Rééducation et reconditionnement physique
Le reconditionnement physique du malade douloureux chronique est, souvent, un des éléments-clés de la thérapeutique, tant sur le plan curatif, éventuellement dans le cadre d’un programme comportemental, que sur le plan de la prévention de l’invalidation progressive, qui reste, en absence de traitement efficace, le destin du douloureux chronique.
Le programme de reconditionnement physique est présenté au patient comme un apprentissage de techniques permettant une meilleure gestion de la douleur . il comporte en général des quotas d’exercices incrémentés, fonctions des capacités du patient, de la kinésithérapie (essentielle dans les douleurs chroniques touchant l’appareil locomoteur). Ces exercices
doivent évoluer vers une rééducation autonome du patient. Une kinésithérapie ou une réactivation physique, peut cependant être iatrogène lorsque, trop passive, elle maintient le malade dans des comportements douloureux, crée une dépendance ou contribue à donner une vision mal adaptée de la douleur chronique. Il est souhaitable que le kinésithérapeute, le rééducateur ou l’ergothérapeute soit intégré dans l’équipe soignante ; sinon il est recommandé de prendre contact avec lui
par lettre ou verbalement. Dans tous les cas, la prescription doit clairement expliciter le travail attendu.
Une abondante littérature médicale a donné un bon niveau de preuve à la nécessité d’un reconditionnement physique codifié dans toutes les pathologies douloureuses chroniques mettant en jeu l’appareil locomoteur (en premier lieu les lombalgies et lombosciatalgies chroniques) ou des structures musculaires (algoneurodystrophies, fibromyalgies…), mais aussi
dans toutes les douleurs « secondaires » liées à des positions ou attitudes vicieuses, des contractures musculaires, des limitations articulaires. Certaines études dégagent des stratégies différenciées,  privilégiant, soit le reconditionnement physique, soit la prise en charge psychologique, pour des sous-groupes de lombalgiques chroniques définis à l’aide de l’échelle de Dallas.
Cette stratégie est à la base des programmes du type « école du dos », qui associent des techniques cognitivocomportementales de gestion de la douleur et un reconditionnement physique,  en complément d’un traitement médicamenteux le plus souvent ; ces programmes commencent à dépasser le strict cadre des lombalgies et s’imposent dans d’autres pathologies douloureuses, comme la fibromyalgie par exemple.
 Approche cognitivocomportementale
Les habituels conseils de bon sens : « pensez moins à votre douleur », « reprenez des activités », « ce n’est pas grave », sont rarement suffisants chez les patients douloureux chroniques.
Le patient douloureux chronique réagit à la douleur par une série de comportements, verbaux ou simplement visibles, et par une réduction ou modification de certains comportements antérieurs. Tout comportement est une conduite acquise, en particulier les comportements douloureux qui, au-delà de l’apprentissage avec ses règles classiques (renforcement, inhibition, extinction), peuvent être considérés comme entretenus, conditionnés, dès lors que la douleur devient chronique. Le comportement peut persévérer au-delà de la persistance de la seule cause nociceptive initiale qui a pu être à l’origine du tableau douloureux . Il peut subir deux types de renforcement :renforcement positif (qui recouvre les « bénéfices secondaires » du vocabulaire médical) et renforcement négatif (évitement de situations aversives, de responsabilités, d’activités désagréables, y compris un travail jugé peu satisfaisant).
Les comportements douloureux conduisent progressivement à une réduction des activités quotidiennes, tant physiques qu’intellectuelles, tant professionnelles que sociales et familiales ; la persistance de conduites d’évitement peut avoir des conséquences néfastes, sur les plans physique (réduction de force, de mobilité, syndrome de déconditionnement), psychologique  (perte d’estime de soi, dépression, préoccupations
somatiques), ou social (incapacité, isolement professionnel et familial) ; l’évolution naturelle de beaucoup de douleurs chroniques se fait ainsi vers une invalidation croissante.
L’objectif de la thérapie comportementale est donc une reprogrammation des activités et des comportements du patient.
Des facteurs cognitifs peuvent en outre être à l’origine d’une majoration et d’une persistance de la douleur. La représentation qu’a le patient de sa maladie joue un rôle important dans la pérennisation de comportements inadaptés, et par suite, dans la chronicisation de la douleur. Des pensées erronées ou inappropriées  (catastrophisme, peur de l’évolution de la maladie, peur de certaines activités), des conflits avec l’entourage, ou au
contraire un assistanat inutile, contribuent à majorer ou pérenniser la douleur. L’identification de ces facteurs peut être réalisée à l’aide d’un « agenda de la douleur », où le patient consigne toutes les circonstances de majoration ou de réduction de la douleur, ses propres comportements, et ceux de son entourage.
Le douloureux chronique fait de nombreux efforts pour gérer ses douleurs. Ces stratégies d’ajustement, d’adaptation, d’affrontement sont désignées sous le terme de « coping », dont la traduction la moins approximative en français serait peut-être  « stratégies d’adaptation » ou « pour faire avec… ». Un des objectifs de la thérapie cognitive est l’acquisition ou le renforcement
de stratégies de coping, selon trois axes principaux :
• les stratégies d’attention : déplacement de l’attention sur des perceptions non douloureuses, distraction, utilisation d’images;
• les stratégies d’interprétation : transformation de la douleur en expérience neutre ou agréable ;
 • les stratégies psychophysiologiques : les techniques de relaxation, sous leurs diverses formes (relaxation, training autogène, biofeedback), ont une place importante. Elles aident le patient à mieux contrôler sa douleur et à utiliser la relaxation préventivement face aux situations stressantes
susceptibles de majorer la douleur.
On comprend donc toute l’importance, chez le douloureux chronique, quelle que soit l’origine de la pathologie, des thérapies cognitivocomportementales, qui ont pour objectif de développer des comportements d’adaptation face à la douleur et de réduire les facteurs de renforcement des comportements douloureux. Sur le versant cognitif, le patient tente de repérer et d’analyser avec son thérapeute les situations facilitant, déclenchant ou majorant les symptômes, qu’il s’agisse de
facteurs physiques (mouvement ou position inappropriés, activité trop intense ou prolongée, fatigue), de cognitions erronées ou inappropriées (catastrophisme, peur d’accroître la douleur), de facteurs environnementaux (conflits avec l’entourage, stress divers).
En premier lieu, il importe d’apporter au patient une représentation la plus rassurante possible de sa douleur et de l’aider à éliminer les distorsions cognitives qui favorisent les comportements mal adaptés. Ce processus d’information peut faire appel à des brochures ou des vidéocassettes éducatives.
Après une phase d’analyse comportementale, des buts clairs sont assignés. Le patient s’évalue régulièrement, tient un journal de bord de ses performances, analyse les situations problématiques.
La motivation du patient, mais aussi du thérapeute et de l’entourage du patient, est essentielle. Cette approche peut s’effectuer lors de consultations individuelles mais également lors de réunions de groupe (école du dos, groupe migraine, groupe fibromyalgie etc.). L’objectif est d’aider le patient à accroître sa tolérance à la douleur, à mieux l’accepter et à mener des activités aussi normales que possible. Les changements
d’attitudes et de comportements doivent être renforcés par le conjoint ou par les autres membres de la famille. Lorsque les interactions familiales paraissent constituer un facteur de chronicité, il convient de savoir solliciter la participation du conjoint pour quelques entretiens.
Ces thérapies sont courtes (3 mois à 1 an en général).
À côté des techniques comportementales qui s’adressent directement à la douleur et à son handicap, en principe toutes les autres formes de psychothérapie peuvent être proposées à un patient douloureux chronique. Dans la pratique, les malades acceptent non sans réticence d’être adressés au psychiatre. Dans notre expérience, c’est souvent après une période de traitement comportemental, qui aide à reformuler la conception des malades quant à leur attitude vis-à-vis de la
douleur chronique, qu’une authentique demande de psychothérapie
peut émerger.
Techniques anesthésiques
Diverses techniques anesthésiques possèdent un intérêt non seulement thérapeutique, mais également diagnostique.
Blocs nerveux diagnostiques
L’intérêt et les indications des blocs diagnostiques sont fonction des écoles : les effets induits sur la douleur, comparés aux données de l’examen clinique neurologique, peuvent aider à mieux cerner la part périphérique et centrale de la douleur.
Ces effets peuvent être utilisés comme test prédictif d’une thérapeutique antalgique secondaire, soit une technique interruptive neurolytique, soit une neurolyse chirurgicale. Dans d’autres cas, ces gestes invasifs sont discutés avec le patient et peuvent l’aider à accepter une représentation autre de sa douleur et des thérapeutiques indiquées.
Blocs nerveux thérapeutiques
Certains blocs non neurolytiques, réalisés avec des anesthésiques locaux, sont pratiqués au niveau de points gâchettes musculaires, de cicatrices ou de troncs nerveux. Dans des douleurs peu anciennes (6 à 24 mois), ils déterminent des soulagements qui se prolongent au-delà de la durée attendue des effets pharmacologiques. On s’accorde à interpréter ces
effets comme liés à l’interruption d’un mécanisme autoentretenu par voie réflexe musculaire ou sympathique.
Dans les douleurs avec dysfonctionnement du système nerveux sympathique (algoneurodystrophie, causalgie), actuellement dénommées syndrome douloureux régional complexe  (SDRC), des blocs sympathiques peuvent être réalisés à différents niveaux : préganglionnaire (péridural), ganglionnaire  (bloc stellaire ou sympathique lombaire) ou postganglionnaire  (bloc locorégional à la guanéthidine ou à la réserpine, selon la méthode de Bier par injection intraveineuse effectuée sous
garrot). L’efficacité des blocs sympathiques sur la douleur dans les SDRC est actuellement discutée dans plusieurs méta-analyses.
Les blocs neurolytiques effectués à l’alcool éthylique (93 %) ou au phénol (8 %) visent à détruire les voies de conduction périphériques des messages nociceptifs. La neurolyse la plus pratiquée est l’alcoolisation du plexus coeliaque pour les douleurs des cancers digestifs (pancréas, estomac…) et de certaines pancréatites chroniques. Les effets durent en moyenne 2 à 3 mois mais la neurolyse peut être répétée si nécessaire.
Techniques neurochirurgicales
Les techniques neurochirurgicales peuvent se diviser en deux grands groupes :
• les techniques de stimulation qui ont l’avantage de préserver l’intégrité anatomique du système nerveux central ; les indications privilégiées sont représentées par les douleurs neuropathiques rebelles au traitement médical ;
• les techniques de section détruisent plus ou moins sélectivement
les voies de la douleur ; leur emploi se justifie dans certaines douleurs néoplasiques échappant aux traitements cancérologiques et aux traitements antalgiques médicaux.
Nous n’envisagerons pas ici les techniques neurochirurgicales d’affection spécifique comme la névralgie trigéminale. Dans cette affection, la thermocoagulation percutanée du trijumeau et la décompression neurochirurgicale du trijumeau sont à utiliser selon des indications graduées, après échec du traitement médical, en fonction de l’âge et de la sémiologie.
Techniques de neurostimulation centrale
Fondées sur les mêmes principes que la neurostimulation transcutanée, se sont développées des méthodes d’analgésie par électrostimulation des nerfs périphériques ou des cordons postérieurs de la moelle. Parallèlement, les méthodes analgésiques par stimulation des cibles cérébrales profondes ont été rendues possibles grâce aux techniques stéréotaxiques.
Lorsque la structure nerveuse devant être logiquement stimulée est inaccessible aux électrodes externes, l’efficacité de la stimulation transcutanée est nulle. Pour des raisons anatomiques ou d’effet antalgique insuffisant de la TENS, il est possible de faire appel à la stimulation médullaire. La stimulation électrique des cordons postérieurs produit en effet des inhibitions similaires à la TENS, par activation antidromique de fibres de gros calibre, au niveau segmentaire.
La stimulation médullaire peut être pratiquée, soit au moyen d’électrodes introduites par voie percutanée, soit par l’intermédiaire d’électrodes implantées chirurgicalement après laminectomie limitée. Quelle que soit la technique, une période de test sur plusieurs jours est indispensable. Si les paresthésies déclenchées par la stimulation couvrent bien le territoire douloureux et si le test percutané s’avère positif, les électrodes et le
récepteur sont secondairement internalisés de façon définitive.
Les conditions d’efficacité de la stimulation cordonale postérieure sont de même nature que celles de la TENS :
• douleurs liées à une origine neuropathique ;
• topographie douloureuse limitée aux membres inférieurs de telle sorte qu’elle puisse être « couverte » par les paresthésies induites par la stimulation médullaire ;
• intégrité des fibres lemniscales (ou cordonales postérieures)  qui pourront transmettre la stimulation inhibitrice.
La stimulation médullaire est une méthode plus invasive que la TENS. Elle oblige donc à une sélection rigoureuse des patients candidats à cette méthode, tant en ce qui concerne les causes de la douleur et ses caractéristiques cliniques, qu’au niveau du  « profil psychologique ». Comme pour les autres modalités de stimulation, un bon effet immédiat ne garantit pas le maintien de l’efficacité à long terme.
Les indications les plus fréquentes de cette méthode sont les radiculalgies ayant persisté après traitement chirurgical (discectomie lombaire), et les douleurs persistantes après amputation.
Grâce aux techniques de stéréotaxie, certaines cibles centrales peuvent être stimulées pour traiter certaines douleurs chroniques ou néoplasiques. Actuellement, ces techniques sont de moins en moins utilisées du fait d’effets secondaires désagréables induits par la stimulation centrale (mouvements oculomoteurs notamment) et surtout d’un échappement à moyen et long termes. Certaines indications restent cependant d’actualité,
telle la stimulation corticale.
Techniques de section
Le recours aux interventions neurochirurgicales de section à visée antalgique peut se justifier lorsque les douleurs échappent au traitement cancérologique et antalgique (morphiniques per os et par voie centrale, association de classes différentes d’antalgiques). C’est dire que ces interventions sont proposées de plus en plus rarement. Ces dernières sont représentées par :
• les radicotomies chimiques par injections péri- ou intradurales de substances neurolytiques, en particulier d’alcool ou de phénol ;
• les radicotomies postérieures complètes ou sélectives, ces dernières étant faites par méthodes thermiques ou microchirurgicales  (radicellectomie sélective postérieure) ;
• les interventions de section des voies spinothalamiques : myélotomie commissurale postérieure ou plus fréquemment cordotomie antérolatérale.
Les indications de ces différentes techniques sont établies en fonction de trois types de facteurs : le pronostic vital, l’état neurologique, le siège et l’étendue des douleurs.
La légitimité d’une intervention neurochirurgicale ne se conçoit que si la probabilité de la durée de survie est égale ou supérieure de 3 à 6 mois. Pour les malades à probabilité de survie relativement longue et notamment ceux qui sont porteurs de lésions considérées comme stabilisées, le choix doit se porter sur des techniques réalisant des interruptions nerveuses aussi limitées et sélectives que possible, comme le permettent actuellement les cordotomies spinothalamiques et les radicotomies postérieures sélectives. Ceci est particulièrement important
chez des malades qui ne présentent pas de déficit neurologique invalidant, en particulier dans le domaine des fonctions génitosphinctériennes.
La neurochirurgie de section conserve des indications intéressantes dans certaines douleurs chroniques non cancéreuses neuropathiques telles que les douleurs après avulsion du plexus brachial qui sont soulagées par des lésions de la zone d’entrée de la moelle : DREZ-tomie (DREZ : dorsal root entryzone).
Malgré leur intérêt dans des indications bien sélectionnées, aucune de ces techniques ne doit être appréhendée par le malade comme une solution « miracle ». Elles sont le plus souvent l’un des éléments contribuant au contrôle de la douleur. Il faut donc que le patient soit préparé à un effet
partiel de ces techniques et que le médecin sache ne pas tout miser sur cette aide, une fois pesée sa bonne indication. Il faut intégrer le geste technique proposé dans une approche plus globale du contrôle de la douleur, prévoir l’évolution à long terme, ce qui implique de revoir le patient pour évaluer les résultats et le conseiller au mieux pour la suite.

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