En l’absence de traitement, le risque de décès à 1 mois des angors instables est de l’ordre de 5 à 10 %. L’évolution vers un infarctus le plus souvent sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI) se fait pour 10 à 20 % des patient. [42] Avec l’aspirine ce risque est réduit de moitié. Il reste de 5 à 10 % pour la survenue d’un infarctus et 10 à 20 % pour la survenue d’un angor. La mortalité à court terme des infarctus sans susdécalage du segment ST est actuellement de l’ordre de 3-4 %, [43] deux fois plus faible que celle des infarctus avec susdécalage du segment ST. En revanche, à moyen et long terme, la mortalité des SCAssdST est classiquement assez élevée, environ 9 %. Des travaux récents retrouvent un taux d’évènements plus faible à moyen et long termes indiquant peut-être par là une influence favorable des stratégies thérapeutiques récentes. [44] Ces dernières reposent actuellement sur les antiagrégants plaquettaires, les antithrombines, les bêtabloquants et une utilisation assez large de la cardiologie interventionnelle.
Antiagrégants plaquettaires
Trois catégories d’antiagrégants plaquettaires sont actuellement utilisées dans le traitement des SCAssdST : l’aspirine, les thiénopyridines et les bloqueurs de la glycoprotéine IIbIIIa (les anti-GP-IIbIIIa).
Aspirine
L’acide acétylsalicylique bloque la formation du thromboxane A2. Les travaux dans l’angor instable comparant aspirine et placebo ont tous montré une réduction de mortalité et d’infarctus du myocarde. [45, 46] L’aspirine est à administrer dès la suspicion du diagnostic de SCAssdST. Les doses recommandées sont entre 160 mg et 325 mg/j, per os. La plupart des essais thérapeutiques validant les autres antiagrégants plaquettaires ont été réalisés chez des patients déjà traités par aspirine.
Thiénopyridines
Le clopidogrel (Plavix®) et son prédécesseur la ticlopidine, sont des thiénopyridines qui bloquent les récepteurs à l’ADP de façon irréversible donc pour la durée de vie de la plaquette.
L’étude CURE [47] est la principale étude des thiénopyridines dans les SCAssdST. Le clopidogrel à la dose de charge de 300 mg puis de 75 mg/j assure une réduction absolue de 0,9 % à 1 mois des décès cardiovasculaires, des infarctus du myocarde et des AVC et de 2,1 % après 9 mois de traitement. Ce bénéfice est observé aussi chez les patients traités par angioplastie coronaire (analyse en sous-groupe – étude PCI CURE). [48]
Le bénéfice du clopidogrel reste limité. Il n’a pas d’effet sur la mortalité totale comme d’ailleurs la plupart des traitements ou des stratégies étudiés chez des patients déjà traités par aspirine et héparine. Même modeste, son bénéfice est démontré et son excellente tolérance incite à le prescrire largement. La principale réserve concerne les patients qui doivent bénéficier d’un pontage coronaire. Chez ces patients, il est recommandé d’interrompre le clopidogrel au moins 5 jours avant la chirurgie pour limiter le risque hémorragique.
Anti-GP-IIbIIIa
La glycoprotéine IIbIIIa (GP-IIbIIIa) a été trouvée à une concentration élevée sur la face externe de la paroi des plaquettes.
Elle se comporte comme un récepteur qui fixe le fibrinogène et lie par son intermédiaire les plaquettes entre elles.
Deux types d’antagonistes de ces récepteurs existent : un anticorps monoclonal, l’abciximab (Reopro®) et deux molécules de synthèse l’une peptidique, l’eptifibatide (Integrilin®), l’autre non peptidique, le tirofiban (Agrastat®).
Le bénéfice de ces produits en termes de réduction de mortalité et d’infarctus reste modeste, environ 1 % à 1 mois, chez des patients non sélectionnés. Il est du même ordre que celui du clopidogrel. Ce bénéfice porte d’ailleurs surtout sur la réduction du risque d’infarctus et pas sur la mortalité.
L’effet clinique de ces produits n’est pas équivalent. L’abciximab n’apporte de bénéfice qu’aux patients traités par cardiologie interventionnelle. [49] Il n’est donc pas utilisé en dehors des salles de cathétérisme.
Le tirofiban (études PRISM et PRISM plus) et l’eptifibatide (étude PURSUIT) apportent un bénéfice à tous les patients avec un SCAssdST. Ces médicaments ont donc leur place dans tous les sites où les SCAssdST sont pris en charge.
Sur la base d’analyses de sous-groupes, rétrospectives, l’administration d’anti-GP-IIbIIIa semble offrir une réduction nette de la mortalité à trois catégories de patients : ceux avec une troponine positive, [50] les diabétiques [51] et ceux bénéficiant d’une angioplastie (étude PRISM). Ainsi pour les diabétiques, la réduction absolue de mortalité apportée par un anti-GP-IIbIIIa est de 1,6 % et de 2,8 % lorsqu’une angioplastie lui est associée. [51] Un traitement par anti-GP-IIbIIIa doit être systématiquement envisagé pour ces trois catégories de patients.
Anticoagulants
Les preuves de l’efficacité de l’héparine non fractionnée (HNF) dans le traitement des SCAssdST sont fragiles.
Un bénéfice complémentaire par rapport à l’aspirine n’est pas formellement démontré. [52] De plus, une partie du bénéfice initial est perdue quelques jours après l’arrêt du traitement par un effet rebond. [45]
À l’inverse, le bénéfice des héparines de bas poids moléculaires (HBPM) est clairement établi. La daltéparine (étude FRISC) réduit significativement la mortalité et le risque d’infarctus (réduction absolue du risque : 3 % à 6 jours chez des patients déjà traités par aspirine). [53] Par la suite, quatre essais ont comparé les HBPM et l’HNF au cours des SCAssdST. [54-57] Leurs résultats peuvent être résumés ainsi :
• l’énoxaparine est la seule à démontrer une réduction absolue du risque de décès et d’infarctus (2,2 %) par rapport à l’HNF ;
• le traitement par HBPM ne doit pas dépasser quelques jours, au risque de voir son intérêt en termes de réduction des complications ischémiques effacé par les complications hémorragiques ;
• le bénéfice de l’énoxaparine et de la daltéparine est plus marqué chez les patients à haut risque, notamment ceux dont la troponine est augmentée. [58, 59]
En pratique, une HBPM doit être prescrite chez tous les patients traités pour un SCAssdST. [3] L’énoxaparine peut d’ailleurs être associée au tirofiban. [60] On rappelle cependant que les HBPM doivent être utilisées avec beaucoup de prudence chez les sujets âgés et sont contre-indiquées à dose curative chez les insuffisants rénaux.
Enfin, les antithrombines directs, hirudines et dérivés, ont bien sûr été évalués dans le traitement des SCAssdST. [43, 61]
Aucun bénéfice significatif par rapport à l’HNF n’est observé à 1 mois. [61] Ils n’ont pour l’instant pas d’application dans cette indication.
Cardiologie interventionnelle
La place de la cardiologie interventionnelle dans les syndromes coronariens aigus s’est clarifiée au cours de ces dernières années. Plusieurs études ont comparé une stratégie invasive systématique avec une stratégie orientée par une évaluation rigoureuse de l’ischémie.
Les travaux les plus anciens, [62, 63] c’est-à-dire avant l’ère des stents et des anti-GP-IIbIIIa, ne retrouvent pas de bénéfice de la stratégie invasive systématique. L’étude TIMI IIIB [64] est plutôt neutre et l’étude VANQWISH [62] est plutôt défavorable. Cependant, les sous-groupes à plus haut risque (âge > 65 ans, augmentation des CPK) semblent bénéficier de la stratégie invasive systématique.
Trois études relativement récentes cernent mieux les indications actuelles de la cardiologie interventionnelle. [65-67]
Toutes montrent que la stratégie invasive systématique apporte un bénéfice par rapport à une stratégie orientée par l’évaluation de l’ischémie. L’essentiel de ce bénéfice porte sur la réduction du nombre d’infarctus et de récidives ischémiques. Il n’y a pas d’effet sur la mortalité.
L’analyse rétrospective et en sous-groupes de l’effet du traitement en fonction de la stratification du risque montre que le bénéfice de la stratégie invasive systématique est particulièrement net dans les groupes de patients avec le risque le plus élevé. On observe ainsi une réduction absolue de la mortalité chez les patients qui ont une douleur de repos, [65] un sousdécalage plus marqué du segment ST, [22, 66] une augmentation des marqueurs biologiques comme la troponine, [22, 66] un score de risque plus élevé. [66, 67] Le niveau de risque oriente l’indication d’une coronarographie et son degré d’urgence.
Médicaments anti-ischémiques
On ne dispose pas
de données scientifiques validant formellement l’usage des bêtabloquants et des dérivés nitrés dans les syndromes coronariens aigus. La prescription des bêtabloquants repose donc sur des considérations physiopathologiques, l’expérience clinique, leur bénéfice démontré dans l’angor stable et l’infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST.
L’administration systématique d’un bêtabloquant est recommandée par les sociétés savantes. [3] On considère qu’il s’agit d’un effet de classe sans bénéfice particulier attaché à une molécule spécifique.
Les dérivés nitrés ne sont indiqués qu’en cas de récidives ischémiques, d’hypertension artérielle, d’insuffisance cardiaque congestive.
Les inhibiteurs calciques n’ont pas d’indication dans le traitement des syndromes coronariens aigus. [3]
Ils n’entraînent pas de réduction de la mortalité ou du risque d’infarctus. [68] Ils restent cependant utiles lorsqu’un angor spastique est bien documenté. Un effet protecteur du diltiazem lors des infarctus sans sus-décalage du segment ST est possible. [69]
Fibrinolytiques
Les fibrinolytiques ont été étudiés dans les syndromes coronariens aigus sans sus-décalage du segment ST. Ils ont été systématiquement associés à une surmortalité. [70] Ils doivent donc être considérés ici comme contre-indiqués.
Il faut cependant connaître une forme particulière d’infarctus du myocarde appelée « infarctus postérieurs ». Ils sont en relation avec une occlusion thrombotique de l’artère circonflexe.
Ils ne vont pas s’exprimer sur l’ECG par un sus-décalage évident du segment ST. On va les reconnaître à la présence d’un sous-décalage profond du segment ST dans les dérivations V1 à V3 avec pour le complexe QRS en V2, une grande onde R (aspect R/S>1). Les dérivations très latérales V7-V9 montrent alors parfois un sus-décalage du segment ST autorisant la thrombolyse.
Statines
Un traitement par statine pourrait réduire la taille des plaques d’athérosclérose et modifier leur composition. [71, 72]
Il permettrait une stabilisation, voire une régression, des plaques instables, riches en lipides. La relation entre la réduction de la charge lipidique et la réduction du risque clinique n’est cependant pas établie. L’étude MIRACL [73] a évalué l’administration d’une forte dose de statine (atorvastatine) 24-96 heures après l’admission pour un syndrome coronarien aigu. Elle montre une réduction absolue de 2,6 % du risque de décès, infarctus, accidents vasculaires cérébraux ischémiques à 4 mois. Ceci n’a pas été confirmé par une autre étude. [74] Il apparaît cependant raisonnable d’associer une statine au traitement initial des syndromes coronariens aigus. Ces médicaments exposent cependant au risque maintenant bien documenté de rhabdomyolyse.Ce risque est dépendant de la dose et est favorisé par l’association à certains médicaments (fibrates, amiodarone, anticalciques non dihydropyridine entre autres).
Conclusion
Compte tenu du pronostic très différent des différents syndromes coronariens aigus, leur prise en charge dans les services d’accueil des urgences doit suivre un ensemble de procédures définies a priori et consignées dans un protocole. Il est de la responsabilité des équipes d’urgence de construire ou d’adapter ce type de protocole en collaboration avec les cardiologues de leur hôpital. Ces protocoles définissent avec précision des catégories de patients en fonction de leur risque à court terme de décès et d’évolution vers un infarctus grave. Pour chacune de ces catégories, des stratégies thérapeutiques doivent être indiquées. À titre d’exemple (il ne s’agit en aucun cas d’une référence), un canevas est proposé dans la Figure 2.
Ces stratégies supposent l’organisation de liens étroits entre la médecine d’urgence et la cardiologie, liens dont les modalités doivent être aussi précisées.
Idéalement, l’application de ces protocoles et leur validité doivent être contrôlées par un registre. Les médecins urgentistes doivent veiller à la formation des intervenants à leur utilisation.
En médecine d’urgence, procéder ainsi évite des décisions arbitraires dans la gestion de ces patients,
facilite la formation continue et encadre des prescriptions médicamenteuses et des orientations thérapeutiques très coûteuses. Cela permet à la médecine d’urgence de gérer de façon autonome une pathologie dont la phase initiale de la prise en charge relève maintenant presque exclusivement de sa responsabilité.
“ Points essentiels
• Les syndromes coronariens aigus sans sus-décalage du segment ST (SCAssdST) sont fréquents et graves avec globalement un risque de décès d’environ 5 % en période hospitalière.
• Ils constituent une population très hétérogène en termes de risque de décès ou d’infarctus du myocarde.
L’efficacité de certains traitements n’est nette que pour des niveaux élevés de risque. Classer ces patients en fonction de leur niveau de risque (stratification du risque) est indispensable pour ajuster leur prise en charge.
• Cette stratification du risque intègre des critères cliniques, électrocardiographiques et biologiques. Les associer en un score facilite le travail du clinicien.
• Cette stratification du risque ne doit jamais être appliquée à des patients présentant des symptômes qui ne sont pas formellement attribués à un syndrome coronarien aigu.
• Le traitement des SCAssdST repose pour tous les patients sur l’aspirine, le clopidogrel, les héparines de bas poids moléculaires, les bêtabloquants et, dès que le risque n’est plus qualifié de « faible », sur les anti-GpIIbIIIa et la cardiologie interventionnelle.
• Les SCAssdST sont un champ de recherche clinique très actif avec une évolution rapide des stratégies thérapeutiques. Des protocoles ou référentiels précis, adaptés aux moyens locaux, construits et acceptés par toute l’équipe médicale doivent guider la prise en charge de ces patients. Ces protocoles doivent être remis à jour au moins tous les ans.
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