Anesthésie du patient coronarien en chirurgie générale





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F. Kerbaul, C. Guidon
La prise en charge d’un patient coronarien pour une chirurgie autre que la chirurgie cardiaque requiert de la part de l’anesthésiste la connaissance de la physiopathologie de l’ischémie et de la nécrose myocardique périopératoires, ainsi que celle de facteurs favorisant ou au contraire susceptibles de limiter ces complications. Elle implique, de plus, une évaluation préopératoire précise du risque lié au malade et de celui attaché à la chirurgie dont il doit bénéficier. Pour certains malades, cette évaluation conduit à des compléments d’exploration ou à une réadaptation du traitement par un cardiologue. Pour tous les malades, elle permet de mettre au point la stratégie anesthésique, en précisant la place de l’anesthésie locorégionale, ainsi que le type de monitorage peropératoire et enfin les conditions de la surveillance postopératoire, qui est la période la plus délicate. Dans tous les cas, il s’agit à chaque étape de ne pas créer ou favoriser un déséquilibre entre apports et besoins en oxygène myocardiques, d’être en mesure de détecter la survenue de ce déséquilibre, et d’intervenir rapidement afin d’en limiter la durée et d’en éviter la répétition.

Mots clés : Ischémie myocardique ; Infarctus postopératoire ; Troponine ; Monitorage ; Évaluation préopératoire

Introduction
Les complications ischémiques postopératoires figurent parmi les plus pourvoyeuses de morbidité et de mortalité [1].
La connaissance de la physiopathologie de l’ischémie et de la nécrose myocardique périopératoires, ainsi que des facteurs favorisant ces complications, est nécessaire à une prise en charge susceptible de diminuer leur incidence chez les malades à risque.La fréquence de l’ischémie myocardique périopératoire oscille entre 1,4 et 38 % [2]. Ces variations considérables sont à rattacher à des différences entre les études, non seulement dans les populations de malades, dans les types de chirurgies, mais également dans la définition de l’ischémie ou de l’infarctus et dans les moyens utilisés pour les objectiver. En particulier, les études les plus récentes ont bénéficié de moyens de surveillance électrocardiographique plus précis, tels le monitorage du segment ST, ou du dosage des marqueurs biologiques plus spécifiques, en particulier la troponine I [3].
Malgré des différences méthodologiques notables et des résultats divergents, les nombreux travaux consacrés à ces complications ischémiques périopératoires sont concordants sur un certain nombre de points depuis une quinzaine d’années.

Caractéristiques de l’ischémie et de la nécrose myocardique périopératoires
Ischémie
La plupart des épisodes d’ischémie myocardique surviennent dans les 24 à 48 heures postopératoires et plus spécifiquement lors du réveil [3]. Plus de 90 % de ces épisodes ischémiques sont silencieux. Ils se manifestent quasi exclusivement par des sous-décalages du segment ST [4].
Les épisodes ischémiques postopératoires précoces conduisent à l’infarctus du myocarde en l’absence de traitement de leurs éventuelles causes [3].

Infarctus
L’infarctus du myocarde périopératoire survient également précocement après l’intervention (24 à 48 heures) [3]. Il est la conséquence d’une obstruction complète (le plus souvent par thrombus) d’une artère coronaire [5]. Il est également silencieux dans la très grande majorité des cas [3].
 Dans 60 à 100 % des cas, les signes électrocardiographiques comportent un sous-décalage du segment ST, mais sans constitution d’une onde Q : il s’agit d’infarctus dits « non-Q » [6]. Enfin, la mortalité des infarctus opératoires est inférieure à 15 % et en ceci comparable à celle des infarctus non-Q ne survenant pas à l’occasion d’une intervention.
Ces différents éléments conduisent à s’interroger sur la physiopathologie de l’ischémie et de l’infarctus périopératoires, ainsi que sur les facteurs favorisant leur survenue pendant la période opératoire.

Physiopathologie de l’ischémie et de l’infarctus du myocarde
Quelles que soient les circonstances de survenue, l’ischémie myocardique correspond à une inadéquation entre besoins et apports myocardiques en oxygène.
Plusieurs éléments interviennent à des degrés divers et rendent compte de la survenue d’une ischémie myocardique brève, répétée ou prolongée, voire d’une nécrose myocardique :
- l’augmentation des besoins en oxygène : tachycardie ; stimulation sympathique ; exercice ; douleur ; frisson ;
- les anomalies du réseau coronaire : sténose avec ou sans collatéralité efficace ;
- l’altération des fonctions de l’endothélium coronaire : survenue de vasoconstriction paradoxale en réponse à une stimulation sympathique [7] ;
- l’existence de plaques coronaires lipidiques fragilisées et sensibles aux phénomènes mécaniques d’étirement comme à l’inflammation [8, 9] ;
• les troubles de la coagulation, que ce soit une augmentation de la viscosité sanguine, une hyperactivité plaquettaire ou une diminution de l’activité fibrinolytique [10] ; la survenue d’une hypercoagulabilité, conséquence bien établie de la période opératoire, pourrait jouer un rôle non négligeable dans l’étiologie et la pathogénie des nécroses myocardiques aiguës postopératoires ; tous les facteurs de la coagulation augmentent, notamment le fibrinogène, qui s’élève de 50 à 100 % ; il en résulte une augmentation de la viscosité plasmatique, de l’agrégabilité plaquettaire et de la sensibilité des plaquettes aux catécholamines [11-13] ; de plus, les taux d’inhibiteurs de la coagulation sont diminués en période postopératoire, à la fois par dilution et par défaut de synthèse.

La fonction de fibrinolyse est également perturbée.
Le mécanisme exact de l’infarctus périopératoire n’est pas connu et il semble qu’il ait des points communs avec celui de l’infarctus hors période chirurgicale : rupture de plaque et thrombose coronaire plus ou moins complète en relation avec l’hypertension et la tachycardie, et favorisés par les troubles de la coagulation, en particulier de l’agrégation plaquettaire, et les phénomènes inflammatoires.

Néanmoins, l’infarctus périopératoire, de par ses caractéristiques, paraît répondre plus volontiers à un enchaînement un peu différent : une ischémie silencieuse et responsable d’un sous-décalage de ST survient lors de la période de réveil du fait de l’accroissement des besoins myocardiques en oxygène alors que le réseau coronaire est pathologique. Si cette ischémie n’est pas diagnostiquée et se répète ou se prolonge, elle est responsable d’une augmentation du taux de troponine [3] et à terme d’une nécrose myocardique. Que celle-ci soit liée à une réduction prolongée des apports en oxygène ou bien à l’occlusion secondaire de la coronaire du fait de phénomènes de stase, de troubles de la coagulation et de la vasoconstriction paradoxale, cela n’est encore pas connu avec précision.
Dans 50 % des cas de décès par infarctus périopératoire, aucune rupture de plaque n’est retrouvée lors de l’autopsie [14, 15].

Facteurs associés à l’ischémie myocardique périopératoire et traitements ayant permis une diminution de son incidence
Circonstances particulières
Certaines circonstances sont associées à la survenue d’une ischémie myocardique périopératoire : l’anémie [16] et l’hypothermie postopératoires [17, 18], ainsi que la douleur [19], qui entraînent une augmentation de l’activité sympathique avec ses conséquences sur la demande en oxygène et les facteurs de la coagulation.

Rôle de la tachycardie
En présence de sténoses coronaires, la tachycardie, en raccourcissant le temps diastolique, altère la répartition du flux entre sous-endocarde et épicarde, avec un risque d’ischémie sous-endocardique [20] et de dysfonction myocardique. La participation de l’augmentation de la fréquence cardiaque à la constitution ou à la gravité de la nécrose myocardique a été vérifiée à plusieurs reprises chez l’animal [14, 21]. En revanche, peu d’études cliniques ont clairement mis en évidence une relation entre l’augmentation de la fréquence cardiaque et la survenue d’une ischémie myocardique périopératoire [3].
Un élément est cependant en faveur du rôle favorisant de la tachycardie dans l’ischémie myocardique : l’effet protecteur des traitements bêtabloquants.

Rôle bénéfique des bêtabloquants
Il est actuellement bien établi que les traitements bêtabloquants améliorent la survie à long terme après un infarctus du myocarde [22], ainsi que l’incidence de l’ischémie myocardique et des complications cardiaques périopératoires [23-26]. Le mécanisme exact par lequel les bêtabloquants exercent un effet bénéfique n’est pas parfaitement démontré ; néanmoins, il semble bien que le ralentissement de la fréquence cardiaque, ainsi que l’effet antiarythmique, soient des éléments importants de l’effet protecteur de ces produits.

Alpha2-agonistes
Plusieurs études ont conclu à l’efficacité des alpha2-agonistes à réduire les complications cardiaques, en particulier ischémiques, en peropératoire [27, 28]. Leur mécanisme d’action comporterait plusieurs composants : réduction de la libération decatécholamines et diminution du tonus sympathique, effet vasodilatateur coronaire et amélioration de la stabilité hémodynamique.

Aspirine
Administrée en préopératoire, elle permet également de diminuer le nombre de complications ischémiques postopératoires précoces : cela a pu être montré après chirurgie de revascularisation myocardique, ainsi que chez le malade médical. On observe chez ces patients des concentrations moindres en interleukine 6, corticotropin releasing factor et macrophage colony stimulating factor, ce qui semble plaider en faveur d’une action anti-inflammatoire associée à l’effet antiagrégant et qui serait bénéfique [29].

Statines
Enfin, de récents travaux ont pu montrer qu’un traitement préopératoire par inhibiteurs de la 3-hydroxy-3-méthylglutaryl isoenzyme A réductase, ou statines, réduisait la mortalité périopératoire chez des patients à risque, du fait de leur action anti-inflammatoire et sur l’endothélium vasculaire [30].
Ces différentes données sont autant d’éléments à prendre en compte dans la prise en charge d’un malade coronarien devant subir une intervention : que ce soit lors du premier contact de la consultation de préanesthésie où se fait l’évaluation du risque, la mise en route d’éventuelles mesures préventives ainsi que le choix de la technique anesthésique et de ses composants, en peropératoire où la conduite de l’anesthésie doit s’adapter au risque inhérent au malade et à la chirurgie, ou enfin en postopératoire où un certain nombre de moyens sont mis en oeuvre afin de limiter les contraintes de cette période. Ce sont ces différentes étapes qui vont être développées successivement.


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