Physiopathologie des péritonites secondaires






Péritoine normal
Le péritoine est une membrane translucide qui tapisse toute la cavité abdominale.
Il est constitué d’une couche de cellules polyédrales de 3 μm d’épaisseur capables de produirede multiples médiateurs et molécules pro-inflammatoires (cytokines, médiateurs de l’inflammation, facteurs de coagulation etc.) en réponse à une agression. [8]

Un flux d’un liquide séreux issu de la circulation systémique d’une composition proche d’un ultrafiltrat est observé, dont les deux tiers sont réabsorbés par le péritoine pariétal.

Une partie de la résorption liquidienne est également effectuée par les lymphatiques via des pores appelés stomates situés au niveau du péritoine diaphragmatique. [8]
L’épiploon est un tissu complexe richement vascularisé qui joue un rôle très important dans la réponse immunitaire et la défense locale.

Observations cliniques
Les observations historiques conduites avant l’ère des antibiotiques et chez des patients non opérés ont montré qu’une péritonite suivait généralement une évolution en deux phases.
La période initiale de l’infection, qu’elle soit généralisée à toute la cavité péritonéale ou limitée à une partie de l’abdomen, est fréquemment septicémique. La mortalité précoce de ces affections est importante, dans un tableau de choc septique. Chez les patients non ou insuffisamment traités qui survivent à cette période initiale, une phase de confinement de l’infection est généralement observée avec constitution d’abcès multiples ou localisés.

Constatations microbiologiques
Dans les conditions normales, l’acidité gastrique s’oppose à la prolifération intraluminale des germes dans la partie susmésocolique du tube digestif, limitant la pullulation à 103 bactéries (exclusivement aérobies) par ml de liquide gastrique.
Au niveau intestinal, la concentration bactérienne s’accroît de 102-104 germes/ml dans le jéjunum (essentiellement aérobies) à 106-107 germes/ml dans l’iléon avec un équilibre entre les flores aérobies et anaérobies (ratio 1/1).
Le côlon est une zone de haute densité bactérienne (1012 bactéries par gramme de selles) avec une prédominance d’anaérobies (ratio ana/aérobies 3000/ 1). Les souches les plus fréquemment isolées dans le côlon sont Escherichia coli (108/g de selles), Klebsiella pneumoniae (106–8/g), Enterococcus spp. (108/g), Proteus spp. (106–8/g) pour les germes aérobies, Bacteroides fragilis (1011/g) et Clostridium spp. (1010/g) pour les anaérobies. En théorie, les germes anaérobies sont présents dans près de 100 % des cas. En fonction de l’alimentation et/ou d’une antibiothérapie préalable, l’isolement de Pseudomonas aeruginosa et de Candida spp. (principalement albicans) est possible.
En cas d’achlorhydrie gastrique ou d’hémorragie digestive  haute, l’augmentation du pH gastrique se traduit par une pullulation bactérienne dans la zone sus-pylorique. Il en est de même en cas d’occlusion où la stagnation des sécrétions digestives conduit à une pullulation bactérienne en amont de l’obstacle, expliquant la présence d’une flore de type iléal ou colique jusqu’au niveau gastrique. [9]
En fonction du type d’infection, les germes isolés sont différents. [10, 11] Ainsi, dans les infections extrahospitalières, les germes de la flore résidente sont isolés. Dans les infections postopératoires, des germes de type nosocomial sont plus fréquemment isolés (staphylocoques coagulase positifs, Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter spp.) dont le spectre de résistance aux antibiotiques est souvent élargi. [11, 12] La présence de ces germes est liée à la modification de la flore digestive des patients par une antibiothérapie préalable, même à dose unique.

Approche expérimentale
Les travaux expérimentaux ont confirmé l’évolution biphasique des infections abdominales. [13] Après inoculation chez l’animal, une phase initiale septicémique est observée conduisant à un décès précoce (3 à 7 premiers jours de la maladie) par choc septique dans une forte proportion des animaux. Chez les survivants, des abcès intrapéritonéaux se constituent en 5 à 7 jours.
Parmi la centaine de germes présents dans la flore digestive, seul un petit nombre d’entre eux qui fonctionnent en synergie joue un rôle pathogène important. Ainsi, Bacteroides fragilis accroît le pouvoir pathogène d’Escherichia coli lorsqu’ils sont inoculés ensemble. [14] Les anaérobies inhibent la fonction des PNN et permettent la prolifération d’autres bactéries telles que E. coli. [15] Les anaérobies encapsulés tels que Bacteroides fragilis nécessitent la présence de germes aérobies pour permettre la formation d’abcès. De plus, la capsule paraît être un élémentimportant en facilitant l’adhésion à la paroi péritonéale et en inhibant la phagocytose. [13, 15] D’autres synergies ont été décrites, comme par exemple avec Enterococcus faecalis. [16] Au total, les entérobactéries sont les germes responsables de la mortalité précoce des péritonites et les anaérobies sont impliqués dans la formation des abcès.

À la suite de ces études expérimentales, de multiples régimes thérapeutiques ont été évalués qui ont conclu à la nécessité de traiter les entérobactéries et les germes anaérobies. [13]

Diffusion systémique de l’infection
Les mouvements du diaphragme génèrent un flux céphalique du liquide péritonéal assurant une propulsion constante du liquide contenu dans la cavité abdominale vers le péritoine diaphragmatique.
En cas de contamination bactérienne, la mobilisation des viscères abdominaux par les mouvements respiratoires favorise la diffusion du liquide septique à toute la cavité abdominale.La relaxation expiratoire du diaphragme induit une pression intra-abdominale négative qui favorise l’absorption par les stomates diaphragmatiques du liquide et des particules présents dans le péritoine. [8]Cette absorption explique que dans les modèles d’infection expérimentale, la moitié des bactéries inoculées dans le péritoine soit captée par les lymphatiques diaphragmatiques, apparaisse dans le canal thoracique en environ 6 minutes et en moins de 30 minutes dans la circulation systémique, la rate et le foie. [17] Tous les germes inoculés ne sont pas retrouvés à une concentration identique dans les hémocultures et la durée de leur passage vasculaire est variable. Certains germes, tels que les anaérobies, pourraient avoir une diffusion systémique plus intense expliquant leur isolement fréquent dans ces tableaux cliniques.

Systèmes péritonéaux de défense
Les systèmes de défense mêlent très étroitement la réponse inflammatoire et la lutte locale contre l’infection.

Défense mécanique
Cette défense liée aux particularités anatomohistologiques du péritoine associe une absorption rapide des bactéries par les lymphatiques et un cloisonnement de l’infection conduisant à la constitution d’abcès (Fig. 1).
Les stomates diaphragmatiques contribuent à la clairance bactérienne rapide de la cavité péritonéale.
L’abolition de la contraction diaphragmatique réduit la clairance bactérienne péritonéale. [8] La localisation des abcès est expliquée pour partie par la gravité. [18, 19]La gouttière pariétocolique droite est
 considérée comme la zone préférentielle de communication entre l’espace sus- et sous-mésocolique avec des zones déclives d’accumulation de part et d’autre dans le cul-de-sac de Douglas et la zone sus-hépatique.
L’épiploon est, avec les stomates diaphragmatiques, le seul site capable d’absorber des particules libérées dans la cavité péritonéale.
De plus, l’épiploon participe au cloisonnement de l’infection en s’interposant devant les lésions viscérales ou les zones inflammatoires, isolant ainsi la région infectée du reste de la cavité péritonéale. De même, les adhérences formées par les exsudats fibrineux participent à la limitation de l’infection. [8]

Réponse humorale et cellulaire 
L’activation du complément est un élément important et précoce des mécanismes de défense péritonéale.Le complément est impliqué dans l’opsonisation des micro-organismes, l’augmentation de la réponse inflammatoire, l’élimination des complexes immuns et des cellules apoptotiques et la lyse cellulaire. [20] De multiples travaux ont évalué les facteurs de recrutement cellulaire et ont confirmé le rôle des cytokines et des molécules d’adhésion. La présence dans le péritoine de bactéries vivantes ou de leurs débris provoque une réaction inflammatoire locale intense, beaucoup plus importante que la réponse systémique. [21]
La cavité péritonéale ne contient normalement que 300 cellules/ mm3, principalement des macrophages, quelques lymphocytes et des cellules mésothéliales desquamées. Dans les heures qui suivent l’agression, la réponse inflammatoire est marquée par un afflux de PNN (jusqu’à 3000/mm3). Cet afflux de PNN dans le péritoine est induit par les chémokines et suit des voies de recrutement préférentiellement locales.
Près de 45 % des cellules immunitaires de la cavité péritonéale sont des macrophages.
À la suite de l’agression, les macrophages développent une activité phagocytaire, une explosion oxydative et une activité sécrétoire, participant au recrutement cellulaire en libérant à leur tour des cytokines et des médiateurs pro-inflammatoires. En retour, les cytokines sécrétées par les PNN modulent les fonctions des macrophages. [8]
L’action procoagulante de la réponse inflammatoire influence également le pronostic de l’infection. La séquestration dans une matrice de fibrine des bactéries présentes dans la cavité péritonéale réduit leur dissémination et favorise la survenue d’abcès. [22]
La présence de bile, de sang, de débris nécrosés, de fils, de matières fécales ou de mucus limite également les propriétés des phagocytes péritonéaux et la bactéricidie locale. [9]
En clinique, les travaux sont encore peu nombreux sur la cinétique intrapéritonéale des médiateurs de l’inflammation.
Une concentration intrapéritonéale élevée de médiateurs proinflammatoires est notée, très supérieure aux concentrations plasmatiques (de 10 à 1000 fois selon les médiateurs). [23-25]
Au décours d’une intervention pour sepsis, les concentrations intrapéritonéales de cytokines reviennent très rapidement au niveau normal. [23, 24] Une forte corrélation existe entre les concentrations de cytokines et le pronostic. [25, 26]

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