La démarche diagnostique doit préciser non seulement l’existence et la nature du processus pathologique en cause,mais aussi le mécanisme générateur de la douleur. Le traitement symptomatique découle pour une large part d’une compréhension satisfaisante de ce mécanisme. Même si de nombreuses données physiopathologiques sont encore imparfaitement comprises, la distinction de trois grands types de mécanismes conserve une valeur opérationnelle, tant lors de l’évaluation que pour les décisions thérapeutiques.
Douleurs par excès de stimulations nociceptives
L’excès de stimulations nociceptives sous-tend la majorité des douleurs aiguës. Au stade chronique, on le retrouve dans des pathologies lésionnelles persistantes, par exemple dans les pathologies rhumatismales chroniques ou les cancers. La douleur conserve ici pour une part sa fonction de signal d’alarme. Elle s’exprime sur un plan sémiologique selon un rythme mécanique (augmentation de la douleur par l’activité physique) ou inflammatoire (avec possibilité d’expression nocturne). L’examen clinique retrouve ce facteur mécanique de déclenchement. L’examen neurologique est normal. L’imagerie peut permettre de documenter la lésion en cause. Au niveau périphérique, un processus pathologique active le système physiologique de transmission des messages nociceptifs. L’information, née au niveau des récepteurs, est transmise par des fibres nerveuses de petit calibre vers la corne postérieure de la moelle, puis vers les structures centrales, médullaires et supraspinales. D’un point de vue thérapeutique, il est légitime d’agir sur le processus causal périphérique lui-même (traitement étiologique) ou d’en limiter les effets excitateurs, en utilisant des antalgiques agissant en périphérie ou au niveau du système nerveux central, ou encore de chercher à interrompre les messages aux divers étages de la transmission périphérique ou centrale (blocs anesthésiques, sections chirurgicales).
À côté de ce mécanisme périphérique classique, il existe une grande variété d’autres mécanismes générateurs de douleur, parfois même associés : névrome, compression tronculaire ou radiculaire, dysfonctionnement sympathique (causalgie, algodystrophie), participation musculaire (contracture réflexe, nonutilisation due à l’immobilisation ou à la perte des activités physiques), mémorisation centrale, désafférentation, trouble psychogène …
Douleurs neuropathiques
Le mécanisme des douleurs neuropathiques a fait l’objet de nombreuses études, tant cliniques qu’expérimentales. Les douleurs neuropathiques ont des caractéristiques sémiologiques particulières qui facilitent leur reconnaissance : douleurs spontanées et provoquées, douleurs paroxystiques…(Tableau 1).
Leur résistance aux antalgiques, leur expression sémiologique en font un exemple type d’une douleur liée à des mécanismes centraux, à opposer aux douleurs par excès de nociception.
Divers mécanismes périphériques et centraux sont actuellement impliqués dans les douleurs neuropathiques. Une lésion ou section des afférences périphériques peut être à l’origine d’altérations locales : activité électrique anormale (décharges ectopiques spontanées ou provoquées), sensibilisation des récepteurs de la nociception (diminution du seuil et augmentation des réponses aux stimulations), interactions entre fibres par contiguïté (éphapses). Secondairement, les neurones des relais spinaux ou supraspinaux peuvent devenir hyperexcitables : remaniements histologiques et fonctionnels (« neuroplasticité »), sensibilisation centrale (hyperexcitabilité), altération des systèmes de modulation des messages nociceptifs (contrôles segmentaires, contrôles inhibiteurs descendants).[6, 10]
Tableau 1.
Caractéristiques sémiologiques des douleurs neuropathiques.
Description clinique
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Douleur spontanée continue (brûlure)
Douleur fulgurante, intermittente (décharges électriques) spontanée ou provoquée
Dysesthésies (fourmillements, picotements)
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Localisation
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Territoire systématisé au plan neurologique
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Évolution
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Intervalle libre possible après la lésion neurologique initiale
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Examen
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Signes d’hyposensibilité (hypoesthésie, anesthésie), au tact, à la piqûre, au chaud, au froid
Signes d’hypersensibilité : allodynie a dynamique (effleurement) ou statique (pression), hyperpathie
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b Hyperpathie : [18] réponse douloureuse exagérée induite par un stimulus normalement douloureux ; syndrome douloureux caractérisé par une réaction douloureuse
anormale à unstimulus et notamment à unstimulus répétitif et présentant les caractères suivants : mauvaise identification et localisation du stimulus, sensation d’irradiation,
délai d’apparition de la réponse douloureuse par rapport au moment de l’application du stimulus, réaction douloureuse prolongée par rapport à la fin du stimulus (posteffet).
c Aucune de ces caractéristiques sémiologiques n’est obligatoire. Il est vraisemblable, au regard de la multiplicité des mécanismes décrits et des expressions sémiologiques variées, que les douleurs neuropathiques ne correspondent pas à une entité unique ; de nombreux travaux s’orientent actuellement vers un démembrement de ces douleurs visant à sélectionner des traitements plus spécifiques. [12] Les principales causes de douleurs neuropathiques sont : les amputations (membre fantôme), des pathologies infectieuses (zona, virus de l’immunodéficience humaine [VIH]…), les neuropathies métaboliques et toxiques (alcool, diabète …), la section ou lésion de nerf, le traumatisme médullaire, la sclérose en plaques, les fibroarachnoïdites, certaines cicatrices, les névromes. L’origine neuropathique de la douleur est aisément identifiée dans un contexte connu d’atteinte neurologique, associé à certaines caractéristiques sémiologiques ; elle peut être méconnue ou sous-estimée au cours du cancer ou dans les séquelles postchirurgicales. Au cours du cancer, la lésion neurologique peut être secondaire à l’envahissement tumoral, ou à une complication des traitements (plexite postradique, neuropathie aux sels de platine...).
Dans les douleurs neuropathiques, il est inutile et illogique de prescrire des antalgiques de palier I ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens. En revanche, les traitements médicaux de première intention seront d’action centrale : antidépresseurs tricycliques (l’amitriptyline est le traitement de référence des douleurs neuropathiques), antiépileptiques (gabapentine, carbamazépine). Les anesthésiques locaux en topiques, voire la capsaïcine, peuvent être de précieux adjuvants. De même, on propose des techniques de neurostimulation périphérique ou médullaire, et on récuse les techniques chirurgicales de section nerveuse. Ces dernières sont susceptibles de majorer le tableau de lésion nerveuse, avec parfois apparition secondaire de nouvelles douleurs neuropathiques.
Douleur idiopathique, douleur psychogène
Même si la nature sine materia peut être suspectée précocement, c’est souvent au stade chronique que l’origine idiopathique ou psychogène d’une douleur finit par être évoquée. Différentes présentations cliniques peuvent être considérées.
Certaines entités pathologiques sont reconnues sans que nous en ayons une compréhension satisfaisante ou des critères diagnostiques incontestables. Leur identification permet cependant aux médecins et aux patients une reconnaissance du trouble, essentielle au contrat thérapeutique. On peut citer : la glossodynie, la fibromyalgie (douleurs diffuses invalidantes, avec cortège de troubles fonctionnels), céphalée de tension… Dans ces cas, il est préférable de parler de douleur idiopathique car nous ne connaissons pas les mécanismes physiopathologiques en cause.
Dans d’autres cas, la description est imprécise, variable dans le temps ; la sémiologie est atypique, mal systématisée. La connotation affective peut attirer l’attention, de par les termes employés pour décrire la douleur et son retentissement. Le diagnostic repose avant tout sur la négativité du bilan clinique et paraclinique, mais l’absence de substratum anatomique lésionnel initial ne suffit pas pour évoquer une origine psychogène.
On doit mettre en évidence une sémiologie psychopathologique ; divers cadres nosologiques peuvent être évoqués : conversion hystérique, somatisation d’un désordre émotionnel (douleur par contraction musculaire), dépression masquée, hypocondrie …
Dans tous ces cas, il s’agit bien d’une « douleur exprimée en termes d’une lésion tissulaire », comme le souligne la définition de l’IASP.
En fait, de nombreuses douleurs chroniques ne sont pas purement psychogènes ; elles résultent plutôt de l’intrication de facteurs organiques et psychosociaux. En pratique, l’indispensable évaluation des facteurs psychologiques ne doit pas faire négliger la démarche diagnostique de l’origine fonctionnelle ou organique de la douleu
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