Prise en charge et stratégies chirurgicales



Le rôle et les indications de la chirurgie restent difficiles à appréhender, car le plus souvent les indications sont soumises aux habitudes des différentes équipes. L’interprétation des résultats de la littérature est souvent difficile, voire impossible, en raison de leur inhomogénéité :
– gravité des patients différente d’une série à l’autre, voire dans la même série, ou tout simplement non définie ;
– utilisation de la même procédure sur différents types de lésions (ou vice versa) souvent à des dates différentes par rapport au début de l’évolution ;
– mélange de lésions infectées et stériles.
Pour toutes ces raisons et par manque d’études prospectives et randomisées, aucune stratégie n’a démontré sa supériorité et de nombreuses controverses persistent. Cependant, depuis une quinzaine d’années, il existe une tendance à restreindre les indications aux patients qui ne survivraient pas sans chirurgie et aux procédures qui ont un bénéfice réel (tableau VIII) [60].

CHIRURGIE ET NÉCROSE STÉRILE
 De réalisation difficile et présentant des risques hémorragiques,
 infectieux ou mécaniques, la chirurgie précoce des coulées de nécrose stérile ne semble pas s’accompagner d’un bénéfice certain et pourrait au contraire aggraver le pronostic [3, 17, 78]. En raison d’une frontière très mal délimitée, en début d’évolution, entre la nécrose et le pancréas sain, la nécrosectomie précoce est souvent soit trop importante avec pancréatectomie associée, soit insuffisante et, dans ce cas, les coulées de nécrose se reconstituent rapidement, d’où lanécessité d’une chirurgie itérative [3, 60] avec donc un risque majeur de surinfection.
Ces arguments peu favorables à la nécrosectomie précoce sont renforcés par le fait que l’évolution des coulées de nécrose se fait spontanément vers la résolution, si elles necommuniquent pas avec un canal pancréatique [3, 101].
Cette notion est confirmée par Bradley [17] qui montre que les patients qui ne s’infectent pas ont une évolution favorable, même s’il existe à l’entrée une défaillance pulmonaire ou rénale. Malgré tous ces arguments qui vont à l’encontre d’une attitude agressive, certains auteurs préconisent une nécrosectomie de principe [78, 80]. Actuellement, il n’existe aucune donnée scientifique permettant de trancher en faveur de l’une ou l’autre des attitudes [6, 60, 80, 108]. Il semble cependant que la majorité des équipes ait abandonné la nécrosectomie précoce de principe en l’absence de surinfection. Cette attitude prudente est toutefois remise en question s’il persiste ou s’il apparaît des défaillances d’organes mal contrôlées par la réanimation [60], ce qui rend pour certains l’indication opératoire impérative [80]. En conclusion, tous les auteurs insistent sur la nécessité urgente de réaliser des études prospectives randomisées dans le but de préciser les indications du traitement conservateur et celles de la chirurgie en cas de nécrose stérile. Elles devraient également permettre de déterminer le rôle de la chirurgie dans la survenue d’une surinfection de nécrose.

CHIRURGIE BILIAIRE ET PANCRÉATITES AIGUËS BILIAIRES
Dans les PA biliaires peu et moyennement sévères, les indications de la chirurgie biliaire sont connues et admises par tous. Le traitement de la lithiase doit être fait pendant l’hospitalisation, mais après normalisation du bilan biologique, toute chirurgie différée exposant au risque de récidive de PA.
En revanche, dans les PAN, les indications et la date de la chirurgie restent très controversées. Plus la chirurgie est réalisée précocement, plus il est fréquent de retrouver des calculs dans le cholédoque, alors qu’à partir du cinquième jour d’évolution, on ne retrouve des calculs que chez 5 % des patients [51]. Il semble en fait que la morbidité (infection de nécrose +++) et la mortalité soient augmentées par la chirurgie biliaire précoce (par laparotomie ou par coelioscopie), surtout pour les PAN les plus sévères [26].
La CPRE est une alternative à la chirurgie permettant de détecter des lithiases dans le cholédoque. Elle est éventuellement associée à une sphinctérotomie et à l’extraction de lithiases [51].
Trois études prospectives comparant la CPRE précoce avec un traitement conservateur montrent que l’incidence des complications, dont la principale est l’angiocholite associée à la PA, reste inchangée dans les formes peu graves, alors qu’elle diminue dans les PAN sévères [28, 35, 66]. En revanche, il n’existe aucune modification de la mortalité et la technique possède sa propre morbidité : hémorragies des voies biliaires, perforation digestive, voire aggravation de la pancréatite dans 1 à 2% des cas [66]. D’autre part, les tentatives de canulation, même entre des mains expertes, ont un taux d’échec de l’ordre de 15 à 20 % en raison de l’oedème duodénal [35, 66]. Il semble recommandable, sur ces données, de réserver les indications de la CPRE avec sphinctérotomie aux formes sévères de PAN dont l’étiologie biliaire est prouvée, alors que dans les PA moins graves,les risques propres à la technique sont sans doute supérieurs au bénéfice attendu. De toute façon, le geste doit être confié à un opérateur entraîné.

CHIRURGIE ET NÉCROSE INFECTÉE
Pour tous les auteurs, la présence d’une nécrose ou d’une collection infectée équivaut à une indication chirurgicale obligatoire et urgente : le débridement chirurgical des zones de nécrose infectées.
Mais, plus que dans tous les autres domaines de la prise en charge  des PA, les techniques et les stratégies chirurgicales sont à ce jour restées des questions d’école. De nombreuses stratégies associent diverses procédures, soit à la demande de façon itérative, soit avec des réinterventions programmées. On peut les regrouper en trois grandes catégories qui associent à la nécrosectomie ou au débridement soit une irrigation-lavage (technique semi-close), soit un drainage clos, soit un packing avec réinterventions itératives programmées. Des techniques de marsupialisation du pancréas [57] et l’utilisation de fermetures éclair [100] ont également été décrites.
Dans toutes les stratégies, sauf les techniques closes, de multiples réinterventions sont le plus souvent nécessaires pour pouvoir éliminer l’ensemble de la nécrose [82]. En raison des nombreuses combinaisons possibles et de leur utilisation à différents moments de l’évolution sur des lésions variées, il est quasiment impossible de déterminer si une stratégie est meilleure qu’une autre. La mortalité est excessivement variable de 10 à 60 %, difficile à interpréter, toujours pour les mêmes raisons d’inhomogénéité des effectifs : gravité variable, indications et date du geste mal définies, voire non définies. De plus, certaines séries mélangent des nécroses infectées et des nécroses stériles !
Pour tenter de faire le point, D’Egidio [22], à partir de données de la littérature parues entre 1975 et 1990, a défini trois groupes de patients en fonction de la stratégie utilisée : nécrosectomie + drainage (n = 516), nécrosectomie + irrigation-lavage (n = 216) et nécrosectomie + reprises chirurgicales programmées (n = 188).
Dans le premier groupe, il existe une surmortalité, alors que c’est dans le troisième qu’il existe le plus de complications abdominales : hémorragies, fistules pancréatiques, lésions du tube digestif... Si on individualise un sous-groupe composé par les nécroses surinfectées, les résultats restent identiques. Cependant, ce travail ne permet pas de préconiser une stratégie plutôt qu’une autre, toujours par manque d’homogénéité dans les effectifs des trois groupes.La fréquence élevée des réinterventions est responsable d’un taux important de complications hémorragiques et de fistules postopératoires du côlon, du grêle, du pancréas, voire de l’estomac [82]. Ces fistules surviennent dans 20 à 40 % des cas et doivent souvent être fermées par voie chirurgicale, dans un second temps [6, 16, 60, 93, 99].


Tableau VIII. – Indications de la chirurgie dans les pancréatites aiguës nécrosantes (d’après McFadden et Redder [60]).
Indications admises
Indications controversées
Diagnostic différentiel Nécrose stérile> 50 %
Pancréatite biliaire persistante Nécrose stable et persistante
Nécrose pancréatique infectée Aggravation du tableau clinique
Abcès pancréatique Existence d’un SDMV
Pseudokyste infecté
Nécrose stérile > 50 %
Pancréatite biliaire persistante Nécrose stable et persistante
Nécrose pancréatique infectée Aggravation du tableau clinique
Abcès pancréatique Existence d’un SDMV
Pseudokyste infecté Chirurgie biliaire précoce
Indication de la CPRE


CHOIX DE LA VOIE D’ABORD
La plupart des auteurs choisissent une voie péritonéale bi-souscostale qui permet une vision globale des lésions tout en respectant l’étage sous-mésocolique [16, 60, 78, 80, 82]. Un abord rétropéritonéal souscostal gauche permet également une bonne exploration [27], mais il ne permet pas d’évacuer une coulée périrénale droite dans 7,5 % des cas, et l’existence d’une hémorragie ou d’une nécrose colique gauche nécessite de transformer l’abord en voie antérieure dans 12,5 % des cas [27].
Aucune étude prospective randomisée n’a étudié l’influence de la voie d’abord sur la mortalité et la morbidité, mais il semble cependant qu’il y ait moins de hernies et de fistules digestives (bien que la fréquence des fistules coliques reste élevée, de l’ordre de 10 à 20 %), dans les abords rétropéritonéaux [16, 99].

D’autre part, à l’inverse d’une voie antérieure, un abord rétropéritonéal peut être répété sans entraîner une perte de substance de la paroi abdominale, qui est le plus souvent suivie d’une éventration [99].

DRAINAGE PERCUTANÉ ET ENDOSCOPIQUE
Aucune étude à ce jour n’a utilisé la classification d’Atlanta [15] qui donne une définition précise aux différentes lésions rencontrées au cours des PAN, si bien que la grande majorité des séries de drainage percutané mélangent abcès, nécroses infectées et pseudokystes, d’où des taux d’échec variables de 20 à 80 % [2, 40]. Comme ces échecs sont suivis d’un geste chirurgical, il est également impossible d’évaluer l’influence du drainage percutané sur la mortalité et la morbidité.
Dans le cas de la nécrose, stérile ou infectée, l’utilisation des drains de petit calibre (12 ou 14F) s’accompagne d’un taux d’échec proche de 80 %, d’où la nécessité d’un geste chirurgical secondaire, alors que l’utilisation de drains de gros calibre (24 ou 28F) associée à une irrigation-lavage continue de 2 à 3 L/24 heures, en permettant plus facilement l’évacuation des débris nécrotiques, entraîne un taux de succès de l’ordre de 50 à 70 % [6, 40]. Mais, en contrepartie, le nombre de fistules digestives augmente de façon importante (près d’un patient sur deux), ainsi que la durée de séjour [40].
En revanche, des taux de succès beaucoup plus importants, de l’ordre de 70 à 80 %, existent quand les indications sont limitées aux abcès et aux pseudokystes tels qu’ils sont définis dans la classification d’Atlanta [2, 39].
Enfin, il faut rappeler que le drainage percutané d’une lésion stérile s’accompagne d’un risque de surinfection important, qui est proportionnel à la durée du drainage.
Des techniques de drainage endoscopique par voie transgastrique ou transduodénale, ont été récemment proposées sur des abcès et des pseudokystes (infectés ou stériles) avec un taux de succès de 80 % [6], la majorité des échecs étant liée à des hémorragies ou à des perforations digestives nécessitant une intervention chirurgicale secondaire. En pratique, la prise en charge thérapeutique des PAN repose sur une évaluation individuelle, patient par patient (fig 8), qui dépend essentiellement de la gravité du tableau clinique et du caractère infecté ou stérile des lésions. Mais la définition de la meilleure stratégie possible se heurte à un manque de preuves scientifiques, si bien que de nombreuses décisions restent des questions d’école.
Cette approche thérapeutique doit absolument être multidisciplinaire.

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