Anesthésiques halogénés


I. Odin, N. Nathan
La classe thérapeutique des agents halogénés utilisés en anesthésie comporte l’halothane et l’enflurane, largement supplantés par les agents plus récents, isoflurane, desflurane et sévoflurane, moins solubles dans les tissus et mieux tolérés par le système cardiovasculaire. Les différences pharmacodynamiques entre ces trois derniers agents sont modestes et leur toxicité peut être considérée comme quasi nulle, y compris pour le sévoflurane malgré sa dégradation en composés A en présence des bases fortes contenues dans la chaux sodée. Le sévoflurane et le desflurane, agents les plus récents, sont caractérisés par une cinétique plus rapide. Les avantages cliniques qui en découlent, rapidité de l’induction et du réveil, maniabilité plus grande, doivent être pondérés par un coût d’utilisation en pratique quatre fois plus élevé que celui de l’isoflurane. Ces deux agents doivent donc être prioritairement utilisés en circuit fermé et les débits de gaz frais réduits aussi bas que possible. Cette réduction de débit de gaz frais ne diminue pas la maniabilité des agents les moins solubles comme le desflurane. Tous les agents halogénés, quel que soit leur coût, restent néanmoins des choix bien plus économiques que celui des agents intraveineux, d’autant qu’ils permettent un réveil plus ou aussi rapide. Le sévoflurane, de moindre âcreté et solubilité, peut être utilisé pour l’induction au masque chez l’adulte comme chez l’enfant. La pratique de l’induction au masque chez l’adulte bénéficie d’un intérêt récent, mais certains effets liés à la technique comme les effets hémodynamiques et la survenue parfois d’une activité cérébrale épileptiforme méritent d’être mieux évalués chez certains groupes de patients.
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Mots clés : Halogéné ; Liposolubilité ; Concentration alvéolaire ; CAM ; Bas débit de gaz frais ;
Hémodynamique ; Baroréflexe ; Réponse ventilatoire
Introduction
La classe des agents par inhalation regroupe le protoxyde d’azote (N2O) et le xénon, de structure simple, ainsi que les agents halogénés de structure plus complexe. Les agents halogénés sont en effet des hydrocarbures dont certaines parties de la molécule sont substituées à des degrés divers par un atome halogène (brome, chlore et fluor), d’où leur nom. La nature, le nombre et la position de cet halogène conditionnent les propriétés pharmacocinétiques, les effets et la toxicité de ces agents. Globalement, les agents halogénés, surtout les plus récents, sont caractérisés par un index thérapeutique élevé lié à une faible toxicité. Outre la possibilité de mesurer en continu leurs concentrations alvéolaires, leur injection directe dans certains circuits d’anesthésie permet dorénavant d’effectuer une anesthésie par inhalation à objectif de concentration mesurée et non calculée comme cela est le cas pour les agents intraveineux.
  
  
Leur élimination rapide par voie respiratoire et la faible solubilité des agents les plus récents permettent une adaptation rapide du niveau d’anesthésie lors de l’entretien, ainsi qu’un réveil rapide et prédictible quelles que soient la durée d’anesthésie et les caractéristiques du patient. Historiquement, la première utilisation des vapeurs anesthésiques est rapportée avec de l’éther en 1846 par Morton et en 1847 en France (même si ce produit n’est pas « halogéné » à proprement parler). Celle du chloroforme est publiée la même année. [24] Il faudra attendre pratiquement un siècle pour que soit commercialisé le méthoxyflurane (1962), abandonné depuis de nombreuses années du fait de sa toxicité rénale et surtout de sa faible maniabilité liée à une liposolubilité très élevée.


L’halothane, dont les premières utilisations remontent à la fin des années 1950, n’est lui aussi plus guère utilisé du fait de sa toxicité et de ses effets cardiovasculaires délétères. L’enflurane, commercialisé en 1973, n’est quasiment plus administré pour des raisons similaires. Son odeur âcre en empêche de plus l’utilisation pour l’induction. L’isoflurane, commercialisé en France depuis 1984, le desflurane depuis 1990 et le sévoflurane depuis 1996 constituent actuellement les trois agents halogénés les plus fréquemment administrés.

Propriétés physicochimiques

Les propriétés physicochimiques des agents halogénés (Tableau 1) et leur liposolubilité (évaluée par le coefficient de partage huile/eau) (Tableau 2) dépendent de la substitution d’un atome d’hydrogène par un atome de fluor mais surtout de brome, et à un moindre degré de chlore (Fig. 1). L’halothane, qui contient un atome de brome et de chlore, est plus liposoluble que l’isoflurane qui contient un atome de chlore et plusieurs de fluor. Ce dernier est plus liposoluble que le sévoflurane et le desflurane uniquement fluorés. La solubilité est en règle proportionnelle à la puissance anesthésique (loi de Meyer-Overton), ce qui suggère un site d’action hydrophobe et unitaire pour tous les agents halogénés. Des exceptions à la loi de Meyer-Overton existent cependant ; elles sont liées à l’existence d’isomères (enflurane et isoflurane par exemple), à la localisation terminale de l’halogénation (effet convulsivant) ou à la taille du squelette de l’hydrocarbure (rupture d’effet liée à la taille). La liposolubilité conditionne aussi la cinétique (cf.infra).
  
La structure physicochimique de l’halogéné conditionne également les règles d’administration. Ainsi, les méthyl-éthyléthers comme l’isoflurane, le desflurane et l’enflurane sont âcres, et leur utilisation lors de l’induction ne peut être envisagée sans risque d’irritation des voies respiratoires. Au contraire, l’halothane (classe des alkanes) et surtout le sévoflurane (isopropyl-éther) peuvent être administrés pour l’induction chez l’enfant, mais aussi plus récemment chez l’adulte, du fait de leur moindre âcreté (Fig. 1).

Enfin, la température d’ébullition et la pression de vapeur saturante, différentes entre les halogénés, conditionnent la calibration des vaporisateurs conventionnels. Le desflurane, dont la pression de vapeur saturante est proche de la pression atmosphérique et la température d’ébullition proche de la température ambiante, doit être administré avec un vaporisateur pressurisé et thermostaté (cf. infra). Un vaporisateur de conception plus originale, spécifique de la machine d’anesthésie Kion®, permet depuis peu son administration sans avoir à maintenir constantes la pression et la température dans le vaporisateur. Chaque agent halogéné ne peut être administré que par l’intermédiaire
de son vaporisateur spécifique pour éviter le risque de sur- ou sous-dosages. Les agents halogénés peuvent aussi être injectés directement dans le circuit comme dans le Physioflex® et le Zeus®. Les agents halogénés sont commercialisés sous forme liquide en flacons munis d’un « détrompeur », bouchon spécifique de chaque agent, afin d’éviter les erreurs de remplissage.
 Chaque millilitre de gaz sous forme liquide permet d’obtenir une quantité d’agent sous forme gazeuse variable selon le poids moléculaire de l’agent et sa température d’ébullition.
Afin de déterminer le coût de l’anesthésie, un simple calcul des quantités de gaz utilisées peut être facilement obtenu à partir du débit de gaz frais et de la concentration utilisée grâce à la conversion en millilitre d’agent liquide. Ainsi, 1 ml de sévoflurane liquide se transforme en 183 ml de gaz, 1 ml de desflurane en 208 ml de gaz et 1 ml d’isoflurane en 194 ml de gaz.
Tableau 1.
Propriétés physicochimiques des agents par inhalation.


Poids moléculaire(da)
Température d’ébullition(°C)
PVS (20 °C)
H/G
Halothane
197,381
50,2
243,97
224
Enflurane
184,491
56,5
171,97
96
Isoflurane
184,491
48,5
238,95
91
Sévoflurane
200,053
58,5
159,97
53
Desflurane
168,036
23,5
663,97
19
Protoxyde d’azote
44
-88,5
/
1,4

Da : Dalton ; PVS : pression de vapeur saturante ; H/G :coefficient de partage huile/gaz.

Tableau 2.
Coefficients de partage des agents anesthésiques par inhalation et pourcentage de métabolisme.


Halothane
Enflurane
Isoflurane
Desflurane
Sévoflurane
Protoxyde d’azote
Coefficient de partage






Sang-gaz
2,54
1,8
1,46
0,42
0,68
0,47
Sang-cerveau
1,94
1,4
1,57
1,29
1,70
1,1
Sang-muscle
3,38
1,7
2,92
2,02
3,13
1,2
Sang-graisse
62
36
52
30
55
2,3
Métabolisme
20 %
2,4 à 8,5 %
0,2 %
0,02 %
2 à 5 %
0%

Pharmacocinétique : conséquences cliniques
Généralités
La pharmacocinétique des agents halogénés peut être comparée à un simple transfert d’un compartiment à l’autre de l’organisme. Ces compartiments ont été modélisés sous forme de citernes par Mapleson au début des années 1960 (Fig. 2). Une fois l’anesthésique introduit dans l’organisme par voie respiratoire, les concentrations de l’agent anesthésique tendent à s’équilibrer du fait de son transfert entre les différents compartiments.
Quel que soit le compartiment considéré, le passage de l’agent va dépendre de la différence entre les deux compartiments de la pression partielle de gaz (rôle de la concentration de gaz), de la solubilité de l’agent dans ce compartiment (effet du coefficient de partage) et du débit sanguin d’organe. À partir du compartiment alvéolaire, l’agent halogéné est transféré vers trois compartiments de transfert (Fig. 2). Le premier compartiment, constitué par le groupe des organes richement vascularisés de faible volume mais perfusés avec un débit élevé, est rapidement saturé ; ce groupe inclut les organes cibles pour l’effet pharmacologique recherché ou non comme le coeur, le cerveau, les reins, le foie. Le deuxième compartiment comporte le groupe muscle-peau, assimilable à une citerne de plus grand volume mais de plus faible débit de perfusion. Ce compartiment, moins rapidement saturé, constitue une zone de stockage rapide de l’agent halogéné. Enfin, le troisième compartiment, dit « profond », de très grand volume mais très faiblement vascularisé, inclut le tissu graisseux. Cette schématisation permet de décrire le transfert de l’agent halogéné dans les différentes parties du corps et de comprendre la séquence de ses effets cliniques. Ainsi, le passage de l’agent anesthésique de l’alvéole vers le compartiment sanguin est proportionnel à la différence de pression partielle de part et d’autre de l’alvéole, à la capacité qu’a l’agent à traverser passivement les barrières cellulaires en fonction de sa solubilité (reflétée par le coefficient de partition sang-gaz) et à la ventilation alvéolaire. L’agent anesthésique se distribue ensuite du compartiment sanguin vers le compartiment des organes richement vascularisés (comme le cerveau), puis moins vascularisés (compartiment muscle-peau) et enfin faiblement vascularisé (comme les graisses).
Cette modélisation pharmacocinétique permet de comprendre les variations de délai d’induction ou de durée d’anesthésie selon le contexte ou l’agent utilisé. Ainsi, l’induction de l’anesthésie par voie inhalatoire est plus rapide chez l’enfant que chez l’adulte. Dans les poumons, la capacité résiduelle fonctionnelle des enfants étant plus faible, la dilution de l’agent dans le compartiment pulmonaire est réduite, et l’augmentation des concentrations alvéolaires et donc la vitesse d’endormissement sont plus rapides. Cette différence entre l’adulte et l’enfant persiste même avec les agents les moins liposolubles. Le transfert du sang au cerveau se produit avec un délai quantifié par une constante de transfert, et se traduit cliniquement par un hystérésis, et donc par un délai d’action anesthésique d’environ une minute et demie incompressible lors de l’induction par voie
inhalatoire ou des adaptations thérapeutiques. Malgré un volume important, le tissu graisseux ne peut capter qu’une faible quantité d’agent halogéné car il est perfusé avec un débit sanguin ne représentant qu’un très faible pourcentage du débit cardiaque. Ainsi, contrairement aux agents administrés par voie intraveineuse, l’accumulation de l’agent anesthésique dans le tissu graisseux est faible pour l’halothane et l’enflurane, et minime pour l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane, y compris chez les obèses chez lesquels le délai de réveil et la consommation en agents anesthésiques ne sont pas ou peu
augmentés. [71] Ceci est observé même avec des agents plus liposolubles comme l’isoflurane.
Les conséquences pour l’évaluation de la profondeur d’anesthésie sont les suivantes. La concentration régnant à l’intérieur de l’alvéole s’équilibre progressivement avec les concentrations sanguines et tissulaires ; les concentrations d’agent par inhalation dans les différents compartiments de l’organisme sont donc proportionnelles. La concentration existant dans le cerveau, et donc la profondeur d’anesthésie, sont ainsi évaluées approximativement grâce à la mesure de la concentration alvéolaire de fin d’expiration en halogéné. Ce raisonnement n’est cependant valable qu’en situation d’équilibre, c’est-à-dire pendant la phase d’entretien de l’anesthésie, et non durant les phases d’endormissement et de réveil ou lors de variations rapides des concentrations d’agent halogéné du fait du phénomène d’hystérésis (cf.supra). Pendant l’induction ou immédiatement après les ajustements thérapeutiques, l’élévation des concentrations
alvéolaires est en effet plus rapide que dans le cerveau et ne reflète pas la profondeur d’anesthésie. L’écart entre concentration alvéolaire et concentration artérielle est augmenté avec l’âge, l’existence d’une pathologie respiratoire et l’obésité. [54]
Cette différence doit être prise en compte dans l’analyse clinique de la concentration de fin d’expiration. L’existence d’un écart important entre les concentrations inspirée et expirée en agent halogéné témoigne ainsi de l’absence d’état d’équilibre liée à une captation persistante de l’halogéné dans les différents compartiments de l’organisme. Lors d’une induction au masque, l’existence d’un gradient important entre ces deux concentrations suggère que la profondeur d’anesthésie n’est pas stable et peut s’alléger rapidement lors de l’arrêt d’administration de l’halogéné, par exemple pendant l’intubation.
Solubilité et cinétique comparées des agents halogénés
Plus un agent est soluble dans un tissu, plus il tend à se solubiliser et se distribuer dans les différents tissus de l’organisme, et donc moins sa pression partielle de gaz au sein dutissu considéré est faible. Ainsi, avec les agents les moins liposolubles, comme le desflurane et le sévoflurane, l’augmentation des pressions partielles alvéolaires est plus rapide et plus élevée qu’avec des agents plus liposolubles comme l’isoflurane, l’enflurane et l’halothane, car ils entrent moins rapidement en solution. Le coefficient de partition sang-gaz n’est pas le seul facteur conditionnant la vitesse d’endormissement. Les coefficients de partition sang-muscle et sang-cerveau conditionnent
aussi la vitesse et la stabilité de l’endormissement. Le délai de transfert sang-cerveau est plus rapide avec le desflurane dont le coefficient de partition sang-cerveau est le plus faible de tous les agents halogénés (Tableau 2). Les effets cérébraux du desflurane évalués par l’électroencéphalogramme (EEG) sont ainsi obtenus plus rapidement que ceux du sévoflurane et de l’isoflurane dont les coefficients de partition sang-cerveau sont plus élevés. [13, 91]
De même, la redistribution de l’agent vers les autres compartiments à débit de perfusion élevé conditionne probablement la vitesse d’endormissement et la stabilité de l’anesthésie lors de l’induction, particulièrement avec le sévoflurane dont la solubilité dans le muscle est similaire à celle de l’isoflurane. Le rôle des coefficients de partition, particulièrement sang-gaz, dans la vitesse d’endormissement a ainsi probablement été
surévalué. En effet, la concentration inspirée et la technique utilisée sont deux facteurs aussi importants à prendre en considération pour prédire la vitesse d’induction. Ainsi, malgré un coefficient de partition sang-gaz du sévoflurane 2,1 fois inférieur à celui de l’isoflurane, l’induction avec 3,6 concentration alvéolaire minimale (CAM) de sévoflurane n’est pas deux fois plus rapide qu’avec 3,6 CAM d’isoflurane, mais seulement une fois et demie. [141] L’impact de la liposolubilité est encore plus modeste pour de faibles concentrations d’halogénés. Ainsi, avec 1,7 CAM de sévoflurane, le délai de perte de conscience atteint en moyenne 121 secondes, alors qu’avec 1,7 CAM d’isoflurane la perte de conscience n’est atteinte qu’en 145 secondes. [161] Enfin, le délai de perte de conscience est le même avec l’halothane ou le sévoflurane lorsque les concentrations
délivrées par le vaporisateur sont augmentées par paliers croissants. [119]
Lors de l’induction anesthésique, la croissance des concentrations alvéolaires mesurées par le rapport de fraction alvéolaire des gaz (FA) sur la fraction inspirée (FI) décrit une courbe pseudo-exponentielle. La pente de la courbe est plus prononcée avec les gaz moins liposolubles et la valeur du pseudo-plateau, témoin de la captation des gaz dans les différents compartiments, est plus proche de l’unité (Fig. 3). [157, 158] À l’inverse, un écart élevé entre concentrations alvéolaire et inspirée est observé de façon prolongée pour les agents les moins liposolubles et se traduit par un rapport FA/FI plus éloigné de 1 lors de la phase de pseudo-plateau du fait d’une captation continue de l’agent anesthésique dans les différents compartiments de l’organisme (notamment le compartiment muscle-peau). Celui-ci constitue le lieu de stockage principal de l’agent anesthésique par inhalation, en raison d’une solubilité plus importante des agents par inhalation dans ces tissus par comparaison à la solubilité dans le sang (Tableau 2) et d’un débit sanguin d’organe relativement élevé. Ainsi, plus le coefficient de partage sang/muscle est élevé, plus la captation et le stockage sont importants (Tableau 2).
L’importance de la captation tissulaire, et donc du stockage des agents halogénés, est quantifiée en pratique clinique par l’écart entre les concentrations inspirées et celles de fin d’expiration. Cette accumulation d’agent anesthésique se traduit aussi cliniquement par une consommation plus élevée en gaz anesthésique et par un délai d’élimination plus
long, donc un réveil comparativement retardé.
Lors du réveil, la décroissance des concentrations d’halogénés au niveau alvéolaire est quantifiée par la diminution du rapport entre la concentration alvéolaire instantanée (FA) et celle obtenue lors de l’arrêt de l’administration de l’halogéné (FAO).
Ce rapport FA/FAO décroît plus vite avec les gaz moins liposolubles (Fig. 4). [37]Cette décroissance peut être accélérée par le métabolisme de l’agent en cas d’utilisation d’halothane dont les courbes de décroissance sont proches de celles d’agents moins
liposolubles comme l’isoflurane. [15] La vitesse d’élimination de l’agent halogéné peut être évaluée par la demi-vie contextuelle d’élimination, comme avec les agents intraveineux, et surtout par le temps de décroissance de 90 % des concentrations
alvéolaires initiales (Fig. 5). [10] Ainsi évalué, pour des anesthésies de plus de 2 heures, le temps de décroissance augmente avec la durée d’administration du sévoflurane, mais pas avec celle du desflurane ou du N2O. [41] L’explication qui peut être avancée est celle d’un coefficient de partition sang-muscle dusévoflurane plus élevé. Dans tous les cas, les demi-vies contextuelles de tous les agents halogénés, y compris celles de l’halothane et de l’isoflurane, sont largement inférieures à celles de tous les agents hypnotiques intraveineux. L’objectif du clinicien reste l’obtention, non d’une concentration réduite de
moitié, mais d’une concentration alvéolaire de réveil (CAM d’éveil, cf. infra) après élimination de 70 % voire 90 % de l’agent halogéné selon qu’un morphinique a été ou non associé.
Le délai d’obtention de cette concentration d’éveil dépend aussi de la concentration alvéolaire existant en fin d’anesthésie. Pour des anesthésies de 1 à 2 heures, les délais d’obtention des concentrations d’éveil sont peu différents entre les agents halogénés quelle que soit leur solubilité, sous réserve que les concentrations alvéolaires mesurées à la fin de l’anesthésie soient modérées (0,8 CAM), car l’agent anesthésique n’a pas été
stocké dans le compartiment muscle-peau (Fig. 6). [41]
Enrevanche, pour des concentrations élevées pendant l’entretien de l’anesthésie, l’avantage des agents moins solubles dans le compartiment musculaire devient manifeste car l’accumulation est alors plus faible. Ainsi, avec le desflurane, le délai de réveil ne dépend ni des concentrations utilisées, ni de sa durée d’administration. À l’inverse, après administration de sévoflurane au-delà de 120 minutes, les délais de réveil deviennent dépendants de la durée d’anesthésie et se rapprochent de ceux obtenus après administration d’isoflurane. [42]
Conséquence des différences cinétiques entre agents halogénés lors de l’utilisation d’un circuit à bas débit de gaz frais
La cinétique des gaz décrite ci-dessus n’est applicable qu’en circuit ouvert où la concentration des gaz inspirés égale celle délivrée par le vaporisateur. Lors de l’utilisation d’un circuitfiltre, la cinétique des gaz est alors influencée par trois facteurs supplémentaires. La concentration inspirée varie ainsi avec la concentration délivrée par le vaporisateur (FD) comme précédemment, mais aussi avec le débit de gaz balayant le vaporisateur, le volume du circuit et la quantité de gaz réinhalée (réinhalation). En début d’utilisation et en l’absence de connexion au patient, l’augmentation des concentrations en vapeurs anesthésiques est d’autant plus lente que le volume du circuit est élevé et le débit de gaz frais faible. Le délai d’obtention des concentrations inspirées désirées peut être évalué par la constante de temps du circuit (rapport du volume du circuit sur
le débit de gaz frais). En pratique, la concentration inspirée atteint 95 % de la concentration délivrée par le vaporisateur au bout de trois constantes de temps. Par exemple, pour un circuit de volume moyen de 4 l, FI sera égale à 95 % de la concentration lue sur le vaporisateur au bout de 3 minutes lorsque le débit de gaz frais atteint 4 l.min–1 et au bout de 1 minute pour un débit de gaz frais de 12 l.min–1. Cette inertie a pour avantage d’éviter le surdosage en agent anesthésique, mais pour
inconvénient de ralentir les variations des concentrations inspirées et donc la vitesse d’allègement de l’anesthésie ou son approfondissement. Cette inertie conditionne aussi le délai de préparation du circuit lorsque l’on veut effectuer une induction au masque avec un circuit avec réinhalation à bas débit de gaz frais.
La réinhalation des gaz expirés est le troisième facteur supplémentaire influençant la cinétique des gaz lors de l’utilisation d’un circuit à bas débit de gaz frais. En effet, du fait de la captation alvéolaire, les gaz expirés, appauvris en agents anesthésiques, viennent se mélanger aux gaz frais et à ceux persistant dans le circuit. Les concentrations inspirées tendent donc à être diminuées par les concentrations expirées de façon d’autant plus marquée que les agents sont liposolubles et ont été captés par l’organisme. Dès lors, on comprend que la réinhalation est un phénomène important à prendre en compte pour les agents les plus liposolubles. À l’inverse, pour un agent comme le sévoflurane et surtout le desflurane, les conséquences de la réinhalation sont faibles. L’interaction volume du circuit, débit de gaz frais et réinhalation est schématisée par l’évolutiondu rapport FI/FD. Celui-ci se rapproche de 1 d’autant plus rapidement que le débit de gaz frais est élevé (Fig. 7), [39] que la réinhalation est faible (fonction elle-même de la liposolubilité et du débit cardiaque du patient). Lors des adaptations thérapeutiques, l’objectif du médecin est d’obtenir une valeur donnée de concentration alvéolaire, et non une concentration inspirée, tout en évitant des débits de gaz frais trop élevés afin de limiter le surcoût et la pollution. L’évolution des rapports FD/FA en
fonction du temps permet d’effectuer le réglage idéal de la FD, concentration délivrée par le vaporisateur, en fonction de la concentration alvéolaire voulue. Ce rapport varie avec la liposolubilité de l’agent et le débit de gaz frais (Fig. 8).[41]
Pour un débit de gaz frais de 1 lmin–1, avec un agent peu liposoluble comme le desflurane, ce rapport est proche de 3. Il est alors possible d’augmenter la concentration délivrée à trois fois la concentration alvéolaire cible car la valeur maximale délivrée
par le vaporisateur atteint 18 %, soit environ trois fois la CAM.
La concentration alvéolaire cible peut être alors obtenue en quelques cycles respiratoires. Ceci n’est pas possible avec les agents plus liposolubles comme l’isoflurane ou l’halothane car le rapport FD/FA correspondant est supérieur à dix et il faudrait une concentration maximale délivrée par le vaporisateur supérieure à 10 %, ce qui est impossible compte tenu de sa calibration maximale à 5 %. Avec l’halothane et l’isoflurane, l’utilisateur est donc obligé d’augmenter le débit de gaz frais pour approfondir plus rapidement l’anesthésie. Le rapport FD/FA se rapproche progressivement d’un pseudo-plateau (donc d’un équilibre) qui est d’autant rapide et proche de 1 que l’agent est moins liposoluble. Ceci permet d’envisager une réduction du débit de gaz frais et de la concentration délivrée par le vaporisateur d’autant plus rapidement que l’agent est peu liposoluble.
Pendant l’entretien de l’anesthésie avec le sévoflurane et surtout le desflurane, le débit de gaz frais peut être réduit rapidement à des valeurs correspondant à la consommation du patient, en règle générale inférieures à 1 l.min-1. La mise à disposition de rotamètres électroniques sur les machines d’anesthésie permet de diminuer avec une grande précision ces débits à des valeurs très basses sans risque d’administration de mélange hypoxique.
C’est avec le desflurane et le sévoflurane que les économies permises par le circuit-filtre sont maximales tout en conservant une efficacité et une rapidité des adaptations thérapeutiques et donc une maniabilité supérieure à celle obtenue avec les agents
les plus liposolubles. [9] La réinhalation limite les effets de l’hyperventilation utilisée parfois pour approfondir l’anesthésie.
Du fait d’une moindre réinhalation, avec les agents moins liposolubles, l’hyperventilation permet théoriquement d’approfondir l’anesthésie car les gaz expirés sont moins appauvris en gaz anesthésiques.
Cinétique et circuit fermé
Le Physioflex® et très récemment le Zeus® sont pour le moment les seuls respirateurs à circuit fermé permettant de faire de l’anesthésie à objectif de concentration expirée ou inspirée.[108] Lors de sa mise en fonction, l’utilisateur règle, selon les besoins du patient, la concentration en agent anesthésique, soit inspirée, soit de fin d’expiration. Les caractéristiques du circuit et l’injection directe de l’agent anesthésique à l’intérieur du
circuit permettent d’obtenir quasi instantanément des concentrations cibles alvéolaires ou inspirées sans modifier le débit de gaz frais et sans être tributaire de la réinhalation.
L’utilisation des agents faiblement solubles ne présente alors un intérêt clinique que par leur élimination plus rapide lors du réveil, notamment après une anesthésie de longue durée.
Effet deuxième gaz et effet concentration
L’effet deuxième gaz représente les modifications de composition d’un mélange de gaz dans l’alvéole liées à une diffusion plus importante d’un des deux gaz au niveau de la membrane alvéolaire. C’est pourquoi le N2O, gaz très diffusible, diffuse plus vite de l’alvéole au compartiment sanguin lorsqu’il est ajouté dans un deuxième temps à un mélange de gaz contenant de l’halothane ou de l’enflurane. La concentration alvéolaire de l’halothane est donc d’autant augmentée, ce qui permet d’accélérer la vitesse d’induction anesthésique. Cet effet a été aussi décrit pour un gaz moins soluble comme le desflurane.
Cependant, l’effet deuxième gaz est probablement moins marqué avec les agents les moins liposolubles comme le sévoflurane. Par conséquent, le N2O est associé d’emblée au mélange de gaz inhalé lorsque l’induction est réalisée avec du sévoflurane par voie inhalatoire. Compte tenu de son mécanisme, l’effet deuxième gaz est théoriquement plus marqué pourun gaz plus soluble (comme le N2O) en présence d’un gaz moins soluble (comme le desflurane). C’est paradoxalement le contraire qui a été observé. [137]
L’effet concentration décrit l’influence de la concentration inspirée de l’agent par inhalation sur la valeur de sa concentration alvéolaire et sa vitesse d’obtention. L’augmentation de la concentration inspirée se traduit par l’obtention d’une concentration alvéolaire plus élevée et ceci plus rapidement. La valeur de FA/FI atteint donc plus vite une valeur proche de 1. Cet effet concentration permet d’expliquer pourquoi, malgré une liposolubilité supérieure au desflurane, les concentrations alvéolaires de N2O s’élèvent plus rapidement que celle du desflurane (Fig. 2).


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