Hémorragie digestive du malade atteint de cirrhose



Dominique Pateron : Praticien hospitalier, service médical d’accueil, Fédération des urgences médicochirurgicales.
Jean-Louis Pourriat : Professeur des Universités, praticien hospitalier, Fédération des urgences médicochirurgicales, département d’anesthésie-réanimation.
Hôpital Jean-Verdier, avenue du 14-Juillet, 93140 Bondy, France.
Résumé. – L’hémorragie digestive est une complication fréquente et la seconde cause de mortalité chez les malades atteints de cirrhose. La première cause d’hémorragie est la rupture de varices oesophagiennes, et l’hypertension portale est responsable de 80 % des hémorragies chez ces malades. La gravité d’une= hémorragie digestive est indissociable de la gravité de la cirrhose définie par le degré d’insuffisance hépatique.
L’évolution des techniques d’hémostase endoscopiques et l’utilisation des vasopresseurs ont modifié la prise en charge initiale des hémorragies digestives des malades atteints de cirrhose.La ligature élastique, lorsqu’elle est possible, est une alternative à la sclérothérapie. L’utilisation précoce de la terlipressine ou de la somatostatine et de ses dérivés est devenue habituelle.
Le traitement hémostatique doit être complété par le traitement préventif ou curatif des complications associées à l’hémorragie, en particulier les complications infectieuses. L’ensemble de ces mesures a amélioré le pronostic de cette pathologie.

Mots-clés : cirrhose, hémorragie, varices oesophagiennes.

Introduction
L’hémorragie digestive est une des principales urgences qui compliquent la cirrhose. C’est la deuxième cause de mortalité chez ces malades [19, 48]. Dans la majorité des cas, l’hémorragie digestive est liée à l’hypertension portale et sa cause la plus fréquente est une rupture de varices oesophagiennes ou gastriques [32]. La mortalité est souvent liée à une récidive hémorragique précoce. La gravité d’une hémorragie est étroitement liée à la gravité de l’hépatopathie [44]. De plus, l’hémorragie digestive peut dégrader la fonction hépatique et décompenser la cirrhose.
Les techniques récentes d’hémostase endoscopiques et l’avènement des vasopresseurs dans le traitement précoce des hémorragies digestives ont modifié la prise en charge thérapeutique de ces malades [62].

Histoire naturelle et facteurs de gravité des hémorragies
HISTOIRE NATURELLE
Le risque de survenue d’une hémorragie digestive dans les 2 ans qui suivent le moment où l’on pose le diagnostic de cirrhose est estimé à 20 %, si on ne tient pas compte de la taille des varices oesophagiennes [105]. Le risque de rupture est maximal dans les 2 ans qui suivent le diagnostic de varices oesophagiennes ; ensuite, il diminue [70]. Les facteurs prédictifs de la survenue de la première hémorragie sont liés à l’atteinte de la fonction hépatique, aux constatations faites lors de l’examen endoscopique (tableau I). Certains ont proposé des scores prédictifs basés sur les données cliniques et endoscopiques [70]. L’incidence annuelle d’une hémorragie digestive chez le malade atteint de cirrhose est de l’ordre de 20 % [80]. Elle a été estimée à partir des caractéristiques des groupes témoins des essais thérapeutiques randomisés.
L’hémorragie digestive peut parfois révéler la cirrhose. Les courbes de survie à 3 mois qui suivent un épisode d’hémorragie digestive aiguë chez le malade atteint de cirrhose montrent clairement la relation entre la gravité de l’hémorragie et celle de la maladie hépatique [17].
L’étude des relations qui existent entre les paramètres hémodynamiques et la survenue d’une hémorragie liée à l’hypertension portale montre que chez le malade atteint de cirrhose, la rupture de varice ne s’observe que si le gradient de pression portale (différence entre les pressions veineuses sus-hépatique et portale) est supérieur à 10 mmHg [60], alors que l’on considère que le gradient normal est inférieur à 5 mmHg. Cependant, la relation entre le gradient de pression portale et la taille des varices et leur rupture n’est pas linéaire [45, 70]. Les paramètres qui déterminent la rupture de la varice oesophagienne sont la taille de la varice, l’épaisseur de la paroi et le niveau de pression à l’intérieur de la varice [105].
L’augmentation importante du flux azygos est également associée au risque d’hémorragies sévères à 2 ans. Le gradient de pression portale mesuré 15 jours après l’épisode hémorragique pourrait être un facteur pronostique de survie. L’utilisation des antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) favorise la survenue des hémorragies digestives liées à la cirrhose [28].

Tableau I. – Facteurs de risque de survenue d’une hémorragie digestive chez un malade atteint de cirrhose.
Fonction hépatique
Score de Child-Pugh (gravité de la cirrhose)
Ascite
Facteurs endoscopiques
Taille des varices oesophagiennes
Présence de signes rouges
Présence de varices gastriques
Facteurs hémodynamiques
Gradient de pression hépatique > 12 mmHg
Pression intravariqueuse > 15 mmHg
Facteurs médicamenteux
AINS

Tableau II. – Classification de Child-Pugh : Score de gravité des cirrhoses.

1
2
3
Encéphalopathie
Absente
Astérixis
Troubles de conscience
Ascite
Absente
Modérée
Importante
Bilirubinémie (mmol/L)
< 35
35-50
> 50
Albuminémie (g/L)
> 35
28-35
< 28
Taux de prothrombine (%)
> 50
40-50
< 40

Score

Classe A
5-6
Classe B
7-9
Classe C
10-15

Tableau III. – Facteurs de gravité d’une hémorragie digestive chez le
malade atteint de cirrhose.
Fonction hépatique
Score de Child-Pugh (gravité de la cirrhose)
Ascite
Encéphalopathie
Épisode hémorragique
Choc hémorragique
Choc septique
Besoins transfusionnels
Facteurs associés
Âge
Alcoolisme actif
Fonction rénale
Complications des traitements hémostatiques

RÉCIDIVE
Le risque de récidive hémorragique dans le mois qui suit l’hémorragie initiale est un des facteurs déterminants de gravité.
Bien que 50 à 70 % des malades s’arrêtent spontanément de saigner dans les 3 jours qui suivent l’hémorragie, le risque de récidive estélevé puisque 50 % des malades saignent à nouveau dans les dix premiers jours qui suivent l’hémorragie initiale [25]. Il est donc logique de proposer un traitement hémostatique précoce et une prophylaxie de la récidive. Le risque de récidive hémorragique est étroitement lié à l’altération de la fonction hépatique. Ainsi, la récidive hémorragique à 5 jours serait de 20 % pour les malades appartenant à la classe A de Child-Pugh, de 40 % pour les malades de la classe B, et de 60 % pour les malades de la classe C (tableau II) [17]. D’autres facteurs interviennent.
Il s’agit de la sévérité de l’hémorragie déterminée par son caractère actif lors de l’endoscopie, du nombre de culots transfusés et l’existence d’un choc hémorragique initial, du degré d’hypertension portale, de la survenue d’une infection systémique ou de la présence d’un carcinome hépatocellulaire. Six semaines après l’épisode hémorragique, le risque de récidive rejoint le risque préalable à l’hémorragie.

FACTEURS DE GRAVITÉ ET MORTALITÉ (tableau III)
La gravité de l’atteinte hépatique est le facteur pronostique majeur de la survie à court terme et de la survenue des complications liées aux traitements [5, 92]. D’autres facteurs moins importants peuvent intervenir. Ainsi, la fonction rénale, l’âge du malade et l’existence d’une intoxication alcoolique au moment de l’hémorragie pourraient être des facteurs pronostiques indépendants de la gravité de l’hémorragie [40, 80]. En revanche, l’origine de la cirrhose, l’existence d’épisodes hémorragiques antérieurs, l’abondance des transfusions ne paraissent pas être des facteurs pronostiques indépendants [83]. Enfin, il semble que la survenue d’une infection puisse être également associée à la récidive hémorragique, voire à une mortalité plus élevée [3, 38, 43].

Les hémorragies digestives sont responsables de 25 % des décès à 5 ans chez les malades atteints de cirrhose, mais ce taux tend à diminuer [76]. La mortalité dépend de la sévérité de la cirrhose. La mortalité globale dans l’année qui suit une hémorragie est de 30 à 40 %. Le taux de mortalité des malades appartenant au groupe C de la classification de Child-Pugh est proche de 50 % [25]. Le décès est rarement directement lié à la perte sanguine initiale car l’hémorragie entraîne rarement une hypovolémie aiguë et massive. Néanmoins, l’hémorragie s’associe souvent à des complications, telles que les infections, l’encéphalopathie aiguë, l’insuffisance hépatique et rénale qui contribuent au décès.

Le risque de décès dans le premier mois qui suit un épisode d’hémorragie représente plus de la moitié des décès de l’année qui suit l’épisode hémorragique [61]. La mortalité est de 25 % à 1 mois et de 30 % à 6 semaines. L’interprétation des études cliniques doit toujours tenir compte du délai d’inclusion par rapport au moment de l’épisode hémorragique. Lorsque l’inclusion a lieu le jour de l’hémorragie, le risque de décès chez un malade appartenant à la classe C de Child-Pugh est de 50 % alors qu’il est de 25 % si l’inclusion a lieu 15 jours plus tard [17]. Après le troisième mois, la survie tend à rejoindre celle des malades n’ayant pas eu d’hémorragie digestive et ayant une fonction hépatique de gravité comparable.

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