Prise en charge thérapeutique d'un accès hypertensif aigu







RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES
Poussée hypertensive
Rappelons qu’un accès hypertensif aigu sans signe de souffrance viscérale ne nécessite pas la mise en route d’un traitement immédiat.Le repos et le contrôle des facteurs favorisants permettent le plus souvent le retour à des valeurs tensionnelles normales.Chez un sujet hypertendu connu, une réévaluation du traitement au long cours sera envisagée dans un second temps.Chez un sujet qui n’est pas connu comme hypertendu, un traitement oral à distance de la poussée est mis en oeuvre en cas de confirmation d’une maladie hypertensive authentique et après réalisation d’un bilan du retentissement, de l’étiologie et des facteurs de risque cardiovasculaires [6].Dans les rares cas où de fortes valeurs tensionnelles (PAS > 210 mmHg et/ou PAD > 120 mmHg) persistent malgré
le repos et le contrôle des facteurs favorisants, certains recommandent, en dépit de l’absence de retentissement viscéral, l’instauration le jour même d’un traitement antihypertensif oral [13].

Urgence hypertensive
L’accès aigu hypertensif avec signe de souffrance viscérale est une urgence thérapeutique.
Toutefois, il doit être rappelé que lors des accidents vasculaires cérébraux une grande prudence est de rigueur dans le traitement d’un accès hypertensif. Le traitement de l’urgence hypertensive se conçoit dans une unité de soins intensifs où seront réalisés simultanément le contrôle des facteurs favorisants d’élévation tensionnelle (anxiété, douleur, hypoxémie, hypercapnie, hypoglycémie, etc) et la mise en route d’un traitement antihypertensif par voie intraveineuse. Pour certains agents thérapeutiques un monitorage intra-artériel de la pression est souhaitable.


L’objectif du traitement n’est pas la normalisation immédiate des chiffres tensionnels mais plutôt un abaissement de la pression artérielle jusqu’à un certain niveau de sécurité, car la diminution brutale est souvent plus dangereuse que l’hypertension elle-même.En effet, en particulier chez des malades dont le mécanisme d’autorégulation s’est précédemment adapté à une HTA chronique [70] et/ou chez ceux ayant des facteurs de risque d’artériosclérose et/ou chez les sujets âgés, la réduction trop brutale de la pression artérielle risque d’induire des accidents ischémiques graves, tels que cécité corticale, hémiplégie, infarctus du myocarde, insuffisance rénale aiguë, etc. En conséquence, en présence d’une urgence hypertensive, la plupart des experts recommandent de ne pas abaisser la PAM de plus de 20 % dans un délai de quelques minutes à quelques heures [4, 11, 22, 76, 77] .
 Lorsque dans certains cas (dissection aortique),
il s’avère cependant indispensable de faire chuter de plus de 20 % la PAM, la surveillance neurologique
doit être particulièrement étroite pour détecter les premiers signes d’hypoperfusion cérébrale tels que nausées, céphalées, confusion, ralentissement psychomoteur ou agitation. L’efficacité thérapeutique d’un traitement antihypertensif est requise dans l’heure, sauf dans le cas de la dissection de l’aorte où un contrôle tensionnel est exigé dans les 10 minutes.
Les médicaments proposés pour le traitement de l’urgence hypertensive doivent répondre à plusieurs critères :
– utilisation par voie intraveineuse,
– rapidité d’action,
– titrabilité aisée,
– demi-vie courte permettant un maniement plus souple. Leurs effets secondaires sont parfois des facteurs limitant leur utilisation.
L’administration des traitements antihypertensifs par voie sublinguale, naguère très prisée, est désormais strictement proscrite car pouvant générer des épisodes hypotensifs sévères et peu contrôlables [25]. Dans les cas où une hypovolémie est présente (HTA maligne), un remplissage vasculaire peut s’avérer nécessaire, d’autant plus que l’utilisation d’un agent vasodilatateur à effet veineux peut accroître le risque de désamorçage de la pompe cardiaque et donc de survenue d’un collapsus sévère. C’est souligner la nécessité d’un monitorage hémodynamique lors de la mise en route du traitement.
Lorsque le contrôle de la pression artérielle est obtenu, le relais per os doit être débuté.

AGENTS MÉDICAMENTEUX (tableaux I, II)
Nicardipine
La nicardipine est un inhibiteur des canaux calciques de la famille des dihydropyridines [1]. C’est un vasodilatateur artériel dépourvu d’activité inotrope négative. Cette molécule, par sa rapidité d’action, sa simplicité de prescription (posologie indépendante du poids) et par les preuves de son efficacité [27, 82, 83] est devenue le traitement de première intention des urgences hypertensives. Son autorisation de mise sur le marché (AMM) permet son utilisation dans les situations suivantes : toute urgence hypertensive, hypertension périopératoire, hypotension contrôlée en anesthésie. Ses inconvénients proviennent de la tachycardie réflexe devant rendre son emploi prudent chez le patient coronarien [4] et du risque de saignement gastro-intestinal [50].

Urapidil
Ce médicament:
est à la fois antagoniste des récepteurs a1 postsynaptiques périphériques et agoniste des récepteurs 5-HT1A centraux. Son action vasodilatatrice ne s’accompagne pas de tachycardie réflexe, ni de modification significative du système rénine-angiotensine. L’urapidil diminue à la fois la précharge et la postcharge cardiaques. Il exerce de plus une vasodilatation sélective pulmonaire et rénale [32, 75]. De bonne tolérance, son unique contreindication est le rétrécissement aortique. Ses indications actuelles sont les urgences hypertensives et les hypertensions périopératoires.

Labétalol
C’est un agent à la fois alpha- et bêtabloquant d’intérêt reconnu dans la majorité des urgences hypertensives [16] sauf l’insuffisance cardiaque aiguë. Ses avantages sont le maintien des débits cardiaque, cérébral et coronaire et une bonne tolérance clinique, si les contre-indications habituelles des bêtabloquants sont respectées.

Nitroprussiate de sodium
Le nitroprussiate est un vasodilatateur artériel et veineux provoquant une diminution simultanée de la précharge et de la postcharge cardiaques, ce qui le rend particulièrement intéressant dans l’accès hypertensif accompagné d’insuffisance cardiaque. Ses avantages sont sa rapidité d’action et sa durée d’action courte.
Cependant, il possède de nombreux inconvénients :
– en augmentant la pression intracrânienne, il diminue le débit cérébral [3] ;
– il peut provoquer, par un phénomène de vol coronaire, une réduction significative du débit coronaire [39]. Cet effet explique sans doute pourquoi le nitroprussiate administré quelques heures après un infarctus du myocarde compliqué d’insuffisance cardiaque [15] a été associé à un risque accru de mortalité, dans un essai contrôlé randomisé contre placebo ;
– les autres effets secondaires décrits sont une ototoxicité [60] et une augmentation du shunt intrapulmonaire [2] ;

– la limite principale d’utilisation du nitroprussiate est sa toxicité.
En effet, le nitroprussiate est métabolisé en cyanure, lui-même converti dans le foie en thiocyanate [51], métabolite éliminé par le rein et cent fois moins toxique que le cyanure. En cas d’insuffisance rénale et/ou hépatique, il existe donc un risque fort d’intoxication au cyanure [59]. Celle-ci, par perturbation de la respiration cellulaire, peut conduire à la survenue de troubles neurologiques irréversibles et à l’extrême d’un arrêt cardiaque [59, 80]. Les dosages sanguins de thiocyanates manquent de sensibilité pour détecter un début de toxicité. L’administration en perfusion continue d’hydroxycobalamine peut prévenir ou traiter la toxicité du nitroprussiate [76].

Le nitroprussiate, longtemps antihypertenseur de référence [14], est actuellement bien moins employé en première intention du fait de ses effets secondaires et de l’existence de substances au maniement plus simple [76]. Toutefois, il peut être utilisé dans les urgences hypertensives très sévères, notamment en cas d’encéphalopathie hypertensive et en cas d’insuffisance cardiaque.

Dérivés nitrés : trinitrine et isosorbide dinitrate
Les dérivés nitrés sont des vasodilatateurs mixtes à effet veineux prédominant diminuant la précharge cardiaque. Leurs inconvénients sont un effet tachycardisant et une diminution du débit cardiaque.
Leur indication est reconnue en cas d’ischémie myocardique.
Furosémide et bumétanide
Ces diurétiques de l’anse ne sont indiqués qu’en cas de signes de surcharge circulatoire et en particulier d’oedème pulmonaire [9].
Leurs effets secondaires sont dominés par l’hypokaliémie [72].
Esmolol
Il s’agit d’un bêtabloquant cardiosélectif d’action rapide (1 minute) et brève (10-20 minutes). Ses avantages sont un effet ralentisseur des tachycardies supraventriculaires et un métabolisme indépendant du foie et du rein.
Son emploi est intéressant dans les poussées hypertensives périopératoires mais déconseillé dans les crises catécholaminergiques car la stimulation alpha persistante provoque une majoration de l’hypertension par vasoconstriction.


Médicaments antihypertensifs abandonnés dans le cadre de l’urgence
La forme injectable de l’hydralazine a été retirée du marché.
La phentolamine, la clonidine, le diazoxide et la nifédipine (en administration sublinguale) [25, 61], ne font plus partie de l’arsenal thérapeutique des urgences hypertensives.

Autres agents disponibles dans les pays anglo-saxons
Le fenoldopam [62] est un agent dopamine DA1 agoniste provoquant une vasodilatation et une natriurèse sans activation a1 ou b1. Il peut être utilisé dans toutes les urgences hypertensives et particulièrement en cas d’insuffisance rénale. L’énalaprilate, inhibiteur de l’enzyme de conversion injectable, est particulièrement indiqué en cas d’insuffisance cardiaque.

INDICATIONS PARTICULIÈRES
Encéphalopathie hypertensive
Pour toutes les raisons déjà évoquées, la diminution de la PAM doit être d’au plus 20 % la première heure avec un objectif de PAD de 100-110 mmHg.

Dissection aortique
La mortalité de la dissection aortique reste élevée [55]. En conséquence, sa prise en charge doit être entreprise d’extrême urgence en unité de soins intensifs. Le but du traitement médical est d’obtenir rapidement une PAS inférieure à 100-110 mmHg. Ce n’est pas uniquement l’effet hypotensif qui est recherché, mais la diminution de la force du flux pulsatile sur la paroi aortique pour limiter l’extension de la déchirure intimale. En cas de forte présomption diagnostique, l’abaissement tensionnel peut se justifier avant la confirmation du diagnostic. Si les dissections de type A (avec atteinte de l’aorte ascendante) réclament un avis chirurgical, le type B (dissection débutant après l’origine de l’artère sousclavière gauche) relève souvent du seul traitement médical [55]. Le labétalol seul [26] ou l’association bêtabloquant (esmolol, labétalol) et vasodilatateur (nicardipine, urapidil, voire nitroprussiate de sodium) sont indiqués.

Infarctus du myocarde
Le traitement de l’infarctus comporte l’utilisation des bêtabloquants en l’absence de contre-indication. En cas d’accès hypertensif, non maîtrisé par les bêtabloquants, l’emploi des dérivés nitrés est justifié.
La morphine est un complément thérapeutique efficace. Les vasodilatateurs purs ne sont pas indiqués. L’obtention d’une PAS inférieure à 180 mmHg permet la thrombolyse. Il faut veiller à maintenir la PAD supérieure à 80 mmHg pour ne pas compromettre la circulation coronaire.

OEdème aigu pulmonaire cardiogénique
Le traitement de première intention repose sur les dérivés nitrés et les diurétiques de l’anse en fonction de l’état d’hydratation d patient. Si ces traitements ne sont pas suffisamment efficaces, l’urapidil, la nicardipine, voire le nitroprussiate peuvent être utilisés.

Prééclampsie et éclampsie
En cas de prééclampsie, il est prudent d’hospitaliser la patiente pour décider de l’induction du travail si le terme est proche. L’expectative est désormais habituelle avant 37 semaines d’aménorrhée sous condition d’une surveillance maternofoetale rigoureuse [65, 66]. Le plus souvent, l’accouchement, quel que soit l’âge de la grossesse, s’impose si l’hypertension sévère persiste plus de 48 heures sous traitement ou en cas de diminution du taux de plaquettes, d’élévation des transaminases, d’insuffisance rénale, de signes de souffrance foetale ou de signes prémonitoires d’éclampsie [17, 67].
En cas d’éclampsie, le traitement antihypertensif est indiqué si la PAS est supérieure à 180 mmHg, la PAD supérieure à 110 mmHg ou si l’élévation tensionnelle met en jeu le pronostic vital maternel.
Toutefois, il est recommandé de maintenir la PAD supérieure à 90 mmHg pour permettre la perfusion utéroplacentaire. Les médicaments préconisés sont le labétalol [36, 79], l’urapidil ou la nicardipine. Cependant, l’effet hypotensif des inhibiteurs calciques peut être dangereusement potentialisé par le sulfate de magnésium, traitement montré plus efficace que la phénytoïne ou le diazépam pour prévenir ou traiter les convulsions de l’éclampsie [20, 34].

L’extraction foetale s’impose dès que la situation se stabilise.
Phéochromocytome et crises catécholaminergiques
Les agents thérapeutiques de choix sont l’urapidil et la nicardipine, sachant que le nitroprussiate est une alternative possible.L’emploi des agents bêtabloquants purs est contre-indiqué
dans les crises catécholaminergiques en raison du risque d’hypertension paradoxale par augmentation de la vasoconstriction.
La prise de cocaïne peut entraîner une vasoconstriction coronaire justifiant l’emploi des dérivés nitrés. La nicardipine peut être employée en cas d’accès hypertensif sévère, mais les bêtabloquants sont contreindiqués [29]. Les benzodiazépines représentent un traitement adjuvant souvent efficace.

Accès hypertensif postopératoire
L’hypertension per- et postopératoire est de mécanisme essentiellement adrénergique. Différents agents peuvent être utilisés : nicardipine, nitroprussiate de sodium, urapidil, esmolol ou labétalol. La nicardipine qui est très utilisée [27] peut être à l’origine de saignements périopératoires [84].

Accidents vasculaires cérébraux
Il faut rappeler qu’en cas d’accident vasculaire cérébral, il est préférable de ne pas modifier l’équilibre tensionnel physiologique afin de ne pas provoquer d’accident ischémique iatrogénique supplémentaire. Ainsi, une PAS entre 180 et 190 mmHg et une PAD entre 100 et 120 mmHg sont tout à fait tolérables. Ce n’est que lorsqu’un accident vasculaire cérébral est associé à une dissection aortique, à une ischémie myocardique ou à une PAD supérieure à 120 mmHg que sera débuté un traitement antihypertensif avec une diminution progressive et contrôlée des chiffres d’au plus 25 % du niveau de départ [11]. Les médicaments recommandés sont le labétalol et l’urapidil. Dans le cas des hémorragies intracérébrales qui induisent presque toujours une élévation de la pression intracrânienne et une dégradation du système d’autorégulation des zones entourant la lésion, l’élévation réflexe de la pression artérielle systémique permet de maintenir la pression de perfusion cérébrale qui est égale à la différence entre la PAM et la pression intracrânienne. Il semble plus logique en la circonstance de réduire la pression intracrânienne médicalement, voire chirurgicalement, que de diminuer directement les pressions systémiques pour restaurer un débit satisfaisant de perfusion cérébrale. Au demeurant, au décours d’une hémorragie cérébrale, il a été montré que la diminution rapide de la pression artérielle augmente la mortalité [56].

Lors d’hémorragies sous-arachnoïdiennes, il existe un risque d’hémorragie intracérébrale ou d’hydrocéphalie aiguë quand la PAS est supérieure à 160 mmHg ou quand la PAM est supérieure à 110 mmHg. Si une de ces complications est déjà présente, une diminution de la PAM risque d’être délétère pour les raisons déjà évoquées. En leur absence, l’autorégulation cérébrale n’est pas altérée de façon supplémentaire par l’accident vasculaire. Toutefois, le traitement antihypertensif doit être manié avec prudence car, après 48 heures, le risque de survenue d’un vasospasme n’est pas négligeable. Le contrôle tensionnel doit être réalisé en milieu spécialisé grâce aux données du doppler transcrânien. La nimodipine, agent de la famille des dihydropyridines qui préviendrait le vasospasme, pourrait trouver sa place [1, 53].


Points essentiels
- L’accès hypertensif aigu est défini par l’élévation brutale de la pression artérielle systolique (PAS) à une valeur supérieure à 180 mmHget/ou de la pression artérielle diastolique (PAD) à une valeur supérieure à 110 mmHg.
- La gravité d’un accès hypertensif aigu tient davantage à la présence de signes de souffrance viscérale qu’aux valeurs absolues de pression artérielle atteintes.
- Seules les urgences hypertensives définies par la présence d’une souffrance viscérale aiguë (dissection aortique, encéphalopathie hypertensive, ischémie coronaire aiguë, oedème aigu pulmonaire, éclampsie et insuffisance rénale aiguë) doivent faire entreprendre rapidement un traitement antihypertensif.
- L’hypertension artérielle maligne est une urgence hypertensive particulièrement grave en raison du risque de cécité et d’insuffisance rénale irréversibles.
- La prise en charge thérapeutique des urgences hypertensives nécessite un traitement antihypertensif intraveineux et un monitorage hémodynamique. Elle est au mieux entreprise en unité de soins intensifs.
- En dehors de la dissection aortique, la pression artérielle ne doit pas être abaissée de plus de 20 % en quelques heures.
- En cas de dissection aortique aiguë, le but du traitement médical est d’obtenir une PAS inférieure à 100-110 mmHg dans les 10 premières minutes.
- Les accès hypertensifs accompagnant un accident vasculaire cérébral ne relèvent que rarement d’un traitement antihypertensif. En raison de la perturbation de l’autorégulation cérébrale qu’ils induisent, toute réduction de la pression artérielle risque de provoquer un accident ischémique iatrogénique supplémentaire.
- Les médicaments antihypertensifs de l’urgence sont représentés surtout par les formes injectables de nicardipine, de labétalol et l’urapidil.
- L’administration d’antihypertenseurs par voie sublinguale, en particulier la nifédipine, est désormais strictement proscrite car pouvant générer des épisodes hypotensifs sévères et peu contrôlables.





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