Effet hypnotique et effet sur l’électroencéphalogramme
Les effets hypnotiques des agents halogénés sont dosedépendants et quantifiés par la CAM. La CAM se définit comme la concentration alvéolaire pour laquelle 50 % des patients ne bougent pas lors de l’incision chirurgicale (Tableau 3). Plus adaptée aux objectifs cliniques, la CAM95 représente la concentration pour laquelle 95 % des patients ne bougent pas lors de l’incision chirurgicale. La CAM95 atteint 1,2 à 1,3 CAM.
D’autres CAM ont été décrites, spécifiques de chaque objectif clinique, comme la CAM de réveil (égale à 0,3 CAM) ou cellebloquant la réponse hémodynamique à l’intubation (CAM-BAR égale à 1,5 CAM). La CAM est réduite avec l’âge et varie selon l’âge des enfants (Tableau 3). La CAM est diminuée en cas d’hypothermie et chez la femme enceinte. [117] La CAM est réduite par l’adjonction de N2O et de morphiniques. L’effet du N2O sur la CAM est additif et la concentration alvéolaire efficace en présence de N2O doit être calculée pour éviter les surdosages. Au-delà d’une concentration alvéolaire de 50 %, un effet antagoniste a cependant été retrouvé, justifiant de ne pas administrer de telles concentrations de N2O. L’adjonction de morphiniques a, au contraire, un effet synergique dosedépendant avec effet plafond. Cette synergie entre halogéné et morphinique permet de réduire la concentration en halogéné, son coût et leur risque d’accumulation pendant une anesthésie balancée. Cependant, les morphiniques n’étant pas hypnotiques, il ne faut pas diminuer la concentration de fin d’expiration en dessous d’un certain seuil du fait des risques de mémorisation. Ce seuil de concentration, qui n’a été évalué que
pour l’isoflurane, est approximativement de 0,6 CAM. [33]
Les effets sur l’activité électrique du cerveau dépendent de la concentration d’agent halogéné. Ainsi, pour des doses croissantes d’anesthésiques volatils, le rythme a est progressivement remplacé par des ondes lentes d, puis des phases de silence électrique apparaissent pour une concentration de 4 % pour l’halothane, 3 % pour l’isoflurane. Ces données électrophysiologiques peuvent être mises à profit pour mesurer la profondeur
d’anesthésie, notamment avec l’index bispectral (BIS). Cependant, la mesure peut en être faussée car l’enflurane est épileptogène à partir de 2,5 % et lors de l’induction avec du sévoflurane, dans des conditions d’hypocapnie ou d’hyperventilation, ont été décrites des activités pointes-ondes non dissociables de celles observées lors d’une crise comitiale (audelà d’environ 2 CAM, cf. infra).[144, 160] Cette activité peut se traduire par une augmentation artificielle des valeurs du BIS. De plus, le N2O ne modifie pas le BIS, ce qui rend l’évaluation de l’approfondissement de l’anesthésie avec le BIS discutable lorsque les effets du N2O s’ajoutent à ceux des halogénés. [23]
Enfin, une augmentation des concentrations d’isoflurane peut
se traduire par une élévation paradoxale des valeurs du BIS. [29]
La probabilité de prédiction du niveau de sédation ou de la
réaction à l’incision chirurgicale grâce au BIS est moins pertinente
lors de l’administration de sévoflurane par comparaison
au propofol. [65, 83] Ces éléments expliquent que le monitorage
par le BIS d’une anesthésie avec les halogénés soit d’indication
limitée dès lors que la concentration de fin d’expiration est
mesurée.
L’utilisation du BIS a été proposée lors de l’induction
anesthésique avec les halogénés car, pendant l’induction, les
concentrations de fin d’expiration ne permettent pas d’estimer
la concentration cérébrale. Malheureusement, la mesure du BIS
ne permet pas de prédire la survenue de mouvements lors de
l’induction et de l’intubation. Cependant, grâce à l’utilisation
du BIS, la consommation d’agents halogénés ainsi que le délai
de réveil seraient réduits. [159] La réduction du délai de réveil
grâce à l’utilisation du BIS serait cependant insuffisante pour
éviter le passage en salle de surveillance postinterventionnelle
de patients anesthésiés avec du sévoflurane. [1] La profondeur
d’anesthésie peut être aussi évaluée par l’analyse des potentiels
évoqués auditifs de moyenne latence qui sont inhibés de façon
dose-dépendante par les agents halogénés. L’analyse globale du
tracé permet d’obtenir un index dont les performances sont
elles aussi inférieures à celle de la concentration de fin d’expiration
pour évaluer le niveau de sédation ou la réaction motrice
à l’incision chirurgicale. [83]
L’apparition d’une activité pointe-onde lors de l’administration de sévoflurane et d’enflurane est observée à forte concentration. Aux concentrations utilisées lors de l’entretien de
l’anesthésie, Artru et al. ne mettent pas en évidence d’activité
pointe-onde chez des patients de neurochirurgie. [6] Lors de leur
utilisation pour l’entretien de l’anesthésie, l’isoflurane, le
desflurane et le sévoflurane ne sont pas considérés comme
proconvulsivants.
Les agents halogénés comme le N2O allongent la latence des
potentiels auditifs de moyenne latence de façon proportionnelle
à leur concentration.
Les agents halogénés comme le N2O allongent la latence et
diminuent l’amplitude des potentiels évoqués moteurs et
somesthésiques de moyenne latence, ce qui en limite l’utilisation
lorsqu’un monitorage médullaire est nécessaire pour la
chirurgie du rachis ou de la moelle. Au-delà de 1 CAM, ces
potentiels disparaissent. Cet effet médullaire témoignant d’un
effet combiné des halogénés aux niveaux spinal et cortical est
d’ailleurs mis en pratique clinique par la notion de CAM. Il
permettrait, par ailleurs, d’expliquer la meilleure immobilité
chirurgicale lorsque l’anesthésie est entretenue par des agents
halogénés plutôt que par des anesthésiques intraveineux.
Effets analgésiques
Les halogénés ne sont pas considérés comme ayant un effet analgésique. Cependant, il existe une potentialisation entre anesthésiques halogénés et morphiniques pour obtenir l’immobilité chirurgicale (cf. notion de CAM). Les agents halogénés pourraient contrôler l’intégration du phénomène douloureux car le sévoflurane comme l’halothane réduisent le débit sanguin cérébral évalué par tomographie à émission de positons, spécifiquement dans le thalamus. Paradoxalement, les halogénés auraient au contraire des effets antianalgésiques à une concentration de 0,1 CAM. [163]
Débit sanguin cérébral, pression intracrânienne et consommation d’oxygène cérébrale
Les agents halogénés augmentent globalement le débit sanguin cérébral du fait de leur effet vasodilatateur. Cet effet est plus marqué avec l’halothane (× 2) et l’enflurane (× 1,5). Chez l’adulte, la régulation du débit sanguin cérébral en réponse aux variations de PaCO2 est maintenue avec l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane jusqu’à 2 CAM, mais pas avec l’enflurane et l’halothane utilisés aux concentrations cliniques. [113] Ainsi, en présence d’une hyperventilation modérée et d’une pression artérielle moyenne stable, le débit sanguin cérébral est maintenu pour 1 CAM de ces agents anesthésiques. [84] Le maintien de l’autorégulation en réponse à l’hypercapnie est cependant limité, notamment chez l’enfant, dès 1,5 CAM de desflurane. [94] Ainsi, le seuil d’hypercapnie pour lequel l’autorégulation du débit sanguin cérébral est abolie atteint en moyenne 56 mmHg. [96] Lors d’une induction au masque, l’altération de l’autorégulation liée aux fortes concentrations de sévoflurane et à l’hypercapnie secondaire à l’hypoventilation contre-indique formellement cette technique d’induction chez les patients souffrant d’une hypertension intracrânienne.
En présence d’agents halogénés comme l’isoflurane, l’adjonction de N2O augmente le débit sanguin cérébral chez les sujets sains comme chez ceux opérés de tumeurs cérébrales. Les conséquences de cette augmentation supplémentaire de débit sanguin cérébral induite par les halogénés et le N2O sont variables et dépendent de la réserve de compliance du tissu cérébral à l’intérieur de la boîte crânienne. En l’absence de pathologie cérébrale ou d’élévation de la pression intracrânienne, les possibilités d’expansion cérébrale rendent l’administration de N2O et des halogénés sans conséquence sur la pression intracrânienne. À l’inverse, en présence d’une élévation préalable de la pression intracrânienne, l’augmentation de débit sanguin cérébral induite par l’association N2O-halogénés peut s’accompagner d’une élévation de pression intracrânienne au-delà des réserves de compliance. Ainsi, Todd et al. rapportent une élévation de pression intracrânienne supérieure à 24 mmHg chez les patients opérés de tumeurs cérébrales et recevant l’association isoflurane-N2O. [142] En l’absence de monitorage et notamment en urgence, une hypertension intracrânienne constitue donc une contre-indication formelle à l’administration des agents halogénés. Inversement, en l’absence d’effet de masse au scanner, l’administration de desflurane ou d’isoflurane ne s’accompagne pas d’élévation de la pression intracrânienne chez des patients opérés de tumeurs cérébrales supratentorielles. [53]
La répartition du débit sanguin cérébral dans les différentes zones du cerveau est modifiée par les agents halogénés. Desétudes réalisées en tomographie à émission de positons suggèrent une redistribution sous-corticale du flux sanguin et une réduction du débit dans le thalamus et les amygdales cérébelleuses, le lobe pariétal à 1 CAM de sévoflurane puis frontal à 2 CAM.
L’enflurane peut augmenter la pression intracrânienne indépendamment de ses effets sur le débit et le volume sanguin cérébral, via l’augmentation de volume du liquide céphalorachidien. [7] Cet effet observé initialement avec le desflurane n’a pas été retrouvé plus récemment dans des conditions d’hypocapnie modérée avec et sans N2O, ce qui permet de ne pas contre-indiquer cet agent pour la chirurgie des tumeurs cérébrales sans effet de masse.
Tous les agents halogénés diminuent la consommation d’oxygène cérébrale ainsi que la consommation de glucose parallèlement à la diminution d’activité électrique et, à ce titre, sont considérés comme des neuroprotecteurs cérébraux. [88, 99]
Expérimentalement, cet effet neuroprotecteur a été démontré par une récupération plus rapide des stocks d’adénosine triphosphate intracellulaire et une moindre extension des lésions induites par l’ischémie. En pratique clinique, cet effet neuroprotecteur des agents halogénés n’a pas été rapporté.
Effets respiratoires
Les agents halogénés dépriment la réponse ventilatoire à l’hypoxie et à l’hypercapnie de façon dose-dépendante. La réponse à l’hypoxie est altérée dès 0,1 CAM d’agent halogéné et disparaît au-delà de 1,1 CAM d’halogénés. Cet effet justifie le maintien de l’oxygénothérapie dans les 30 minutes suivant une anesthésie. L’altération de la réponse ventilatoire à l’hypercapnie est la plus marquée pour le desflurane et l’enflurane, intermédiaire pour l’isoflurane, la moindre pour le sévoflurane et l’halothane. La PaCO2 en ventilation spontanée, témoin de ces effets, atteint, en l’absence de morphiniques et de stimulation chirurgicale, en moyenne 50-55 mmHg pour 1 CAM d’isoflurane et de desflurane, 45 mmHg pour 1 CAM de sévoflurane et d’halothane, et 60 mmHg pour 1 CAM d’enflurane. [12] Ces effets diminuent avec la durée d’exposition et la stimulation chirurgicale. Au-delà de 1 CAM, l’halothane a un effet dépresseur moindre que le sévoflurane mais les patients ayant une diminution supérieure à 30 % de la ventilation minute sont moins nombreux lorsque 2 CAM de sévoflurane sont administrées par comparaison à 2 CAM d’halothane. Cette altération de la réponse ventilatoire à l’hypercapnie est plus marquée chez les patients souffrant de BPCO ou d’insuffisance respiratoire chez lesquels l’anesthésie ne peut dans la majorité des cas être réalisée en ventilation spontanée, d’autant que le seuil d’apnée est lui aussi augmenté.
Les agents halogénés modifient la mise en jeu des différents muscles respiratoires en agissant sur les centres respiratoires. La diminution de la force contractile du diaphragme, moins marquée que celle des muscles intercostaux, est responsable d’une respiration paradoxale. Cette dernière est plus faible lors de l’utilisation d’halothane et de sévoflurane par comparaison aux autres agents anesthésiques. Malgré une hypercapnie similaire sous sévoflurane et halothane, la réduction plus marquée de la ventilation minute et de la fréquence respiratoire sous sévoflurane suggère un effet différent sur les centres respiratoires du nourrisson. [12] L’obtention d’un pic de débit expiratoire plus rapide sous sévoflurane pourrait expliquer ces différences. La diminution de la capacité résiduelle fonctionnelle est responsable d’atélectasies et d’une hypoxémie. [31] À faible concentration, la diminution de volume courant induite par l’altération de la force contractile du diaphragme est contrebalancée par l’augmentation de la fréquence respiratoire mais, au-delà de 1 CAM, le volume minute diminue. La diminution de volume pulmonaire résultant de celle de la capacité résiduelle fonctionnelle induit une élévation des résistances respiratoires et une augmentation de travail respiratoire. Ces altérations peuvent être particulièrement mal tolérées chez les patients ayant un travail respiratoire de base élevé, comme les patients souffrant de bronchopathie chronique obstructive, de sténose trachéale ou chez les nourrissons.
Les agents anesthésiques halogénés sont bronchodilatateurs. Chez l’animal, en cas de bronchospasme d’origine immunoallergique, 1 CAM de sévoflurane et d’halothane ont les mêmes effets bronchodilatateurs. Lorsque la bronchoconstriction est induite par l’histamine, l’halothane aurait un effet bronchodilatateur plus marqué du fait d’une inhibition plus importante des courants calciques entrants. [62] À l’inverse, d’autres auteurs retrouvent un effet bronchodilatateur moins marqué avec l’halothane par comparaison au desflurane et au sévoflurane lorsque la bronchoconstriction est déclenchée par du leucotriène C4. [150] Le desflurane a, selon certains auteurs, un effet bronchodilatateur moins marqué que les autres agents halogénés, probablement du fait de son caractère irritant pour les voies respiratoires. Ce caractère irritant du desflurane, plus marqué chez les patients fumeurs, est dose-dépendant et ne se traduit pas par une moindre tolérance du masque laryngé. [56]
En pratique clinique, il n’existe pas d’argument formel pour privilégier spécifiquement un agent halogéné chez l’asthmatique.
Sur des préparations in vitro de poumon isolé, les agents anesthésiques par inhalation dépriment de façon dosedépendante la vasoconstriction pulmonaire hypoxique. Cet effet n’est pas retrouvé chez l’animal entier ou chez l’homme, ni avec l’isoflurane, le desflurane ou le sévoflurane lors de chirurgie avec exclusion pulmonaire. [74, 75, 147]
Effets cardiocirculatoires
Effets généraux
Les agents halogénés diminuent la pression artérielle de façon dose-dépendante. Cet effet dépend d’un effet vasodilatateur périphérique qui est plus marqué pour l’isoflurane et le sévoflurane que pour le desflurane. La chute de pression artérielle observée sous halothane est liée à son effet dépresseur myocardique car il n’est pas vasodilatateur. Cet effet vasodilatateur peut avoir deux conséquences, notamment en présence de concentrations élevées d’halogénés : d’une part la réduction de la postcharge du ventricule gauche permet de maintenir le débit cardiaque malgré l’effet inotrope négatif des halogénés ; d’autre part, une tachycardie réactionnelle survient au-delà de 1,5 CAM de sévoflurane et d’isoflurane par mise en jeu de la réponse baroréflexe lorsque celle-ci est conservée, notamment chez le sujet jeune. À l’inverse, cette tachycardie est moins marquée chez les sujets âgés du fait d’une moindre activité du baroréflexe liée à l’âge. Cette tachycardie réactionnelle est la plus intense avec l’isoflurane et le sévoflurane (Fig. 10). [112] Sous isoflurane, elle peut atténuer les effets de l’hypotension contrôlée. Lors de l’induction au masque avec du sévoflurane sans adjuvant ni prémédication, cette tachycardie réactionnelle pourrait être associée à l’activité pointe-onde cérébrale décrite par certains auteurs. Elle constitue une limite d’utilisation de cette technique chez des sujets à risque coronarien, mais son incidence réelle n’est pas connue. La tachycardie réactionnelle observée au-delà de 1 CAM de desflurane a été attribuée à une stimulation sympathique déclenchée par l’effet irritant de cet éther sur les bronches. [149] Cette réaction, elle aussi plus volontiers observée chez le sujet jeune, est bloquée par l’administration de morphiniques, de clonidine, de b-bloquant et de N2O. Elle ne témoigne pas d’un allègement de l’anesthésie et doit conduire à une diminution des concentrations délivrées par le vaporisateur.
En dehors de ces tachycardies réactionnelles, les halogénés diminuent la fréquence cardiaque par plusieurs mécanismes : effet bathmotrope négatif direct des halogénés sur le noeud sinoauriculaire (à l’origine de rythmes jonctionnels d’échappement particulièrement pour l’halothane, le desflurane et le sévoflurane), effet parasympathomimétique (particulièrement avec l’halothane lors de l’induction chez l’enfant justifiant une prémédication parasympatholytique), [20] effet sympatholytique.
Des bradycardies sévères (voire une asystolie) ont été rapportées lors d’inductions associant un morphinique d’action rapide (comme le rémifentanil) avec du sévoflurane à fortes concentrations. L’explication qui peut être avancée n’est pas un effet plus marqué sur le tissu de conduction, mais plutôt un réel surdosage lié au mode d’administration (fortes concentrations d’agenthalogéné), à la synergie entre opiacés et halogénés sur la fréquence cardiaque, ainsi qu’à la cinétique rapide de l’agent halogéné et du morphinique.[27]
Lors de l’entretien de l’anesthésie pour des concentrations moindres d’agents halogénés, la fréquence cardiaque est plus basse sous sévoflurane que sous isoflurane lorsque la pression artérielle est maintenue constante en faisant varier la concentration alvéolaire autour de 1 CAM. [55] Certains auteurs retrouvent une chute tensionnelle plus marquée avec l’isoflurane qu’avec le sévoflurane malgré un effet vasodilatateur similaire. [126, 127, 140] L’effet vasodilatateur du desflurane est moins marqué que celui de l’isoflurane.
Malgré ces différences relevées dans des conditions d’utilisation spécifiques, les études cliniques multicentriques associant halogénés, morphiniques et N2O ne retrouvent aucune différence de pression artérielle et de fréquence cardiaque chez des patients coronariens et/ou hypertendus chez lesquels l’entretien de l’anesthésie est réalisé avec de l’isoflurane, du sévoflurane ou du desflurane.[14, 128, 132]
Chez l’enfant de moins de 1 an, les effets du sévoflurane sur la pression artérielle sont moins marqués que ceux de l’halothane. Cependant, lors d’administration de sévoflurane, lapression artérielle moyenne diminue car la fréquence cardiaque de base physiologiquement plus élevée ne peut augmenter. [89]
En présence d’une cardiopathie congénitale chez l’enfant, les épisodes d’hypotension sévère sont deux fois plus fréquents sous halothane que sous sévoflurane malgré l’utilisation plus importante de médicaments vasopresseurs.[129] Ce maintien de la pression artérielle sous sévoflurane est lié à un effet dépresseur myocardique moindre, voire absent par comparaison à l’halothane (cf. infra).
Réponse baroréflexe et système nerveux autonome
Les agents halogénés dépriment la réponse baroréflexe. La diminution de la pente de la réponse baroréflexe et le déplacement de son zéro (seuil inférieur de mise en jeu) vers des pressions plus basses participent à la mauvaise tolérance hémodynamique des halogénés chez les patients en état de choc. Cette altération de la réponse baroréflexe est plus importante avec l’halothane et l’enflurane qu’avec l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane. Avec l’isoflurane comme avec le sévoflurane, la sensibilité de la réponse baroréflexe est réduite de 50 à 60 % et ne récupère qu’au bout de 120 minutes en présence d’une hypertension, et au bout de 60 minutes en cas d’hypotension. [105]Pendant l’entretien de l’anesthésie, les agents halogénés diminuent l’activité du système nerveux sympathique, y compris lorsque les concentrations de sévoflurane sont augmentées brutalement. [103] Cependant, lors d’une induction par inhalation avec du sévoflurane chez l’adulte, l’augmentation majeure de fréquence cardiaque qui est observée pourrait s’expliquer par une activation du système sympathique ou une diminution plus marquée de l’activité du système parasympathique. Cet effet observé aussi chez l’enfant permet de se passer de la prémédication parasympatholytique jusqu’alors nécessaire avec l’halothane. [20]
Contractilité et débit cardiaque
Les agents halogénés ont un effet inotrope négatif direct sur les fibres myocardiques. L’altération de la contractilité résulte d’une diminution de la durée du potentiel d’action de la fibre myocardique secondaire à une réduction de 25 % des flux calcique entrant et potassique sortant. [118] Cet effet est plus marqué pour l’halothane et l’enflurane que pour l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane, dont les effets cardiovasculaires sont proches. La diminution de contractilité s’accompagne d’une diminution de consommation d’oxygène du myocarde.
En dehors de toute variation de fréquence cardiaque, le débit cardiaque est maintenu sous isoflurane, desflurane et sévoflurane jusqu’à 2 CAM malgré la réduction de contractilité grâce à la diminution de postcharge liée à l’effet vasodilatateur.
L’élévation de fréquence cardiaque pour les plus fortes concentrations participe au maintien du débit cardiaque. Le maintien du débit cardiaque et de la fonction systolique lors de l’administration du desflurane dépend aussi du maintien ou de l’activation du système sympathique. Ainsi, lorsqu’un b-bloquant est administré, la fonction systolique est plus altérée sous desflurane que sous sévoflurane ou isoflurane. La fonction diastolique est aussi diminuée sous halogénés de façon indépendante de l’activité du système nerveux autonome, probablement parce que, lors de la relaxation, les halogénés ralentissent le recaptage du calcium par le réticulum sarcoplasmique. Le moindre effet vasodilatateur du desflurane explique une diminution de fonction diastolique légèrement plus marquée qu’avec l’isoflurane et le sévoflurane.
Chez l’enfant et le nouveau-né, lors d’une anesthésie avec 1 et 1,5 CAM de sévoflurane, l’index cardiaque et la contractilité du myocarde évalués par échocardiographie sont conservés, contrairement à ce qui est observé avec l’halothane. [152] Cet argument hémodynamique, plus que l’argument pharmacocinétique, justifie l’utilisation préférentielle du sévoflurane dans cette indication.
Automaticité, conduction, troubles du rythme
Le desflurane et l’isoflurane diminuent le potentiel d’action des cellules automatiques du noeud auriculaire de façon similaire mais de façon moindre que l’halothane. [120] Les agents halogénés peuvent altérer la conduction intracardiaque. Cet effet est le plus marqué avec l’enflurane et l’halothane, et moindre pour les autres agents halogénés avec lesquels il n’apparaît que pour des concentrations supérieures à 2 CAM. La période réfractaire effective est diminuée avec le desflurane alors qu’elle est allongée avec l’isoflurane. [120] Le desflurane et l’isoflurane ont un effet similaire sur le noeud auriculoventriculaire.[120]
L’halothane et à un moindre degré l’enflurane sensibilisent le myocarde à l’effet proarythmogène de l’adrénaline. Cet effet, à l’origine de troubles du rythme ventriculaire, n’est pas ou rarement observé avec l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane.
La survenue de ces anomalies, bien qu’exceptionnelle, implique de changer de technique anesthésique.
Cliniquement, l’incidence des troubles du rythme ventriculaire chez les patients coronariens soumis à une anesthésie « balancée » est similaire que l’agent halogéné soit de l’isoflurane, du desflurane ou du sévoflurane. [128] Chez l’enfant, l’incidence des troubles du rythme est plus faible sous sévoflurane que sous halothane. Ainsi, au cours de la chirurgie otorhino- laryngologique, seul un enfant sur 22 développe un rythme nodal sous sévoflurane, alors que sous halothane on observe un rythme nodal ou des extrasystoles ventriculaires chez 12 enfants sur 18. [67, 103] Plus récemment, Loeckinger et al. ont observé un allongement de l’espace QT pendant l’anesthésie avec du sévoflurane chez des nourrissons de moins de 6 mois. [93] Cet allongement potentiellement responsable de troubles du rythme ventriculaire paroxystiques justifierait une surveillance cardiovasculaire prolongée jusqu’à sa normalisation.
En pratique, cette recommandation n’a de conséquence clinique qu’en cas d’allongement congénital de l’espace QT ou chez les nourrissons porteurs de cardiopathie congénitale.
Une CAM de sévoflurane n’a pas d’effet sur la période réfractaire des voies de conduction auriculoventriculaire ou des voies accessoires en cas de syndrome de Wolff-Parkinson- White. [134] Avec l’enflurane, l’allongement de la conduction se fait préférentiellement dans cette voie accessoire, l’intervalle de couplage entre les deux voies n’étant pas modifié. Chez les patients souffrant d’un tel trouble conductif, l’utilisation de l’enflurane pourrait donc être privilégiée. À l’inverse, avec l’isoflurane et l’halothane, l’allongement de l’intervalle de couplage peut favoriser la survenue d’arythmie et une tachycardie de réentrée.
Circulations coronaire et locales
Sur coeur isolé, les agents halogénés provoquent une vasodilatation de la circulation coronaire et le débit coronaire est augmenté par recrutement de la réserve coronaire. Toujours dans des conditions expérimentales, l’effet vasodilatateur prédomine sur la macrocirculation avec l’isoflurane, alors qu’avec le sévoflurane la vasodilatation intéresse aussi la microcirculation. Parallèlement, la consommation d’oxygène du myocarde est diminuée, ce qui confère aux agents halogénés un effet cardioprotecteur comme en témoigne la diminution deproduction de lactates mesurés dans le sinus coronaire. En pratique, les risques d’ischémie coronaire dépendent aussi des effets hémodynamiques généraux, raison pour laquelle l’enflurane et l’halothane ne sont pas recommandés pour l’anesthésie des sujets coronariens. Avec l’isoflurane, l’effet vasodilatateur prédominant sur la macrocirculation a été tenu responsable de syndromes de vol coronaire, mais uniquement chez les sujets présentant une atteinte coronaire tritronculaire. [106] À l’exception de cette circonstance particulière, les effets cliniques de l’isoflurane, du desflurane et du sévoflurane sur la pression artérielle et le pourcentage d’ischémie périopératoire chez les patients coronariens sont similaires. [36] Ainsi, chez les patients coronariens opérés d’une chirurgie cardiaque ou non, les variations hémodynamiques et les épisodes périopératoires d’ischémie coronaire sont de même intensité et durée pour ces trois agents anesthésiques administrés pour l’entretien de l’anesthésie. Par comparaison à l’étomidate, 8 % de sévoflurane associés à 3 μg.kg–1 de fentanyl permettent l’induction de l’anesthésie avec un délai et des conditions hémodynamiques et respiratoires similaires chez des patients opérés en chirurgie cardiaque. [30] Les halogénés comme l’halothane, l’isoflurane et le desflurane pourraient enfin être utilisés pour effectuer un « préconditionnement » du myocarde lors de la chirurgie cardiaque afin d’améliorer la performance myocardique à l’arrêt de la circulation extracorporelle. [97, 148] Lors de la reperfusion après ischémie coronaire chez le chien, la récupération de la fonction systolique est plus rapide sous sévoflurane que sous propofol lorsque cette fonction est évaluée par la fraction de raccourcissement de surface. [97] Des observations similaires sont rapportées avec le desflurane et l’isoflurane. Des études récentes mais de faible effectif confirment une amélioration des performances myocardiques après chirurgie coronaire lorsque des halogénés comme le sévoflurane et le desflurane sont utilisés pendant toute l’anesthésie. Le type d’agent et la concentration à utiliser préférentiellement dans cette indication restent à préciser.
Les effets des agents halogénés sur les autres circulations périphériques ont été peu étudiés. Les agents halogénés altèrent la vasoréactivité de l’artère mésentérique à la noradrénaline et à l’acétylcholine. Plusieurs travaux rapportent une diminution du pH intramuqueux après administration d’halogénés comme le sévoflurane et l’isoflurane, suggérant une ischémie mésentérique dont l’origine (effets généraux ou locaux de l’agent halogéné, effet de la chirurgie et du saignement associé) n’est pas établie. [130] L’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane altèrent peu ou pas le débit sanguin hépatique, contrairement à ce qui est observé avec l’halothane. [72, 115, 148]
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