Diagnostic des hémorragies digestives non traumatiques de l’adulte




  

Diagnostic positif : reconnaître l’hémorragie
L’hémorragie digestive aiguë est une urgence thérapeutique.
Elle s’extériorise par une hématémèse, un méléna, une hématochézie (émission de sang rouge et noir par l’anus avec la présence de caillot) ou une rectorragie. L’hémorragie peut également se présenter par un état de choc ou un malaise inexpliqué. En l’absence d’évidence, la pose d’une sonde gastrique en urgence permet de résoudre le problème dans près de 80 % des cas des hémorragies digestives hautes [25]. Les limites de ce geste sont le siège postbulbaire du saignement car le reflux gastrique de sang n’est pas constant. Un examen de la bouche et de la paroi postérieure du pharynx permet d’éliminer une hémorragie buccopharyngée ou une épistaxis déglutie.

Diagnostic de gravité
Il convient de déterminer d’emblée l’abondance de l’hémorragie, le caractère actif du saignement et les pathologies associées, qui sont les trois paramètres essentiels qui définissent la gravité d’une hémorragie. L’abondance de l’hémorragie se détermine sur des paramètres cliniques. La pression artérielle et le pouls, la fréquence respiratoire, l’état des extrémités et l’état neurologique sont appréciés d’emblée. S’il n’y a pas d’état de choc, la pression artérielle et le pouls sont déterminés en décubitus, puis si possible en positions assise et debout. La chute de la pression artérielle avec une pression systolique inférieure à 90 mmHg en position debout correspond à une perte sanguine de 25 à 50 %. L’intensité des signes cliniques est étroitement liée à la rapidité avec laquelle cette perte sanguine se constitue et elle permet de classer l’abondance de l’hémorragie, qui guide le remplissage vasculaire à entreprendre. Chez le sujet atteint de cirrhose, le pouls doit être interprété en fonction de la prise de bêtabloquants, de la présence d’un syndrome de sevrage et d’une infection associée.
Le caractère actif de l’hémorragie est un élément pronostique important qu’il n’est pas toujours facile de déterminer.
La pose d’une sonde gastrique peut renseigner sur le caractère actif de l’hémorragie. Des lavages gastriques répétés permettent de suivre l’évolution du saignement et de préparer l’estomac pour l’examen endoscopique.
De plus, un lavage gastrique, même abondant, est souvent insuffisant pour obtenir une bonne vacuité gastrique. L’hématocrite initial n’est pas souvent un bon reflet de la perte sanguine, car l’hémodilution nécessite quelques heures.

Diagnostic étiologique
Orientation clinique
Certains antécédents doivent être précisés : pathologie oesogastro- duodénale peptique, pathologie colique ou proctologique, prise d’AINS, existence de vomissements récents, prise répétée de la température rectale, manoeuvres traumatiques endoanales.
Il est essentiel de préciser l’existence d’une hépatopathie chronique sous-jacente. Celle-ci peut être diagnostiquée sur des critères cliniques simples, dont la spécificité est excellente et la sensibilité supérieure à 50 % dans le contexte de l’urgence : il s’agit d’un foie ferme, d’angiomes stellaires, de la présence d’une circulation veineuse collatérale, d’un ictère, d’un astérixis ou la notion d’une cirrhose à l’interrogatoire. On précise également les pathologies associées, insuffisance cardiaque, coronaropathie, chirurgie aortique, insuffisance rénale, insuffisance pulmonaire en particulier.
Au terme de l’examen clinique, trois situations peuvent être envisagées qui guident la prise en charge thérapeutique :
• une hémorragie digestive haute en dehors de la cirrhose ;
• une hémorragie digestive basse ;
• une hémorragie chez un malade atteint de cirrhose.


Diagnostic endoscopique et morphologique
Devant une hémorragie digestive haute, l’endoscopie oesogastroduodénale doit être pratiquée le plus précocement possible dès que l’état hémodynamique l’autorise, au mieux dans les 12 heures qui suivent l’arrivée du malade [26]. Cet examen a pour but de diagnostiquer et de localiser la lésion responsable du saignement, d’établir pour les ulcères un pronostic propre aux constatations endoscopiques et éventuellement de réaliser un geste d’hémostase [27]. L’aspect de l’ulcère donne des informations pronostiques essentielles. Les aspects qui ont été individualisés ont été regroupés dans la classification de Forrest, qui associe à l’aspect de l’ulcère un risque de récidive hémorragique et de mortalité (Fig. 1) (Tableau 4). Lorsqu’il existe un caillot adhérent, un vaisseau visible ou un saignement actif, une surveillance étroite est souhaitable. Le risque maximal de récidive hémorragique se situe dans les 3 premiers jours. Le délai durant lequel le malade doit rester à jeun dépend également des constatations endoscopiques.

Certaines études ont conclu à l’intérêt de réalimenter précocement les malades [28].
 En cas de risque faible de récidive hémorragique, ulcère à base claire ou taches hémorragiques punctiformes, la réalimentation précoce (à la vingt-quatrième heure) peut être préconisée.En cas de caillot adhérent, de vaisseau visible ou de saignement actif, la réalimentation s’effectue au troisième jour afin de permettre un geste endoscopique ou chirurgical en urgence en cas de récidive hémorragique.
 Dans les hémorragies digestives basses, la stratégie des examens endoscopiques commence par la réalisation d’une anuscopie et d’un examen de la marge anale précédant une rectosigmoïdoscopie.
Lorsque ces examens n’apportent pas d’explication à l’hémorragie, il faut pratiquer une endoscopie digestive haute qui permet de poser un diagnostic dans 10 % des hémorragies apparemment basses [29].
Lorsque l’origine basse de l’hémorragie est confirmée, la suite des examens dépend de l’activité de l’hémorragie. Lorsque celle-ci cesse spontanément, une coloscopie avec exploration du grêle terminal est réalisée après une bonne préparation colique.
Lorsque la coloscopie est négative, l’intestin grêle est exploré par un transit baryté éventuellement complété par un scanner abdominal. Lorsque l’hémorragie demeure active, la coloscopie en urgence et l’artériographie doivent être discutées en fonction de l’activité de l’hémorragie et des possibilités locales. La coloscopie doit être précédée d’une préparation par voie haute ou à défaut par lavement.
La rentabilité diagnostique dans ces conditions difficiles est globalement de 75 %.
Outre le diagnostic lésionnel, la coloscopie peut permettre de repérer une limite supérieure à la présence de sang.
L’artériographie nécessite un débit hémorragique minimal de 1 ml.m–1.
L’exploration artériographique commence par l’artère mésentérique supérieure, puis l’artère mésentérique inférieure.
En l’absence de diagnostic, l’exploration peut être complétée par une opacification du tronc coeliaque. Le site hémorragique est marqué par une extravasation de produit de contraste et on peut visualiser une lésion (angiodysplasie, diverticule, tumeur) dans 30 % des cas. La rentabilité diagnostique globale de cet examen dans l’exploration d’une hémorragie digestive basse a été évaluée à 70 %. Lorsque l’abondance de l’hémorragie et l’absence de diagnostic précis font poser l’indication d’une laparotomie exploratrice, l’endoscopie peropératoire peut aider au diagnostic.
Autres examens
Ils sont envisagés lorsque l’endoscopie digestive haute n’a pas permis d’identifier la cause de l’hémorragie. La scintigraphie aux hématies marquées par le technétium 99 peut compléter l’exploration d’une hémorragie digestive basse lorsque la coloscopie et l’artériographie n’ont pas permis de porter un diagnostic et que l’activité de l’hémorragie ne justifie pas une laparotomie exploratrice. Elle nécessite un débit supérieur à 0,1 ml.m–1 de l’hémorragie. La sensibilité diagnostique est de l’ordre de 50 % et sa valeur prédictive positive de 90 %. Elle donne des informations souvent imprécises sur la topographie du saignement, qui n’est établie correctement que dans 15 % des cas.La tomodensitométrie à la recherche d’une anomalie hépatique, pancréatique ou d’un faux kyste, ou l’échoendoscopie du carrefour biliopancréatique, complètent la recherche des hémorragies non diagnostiquées par les examens conventionnels.
Lorsque l’hémorragie reste de cause indéterminée, l’exploration du grêle se fait au mieux par vidéocapsule et/ou par entéroscopie double ballon.

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