Arrêt cardiaque chez un patient monitoré


  





Ces AC ont un certain nombre de particularités par rapport aux AC non monitorés (extra- ou intrahospitaliers) car ils surviennent dans un environnement particulier en termes de matériels et de personnels. Nous développons les AC survenant au bloc opératoire, à l’exclusion de ceux pouvant survenir en salle de surveillance postinterventionnelle ou après retour dans le service de chirurgie, car les étiologies sont souvent différentes, de même que les conditions du diagnostic et de la réanimation. Les AC survenant dans un service de réanimation peuvent être assimilés sur les plans diagnostique et thérapeutique à ceux survenant au bloc opératoire.
L’arrêt cardiaque au bloc opératoire (ACBO) est une situation dramatique que redoute tout anesthésiste-réanimateur, bien que sa survenue soit exceptionnelle, et son traitement bien codifié. Le traitement d’un AC est sensiblement toujours identique, mais il existe un certain nombre de spécificités et de particularités épidémiologiques, diagnostiques ou thérapeutiques induites par la situation peranesthésique.
Ainsi, la plupart des définitions usuelles de l’AC sont peu adaptées aux ACBO [12, 46] : l’absence de battements artériels carotidiens (ou fémoraux) reste l’argument formel d’AC, mais la présence du coma aréactif et l’absence de respiration ne peuvent pas être détectées chez un patient sous anesthésie générale. De ce fait, pour l’ACBO, il est préférable de retenir une définition seulement physiopathologique : l’AC est l’absence d’activité cardiaque spontanément efficace aboutissant à l’arrêt de la perfusion des organes vitaux [20].

ÉPIDÉMIOLOGIE
Les études épidémiologiques concernant les complications de l’anesthésie montrent que le risque d’AC est réel mais faible [6, 62]. Ce risque dépend notamment du lien de causalité entre l’anesthésie proprement dite et l’ACBO. L’enquête SFAR-Inserm classait ainsi les AC en trois catégories [62]. Elle distinguait les AC non liés à l’anesthésie et les AC liés à l’anesthésie, eux-mêmes divisés en AC partiellement liés à l’anesthésie (par exemple, AC survenant chez un patient ASA III à fonction cardiaque instable) et AC totalement liés à l’anesthésie (par exemple, AC à l’induction de l’anesthésie d’un patient ASA I). La fréquence des AC peranesthésiques est de l’ordre de 0,07 à 0,23 %, quel que soit le type d’anesthésie, de patients, de chirurgie (tableau I). La fréquence est plus faible chez les enfants de moins de 15 ans (0,02 à 0,03 % d’AC) [42, 43, 63].
La mortalité liée à un AC peranesthésique varie quant à elle de 0,01 à 0,18 %. On peut remarquer que le risque d’AC lié à l’anesthésie est généralement plus faible que le risque de survenue d’un AC non lié à l’anesthésie. Le risque d’AC lié à l’anesthésie diminue avec le temps grâce à une meilleure surveillance du patient au bloc opératoire (saturation de l’hémoglobine en oxygène mesurée par oxymètre de pouls [SpO2], pression téléexpiratoire en gaz carbonique [PetCO2]...) [34, 44, 60] : une enquête australienne, réalisée entre 1984 et 1990, montre par exemple un risque de décès réduit à 0,005 % [64].

L’ACBO peut survenir quelle que soit la période de l’anesthésie et quel que soit le type d’anesthésie. L’enquête SFAR-Inserm a montré que 23 % des AC liés à l’anesthésie survenaient lors de l’induction et 29 % lors de la période d’entretien [62]. Lors des anesthésies locorégionales, le risque d’AC lié à l’anesthésie est de 0,03 %, survenant principalement pendant la phase d’installation de l’anesthésie [6].
De nombreux facteurs de risques d’AC lié à l’anesthésie peuvent être retenus, comme l’âge, les pathologies préexistantes ou le type de chirurgie [6, 62]. Le risque est plus important aux âges extrêmes (inférieur à 1 an et supérieur à 60 ans).
Plus la classification ASA est élevée, plus le risque d’AC avec un pronostic réservé est important. L’obstétrique présente le risque d’AC le plus faible. Le risque inhérent aux actes radiologiques est moindre que celui des actes chirurgicaux. L’anesthésie réalisée en urgence génère en revanche un risque d’AC huit fois supérieur à celui de la chirurgie réglée. En urgence, c’est le risque d’AC non lié à l’anesthésie qui prédomine.
La plupart des études s’accordent sur les principales causes d’AC lié à l’anesthésie, sachant que l’étiologie de l’ACBO n’est pas trouvée dans 10 à 30 % des cas [19, 33, 44]. Une synthèse est proposée dans le tableau II.
La fréquence et la gravité des ACBO imputables à l’anesthésie soulignent l’importance de leur prévention et de leur détection [61].

PARTICULARITÉS DIAGNOSTIQUES DE L’ARRÊT CARDIAQUE AU BLOC OPÉRATOIRE
Clinique
La perte de connaissance peut être occultée par l’anesthésie. La survenue d’une mydriase est un élément tardif du diagnostic d’autant plus que le patient reçoit des morphiniques. La ventilation artificielle masque l’arrêt respiratoire. Si la palpation des pouls peut permettre le diagnostic [11], le monitorage du patient au bloc opératoire est, dans ces conditions, l’outil essentiel. Il doit permettre un diagnostic et une prise en charge précoces de l’ACBO ce qui devrait améliorer son pronostic. Il devrait permettre une détection précoce des hypoxies, des atteintes cardiovasculaires avant la survenue d’un AC, ceci d’autant mieux que le patient est surveillé en permanence par un personnel spécialisé au bloc opératoire.
Monitorage
Chaque site d’anesthésie dispose d’un moniteur électrocardiographique (ECG), d’un appareil de mesure automatique de la pression artérielle, d’un oxymètre de pouls et d’un capnographe [53]. Ces éléments sont, à des degrés divers, les piliers de la détection, du diagnostic de l’ACBO et du suivi de celui-ci au cours de la RCP.
Cardioscope
L’ECG permet de confirmer le diagnostic d’AC en précisant le type électrique : asystole, fibrillation ventriculaire ou autres activités électriques sans pouls. Il permet d’évoquer une étiologie cardiaque de l’ACBO (ischémie coronarienne, troubles du rythme...) dont va dépendre une part du traitement à mettre en oeuvre, et le plus souvent de prédire l’événement sur l’apparition des troubles du rythme (par exemple, bradycardie avant une asystole ; tachycardie et/ou extrasystolie ventriculaire polymorphe avant une fibrillation ventriculaire). Enfin, la précocité de la détection de l’événement dépend du réglage des bornes d’alarmes et de la fiabilité du tracé.
Pression artérielle non invasive
Pour la plupart des actes anesthésiques, la mesure de pression artérielle est non invasive et intermittente au bloc opératoire. Son efficacité pour détecter un ACBO est alors illusoire.
Oxymètre de pouls
En anesthésie, l’oxymètre de pouls permet une surveillance continue et non invasive de l’oxygénation tissulaire. Il est utilisé quel que soit le type d’anesthésie. C’est avant tout un monitorage respiratoire mais il peut également détecter un défaut d’oxygénation lié à un bas débit cardiaque pouvant évoluer vers l’ACBO.
Avant la survenue d’un ACBO, une baisse de la SpO2, un amortissement ou une absence de ses oscillations systolodiastoliques sont volontiers observés.
Différentes limites techniques réduisent son intérêt diagnostique, et la désaturation, lorsqu’elle signale un événement cardiaque, est retardée de plusieurs systoles, limitant ainsi le rendement de l’oxymètre de pouls dans le diagnostic précoce d’un ACBO [51].
Monitorage du CO2 expiré
La capnométrie(valeur numérique de CO2 contenu dans les gaz expirés) et la capnographie (représentation graphique des mouvements de CO2 lors des cycles respiratoires) sont des paramètres recommandés pour le diagnostic d’un ACBO.
Il s’agit d’un monitorage non invasif qui détecte et diagnostique l’ACBO. La présence de CO2 dans les gaz expirés résulte du métabolisme cellulaire, du transport de CO2 vers la circulation pulmonaire et de son élimination par la ventilation. La PetCO2 est un reflet de la pression alvéolaire de CO2, elle-même égale dans les conditions normales à la pression partielle artérielle en CO2.
Toute variation du débit cardiaque (donc du débit sanguin pulmonaire) va induire une variation de PetCO2 si la production cellulaire et la ventilation sont maintenues constantes.

Expérimentalement, chez le chien, une baisse de 20 % de la PetCO2 accompagne une baisse de l’ordre de 25 % du débit cardiaque [32]. Lorsque la baisse du débit cardiaque est prolongée, différents mécanismes compensateurs permettent de restaurer un apport suffisant de CO2 au niveau de l’alvéole.
En cas d’ACBO, ces mécanismes compensateurs sont dépassés. On observe le plus souvent une baisse rapide de la PetCO2 qui tend rapidement vers 0 mmHg. Cette diminution brutale de la PetCO2 proportionnelle à la baisse du débit cardiaque précède la chute de la pression artérielle et parfois même la modification du rythme cardiaque. Toute variation brutale de la PetCO2 sans modification de spirométrie doit faire craindre la survenue d’un ACBO. On considère généralement qu’une PetCO2 inférieure à 10 mmHg traduit une inefficacité circulatoire et impose de débuter immédiatement une RCP [21].
Chez le patient non intubé (induction de l’anesthésie générale, anesthésie vigile ou anesthésie locorégionale), le monitorage du CO2 expiré est plus difficile. Si la valeur de la PetCO2 est volontiers peu indicative (dilution des gaz expirés...), la capnographie permet surtout de détecter précocement des apnées, elles-mêmes source d’ACBO. En revanche, la PetCO2 retrouve tout son intérêt pour la surveillance de la RCP dès l’intubation du patient [24].

PARTICULARITÉS DE LA RÉANIMATION CARDIOPULMONAIRE AU BLOC OPÉRATOIRE
Stratégie de réanimation cardiopulmonaire au bloc opératoire
La survenue de l’AC, chez un patient intubé, ventilé artificiellement et monitoré, modifie en partie la conduite à tenir.Le monitorage peropératoire permet un diagnostic immédiat, voire même une anticipation (ou une prévention) de l’AC.Dans tous les cas, il ne doit exister aucun délai avant le début de la RCP.
Cette différence capitale par rapport à l’AC préhospitalier explique certains ajustements thérapeutiques par rapport aux recommandations préconisées pour la médecine préhospitalière. Les grandes lignes de la RCP au bloc opératoire sont proposées dans les recommandations émises par la SFAR [12].Il faut débuter la réanimation par l’arrêt immédiat de tous les agents anesthésiques administrés soit en perfusion, soit en inhalation.
On purge les circuits du ventilateur et on établit une concentration de l’oxygène dans l’air inspiré (FiO2) à 100 %. L’anesthésiste appelle aussitôt un renfort. L’objectif premier est de rechercher une cause particulière de l’AC permettant un traitement spécifique tout en démarrant les manoeuvres classiques de la RCP communes à tous les AC.
Dans cette optique, le premier bilan à réaliser concerne la ventilation et l’ensemble de ses paramètres [9].La moindre interrogation concernant le circuit de ventilation impose d’emblée une ventilation manuelle en O2 pur.
La figure 1 reprend l’arbre décisionnel que l’on doit suivre face à un AC survenant chez un patient intubé et ventilé artificiellement [11].
L’objectif de cet algorithme est d’éliminer une cause ventilatoire, soit liée au matériel, soit liée au patient.
 Une fois les problèmes de mécanique ventilatoire éliminés, la RCP au bloc devient semblable à celle préconisée par les recommandations internationales en dehors du bloc [12].Les trois algorithmes thérapeutiques adaptés, l’un à la fibrillation ventriculaire (ou à la tachycardie ventriculaire sans pouls), l’autre à l’asystole et le dernier aux activités électriques sans pouls, qui sont proposés dans les recommandations [12], sont applicables pour la RCP au bloc opératoire.En 1997, l’International Liaison Committee On Resuscitation (ILCOR), qui regroupe l’ensemble des instances internationales travaillant sur l’AC, a proposé un algorithme universel simplifié [36], récemment repris sans modifications majeures par l’European Resuscitation Council (ERC) [17].
Cet algorithme général, proposé sur la figure 2, permet de rappeler que la RCP classique dépend avant tout du type électrique de l’AC. En cas de fibrillation ventriculaire, la défibrillation première est la règle alors qu’en cas d’asystole, l’adrénaline reste le médicament de choix.
Les spécificités thérapeutiques liées au bloc opératoire sont proposées plus loin.
Chronologie des causes d’arrêt cardiaque
Au bloc opératoire,
on peut distinguer deux périodes peranesthésiques au cours desquelles les principales causes d’un AC sont différentes.
En début d’anesthésie
Au décours de l’intubation, l’AC doit faire évoquer en premier lieu une anoxie liée à une erreur d’intubation (intubation oesophagienne) ou à une malposition de la sonde ou toute autre cause préalablement décrite, mais également un réflexe vagal ou un trouble du rythme ventriculaire.
Après l’induction, dès les premières minutes de ventilation artificielle, en présence d’un état hémodynamique précaire (hypovolémie, vasodilatation), l’AC peut être dû à l’effet inotrope négatif des médicaments anesthésiques, au collapsus de reventilation, à une erreur dans l’administration des gaz inhalés ou dans la posologie intraveineuse du narcotique ou enfin à un pneumothorax suffocant sous machine. Plus rarement, il peut s’agir de réaction anaphylactique ou anaphylactoïde surtout observée avec les curares (dépolarisant : succinylcholine ou non dépolarisant : par exemple atracurium). Ce dernier type d’agent peut donner lieu à des réactions d’histaminolibération entraînant un AC après une bradycardie associée à un bronchospasme.
L’imprégnation par un bêtabloquant amplifie par ailleurs la gravité de l’accident rendant la thérapeutique plus délicate.
En peropératoire
Au cours d’une anesthésie prolongée, il faut avant tout éliminer un éventuel accident tardif de la ventilation mécanique : panne technique du respirateur, obstruction de la sonde d’intubation ou déplacement, pneumothorax suffocant. Mais les AC d’origine non anesthésique restent les plus fréquents au cours de cette phase [46].
Ils sont soit directement liés à la chirurgie, soit liés à la chirurgie et au terrain, soit liés à la pathologie sous-jacente.
L’hémorragie aiguë non contrôlée est la principale origine chirurgicale des AC. L’AC lié à une pathologie causale sous-jacente peut se produire en particulier chez des patients opérés en urgence, comme les polytraumatisés. Faute de bilan complet préopératoire et de recul suffisant par rapport au traumatisme, une lésion initialement silencieuse peut se décompenser de façon insidieuse au cours de l’anesthésie générale.Au cours des interventions prolongées, il est souhaitable de pouvoir répéter certains examens, en particulier biologiques (gaz du sang artériel, ionogramme sanguin, numération-formule, enzymes cardiaques...).
Optimisation de la réanimation cardiopulmonaire au bloc opératoire
L’ACBO doit bénéficier d’un diagnostic immédiat et donc d’une prise en charge un peu particulière du fait de l’utilisation de certaines possibilités spécifiques du bloc opératoire et de l’adaptation de certains éléments de la RCP médicalisée.
Monitorage
Le monitorage est précieux pour évaluer la qualité de la RCP et en particulier du massage cardiaque. Ainsi, la mesure en continu de la pression artérielle invasive et la mesure quantitative de la PetCO2, qui sont rarement disponibles en médecine préhospitalière, sont des éléments essentiels pour l’évaluation de la RCP au bloc opératoire.
· Pression artérielle invasive
Lorsqu’elle est mesurée de façon continue avant l’AC, elle représente le meilleur moyen d’évaluer l’efficacité du massage cardiaque [45]. À défaut, l’insertion d’un cathéter est souhaitable dès que la situation le permet sans perturber par ailleurs le déroulement de la RCP. Il permet de mesurer en continu la pression artérielle diastolique qui est un bon déterminant de la pression de perfusion coronaire (pression de perfusion coronaire = pression artérielle diastolique - pression auriculaire droite). La pression de perfusion coronaire est en effet un des meilleurs facteurs hémodynamiques prédictifs de la survenue d’une récupération d’activité circulatoire spontanée. Il existe une valeur seuil de cette pression de perfusion coronaire aux alentours de 15 mmHg, ce qui correspond à une pression diastolique aortique d’environ 35 mmHg. Une telle pression assure un débit sanguin myocardique théoriquement suffisant pour satisfaire les besoins métaboliques du coeur pendant la RCP [51].
· PetCo2
La mesure du gaz carbonique expiré reste le paramètre le plus intéressant pour monitorer en routine la RCP.

Elle permet d’évaluer l’efficacité du massage cardiaque, de détecter une éventuelle reprise d’activité circulatoire, et certains l’ont proposée comme indice pronostique. La présence obligatoire d’un capnographe au bloc permet ainsi de guider la réanimation efficacement en l’absence de monitorage invasif. En effet, de nombreuses publications ont montré que la PetCO2 est proportionnelle au débit cardiaque chez un patient sous anesthésie générale, lorsque la ventilation contrôlée est stable et lorsqu’il n’existe pas de variations métaboliques [32].
Au cours de la RCP, quand le patient est ventilé de façon mécanique, le CO2 expiré est alors le reflet direct de l’efficacité du massage cardiaque en termes de débit cardiaque [21, 24]. La PetCO2 a été proposée comme facteur prédictif de récupération : la valeur minimale pour espérer une reprise d’activité circulatoire est, selon les auteurs, de 15 mmHg ou de 10 mmHg [7, 8]. Néanmoins, ces valeurs-seuil ne peuvent pas être considérées comme des indicateurs suffisamment fiables pour décider de la poursuite ou non de la RCP [7, 39]. L’évolution du chiffre de PetCO2 au cours de la RCP paraît aussi importante que le chiffre lui-même : la dégradation de la PetCO2 au cours de la RCP quelle que soit la valeur initiale est un facteur péjoratif et inversement.Mais il existe des limites à l’utilisation de la PetCO2 : toute modification du rapport ventilation/perfusion (par exemple en cas d’embolie pulmonaire), de la ventilation ou du métabolisme interfère avec la PetCO2. L’utilisation de bicarbonates pour traiter l’acidose métabolique au cours de l’AC et l’injection d’adrénaline modifient également la PetCO2 [51].
· Autres monitorages usuels
L’évaluation de l’efficacité du massage cardiaque basée sur l’amplitude du tracé cardioscopique est illusoire ; de même l’oxymètre de pouls est rarement utilisable au cours de la RCP [59].
La mesure de la pression artérielle non invasive discontinue est également peu fiable. En revanche, il ne faut pas oublier la possibilité de prélever des gaz du sang artériel permettant d’évaluer l’équilibre acidobasique et la qualité de l’hématose. Ainsi, la prescription d’alcalinisants pour le traitement d’un ACBO ne devra être discutée que sur la mesure du pH artériel.
· Monitorages complémentaires
L’utilisation de l’échocardiographie transoesophagienne au cours de l’AC a été décrite ponctuellement, en particulier pour évaluer certaines techniques de massage cardiaque externe (MCE) [13]. Cette technique est peu applicable et techniquement délicate au cours du MCE. La mesure en continu du débit aortique par méthode non invasive grâce à une sonde oesophagienne échodoppler a été également rapportée au cours d’ACBO [26, 29] : cette méthode associée à la mesure du CO2 expiré présente un intérêt seulement pour détecter précocement la survenue de la défaillance circulatoire avant l’AC et non pour monitorer la RCP.
La saturation veineuse en oxygène a été proposée comme monitorage invasif de l’AC [57]. La mesure de la pression artérielle pulmonaire est également réalisable chez les patients préalablement porteurs de cathéters de Swan-Ganz, mais son intérêt reste très limité.
Les moyens de monitorage de la fonction cérébrale paraissent avoir un intérêt encore limité au cours de la RCP. La pression d’oxygène conjonctivale qui est un reflet indirect du débit sanguin cérébral n’est pas un bon indice de la circulation cérébrale pendant la RCP [25]. Le doppler transcrânien a été proposé expérimentalement comme monitorage non invasif de la perfusion cérébrale pendant la RCP. La vélocité moyenne du flux carotidien au doppler est corrélée avec le débit de la carotide interne [40], mais il n’existe pas actuellement d’application clinique de cette méthode. L’intérêt de l’analyse bispectrale n’a pas été évalué dans cette indication.
Massage cardiaque en peropératoire
Le MCE au bloc n’a pas de spécificité : il est indiqué de réaliser une dépression du sternum de 4 à 5 cm, avec une durée de compression égale à 50 % du cycle compression-décompression passive, et une fréquence de compression actuellement fixée à 100/min. La séquence massage-ventilation à réaliser par les témoins d’un AC est maintenant de 15 : 2, que la RCP soit débutée seule ou à plusieurs.
Au bloc, sur un patient intubé et ventilé, le MCE et la ventilation sont réalisés de façon asynchrone et indépendante. Parmi les techniques visant à améliorer l’efficacité du MCE, la cardiopompe permet la réalisation d’une décompression active. L’association de cette décompression active à la compression habituelle du MCE permet, en théorie, d’améliorer le retour veineux et d’augmenter la pression artérielle diastolique au cours de la RCP. Ainsi la pression de perfusion coronaire serait optimisée permettant d’augmenter les chances de récupération cardiaque [13].

À ce jour, une seule étude randomisée multicentrique confirme l’intérêt clinique de la cardiopompe [47]. Par ailleurs, aucune étude n’a actuellement porté sur la RCP au bloc. Dans certains cas, le massage cardiaque interne peut être intéressant [11]. Quelques études ont montré qu’expérimentalement le massage cardiaque interne pouvait être plus efficace que le MCE en termes de perfusion cérébrale et de perfusion systémique [35]. Cependant, l’efficacité du massage cardiaque interne n’est retrouvée cliniquement que lorsqu’il est appliqué précocement après l’AC [22]. Les recommandations actuelles pour le massage cardiaque interne proposent qu’il soit débuté dans les 15 minutes suivant l’AC [11]. Malgré quelques tentatives discutables pour développer la pratique de ce type de massage, même en préhospitalier [30], il n’existe que deux indications formelles : l’AC lors de la chirurgie à thorax ouvert ou chez un blessé présentant un traumatisme pénétrant du thorax.
Enfin, la survenue d’un AC au cours d’une chirurgie en position ventrale pose le problème du MCE. Il doit être débuté en position ventrale si le patient ne peut être replacé immédiatement en position dorsale. Même si une certaine efficacité hémodynamique a été décrite [29], il faut néanmoins remettre le patient en décubitus dorsal pour poursuivre la RCP aussitôt que la chirurgie le permet.
Médicaments de la réanimation cardiopulmonaire
· Médicaments vasoactifs
Comme pour l’AC extrahospitalier, l’adrénaline est le produit de choix dans le traitement de l’AC.
C’est un puissant a- et b-agoniste adrénergique d’action directe.Elle agit sur les récepteurs a1, a2, b1 et b2 avec des effets dose-dépendants, mais c’est son effet a-vasoconstricteur qui paraît être l’élément essentiel de son efficacité sur l’AC [20, 27].La noradrénaline pourrait être aussi efficace en théorie.

 S’il existe un consensus pour l’utilisation de l’adrénaline dans le traitement de l’AC, il n’y a pas unanimité à ce jour pour le choix des doses.
La récente étude multicentrique européenne sur les AC extrahospitaliers conclut à une supériorité des fortes doses (5 mg) par rapport aux doses standards (1 mg) uniquement en termes de récupération initiale et à une inefficacité des fortes doses en termes de survie finale [28]. Cette supériorité initiale est indiscutable lorsque l’AC est une asystole mais n’est plus vraie lorsque l’AC est une fibrillation ventriculaire. Étant donné la brièveté de la durée de l’ACBO avant l’injection éventuelle d’adrénaline, il paraît licite de préconiser l’injection d’adrénaline à la dose standard de 1 mg.
En revanche, si l’AC se prolonge et s’il s’agit d’une asystole, l’augmentation des doses peut alors être discutée.Du fait d’une efficacité très relative de l’adrénaline, l’avenir dans le traitement médicamenteux de l’AC passe peut-être par l’utilisation d’un médicament vasoactif non adrénergique comme la vasopressine, dont l’utilisation en association avec l’adrénaline paraît prometteuse [41, 65],
mais encore insuffisamment évaluée cliniquement.
· Solutés de perfusion
Le soluté de perfusion utilisé pour entretenir la voie d’abord et accélérer la diffusion des médicaments injectés au cours de la RCP est le soluté salé isotonique. Les solutés glucosés doivent être prohibés.
L’utilisation de soluté d’alcalinisation reste controversée en médecine préhospitalière, même s’il n’existe plus d’indication systématique [38].
En ce qui concerne l’ACBO, l’utilisation de bicarbonate de sodium hypertonique ne pourra être éventuellement discutée qu’en présence d’une acidose métabolique objectivée sur des gaz du sang artériel.
Bilan paraclinique
Un bilan paraclinique est souhaitable au cours d’un ACBO. Il est en général limité, sauf particularité étiologique. Il doit comporter au minimum un bilan biologique associant systématiquement gaz du sang artériel et ionogramme sanguin (avec dosage du calcium ionisé). Une radiographie pulmonaire de face doit systématiquement compléter le bilan.
Par ailleurs, la détermination du pH au niveau des sécrétions trachéales (pour déceler l’inhalation de contenu gastrique) et la mesure de la température oesophagienne au niveau rétrocardiaque (pour détecter une éventuelle hypothermie cardiaque méconnue) ont pu être proposées [46].
Ce bilan a un intérêt diagnostique (recherche de troubles ioniques et de l’hématose...), thérapeutique (équilibre acidobasique...), mais également médicolégal. En cas d’échec de la réanimation, une autopsie doit être demandée, et toutes les investigations devront être envisagées pour permettre d’élucider la cause exacte de l’ACBO. Grâce à l’ensemble de ces éléments, un debriefing de l’événement, impliquant l’ensemble des acteurs, sera réalisé.
Cas particuliers d’arrêt cardiaque au bloc opératoire
Arrêt cardiaque au cours de l’infarctus du myocarde
L’ACBO par infarctus du myocarde est rare. La RCP d’un ACBO par infarctus du myocarde n’a pas de particularité ; mais, en cas de récupération, la thrombolyse est théoriquement contre-indiquée.
L’angioplastie coronarienne est alors le traitement de choix qui doit être envisagé au décours d’une angiographie réalisée en urgence. Cette prise en charge a fait la preuve de son efficacité sur le pronostic des AC extrahospitaliers chez le coronarien [58].
Arrêt cardiaque au cours de la coeliochirurgie
L’AC au cours de la coeliochirurgie est rare également [55]. Outre certaines causes mécaniques d’AC comme le déplacement de la sonde d’intubation lors de l’insufflation ou un désamorçage par hyperinsufflation accidentelle, et en l’absence d’hémorragie, l’AC au cours d’un pneumopéritoine doit immédiatement faire évoquer une embolie gazeuse massive. La surveillance de la PetCO2 représente le meilleur moyen de diagnostic. Si la PetCO2 doit augmenter de façon modérée après la réalisation d’un pneumopéritoine au dioxyde de carbone, sa baisse brutale, voire son effondrement, traduisent l’embolie gazeuse massive. L’utilisation d’un stéthoscope précordial peut permettre de détecter précocement un bruit rugueux (dit « de roue de moulin ») en cas d’embolie gazeuse importante. Le doppler oesophagien peut révéler le passage de gaz dans l’oreillette droite et détecte des emboles gazeux de faible volume. En cas de passage systémique (par shunt droite-gauche, par exemple), l’enregistrement du débit aortique par sonde échodoppler peut également confirmer le diagnostic [26]. Un tel diagnostic justifie l’arrêt immédiat de l’insufflation et l’exsufflation. L’administration de protoxyde d’azote doit être arrêtée, la ventilation se faisant en oxygène pur avec augmentation du volume courant et mise en place d’une pression positive de fin d’expiration. Le patient est mis en position de Trendelenburg associée à une latéralisation gauche. Si un cathéter central est en place, il est légitime d’essayer d’aspirer une fraction de l’embole.

Une expansion volémique par macromolécules doit être proposée.
La RCP elle-même n’a pas de particularité si ce n’est que le MCE a, dans cette indication, également pour objectif de fractionner les emboles [23]. Après récupération, un bilan neurologique complet à la recherche de signes de localisation évocateurs d’une embolie cérébrale est indispensable.
Arrêt cardiaque au cours de l’anesthésie locorégionale
Des circonstances particulières peuvent provoquer un AC au cours de l’anesthésie locorégionale et nécessitent l’adaptation du traitement.
· Injection intraveineuse d’anesthésiques locaux cardiotoxiques 
 (en particulier de bupivacaïne)
La réanimation classique utilisant l’adrénaline et éventuellement des antiarythmiques est proposée. Par ailleurs, des équipes ont noté une diminution de la sécrétion adrénergique endogène en cas d’anesthésie rachidienne et proposent dans ce cas l’augmentation des doses d’adrénaline [50].
· Patient hypovolémique
Le bloc sympathique étendu peut provoquer un désamorçage.
Le traitement d’un tel accident justifie une expansion volémique par macromolécules et l’utilisation précoce de vasoconstricteurs dès la constatation d’une hypovolémie associée à une bradycardie majeure [52].
L’adrénaline est aussi le vasoconstricteur de choix dans cette indication précoce, même si la vasopressine paraît être également une alternative envisageable [37].
· Apnées avec asphyxie: Elles se rencontrent lorsqu’une sédation profonde est associée à une anesthésie rachidienne de niveau sensitif élevé.
Outre l’intubation endotrachéale et la ventilation mécanique de ces patients hypoxiques, l’adrénaline est à nouveau préconisée précocement car la RCP risque d’être peu efficace en cas de bloc sympathique étendu, d’autant plus que l’hypoxie modifie la réponse hémodynamique à l’adrénaline [54].

ARRÊT DE LA RÉANIMATION CARDIOPULMONAIRE AU BLOC OPÉRATOIRE
La majorité des recommandations propose l’arrêt de la RCP en cas d’asystole persistante après plus de 30 minutes de traitement, lorsque tous les gestes de réanimation ont été accomplis, et leur exécution correcte vérifiée. Cependant, cette règle ne s’applique pas chaque fois qu’un facteur de protection cérébrale préalable à l’AC est présent. Au bloc, l’utilisation d’une narcose intraveineuse peut être considérée comme un facteur de protection cérébrale (en particulier avec benzodiazépines, étomidate, thiopental). Une hypothermie peut être également considérée comme un élément de protection cérébrale. Ainsi, bien qu’aucune règle ne soit définie, une RCP plus prolongée en cas d’ACBO peut être envisagée. De plus, en dehors d’arguments particuliers liés au terrain ou au contexte médicochirurgical, l’âge du patient ne paraît pas devoir représenter une limitation pour la RCP [49].
En conclusion, l’ACBO est un accident rare qui peut être détecté précocement, voire anticipé grâce au monitorage peranesthésique et en particulier au capnographe. Ce monitorage permet également de surveiller de façon efficace la RCP immédiatement mise en route.
Après avoir éliminé en première intention un problème ventilatoire, la suite de la RCP au bloc opératoire présente peu de particularités selon les recommandations internationales [2].

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