Résumé. – L’hypertension artérielle est la pathologie intercurrente la plus fréquente dont souffrent les malades adressés en milieu chirurgical. La finalité de la prise en charge de ces malades est de préserver leur pronostic fonctionnel afin de ne pas compromettre leur espérance de vie. Les modifications tensionnelles peret postopératoires qui menacent les opérés hypertendus ont des effets délétères bien établis qui rendent compte du risque d’atteinte du potentiel cellulaire myocardique, cérébral et rénal. Une attention particulière doit être portée aux trois temps pré-, per- et postopératoire qui conditionnent la maîtrise du risque opératoire.
L’hypertension artérielle ne constituant pas un facteur prédictif indépendant du risque opératoire, l’évaluation préopératoire doit rechercher les deux pathologies associées pouvant être à l’origine de complications postopératoires : l’insuffisance coronarienne et l’existence d’une pathologie athéroscléreuse des artères à destinée cérébrale.Le traitement antihypertenseur doit être adapté avant l’intervention. Alors que les médicaments interférant avec le système sympathique doivent être administrés avec la prémédication, les agents inhibant le fonctionnement du système rénine-angiotensine ne doivent pas être poursuivis jusqu’au matin de l’intervention.Il est également essentiel, pour limiter le risque opératoire chez l’hypertendu, de contrôler la cause principale des complications circulatoires périopératoires :les contraintes hémodynamiques et métaboliques qui caractérisent la période postopératoire.
La prévention de l’hypothermie, plusieurs techniques d’analgésie, intensives si besoin, et le recours à des médicaments qui limitent l’hyperactivité sympathique postopératoire comme les bêta bloquants et les alpha-2-agonistes permettent actuellement un contrôle satisfaisant de l’équilibre tensionnel postopératoire. Si malgré ces mesures surviennent des élévations tensionnelles postopératoires, elles doivent être traitées sans retard par des vasodilatateurs ou des bêtabloquants.
Mots-clés : Hypertension artérielle ; Équilibre circulatoire ; Risque opératoire ; Système rénine-angiotensine ; Système sympathique ; Inhibiteur de l’enzyme de conversion ; Bêtabloquants ; Infarctus du myocarde
Introduction
L’hypertension artérielle est la pathologie la plus fréquente dont souffrent les malades adressés en milieu chirurgical. L’enquête sur l’anesthésie en France réalisée en 1996 a révélé qu’un tiers des 8 millions d’anesthésies effectuées chaque année est réalisé chez des patients âgés de plus de 60 ans, population avec une forte prévalence d’hypertension artérielle. [14] C’est dire la fréquence avec laquelle le médecin anesthésiste réanimateur est confronté à la prise en charge d’un opéré hypertendu. Chez ces patients, la préparation à l’intervention, la conduite de l’anesthésie et des soins postopératoires doivent assurer une stabilité tensionnelle, pour limiter le risque de survenue de complications cardiovasculaires auxquelles ces malades sont plus particulièrement exposés. Par ailleurs, chez des opérés hypertendus qui reçoivent au long cours un traitement à visée cardiovasculaire, il est impératif de prendre en compte les interférences qui existent entre ces traitements et le retentissement circulatoire de l’anesthésie, les contraintes liées à la chirurgie et à la période opératoire, ainsi que les effets délétères potentiels de l’arrêt des traitements avant l’intervention.
Physiopathologie de l’hypertension artérielle
PAROI VASCULAIRE ET MICROCIRCULATION
Depuis 20 ans, la paroi vasculaire artérielle apparaît comme un déterminant essentiel dans la genèse de l’hypertension artérielle. L’augmentation des résistances vasculaires périphériques, caractéristique de l’hypertension, a d’abord été mise sur le compte d’une réponse excessive à la stimulation sympathique.
L’excès de contraction de la paroi de l’artériole s’explique en partie par l’hyperplasie des cellules musculaires lisses vasculaires et non par une élévation des capacités intrinsèques contractiles du muscle lisse. [10]Le « remodelage » vasculaire, c’est-à-dire une réorganisation du matériel vasculaire avec pour résultante une diminution du diamètre interne de l’artère, avec ou sans augmentation de l’épaisseur de la paroi artérielle en dehors de toute vasoconstriction, s’associe à l’hypertrophie pour expliquer l’augmentation des résistances artériolaires.
Cette atteinte altère les propriétés élastiques des artères et favorise l’apparition des lésions d’artériosclérose par diminution des flux nutritifs de la paroi artérielle.
La classification de l’hypertension artérielle essentielle s’est faite avant tout sur les chiffres de pression artérielle diastolique puis systolique. Aujourd’hui, l’analyse de la pression artérielle prend en compte deux valeurs : la pression artérielle moyenne (PAM) et la pression pulsée (PP), égale à la différence entre les pressions artérielles systoliques et diastoliques, encore appelée pression différentielle. [72]
La perte des propriétés élastiques au niveau des gros troncs artériels dans l’hypertension favorise l’augmentation de la pression pulsée. Une étude récente met en évidence une relation entre une pression moyenne élevée et l’apparition de complications cérébrales, tandis que l’épaississement et la rigidité des grosses artères (mesurés par l’élévation de la pression pulsée) sont en rapport avec une plus grande fréquence de complications cardiaques. [88] De la même manière, le niveau de pression pulsée est un bon indicateur du risque de complications cardiovasculaires chez l’hypertendu d’âge moyen tandis que l’on retrouve cette même relation entre le risque d’événements cardiovasculaires et le niveau de pression artérielle diastolique chez l’hypertendu de plus de 60 ans. [41]
L’atteinte du réseau microvasculaire est retrouvée dans la plupart des tissus, y compris les territoires cutanés et musculaires. [74] Cette atteinte d’installation progressive peut être fonctionnelle, secondaire à une vasoconstriction, ou structurelle par disparition du réseau microvasculaire. Elle est aussi responsable de l’augmentation des résistances vasculaires systémiques. [76]
L’atteinte de l’artériole située en amont du réseau capillaire est un des éléments essentiels dans la genèse de l’hypertension artérielle.
On peut donc résumer l’atteinte artérielle de l’hypertendu par :
– un tonus vasoconstricteur anormalement élevé secondaire à une hypertonie sympathique ;
– un remodelage hypertrophique de la paroi vasculaire favorisant une augmentation du tonus vasoconstricteur et une diminution du diamètre responsable de l’élévation des résistances ;
– une raréfaction du réseau microcirculatoire qui participe de manière non négligeable à l’élévation des résistances.
RETENTISSEMENTS HÉMODYNAMIQUES DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE
Parallèlement à l’élévation des résistances dans le territoire artériel, l’augmentation du tonus dans le système veineux capacitif redistribue le sang vers le territoire cardiopulmonaire.
Il en résulte une augmentation de la pression transmurale de distension ventriculaire gauche qui entraîne une élévation de précharge ventriculaire gauche.
Ces modifications rendent compte de l’accroissement du volume d’éjection systolique fréquemment observé au premier stade de l’hypertension artérielle.Les valeurs calculées de résistances vasculaires systémiques sont normales ; en fait, ces valeurs sont inadaptées puisqu’elles aboutissent à une élévation pathologique de la pression artérielle. Secondairement, une hypovolémie apparaît et le débit cardiaque se normalise, alors que le tonus veineux reste inchangé. [84] Ainsi, dans la majorité des hypertensions artérielles essentielles, et ce d’autant qu’elles sont plus anciennes, le débit cardiaque n’est pas augmenté et les résistances vasculaires sont élevées.
Au niveau myocardique, l’hypertension entraîne un accroissement de l’épaisseur de la paroi et une diminution du volume de la cavité ventriculaire gauche. La cardiopathie hypertrophique secondaire à une hypertension artérielle est plus volontiers concentrique. Ses répercussions sur la fonction ventriculaire sont loin d’être négligeables. La fonction systolique ventriculaire gauche est préservée, le ventricule paraît hypercontractile alors qu’en réalité, il est hyperdynamique. De ce fait, la fraction d’éjection ventriculaire gauche est améliorée. L’altération principale de la fonction ventriculaire gauche secondaire à l’hypertension porte sur la fonction diastolique.
Les anomalies du remplissage ventriculaire gauche résultent à la fois de troubles de la compliance et d’anomalies de la relaxation. L’altération de la distensibilité ventriculaire gauche est la conséquence d’une rigidité du muscle cardiaque et d’une augmentation de la masse myocardique ventriculaire gauche. Une altération des propriétés élastiques du myocarde secondaire à la fibrose et une désorganisation cellulaire peuvent participer à l’altération de la distensibilité. Parallèlement à ces troubles de la distensibilité, la cardiopathie hypertrophique altère la relaxation isovolumétrique, qui se trouve prolongée. La vitesse et le volume de remplissage rapide sont diminués et la composante atriale du flux de remplissage ventriculaire gauche devient prépondérante (inversion du rapport E/A des flux transmitraux) (Fig. 1). [1]
De plus, l’existence d’une hypertrophie ventriculaire est corrélée à une augmentation de la mortalité. [20] La dysfonction diastolique a aussi été identifiée comme un élément essentiel dans la survenue d’oedème aigu du poumon au cours de l’accès hypertensif avec fonction systolique du ventricule gauche conservée. [28]
SYSTÈMES NEUROHUMORAUX RÉGULATEURS DE LA PRESSION ARTÉRIELLE
Plusieurs systèmes neurohumoraux jouent un rôle majeur dans le contrôle des conditions de charge et des performances de la pompe cardiaque. Le système sympathique et le système rénineangiotensine (SRA) sont les deux composantes principales des grandes boucles de régulation assurant le niveau de pression artérielle. Par ailleurs, ces systèmes sont largement sollicités dans le cadre de la période opératoire pour permettre à l’organisme de limiter les contraintes hémodynamiques imposées par l’anesthésie, les stimuli chirurgicaux et le saignement peropératoire.
Système nerveux autonome
Le système sympathique intervient au travers des arcs réflexes via les barorécepteurs haute et basse pressions qui modulent le tonus sympathique. Ils sont principalement freinateurs. Les barorécepteurs haute pression sont des mécanorécepteurs situés dans le sinus carotidien et dans la crosse de l’aorte. Les barorécepteurs basse pression sont souvent désignés sous le terme de barorécepteurs cardiopulmonaires et sont activés notamment par les variations du volume ventriculaire. C’est le noyau du tractus solitaire qui reçoit toutes les afférences des barorécepteurs artériels et cardiopulmonaires ; il est essentiellement constitué de neurones noradrénergiques. Ces efférences sont les neurones vagaux des noyaux ambigus et moteurs du vague ; ils inhibent les neurones sympathoexcitateurs et activent les neurones sympatho-inhibiteurs. [21] Les anomalies de l’arc réflexe, très fréquemment retrouvées chez les patients hypertendus, participent à l’étiopathogénie des élévations tensionnelles. La stimulation des barorécepteurs par une élévation de la pression artérielle produit un effet inhibiteur sur les centres vasomoteurs bulbaires, qui s’exprime essentiellement par une diminution de l’activité sympathique efférente entraînant une réduction de la pression artérielle. Chez l’hypertendu, cet effet sympathodépresseur d’une élévation tensionnelle est émoussé. Il existe de plus une élévation du seuil de pression artérielle à partir duquel sont mis en jeu ces mécanismes réflexes. Cette particularité,constante dans la maladie hypertensive, traduit l’existence d’un réajustement du baroréflexe vers un niveau de pression artérielle plus élevé, qui correspond à un déplacement de la courbe de réponse du baroréflexe. [11, 34]
Parallèlement au déficit du rétrocontrôle, on remarque que chez le rat hypertendu les artérioles ont une sensibilité accrue aux vasoconstricteurs et au calcium associée à une affinité augmentée des récepteurs alpha-adrénergiques des muscles lisses vasculaires. [60] On retrouve aussi une plus grande densité de fibres sympathiques périvasculaires. [73] Ces éléments peuvent ainsi expliquer l’hyperréactivité sympathique du sujet hypertendu.
Système rénine-angiotensine
Le SRA est, avec le système nerveux autonome, l’un des principaux systèmes régulateurs de la pression artérielle.
À la différence du système sympathique, essentiellement activé par les stimulations nociceptives de l’intubation et de la chirurgie, le SRA est mis en jeu par toute baisse du retour veineux, qu’elle résulte d’une hypovolémie ou des effets sur le système capacitif et, à un moindre degré, résistif des agents d’anesthésie ou des anesthésies rachidiennes [56] (Fig. 2).
Au cours d’expérimentations animales et d’études réalisées chez les volontaires sains, les inhibiteurs du SRA ont entraîné une baisse significative de la pression artérielle s’ils étaient administrés lors d’une anesthésie rachidienne ou lors d’une anesthésie générale entretenue par des halogénés. Une baisse tensionnelle plus modérée a été notée si ces agents étaient administrés lors d’une anesthésie légère, ou entretenue par des agents qui retentissent peu sur la charge ventriculaire gauche comme les morphiniques. Le SRA est puissamment activé par toute baisse de la pression artérielle. Le SRA est surtout stimulé par la baisse du retour veineux, secondaire à une hypovolémie vraie ou relative. Cette activation est essentielle durant une anesthésie générale ou péridurale car l’angiotensine et la vasopressine ne deviennent prépondérantes que lors des situations de faible tonus sympathique et au cours des régimes désodés. De ce fait, le SRA joue un rôle important dans l’équilibre tensionnel peranesthésique. L’effecteur de ce système est l’angiotensine II, peptide actif de huit acides aminés, qui agit au niveau de récepteurs situés sur les cellules musculaires lisses et la cellule myocardique. L’activation du SRA met en jeu une cascade de réactions à partir de trois protéines : la rénine, l’angiotensinogène, et l’enzyme de conversion de l’angiotensine. La rénine, stockée dans les granules des cellules myoépithéliales des artérioles afférentes au glomérule, est sécrétée en réponse à divers stimuli : diminution de la pression de perfusion rénale, baisse de la charge en sel du néphron distal, stimulation du système bêta-adrénergique.
Longtemps décrit comme un système endocrine, il est maintenant clairement démontré qu’il existe une production tissulaire locale d’angiotensine dans différents organes et notamment le rein et les vaisseaux, en parallèle d’un système circulant dans lequel l’angiotensine est formée dans le sang.
Ces notions ont des répercussions pratiques majeures car, pour interpréter correctement les effets d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion sur le SRA, il importe de tenir compte à la fois de ses effets systémiques et tissulaires.
Pour preuve, il est actuellement démontré que les tissus périphériques constituent la source principale d’angiotensine, et que l’angiotensine plasmatique ne reflète pas exactement la production totale de ce peptide par l’organisme. On retrouve d’ailleurs dans le sang veineux des concentrations d’angiotensine I et d’angiotensine II trop importantes pour être attribuées à une production sanguine. En outre, on a pu mettre en évidence plus directement, sur un organe isolé, une production tissulaire locale d’angiotensine II. Enfin, le fait que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) soient des antihypertenseurs efficaces même quand l’activité rénine plasmatique est normale, évoque l’existence d’une activité tissulaire du SRA. L’angiotensine II augmente la pression artérielle par plusieurs effets directs et indirects. L’augmentation du tonus des systèmes résistif et capacitif résulte d’un effet direct, la présence de récepteurs à l’angiotensine ayant été démontrée à ce niveau.
L’angiotensine II augmente le tonus de l’ensemble du système vasculaire en agissant sur les fibres musculaires lisses qui sont une de ses cibles privilégiées. Elle induit ainsi une puissante vasoconstriction qui touche tous les territoires artériels, y compris le territoire coronaire. L’élévation de la pression artérielle résulte alors non seulement d’une augmentation des résistances périphériques mais aussi d’une diminution de la compliance des grosses artères.
Par un effet direct sur le myocyte cardiaque, l’angiotensine II augmente l’inotropisme qui, par ailleurs, est encore majoré par l’élévation de la précharge résultant de la vasoconstriction du système veineux capacitif.
L’angiotensine II permet également d’élever la pression artérielle par plusieurs effets indirects :
– elle a un effet potentialisateur du système sympathique, majorant son tonus et son efficacité, notamment au niveau cardiaque ;
– elle a un effet facilitateur présynaptique, augmentant la libération de la noradrénaline des granules de stockage et elle inhibe le recaptage de la noradrénaline dans les granules, réalisant un mécanisme facilitateur post-synaptique.
PEPTIDES VASOACTIFS
Arginine-vasopressine
La vasopressine est sécrétée dans le système porte hypophysaire.
Elle est impliquée dans la régulation du volume sanguin circulant, et de la pression artérielle via la stimulation des récepteurs V1 (cardiovasculaire), V2 (rénal) et V3 (pituitaire). La vasopressine joue un rôle important dans le contrôle tensionnel, au cours de l’hémorragie, de la déshydratation, de la chirurgie et de l’insuffisance cardiaque. La vasopressine est l’une des substances les plus vasoconstrictrices. Elle contribue à la physiopathogénie de l’hypertension artérielle, de l’artériosclérose et de la défaillance cardiaque. Cependant, les antagonistes spécifiques des récepteurs V1 à la vasopressine ne permettent pas d’obtenir une baisse significative de la pression artérielle.
Endothélines
Les endothélines sont des peptides vasoactifs au même titre que la vasopressine, le facteur atrial natriurétique ou le peptide vasoactif intestinal. Identifiée en 1988, l’endothéline est le plus puissant vasoconstricteur connu. Principalement produite dans l’endothélium, en plus de ses propriétés vasoconstrictrices elle est aussi inotrope positive, chronotrope positive, bronchoconstrictrice et favorise la libération des autres médiateurs vasoactifs (vasopressine, rénine et système sympathique).
Les récepteurs à l’endothéline sont les nouvelles cibles thérapeutiques dans le traitement des maladies cardiovasculaires dont l’hypertension et l’insuffisance cardiaque.
Le bosentan, antagoniste non sélectif des récepteurs à l’endothéline (ET-A et ET-B) a montré une efficacité similaire à l’énalapril. [43]
GÉNÉTIQUE ET HYPERTENSION ARTÉRIELLE
Bien que différents gènes et facteurs génétiques aient été reliés au développement de l’hypertension artérielle essentielle, il est extrêmement difficile de déterminer avec précision la contribution relative de chacun de ces gènes. Néanmoins, l’hypertension est deux fois plus fréquente chez les patients qui ont des parents atteints, et de nombreuses études épidémiologiques suggèrent que les facteursgénétiques expliquent 30 % des variations de pression artérielle dans la population. Quelques mutations génétiques spécifiques peuvent rarement être la cause de l’hypertension. L’augmentation de l’angiotensine plasmatique a été rapportée chez les patients hypertendus et chez les enfants de patients hypertendus. [5]
Anesthésie de l’opéré hypertendu
PRÉPARATION DU MALADE HYPERTENDU À L’INTERVENTION
Évaluation préopératoire
L’hypertension artérielle est un facteur de risque largement démontré de la pathologie ischémique cérébrale et cardiaque.
De nombreuses études épidémiologiques ont clairement mis en évidence la relation linéaire qui existe entre le niveau de pression artérielle et la fréquence de survenue des accidents vasculaires cérébraux ou des accidents coronariens. Ces études ont confirmé que la baisse de la pression artérielle à une valeur optimale diminue de façon significative la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez les malades hypertendus. [5, 15, 51] Chez les sujets âgés [80], la pression pulsée est un facteur prédictif des complications cardiovasculaires plus fiable que le niveau de pression artérielle systolique ou de pression artérielle diastolique.
Les malades présentant une hypertension artérielle systolique (pression systolique > 160 mmHg associée à une pression artérielle diastolique < 90 mmHg) qui ont donc une pression pulsée élevée ont un risque majoré de souffrir de lésions vasculaires. Chez ces malades, un traitement antihypertenseur qui réduit la pression artérielle limite de façon significative le risque d’accident vasculaire cérébral, de troubles cognitifs et d’insuffisance cardiaque. [80]
En chirurgie cardiaque, les opérés souffrant d’une hypertension artérielle systolique avec pression artérielle systolique > 180 mmHg, sont plus particulièrement exposés au risque d’accidents vasculaires cérébraux après chirurgie sous circulation extracorporelle. [67]
Ces considérations influencent-elles le risque opératoire chez les opérés hypertendus ?
Une étude ancienne, réalisée il y a plus de 15 ans, a montré que le risque opératoire était majoré chez les opérés hypertendus dont la pression artérielle diastolique était anormalement élevée avant l’intervention. [32, 65] Une étude plus récente suggère que l’hypertension artérielle est un facteur de risque cardiovasculaire chez les opérés de chirurgie non cardiaque. [25]Cependant, il faut noter que dans la plupart des études recherchant les facteurs de risque cardiovasculaire chez les opérés de chirurgie non cardiaque, l’hypertension artérielle n’est pas un facteur prédictif indépendant de survenue de complications cardiaques postopératoires. En particulier, il n’existe aucune corrélation directe entre le niveau de pression artérielle préopératoire et le risque cardiovasculaire en chirurgie non cardiaque, [39] ce qui suggère que la pathologie associée qui résulte de l’évolution au long cours de l’hypertension artérielle a un effet pronostique plus important que le niveau de pression artérielle du malade. Ceci n’est pas surprenant si l’on tient compte du fait que la pression artérielle mesurée à l’admission du malade en milieu chirurgical, ou avant l’intervention n’est pas un reflet fidèle de la pression artérielle habituelle de l’opéré. La pression artérielle prise en milieu hospitalier est généralement plus élevée que la pression artérielle retrouvée à l’état basal chez le malade. [32Il est cependant communément admis de récuser pour une intervention chirurgicale non urgente les opérés dont la pression artérielle diastolique est supérieure à 110 mmHg, afin de permettre d’instituer un traitement antihypertenseur. Une méta-analyse regroupant 24 études a recherché par une analyse logistiquesi l’hypertension artérielle était un facteur prédictif indépendant de la survenue de complications cardiaques postopératoires.Cette étude retrouve une morbidité et mortalité cardiaques après chirurgie générale majorées de 25 % chez les opérés hypertendus ; cependant cette différence n’est pas un facteur prédictif indépendant de la survenue de complications cardiorespiratoires postopératoires, ce qui indique que d’autres facteurs de risque, fréquemment associés à l’hypertension artérielle, en particulier l’insuffisance coronarienne ou l’insuffisance cardiaque, sont des facteurs prédictifs plus spécifiquement associés à une élévation du risque. [36]
Ainsi, rares sont les études de la littérature mettant en évidence l’hypertension artérielle comme un facteur aggravant le risque cardiaque et cérébral de la chirurgie générale. [12, 52] Si ce risque a pu être évoqué dans certaines études, [36, 39] il n’apparaît pas dans celles réalisées dans la dernière décennie. [38]
Évaluation du risque opératoire
Le temps préopératoire est une étape particulièrement importante de la prise en charge des opérés souffrant d’une hypertension artérielle. Cette prise en charge, pour être rationnelle, doit prendre en compte plusieurs données qui guident de façon précise l’examen clinique préopératoire, la conduite à tenir avec les traitements médicamenteux pris par l’opéré et la prescription d’examens complémentaires.
Évaluation du risque lié à l’hypertension artérielle
La première étape consiste à évaluer les chiffres de pression artérielle et la stabilité de la symptomatologie hypertensive, à conduire un examen clinique et à faire un électrocardiogramme (ECG) de repos.
Il faut ensuite rechercher toutes les pathologies sous-jacentes, fréquemment associées à la maladie hypertensive, en particulier les pathologies coronaires, cérébrales, rénales et oculaires. Les études épidémiologiques montrent que le risque opératoire de l’opéré hypertendu est essentiellement lié à la maladie coronarienne, fréquemment associée à l’hypertension artérielle.
Il faut en particulier relever les signes cliniques qui ont été identifiés dans la littérature comme étant des facteurs de risque prédictifs indépendants de la survenue de complications cardiaques postopératoires chez les opérés à risque cardiovasculaire, comme les opérés hypertendus : l’âge de plus de 65 ans, l’existence d’antécédents de maladie coronarienne patente comme un infarctus du myocarde ou un angor d’effort, un diabète, une mauvaise tolérance aux efforts de la vie quotidienne, un antécédent de poussée d’insuffisance ventriculaire gauche et l’existence d’une hypertension artérielle mal contrôlée. La présence sur l’ECG de repos de troubles de la repolarisation de type ischémique ou de plus de cinq extrasystoles ventriculaires (ESV) par minute, une cardiomégalie sur la radiographie thoracique, sont autant d’éléments qui aggravent le risque de survenue de complications cardiaques périopératoires.
Lorsqu’il existe des signes témoignant de l’évolutivité de la maladie coronaire, infarctus de moins de 6 mois, angor instable, l’intervention chirurgicale doit être différée. En cas d’urgence chirurgicale, un monitorage cardiaque invasif et un contrôle hémodynamique très strict réalisés en unité de réanimation pendant les 3 premiers jours postopératoires limitent la morbidité périopératoire. En l’absence de signes cliniques d’insuffisance coronaire qui imposerait le recours à une évaluation plus précise, la deuxième étape consiste à évaluer le risque de complications postopératoiresdu patient en fonction des données de l’examen et de l’intervention chirurgicale programmée. La principale complication cardiovasculaire postopératoire qu’il faut prendre en compte est le dommage myocardique. La survenue d’épisodes d’ischémie myocardique périopératoire est majorée chez les opérés hypertendus. Elle est particulièrement élevée chez les opérés dont la pression artérielle n’est pas parfaitement contrôlée par un traitement médical adapté avant l’intervention. [59, 81]
Le dommage myocardique auquel expose l’insuffisance coronaire recouvre un large spectre allant de la nécrose de seulement quelques cellules cardiaques à l’infarctus antérieur étendu. Le dosage postopératoire du taux de troponine Ic, marqueur hautement spécifique du dommage myocardique postopératoire permet de quantifier l’étendue du territoire myocardique touché par un processus ischémique irréversible pendant la période opératoire.
La viabilité des cellules myocardiques étant le principal facteur qui conditionne l’espérance de vie des coronariens, plus le dommage myocardique périopératoire est important, plus les contraintes de la période opératoire retentiront sur l’espérance de vie du malade coronarien. À la morbidité postopératoire immédiate, il faut donc adjoindre la mortalité élevée dans les 2 à 3 ans qui font suite à la chirurgie chez le patient coronarien.
La fréquence de survenue des complications postopératoires dans l’institution doit également être prise en compte si l’on se réfère au théorème établi par Bayes qui veut que les résultats d’un score de gravité et/ou d’un test prédictif dépendent de la prévalence d’une pathologie et de l’incidence des complications dans la population testée.Pour un score donné, le risque de survenue d’une complication postopératoire est d’autant plus élevé (et ce de façon exponentielle) que le risque moyen associé à la chirurgie dans l’institution est important.
Le recours à des examens complémentaires permettant une meilleure stratification du risque de l’opéré hypertendu n’est indiqué que si ces examens ont un réel pouvoir discriminant, c’està- dire si le risque cardiaque de l’intervention évalué à partir de l’examen clinique et de l’incidence des complications cardiaques pour l’intervention considérée est supérieur à 5 %.Plusieurs examens ont été proposés chez les opérés à risque coronaire.
L’ECG d’effort : cet examen doit être évité chez les patients ayant une hypertension artérielle mal contrôlée. Il est de réalisation difficile, voire impossible chez les sujets souffrant d’une artérite des membres inférieurs. Lorsque cet examen est possible, l’intensité de l’effort développé par le malade est un élément pronostique de grande valeur.
La scintigraphie au thallium : l’intérêt de la scintigraphie pour évaluer le risque coronaire postopératoire a été initialement rapporté chez des patients de chirurgie vasculaire ayant une forte suspicion clinique ou électrocardiographique d’insuffisance coronaire, c’est-àdire dans une population où la prévalence de la maladie coronaire est très élevée. Cependant, cet examen a une valeur prédictive insuffisante pour évaluer le risque de complications cardiaques postopératoires chez les opérés peu symptomatiques.
L’échographie cardiaque permet, lorsque l’ECG est d’interprétation difficile, de mieux localiser une nécrose myocardique ancienne et d’en préciser l’étendue. Elle ne détecte pas les territoires myocardiques à risque d’ischémie. Aucune étude n’a validé sa fiabilité pour évaluer le risque opératoire. L’échocardiographie de stress à la dobutamine sensibilisée au dipyridamole a été préconisée pour mieux stratifier le risque opératoire des patients souffrant d’une pathologie coronaire latente. C’est un examen particulièrement riche d’informations, qui n’a fait la preuve de son efficacité que dans des populations strictement sélectionnées.
ANESTHÉSIE ET MÉDICAMENTS ANTIHYPERTENSEURS
La très grande majorité des opérés hypertendus arrivent à l’intervention avec un traitement ayant permis la normalisation des chiffres tensionnels. Les interférences entre l’effet de ces traitements cardiovasculaires et l’anesthésie doivent être prises en compte pour la préparation de l’opéré à l’intervention. Plusieurs études ont analysé de façon spécifique les modifications cardiovasculaires provoquées par l’induction et l’entretien de l’anesthésie chez les opérés sous traitement bêtabloquant ou inhibiteur calcique, prescrit au long cours pour une hypertension artérielle chronique ou une insuffisance coronaire. [68] Dans certains travaux, ces médicaments étaient même administrés en dehors de tout traitement au long cours, dans le seul but d’assurer la prévention des modifications circulatoires et des épisodes d’ischémie myocardique induits par l’intubation et les contraintes chirurgicales chez les patients à risque. [83]
Toutes ces études ont démontré l’intérêt d’administrer lors de la prémédication le traitement bêtabloquant et/ou inhibiteur calcique pris habituellement par l’opéré. [37] Lorsque les IEC ont été commercialisés, l’attitude prise chez les opérés recevant un bêtabloquant a été conservée, et les IEC ont été administrés le matin de l’intervention chirurgicale. Très rapidement, plusieurs cas cliniques ont été rapportés dans la littérature, signalant que les opérés sous traitement par IEC étaient menacés de baisses parfois notables de la pression artérielle pendant l’anesthésie.[57] Ainsi, les interférences bénéfiques démontrées entre les bêtabloquants et l’anesthésie ne pouvaient être extrapolées aux IEC.
Chez les opérés hypertendus essentiels traités au long cours par des médicaments antihypertenseurs, la décision de poursuite du traitement jusqu’au matin de l’intervention (ou de l’arrêter avant induction) repose sur la réponse à trois questions :
– existe-t-il un risque d’accès hypertensif préopératoire en cas d’arrêt du traitement ?
– la poursuite du traitement jusqu’à la prémédication assure-t-elle la prévention des accès hypertensifs périopératoires ?
– quel est le risque d’hypotension artérielle sous anesthésie lorsque le traitement est poursuivi ?
Bêtabloquants
Administrés avant l’anesthésie, les bêtabloquants limitent de façon très significative le retentissement cardiovasculaire des stimuli nociceptifs de la chirurgie et les contraintes métaboliques postopératoires.
Par leur effet central, ils pourraient limiter le tonus sympathique pendant les temps à risque de la période opératoire. Par ailleurs, ces agents ne majorent pas les effets hypotenseurs de l’anesthésie générale. Dans toutes les études où les bêtabloquants ont été administrés à titre préventif pendant la période opératoire pour limiter la survenue d’événements ischémiques, aucune anomalie circulatoire n’a été notée chez les patients ayant reçu un bêtabloquant. [90, 91] En particulier, la fréquence de survenue des épisodes d’hypotension artérielle n’a pas été majorée. C’est pourquoi les bêtabloquants peuvent être administrés avec une relative sécurité dans le cadre de la période opératoire. Chez les opérés de chirurgie vasculaire souffrant d’une hypertension artérielle mal contrôlée, l’administration préopératoire de bêtabloquants de longue durée d’action a permis de limiter l’élévation tensionnelle et la tachycardie qui caractérisent l’intubation et la période de réveil. Parallèlement, le nombre d’épisodes ischémiques contemporains de ces deux temps à risque était très significativement diminué [53, 90].
Les bêtabloquants administrés par voie intraveineuse, puis par voie orale dès que le transit abdominal a repris, exercent également leurs effets bénéfiques dans les jours qui suivent l’intervention. Dans une étude récente, un traitement bêtabloquant préventif a été institué tout au long de la période opératoire à des opérés de chirurgie générale ayant des facteurs de risque coronaire : de l’aténolol, bêtabloquant de longue durée d’action, est administré par voie intraveineuse avant l’intervention et pendant les premiers jours postopératoires puis par voie orale jusqu’au 6e jour postopératoire. [53] L’enregistrement continu de l’électrocardiogramme par méthode de Holter réalisé dans cette étude confirme que l’administration préventive de bêtabloquants (aténolol) diminue de moitié l’incidence des épisodes d’ischémie myocardique postopératoire. Chez des opérés de chirurgie générale à haut risque cardiovasculaire, puisqu’ils ont développé des akinésies segmentaires ischémiques à l’échocardiographie de stress réalisée lors du bilan préopératoire, un autre bêtabloquant de longue durée d’action, le bisoprolol, a fait la preuve de son efficacité pour diminuer la survenue de complications coronaires postopératoires. [62]
Dans l’étude « Aténolol », [53] l’incidence des complications postopératoires notées à la sortie de l’hôpital n’est pas différente dans le groupe de patients bêtabloqués et dans le groupe placebo. La survenue de complications coronaires dans l’année qui fait suite à l’intervention chirurgicale est très significativement diminuée chez les opérés ayant été bêtabloqués pendant la semaine de leur intervention. Le suivi des patients 2 années après l’intervention démontre que la survie est améliorée chez ceux qui reçoivent de l’aténolol (90 % comparé à 79 % dans le groupe placebo). De même, il existe un pourcentage plus élevé de malades indemnes de tout événement cardiovasculaire chez les opérés ayant reçu le bêtabloquant (83 % versus 68 %). Ainsi, les interférences entre les bêtabloquants et le retentissement circulatoire de la période opératoire sont beaucoup plus bénéfiques que délétères. Les opérés bénéficient pleinement des effets favorables de ces médicaments sur la balance énergétique du myocarde, sans que leur état circulatoire soit menacé. Ces effets bénéfiques améliorent à moyen et long termes le risque cardiaque lié à l’anesthésie.
Il faut cependant noter que l’administration préventive de bêtabloquants, si elle procure à l’opéré une parfaite stabilité hémodynamique postopératoire avec en particulier un contrôle adapté de la fréquence cardiaque, ne limite pas la décharge catécholergique postopératoire dont elle prévient les manifestations circulatoires. De ce fait, les taux d’adrénaline et de noradrénaline plasmatiques demeurent très élevés au cours de la période postopératoire chez les opérés ayant reçu un bêtabloquant à titre préventif. On peut craindre que ces taux élevés de catécholamines plasmatiques, ne majorent l’agrégabilité plaquettaire qui joue un rôle non négligeable dans l’étiopathogénie des complications coronariennes postopératoires. [70]
Inhibiteurs calciques
Le principal effet des inhibiteurs calciques est de produire une vasodilatation artérielle. Cet effet réduit la postcharge et améliore l’éjection ventriculaire. [58] La précharge est peu diminuée car la veinodilatation est minime et la baisse de l’inotropisme est compensée par la baisse de la postcharge. Ceci explique l’excellente tolérance des inhibiteurs calciques durant la période périopératoire. Les dihydropyridines préservent la contractilité myocardique in vivo. Données avant l’induction, elles permettent le contrôle de la pression artérielle pendant l’intubation et le stress chirurgical, sans compromettre l’hémodynamique peranesthésique. Toutefois, elles induisent une vasodilatation qui va activer les barorécepteurs et donc stimuler le système sympathique. [26] Cet effet peut être potentiellement délétère avec les dihydropyridines de courte durée d’action chez les patients coronariens. Cet effet délétère doit exister également chez l’opéré, comme le suggère la découverte d’une association significative entre l’ischémie postopératoire et le blocage des canaux calciques.
Le vérapamil permet de diminuer la tachycardie et l’hypertension associées à l’intubation et au réveil de l’anesthésie. Ces deux phénomènes représentent un réel danger pour les patients coronariens et les patients opérés d’endartériectomie carotidienne.
Les effets inotropes négatifs du vérapamil et de l’halothane sont additifs, et ont pour résultante une dépression significative de la contractilité. [40] C’est pour cette raison qu’il faut recommander l’usage d’isoflurane, de desflurane ou de sévoflurane chez les patients traités par vérapamil. En présence de vérapamil, les effets du fentanyl et de l’isoflurane s’additionnent mais ne se potentialisent pas.
Le chlorure de calcium antagonise les effets dépresseurs sur l’inotropisme mais non les effets chronotropes négatifs induits par l’association des inhibiteurs calciques et des agents anesthésiques halogénés [46].
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion
Les IEC se comportent essentiellement comme des vasodilatateurs touchant à la fois les systèmes résistif et capacitif. L’effet veinodilatateur des IEC doit être souligné car il joue un rôle important dans les effets circulatoires de ces agents. Il apparaît donc que les IEC limitent le mécanisme régulateur de la pression artérielle, chargé sous anesthésie de s’opposer aux baisses du retour veineux, alors même que ces antihypertenseurs ont un effet marqué sur le tonus du système capacitif. La présence d’une cardiopathie hypertrophique fréquente chez les hypertendus essentiels majore les conséquences de cette baisse de retour veineux sur le remplissage et l’éjection ventriculaire gauche.
Chez l’opéré hypertendu ou insuffisant cardiaque, l’arrêt d’un traitement par IEC n’expose pas à un effet rebond. Aucun risque d’accès hypertensif, d’insuffisance ventriculaire gauche congestive ou d’accident ischémique n’est à craindre dans les jours qui suivent l’arrêt d’un traitement par IEC. [16]
Lorsque le traitement par IEC est poursuivi jusqu’au matin de l’intervention, les opérés n’en tirent aucun bénéfice en termes de stabilité hémodynamique. En effet, la poursuite du traitement ne limite pas les élévations de pression artérielle induites par les stimuli nociceptifs de l’intubation et de la chirurgie et n’assure pas la prévention des accès hypertensifs postopératoires.
En revanche, la poursuite du traitement par IEC jusqu’au matin de l’intervention majore de façon significative les effets hypotensifs de l’anesthésie générale, exposant dans certains cas à la survenue d’un collapsus à l’induction ou pendant l’acte chirurgical (Tableau 1). Ces épisodes d’hypotension artérielle résultent essentiellement d’un effondrement de la précharge.
L’effet hypotensif est particulièrement marqué chez les opérés qui reçoivent l’IEC pour le traitement d’une hypertension artérielle, en raison de l’altération de la compliance ventriculaire gauche associée à la cardiopathie hypertensive. En revanche, chez les opérés souffrant d’une insuffisance ventriculaire gauche congestive, l’effet hypotensif de l’anesthésie est limité par le couplage ventriculoartériel (Fig. 2).
Il faut également souligner que la poursuite du traitement par IEC prive le rein d’un mécanisme compensateur essentiel mis en jeu face à une baisse de pression artérielle. Ainsi, en cas de blocage du SRA, toute baisse de la pression artérielle expose à une dégradation postopératoire de la fonction rénale. [13]
En fonction de ces considérations, on peut définir les recommandations suivantes chez les opérés traités au long cours par IEC. Chez l’opéré hypertendu, que l’intervention soit réalisée sous anesthésie générale ou rachidienne, le captopril doit être arrêté 12 heures avant l’anesthésie, et les IEC de plus longue durée d’action, 24 heures avant l’intervention. Le délai doit être augmenté très significativement chez les opérés dont la fonction rénale est altérée. L’insuffisance rénale chronique expose à une accumulation d’énalapril ou de lisinopril avec des effets prolongés malgré l’arrêt du traitement. Chez l’opéré insuffisant cardiaque, l’arrêt du traitement par IEC favorise l’équilibre tensionnel, qui conditionne la pression de perfusion, au détriment de la fonction ventriculaire gauche.
Antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II)
Cette nouvelle classe thérapeutique d’antihypertenseurs permet d’obtenir une action plus spécifique sur le SRA en bloquant les récepteurs de l’angiotensine II avec pour résultat une augmentation de l’angiotensine II circulant et un niveau plasmatique normal de bradykinine.
En raison d’une action plus spécifique, le blocage du SRA paraît meilleur. De la même manière que pour les IEC, les patients traités par ARA II sont exposés à la survenue d’épisodes hypotensifs importants pouvant résister aux vasoconstricteurs habituels comme l’éphédrine et la phényléphrine après l’induction de l’anesthésie générale. En dernier recours, la terlipressine, puissant vasoconstricteur agoniste du système ADH-vasopressine peut être utilisée. Ces épisodes se répètent volontiers au cours de l’anesthésie.
Globalement, les interférences avec l’anesthésie de l’hypertendu traité par ARA II sont considérées comme superposables à celles des IEC ; [7] ces médicaments ayant tous une demi-vie prolongée d’au moins 12 heures, il est fortement recommandé d’interrompre au minimum 24 heures avant l’intervention un traitement par ARA II chez des patients adressés pour une intervention chirurgicale sous anesthésie générale ou rachidienne. [9]
Urapidil
Il s’agit d’un antihypertenseur administrable par voie intraveineuse. Son mécanisme d’action repose sur l’inhibition des récepteurs alpha-1 post-synaptiques aux niveaux central et périphérique. [29] Il se distingue de la prazosine par son action sur les récepteurs 5HT1 sérotoninergiques, ce qui a pour conséquence une baisse du tonus sympathique et une élévation du tonus parasympathique. Cette propriété explique l’absence de tachycardie réflexe lors de la baisse de pression artérielle après urapidil.
Il n’existe pas de phénomène de tachyphylaxie ni d’effet rebond à l’arrêt de la perfusion. L’absence d’élévation de la pression intracrânienne le fait recommander lors de l’extubation en neurochirurgie. L’absence de tachycardie réflexe a un intérêt chez le coronarien. La baisse du tonus vasculaire, de la pression artérielle pulmonaire d’occlusion et de la surface télédiastolique du ventricule gauche, admis comme indice de précharge, est le reflet d’un blocage des récepteurs alpha-1.
Anesthésie et hypertension artérielle
PRINCIPES DE LA PRISE EN CHARGE PEROPÉRATOIRE
La prémédication est recommandée chez les opérés hypertendus, pour éviter une élévation tensionnelle en réponse à l’anxiété préopératoire.
Cette élévation tensionnelle préopératoire majore la réponse tensionnelle à l’induction.En revanche, chez l’hypertendu, plusieurs facteurs s’additionnent pour favoriser la survenue, au cours ou au décours de la chirurgie, de modifications souvent importantes (accès hypertensifs ou hypotensions importantes). Ces événements hémodynamiques, dont les effets délétères sont bien établis, rendent compte du risque cardiovasculaire périopératoire chez ces malades.
En peropératoire, il est indispensable de maintenir une pression artérielle permettant une perfusion tissulaire adaptée.
Il faut aussi éviter toute accélération délétère de la fréquence cardiaque. Les nouveaux agents anesthésiques, volatils ou intraveineux, ont un effet dépresseur myocardique négligeable. Ils permettent, lorsqu’ils sont associés à une utilisation rationnelle des vasopresseurs, des bêtabloquants et des nouveaux solutés de remplissage, d’assurer une parfaite stabilité circulatoire chez les opérés hypertendus.
Les médicaments d’anesthésie ayant un effet de plus en plus modéré sur l’équilibre circulatoire, les modifications tensionnelles de l’anesthésie sont essentiellement secondaires aux interactions entre les médicaments cardiovasculaires pris par l’opéré et les deux systèmes de régulation de la pression artérielle.
Le blocage du système sympathique secondaire à la prise de bêtabloquants, ou sa modulation par les médicaments alpha-2-agonistes, ne majore pas le risque d’hypotension artérielle pendant l’anesthésie, et a même de nombreux effets bénéfiques comme la prévention des épisodes d’ischémie myocardique périopératoire. En revanche, les médicaments qui interfèrent avec l’autre système régulateur de la pression artérielle, le SRA, majorent de façon notable l’effet hypotensif de l’anesthésie. Le SRA est activé par une diminution des conditions de charge ventriculaire gauche, en particulier la précharge. Le traitement par IEC ou par inhibiteur de l’angiotensine II doit donc être interrompu. Le patient ne prendra pas son traitement le matin de l’intervention.
Chez les opérés hypertendus, la conduite de l’anesthésie a pour but de maintenir la pression artérielle la plus proche possible de la pression artérielle « au repos » de l’opéré. Cette pression artérielle n’est pas la pression artérielle notée immédiatement avant l’induction. En effet, l’anxiété, le jeûne préopératoire, l’arrêt de certains médicaments cardiovasculaires, conduisent fréquemment dès le matin de l’intervention et plus encore à l’arrivée au bloc opératoire à une élévation notable de la pression artérielle qui devient très largement supérieure à la pression artérielle à l’état basal. C’est pourquoi la pression artérielle qui doit être considérée comme la pression artérielle de référence pour l’opéré est la pression artérielle la plus basse observée au repos la veille de l’intervention ou lors de la consultation d’anesthésie.
INDUCTION DE L’ANESTHÉSIE
Les agents anesthésiques dont on dispose actuellement ont un effet très modéré sur la contractilité myocardique ; en revanche, ils diminuent de façon plus ou moins importante les conditions de charge ventriculaire gauche.En effet, alors que les effets circulatoires du thiopental et de l’halothane sont secondaires à une diminution de la contractilité myocardique, le retentissement tensionnel de l’isoflurane, du desflurane ou du sévoflurane, tout comme celui du propofol, résultent essentiellement d’une diminution du tonus artériel et veineux.
L’amplitude des modifications circulatoires induites par l’anesthésie est conditionnée à la fois par le retentissement des agents d’induction sur la fonction cardiovasculaire, et par la sensibilité de l’état circulatoire de l’opéré à une baisse de la contractilité myocardique et de la charge ventriculaire.Les anesthésiques volatils halogénés sont actuellement largement utilisés dans le cadre de l’anesthésie générale car ils induisent une narcose profonde, sont également des analgésiques et diminuent le tonus sympathique.Ils ont comme propriétés essentielles de procurer un degré d’anesthésie facilement contrôlable et surtout de s’opposer efficacement aux contraintes endocriniennes etcirculatoires des stimuli chirurgicaux. L’isoflurane possède surtout un effet vasodilatateur artériel marqué qui diminue la postcharge et permet de maintenir la vidange systolique gauche. [63] Les effets de l’isoflurane et du desflurane sur la fonction ventriculaire sont similaires lorsqu’ils sont administrés pour le contrôle des accès hypertensifs peropératoires. Ils atténuent également la réponse catécholaminergique provoquée par les stimuli chirurgicaux en s’opposant de façon particulièrement adaptée et efficace aux élévations de pression artérielle et de fréquence cardiaque. Parmi les différents halogénés, le plus vasodilatateur artériel est l’isoflurane qui facilite l’éjection ventriculaire gauche. On peut, avec les halogénés, contrôler facilement les élévations tensionnelles provoquées par les stimuli nociceptifs peropératoires, notamment quand les réserves cardiaques sont limitées.
ENTRETIEN DE L’ANESTHÉSIE
Lorsque l’on considère la stabilité hémodynamique sous anesthésie générale entretenue par halogénés, il faut prendre en compte la cinétique des différents agents, qui témoigne de la rapidité avec laquelle on peut adapter le niveau de l’anesthésie à l’intensité du stimulus chirurgical.
La comparaison de l’isoflurane et du desflurane démontre que les effets sur la fonction ventriculaire sont similaires lorsqu’ils sont administrés pour le contrôle des accès hypertensifs peropératoires mais il est intéressant de noter qu’avec le desflurane, les résistances vasculaires, une minute après l’incision, sont strictement superposables aux valeurs notées en dehors de l’anesthésie alors qu’elles sont significativement plus élevées avec l’isoflurane (+ 20 %).[85] Cette supériorité du desflurane paraît plus liée à ses propriétés pharmacologiques qui permettent d’obtenir rapidement une fraction alvéolaire de desflurane adaptée qu’à un effet différent de celui de l’isoflurane sur la contractilité ventriculaire gauche.C’est la solubilité dans le sang du desflurane, plus faible que celle des autres halogénés, qui lui confère une rapidité d’action et d’élimination remarquable.Administré en association avec des morphinomimétiques et à des concentrations inférieures à une CAM, le desflurane n’expose pas à la survenue d’élévations de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. Le sévoflurane est également recommandé chez l’opéré hypertendu en raison de ses propriétés pharmacocinétiques.De plus, ses effets sur l’ischémie reperfusion, mis en évidence en chirurgie cardiaque, [18] devraient être bénéfiques si une maladie coronarienne est associé à la maladie hypertensive.
En conclusion, les avantages des anesthésiques volatils halogénés de cinétique rapide comme le desflurane et l’isoflurane consistent en :
– un contrôle plus rapide de la pression artérielle que les autres halogénés d’une élévation tensionnelle peropératoire ;
– une élimination plus rapide lorsque la pression artérielle diminue ce qui permet de limiter l’amplitude d’éventuelles chutes tensionnelles peropératoire.
ANESTHÉSIE POUR COELIOSCOPIE
La survenue d’une hypertension au cours du pneumopéritoine est quasi constante.Ce phénomène repose sur l’activation du système hormonal vasopressif, l’hormone antidiurétique (ADH).[89]
Le mécanisme est mal connu et pourrait emprunter les barorécepteurs à basse pression et/ou des chémorécepteurs péritonéaux et des afférences du sympathique. [54] Le système sympathique est déprimé durant l’anesthésie générale mais une activation sympathique d’origine centrale secondaire à l’acidose hypercapnique est observée lors de la diffusion du CO2. Le SRA participe aussi à ce phénomène.
Le pneumopéritoine stimule la production de rénine en diminuant la perfusion rénale [42] mais de façon retardée et sans effet hémodynamique significatif pour les pressions d’insufflation habituelles.
SURVEILLANCE HÉMODYNAMIQUE PEROPÉRATOIRE
Elle doit permettre la mesure en continu du paramètre que l’on vise à contrôler, la pression artérielle, et de la complication la plus grave qui menace l’opéré hypertendu, le développement d’un processus ischémique myocardique.
La mise en place d’un cathéter artériel radial sous couvert d’une anesthésie locale permet le monitorage continu de la pression artérielle. Cette mesure particulière ne se justifie que pour les chirurgies hémorragiques et chez les patients dont la pression artérielle n’est pas équilibrée avant la chirurgie.
L’ischémie myocardique peropératoire sera mise en évidence par le monitorage du segment ST.
ANESTHÉSIE MÉDULLAIRE
La réalisation d’une anesthésie médullaire par des anesthésiques locaux s’accompagne systématiquement d’un bloc sympathique.
L’effet cardiovasculaire le plus constant est une hypotension artérielle, généralement modérée et bien tolérée, mais qui peut s’avérer menaçante chez le patient hypertendu.
Effets cardiovasculaires du bloc sympathique
De ce fait, le bloc sympathique est le premier événement caractérisant l’installation d’une anesthésie médullaire.C’est au niveau de ces fibres que l’effet des anesthésiques locaux est le plus prolongé.L’étendue du bloc sympathique est le principal déterminant du retentissement cardiovasculaire des anesthésies médullaires.Le niveau supérieur du blocage sympathique est cliniquement difficile à apprécier.Le bloc sympathique préganglionnaire lève, dans les territoires concernés, le tonus vasoconstricteur qui s’exerce en permanence sur le système artériel résistif et sur le système veineux capacitif. La levée du tonus vasoconstricteur artériel rend compte de la diminution des résistances vasculaires observées sous anesthésie médullaire. Au niveau du système veineux apparaissent une veinodilatation marquée, un stockage sanguin périphérique et une baisse du retour veineux. Le bloc sympathique va concerner aussi l’innervation médullosurrénale et limite donc le retentissement cardiovasculaire de tous les stimuli nociceptifs.
Il existe différents moyens physiologiques pour s’adapter à l’hypotension :
– la vasomotricité qui joue pleinement dans les territoires non bloqués (réseau coronaire compris) ;
– l’augmentation du débit cardiaque par accélération de la fréquence cardiaque.
Si le type d’intervention le permet, l’anesthésie médullaire peut constituer une bonne alternative chez le patient hypertendu. Il faut que l’hypertension soit parfaitement contrôlée à l’arrivée au bloc opératoire, ce qui implique l’absence de toute hypovolémie absolue ou relative. Dans ce cadre précis, les modifications tensionnelles que provoque l’anesthésie médullaire sont tout à fait comparables chez les hypertendus et les normotendus [17] et sont facilement contrôlées par l’expansion volémique et de petites doses d’éphédrine
Anomalies tensionnelles per- et postopératoires
Le maintien de la pression artérielle tout au long de la période opératoire est un des impératifs de la prise en charge des opérés à risque.
En pratique, le problème de l’anesthésie de l’hypertendu est plus celui du dépistage et du traitement de l’hypotension artérielle que celui du contrôle des élévations tensionnelles. Les effets délétères (essentiellement myocardiques, parfois rénaux, plus rarement cérébraux) auxquels exposent les épisodes d’hypotension artérielle périopératoire, et la relation de cause à effet établie entre ces épisodes et la survenue de complications postopératoires rend compte de l’absolue nécessité de maintenir la pression artérielle pendant l’intervention.
HYPOTENSION ARTÉRIELLE PEROPÉRATOIRE
Mécanismes
Les épisodes hypotensifs résultent d’une chute des résistances vasculaires systémiques et de la baisse du volume éjecté à chaque systole. L’effondrement du volume d’éjection n’est pas secondaire à une altération de la fonction systolique du ventricule gauche. Il est provoqué par un effondrement du remplissage ventriculaire gauche. La diminution du tonus du système capacitif sous l’effet de l’anesthésie générale ou rachidienne, éventuellement majorée par l’effet direct de certains médicaments antihypertenseurs, limite d’autant plus le volume télédiastolique ventriculaire gauche que la compliance ventriculaire gauche est réduite.
Les épisodes d’hypotension artérielle, particulièrement fréquents sous anesthésie chez les opérés hypertendus, sont souvent associés à une diminution de la fréquence cardiaque, réalisant un syndrome hypotension-bradycardie. Cette baisse de la fréquence cardiaque contemporaine de la baisse de pression artérielle observée sous anesthésie s’explique aisément par :
– l’augmentation du tonus parasympathique et les modifications de l’arc baroréflexe démontrées chez les patients traités au long cours par IEC ;
– la baisse du retour veineux qui se répercute sur les volorécepteurs à basse pression de l’oreillette droite, dont la désactivation est un puissant stimulus parasympathique ;
– les effets de l’anesthésie générale, et surtout rachidienne, qui diminuent le tonus sympathique au profit du tonus parasympathique.
La survenue d’une bradycardie provoquée par une diminution des conditions de charge ventriculaire gauche a été démontrée sous anesthésie générale et surtout rachidienne. [2, 48] Sous anesthésie, le ralentissement de la fréquence cardiaque peut être considéré comme un mécanisme compensateur indispensable au maintien d’un remplissage ventriculaire gauche suffisant.
Traitement
Le traitement des hypotensions fait appel en tout premier lieu à l’arrêt des agents hypotenseurs (tels les anesthésiques volatils halogénés), au remplissage vasculaire associé et, si l’hypotension persiste, à des agents sympathomimétiques (Fig. 3).
Éphédrine
Sympathomimétique indirect dont le maniement est particulièrement aisé. Son action résulte de la libération de la noradrénaline des granules de stockage.
Les effets cardiovasculaires de l’éphédrine sont la conséquence d’une stimulation des récepteurs alpha et bêta.
De ce fait, l’élévation de la pression artérielle s’associe fréquemment à une augmentation de la fréquence cardiaque ce qui doit limiter son utilisation chez le patient coronarien. Les deux effets secondaires de l’éphédrine sont une action stimulante du système nerveux central et une tachyphylaxie. La stimulation du système nerveux central a peu de conséquence sous anesthésie générale ou anesthésie médullaire. De par son mécanisme d’action indirect, on observe un épuisement de l’effet après des doses répétées. Il conviendra donc d’utiliser un sympathomimétique direct.
Phényléphrine
C’est un alpha-1-agoniste direct puissant, responsable d’une vasoconstriction artérioveineuse diffuse.Son intérêt essentiel est d’élever la pression artérielle sans accélération de la fréquence cardiaque, voire en la diminuant par un réflexe vagal. Les effets délétères potentiels de la phényléphrine sont un accès hypertensif et une baisse du débit cardiaque. La phényléphrine doit donc être administrée en titration avec un délai de 45 secondes pour en évaluer l’effet avant d’injecter un second bolus.
Terlipressine
Cette résistance aux agonistes sympathiques, rare en début d’intervention, est beaucoup plus fréquente lorsque l’intervention chirurgicale se prolonge, notamment chez les patients traités au long cours par IEC ou par antagonistes de l’angiotensine II. La stimulation du système argininevasopressine par un de ses agonistes rétablit de façon spectaculaire et durable la stabilité de la pression artérielle, d’une part en augmentant les conditions de charge ventriculaire gauche, essentiellement la postcharge, d’autre part en restaurant partiellement les fonctions des deux autres systèmes vasopresseurs, le système sympathique et le SRA. [23] L’effet prolongé de la terlipressine, agoniste du système arginine-vasopressine précurseur de la lysine-vasopressine, la rend particulièrement utile en peropératoire. On l’administre en bolus de 1 mg, la dose efficace est généralement de 1 à 3 mg, et son effet apparaît 1 ou 2 minutes après son administration.
Noradrénaline
Cet agoniste sympathomimétique direct a un effet vasculaire périphérique alpha prédominant et un effet myocardique bêta-1 proche de celui de l’adrénaline. Son effet vasculaire bêta-2 est minime. Il est l’agent vasopresseur à utiliser en dernier recours. Dès les faibles doses (5 à 10 μg min–1) apparaissent ses effets agonistes alpha, avec élévation notable de la pression artérielle et ralentissement de la fréquence cardiaque par réflexe vagal.
L’administration de 25 à 50 μg de noradrénaline en bolus intraveineux normalise très fréquemment la pression artérielle et améliore significativement l’hémodynamique, mais est souvent grevée d’accès hypertensifs en raison de l’extrême variabilité de la sensibilité des patients à cet agent. L’effet d’un bolus persiste de 1 à 5 minutes. En dehors de cette indication, la noradrénaline est essentiellement utilisée dans les chocs avec vasoplégie intense.
ACCÈS HYPERTENSIF PER- ET POSTOPÉRATOIRE
La survenue d’un accès hypertensif est un événement particulièrement fréquent, que ce soit en per- ou en postopératoire, chez l’opéré hypertendu.L’incidence varie avec la nature de l’intervention et le degré de contrôle de l’hypertension artérielle par un traitement adapté.
Les effets délétères potentiels de ces poussées hypertensives jouent un rôle majeur dans l’étiopathogénie des complications cardiovasculaires postopératoires.
C’est pourquoi le contrôle de la pression artérielle est d’autant plus impératif qu’il existe une cardiopathie sous-jacente, une insuffisance coronaire, ou une insuffisance cardiaque.
Physiopathogénie
Les accès hypertensifs de la période opératoire résultent de l’accentuation brutale du phénomène
de vasoconstriction artérielle, sous l’effet d’une hyperactivité noradrénergique provoquée par le stimulus nociceptif de l’intubation, de l’acte chirurgical ou de la période de réveil. L’élévation notable et significative du tauxplasmatique de noradrénaline lors de ces stimuli a été quantifiée par de nombreuses études.
Le degré de vasoconstriction artériolaire dépend de l’importance du stimulus nociceptif et de la réactivité vasculaire de l’opéré.La sensibilité accrue du système vasculaire résistif de l’hypertendu aux catécholamines est responsable de l’incidence élevée des accès hypertensifs per- et surtout postopératoires
chez les opérés hypertendus. L’hypertrophie réactionnelle des muscles artériolaires, particulièrement fréquente chez l’hypertendu et ce d’autant plus que sa pression artérielle n’est pas équilibrée, majore la vasoconstriction induite par les catécholamines plasmatiques.
L’existence d’une inflation hydrosodée majore la pression artérielle. Bien que l’on observe généralement pendant la période opératoire, sous l’effet des agents d’anesthésie et de la ventilation artificielle, une baisse du retour veineux, il faut rappeler qu’un remplissage vasculaire excessif chez un opéré hypertendu dont la compliance artérielle et veineuse est généralement diminuée, joue un rôle non négligeable dans l’étiopathogénie des accès hypertensifs. Les anomalies de l’arc baroréflexe très fréquemment retrouvées chez les opérés hypertendus participent à l’étiopathogénie des élévations tensionnelles per- et postopératoires. Chez l’hypertendu, il existe une élévation du seuil de pression artérielle à partir duquel sont mis en jeu les mécanismes réflexes. Cette particularité constante dans la maladie hypertensive traduit l’existence d’un réajustement du baroréflexe vers un niveau de pression artérielle plus élevé. [34, 86]
Retentissement myocardique
L’augmentation du volume télésystolique diminue le volume éjecté à chaque systole et la fraction d’éjection ventriculaire gauche. Elle compromet l’équilibre énergétique du myocarde en majorant la tension pariétale systolique, principal déterminant de la consommation en oxygène du myocarde. De plus, l’existence d’une hypertrophie ventriculaire gauche limite la perfusion des couches sous-endocardiques, et peut ainsi toucher les patients hypertendus exempts de lésions coronaires. [61] Si l’épisode hypertensif a provoqué une ischémie myocardique, la baisse de la fraction d’éjection secondaire à l’accès hypertensif est encore plus marquée car le territoire ischémié perd sa fonction contractile.
En dehors de toute cardiopathie sous-jacente, les épisodes d’hypertension favorisent la survenue de troubles du rythme auriculaires ou ventriculaires : extrasystole auriculaire, arythmie complète par fibrillation auriculaire paroxystique, extrasystoles ventriculaires. Ces troubles du rythme cardiaque résultent de l’augmentation de la tension pariétale auriculaire ou ventriculaire.
Retentissement cérébral
Les artères cérébrales subissent directement l’élévation de pression artérielle, car elles sont pauvres en sphincters précapillaires. Le cerveau est le seul organe ainsi exposé. Chez l’hypertendu, le seuil supérieur d’autorégulation du débit sanguin cérébral est autour de 200 mmHg de PAM (au lieu de 150 mmHg), ce qui confère donc une meilleure protection contre les accès hypertensifs et a contrario une plus grande sensibilité aux épisodes hypotensifs.
C’est la perte de l’autorégulation du débit sanguin cérébral associée à un excès de pression artérielle dans le territoire encéphalique qui provoque un trouble de la perméabilité vasculaire, aboutissant à la constitution d’un oedème cérébral interstitiel. Les accidents hémorragiques cérébraux sont rares en dehors de la chirurgie pour sténose carotidienne.Dans cette dernière situation, le risque d’hémorragie cérébrale est loin d’être négligeable en cas d’élévation brutale de la pression artérielle au décours de l’endartériectomie. L’hypertension est l’un des plus importants facteurs de risque de complications postopératoires après endartériectomie carotidienne, notamment le risque de survenue d’hématome cervical, d’oedème et d’hémorragie intracérébrale. [8]
Menace sur les sutures vasculaires
L’élévation anormale de la pression artérielle majore le saignement peropératoire, et compromet en postopératoire l’étanchéité des sutures artérielles. Il peut en résulter un hématome au niveau d’une suture artérielle, point de départ d’une complication hémorragique ou infectieuse.
Principes du traitement des accès d’hypertension artérielle peropératoire
La principale cause des élévations de pression artérielle aboutissant à un accès hypertensif chez l’opéré hypertendu pendant l’anesthésie est représentée par un niveau de narcose ou d’analgésie inadapté au stimulus chirurgical.
Les anesthésiques volatils halogénés, qui induisent une narcose profonde, ont également un effet analgésique et de réduction du tonus sympathique basal. De plus, ils limitent la réponse catécholaminergique provoquée par les stimuli chirurgicaux en s’opposant de façon particulièrement adaptée et efficace aux élévations de pression artérielle et de fréquence cardiaque. [69] Parmi les différents anesthésiques volatils halogénés, l’isoflurane possède un effet vasodilatateur artériel prédominant, facilitant de ce fait la vidange systolique ventriculaire gauche. [77]
Ceci permet de contrôler facilement les élévations tensionnelles provoquées par les stimuli nociceptifs de la période opératoire, et ce plus particulièrement chez les patients aux réserves cardiaques limitées. On peut y associer un renforcement de l’analgésie par les morphiniques.En effet, ces agents s’opposent aux modifications hémodynamiques que provoquent les stimuli nociceptifs peropératoires, particulièrement délétères chez l’opéré à risque cardiovasculaire. De nombreuses études ont parfaitement établi que les morphiniques limitent l’accroissement préopératoire du taux plasmatique des différentes substances caractéristiques de la réponse neurohormonale au stress : catécholamines, hormone de croissance et hormone du SRA. [82, 87] L’élévation du taux plasmatique de toutes ces hormones est d’autant plus faible que la posologie de morphinique est élevée. [22, 55] La stabilité tensionnelle que procurent les morphiniques limite l’incidence des épisodes d’ischémie myocardique préopératoire en chirurgie coronarienne [49] et en chirurgie générale. [4]
L’esmolol a fait la preuve de son efficacité dans cette indication. Ce bêtabloquant de courte durée d’action doit être administré à une posologie initiale de 500 μg min–1 en 2 à 3 minutes, puis en entretien par une perfusion continue à la dose de 100 à 300 μg kg–1 min–1. Si le malade est indemne de dysfonction systolique ventriculaire gauche, on peut également avoir recours à des bêtabloquants de longue durée d’action comme l’aténolol. En l’absence d’accélération de la fréquence cardiaque associée à l’élévation de la pression artérielle, ou si l’opéré souffre d’une altération de la fonction ventriculaire gauche, il faut avoir recours à des inhibiteurs calciques du groupe de la dihydropyridine. La nicardipine administrée par voie intraveineuse a fait la preuve de son efficacité dans cette indication. Elle contrôle la pression artérielle en augmentant le débit cardiaque. Parallèlement, la fréquence cardiaque est discrètement augmentée. L’élévation du volume éjecté à chaque systole sous l’effet de l’administration de nicardipine résulte d’une diminution de la postcharge ventriculaire gauche qui permet une meilleure éjection ventriculaire, alors que le tonus veineux est maintenu, les inhibiteurs calciques du groupe de la dihydropyridine n’ayant pas d’effet sur le système veineux capacitif.
Principes du traitement des accès d’hypertension artérielle postopératoire
Facteurs favorisant l’élévation tensionnelle postopératoire
Les accès hypertensifs postopératoires résultent essentiellement de l’accentuation brutale du phénomène de vasoconstriction artériolaire qui caractérise la maladie hypertensive sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs caractéristiques de la période de réveil et/ou de l’incapacité du système vasculaire résistif à se vasodilater en réponse à l’élévation constante du débit cardiaque en période de réveil. [19]
Les différents facteurs favorisant les accès hypertensifs spécifiques de la période de réveil et qui influencent directement ou indirectement les conditions de charge ventriculaire gauche, la contractilité myocardique et la réponse baroréflexe sont :
– l’accroissement du tonus dans le système vasculaire résistif sous l’effet de la libération de catécholamines qui caractérise la période de réveil ;
– l’élévation du retour veineux secondaire à :
– la levée de la vasoplégie induite par les agents d’anesthésie ;
– la libération accrue d’adrénaline et de noradrénaline ;
– la redistribution liquidienne contemporaine du réchauffement et de l’arrêt de la ventilation artificielle ;
– les anomalies de la volémie, aussi bien l’hypervolémie que l’hypovolémie ;
– l’élévation de la contractilité myocardique liée à une stimulation sympathique.
Chez l’opéré ayant une hypertension artérielle chronique, d’autres mécanismes interviennent :
– la baisse du taux plasmatique des médicaments antihypertenseurs prescrits avant l’intervention ;
– la modification de la pente du baroréflexe qui n’entre en jeu face à une élévation tensionnelle que pour des chiffres plus élevés de pression artérielle ;
– l’élévation majeure de la contractilité myocardique des cardiopathies hypertrophiques sous l’effet d’une décharge catécholaminergique.
Contrôle des contraintes circulatoires postopératoires
Chez l’opéré hypertendu, il est essentiel pour diminuer le risque opératoire de limiter la cause principale des complications cardiaques postopératoires : les contraintes hémodynamiques et métaboliques.
En effet, alors que le retentissement de l’acte chirurgical est généralement parfaitement contrôlé par les techniques d’anesthésie, les stimuli postopératoires accompagnés de décharges catécholergiques augmentent de façon brutale chez les opérés hypertendus les conditions de charge ventriculaire gauche.Ils favorisent ainsi la survenue d’accès hypertensifs compromettant la balance énergétique du myocarde, d’autant qu’ils sont à l’origine d’une hyperagrégabilité plaquettaire.
La prévention de l’hypothermie peropératoire et une analgésie postopératoire efficace diminuent de façon significative les contraintes circulatoires de la période postopératoire. Ces mesures sont donc indispensables chez l’opéré hypertendu.
Elles limitent de façon très efficace la décharge catécholaminergique caractéristique du réveil et l’hypercoagulabilité postopératoire.
De ce fait, la fréquence de survenue des accès hypertensifs comme leur intensité en sont diminuées ainsi que le développement de processus ischémiques myocardiques. Cependant, bien que diminuées, ces contraintes ne sont pas abolies.
Ils améliorent la stabilité tensionnelle de l’opéré, et réduisent de façon significative la survenue de complications coronariennes chez les opérés hypertendus dont les réserves coronaires sont limitées.
Traitement des accès hypertensifs postopératoires
Les accès hypertensifs postopératoires sont caractérisés sur le plan physiopathogénique par une inadaptation des résistances artérielles systémiques à un état hémodynamique donné. [64] Dans la majorité des cas, l’hypertension artérielle postopératoire résulte d’une vasoconstriction artériolaire avec élévation pathologique des résistances artérielles systémiques. Le traitement fait donc appel à des médicaments vasodilatateurs qui diminuent les facteurs s’opposant à l’éjection ventriculaire gauche. Ce n’est que si le traitement vasodilatateur favorise la survenue d’un syndrome hyperkinétique avec accélération notable de la fréquence cardiaque que l’on peut envisager l’administration par voie intraveineuse de bêtabloquants, comme le propranolol à faible dose. [27]
Les caractéristiques du médicament antihypertenseur idéal pour contrôler les accès hypertensifs postopératoires sont données dans le Tableau 2.
Seront envisagés rapidement l’intérêt et les limites des médicaments qui ont été proposés pour le traitement des hypertensions postopératoires, sans revenir sur les modes d’action précis de chacun d’entre eux (Tableau 3).
INHIBITEURS CALCIQUES
Les inhibiteurs du canal calcique, en particulier ceux du groupe des dihydropyridines, nifédipine et nicardipine, et à un moindre degré le diltiazem lorsqu’il est administré par voie intraveineuse, occupent une place de plus en plus large dans le traitement des accès hypertensifs postopératoires.
Les mécanismes d’action et les effets hémodynamiques de ces médicaments sont particulièrement adaptés au traitement des épisodes hypertensifs qui menacent l’hypertendu après l’intervention. Le risque de voir apparaître une chute trop importante de la pression artérielle lors du traitement d’attaque des épisodes hypertensifs postopératoires par les inhibiteurs calciques est très faible. [45] En effet, l’intensité de l’effet vasodilatateur dépend du tonus dans le système vasculaire résistif. En outre, les interférences médicamenteuses entre les inhibiteurs calciques et les agents utilisés pour une éventuelle sédation postopératoire n’exposent pas à la survenue de complications hémodynamiques postopératoires. [66] La nifédipine et la nicardipine ont même été proposées pour le traitement des insuffisances ventriculaires gauches congestives lorsque la pression artérielle est élevée. Dans cette indication, l’amélioration de la vidange systolique sous l’effet de la baisse de la postcharge ventriculaire gauche prédomine très largement sur un éventuel effet inotrope négatif, d’où l’amélioration de la vidange systolique. [33] Il est à noter que si la nifédipine a un effet inotrope négatif modéré in vivo, la nicardipine quant à elle ne semble pas provoquer de dépression myocardique. [71] La nicardipine, seul inhibiteur calcique du groupe des dihydropyridines à visée antihypertensive actuellement administrable par voie intraveineuse, est utilisée de plus en plus largement dans le traitement des accès hypertensifs postopératoires. À des doses de 0,5 à 20 mg, la nicardipine a un effet hypotenseur dose-dépendant entraînant unebaisse linéaire des pressions artérielles systoliques et diastoliques. [79]
BÊTABLOQUANTS
Sur le plan physiopathologique, l’accès hypertensif postopératoire est caractérisé par une élévation, absolue ou relative, mais toujours inadaptée des résistances vasculaires systémiques.
On a vu que l’effet antihypertenseur des bêtabloquants résulte essentiellement d’une baisse du débit cardiaque, secondaire au ralentissement de la fréquence cardiaque, et à un moindre degré à un effet inotrope négatif. Les bêtabloquants n’ont donc aucune place dans le traitement de première intention des accès hypertensifs postopératoires. En effet, diminuer la contractilité du myocarde et le débit cardiaque sans lever, voire en aggravant la vasoconstriction artériolaire périphérique, expose à la survenue d’une insuffisance ventriculaire gauche.
Il en résulte une inadéquation entre la fonction systolique et les contraintes du ventricule gauche, ce qui ne répond en aucun cas aux impératifs d’un traitement étiopathogénique. [3] En revanche, une fois la vasoconstriction artérielle périphérique diminuée par un médicament vasodilatateur, on peut administrer un bêtabloquant par voie intraveineuse pour limiter un éventuel syndrome hyperkinétique. Dans cette indication, les bêtabloquants ne doivent être administrés qu’à doses faibles et fractionnées (pas plus de 0,5 mg de propranolol toutes les 30 secondes).
Dans le cadre de la période postopératoire, il est intéressant de disposer d’un agent de courte durée d’action. L’esmolol a été proposé dans le traitement des accès hypertensifs associés à une tachycardie. [30] Il s’agit d’un bêta-1 cardiosélectif ayant une demivie d’élimination de 9 minutes, du fait de son hydrolyse rapide par les estérases des globules rouges. En perfusion continue, le taux stable est obtenu en 5 minutes après une dose de charge de 500 μg kg–1 administrée en 2 à 3 minutes ; l’entretien est assuré par une perfusion continue à la dose de 100 à 300 μg kg–1 min–1. L’effet du produit cesse 20 minutes après l’arrêt de la perfusion. L’esmolol peut être proposé à titre préventif lorsqu’il est impératif de contrôler la pression artérielle et la fréquence cardiaque à l’extubation, comme par exemple au décours d’une intervention de neurochirurgie.
Enfin, si l’on utilise des bêtabloquants en postopératoire, il faut se souvenir que ces médicaments ont un effet inotrope négatif d’autant plus marqué que la contractilité myocardique est altérée, et qu’ils limitent l’adaptation du débit cardiaque à l’élévation des besoins métaboliques de l’organisme. Ces derniers ne seront alors satisfaits que par une plus grande extraction périphérique d’oxygène.
LABÉTALOL
Le labétalol a été préconisé pour le traitement des élévations tensionnelles survenant après différents types d’interventions chirurgicales. Par ses effets antagonistes alpha, il diminue le tonus du système résistif, alors que par ses effets bêta, il diminue le débit cardiaque et l’inotropisme ventriculaire gauche, tout en améliorant la balance énergétique du myocarde. [44]
Pour certains auteurs, la demi-vie de 4 heures du labétalol permet à cet antihypertenseur de limiter ses effets aux premières heures de la période opératoire, qui sont celles où les opérés sont soumis aux contraintes hémodynamiques à l’origine des élévations tensionnelles postopératoires. Le rôle joué par l’élévation du taux de catécholamines plasmatiques dans l’étiopathogénie des accès hypertensifs postopératoires a conduit certains auteurs à utiliser le labétalol. En fait, même lorsqu’il est administré pour le traitement des accès hypertensifs postopératoires, les effets antagonistes bêta du labétalol prédominent très largement sur l’effet antagoniste alpha. Cette donnée est en accord avec les études pharmacologiques qui signalent que l’effet antagoniste bêta du labétalol est 4 à 16 fois plus puissant que son effet alpha.
Le traitement curatif des accès hypertensifs postopératoires par le labétalol fait appel à un bolus, qui peut être éventuellement suivi par l’injection de bolus additionnels ou par une perfusion continue. Bien que plusieurs travaux de la littérature aient utilisé des bolus initiaux [31, 47] de 0,5 à 1 mg kg–1, il paraît formellement déconseillé de débuter un traitement par un bolus de plus de 0,2 à 0,3 mg kg–1, si l’on souhaite éviter la survenue de complications hémodynamiques. Il paraît souhaitable d’administrer le bolus initial sur 2 minutes et d’administrer toutes les 5 minutes des bolus de 0,4 à 0,5 mg kg–1 si la pression artérielle systolique reste supérieure à la valeur souhaitée. Cette posologie met à l’abri des hypotensions artérielles au début du traitement. Par la suite on peut, en fonction de la pression artérielle, administrer des bolus de 0,4 mg kg–1 pour renforcer ou prolonger si besoin l’effet antihypertenseur du labétalol.
Certains auteurs ont proposé la mise en route d’une perfusion continue à des posologies [31] de 0,15 à 0,2 mg kg–1 h–1 ; une telle mesure impose le maintien de l’opéré en unité de soins intensifs.
URAPIDIL
Il s’agit d’un antihypertenseur administrable par voie intraveineuse.
Son mécanisme d’action repose sur l’inhibition des récepteurs alpha-1 post-synaptiques aux niveaux central et périphérique. Il se distingue de la prazosine par son action agoniste sur les récepteurs 5HT1 sérotoninergiques, ce qui a pour conséquence d’entraîner une baisse du tonus sympathique et une élévation du tonus parasympathique. Cette propriété explique l’absence de tachycardie réflexe lors de la baisse de la pression artérielle sous urapidil. [6]
Après l’injection d’un bolus de 25 à 100 mg, le contrôle tensionnel est atteint en 2 à 5 minutes chez environ 75 % des patients.
L’entretien de l’effet est obtenu par une perfusion continue à la dose de 60 à 180 mg h–1.
CLONIDINE
Il a pu être démontré que l’administration de clonidine permet de limiter l’élévation du taux plasmatique de noradrénaline généralement observée lors du réveil. [24] Cette modification neuroendocrinienne rend compte en partie de l’effet bénéfique de la clonidine sur les élévations tensionnelles postopératoires.
Néanmoins, son effet sédatif limite son utilisation dans le cadre de la période postopératoire immédiate.
TRINITRINE ET NITROPRUSSIATE DE SODIUM
Ces deux vasodilatateurs extrêmement puissants, administrés par voie intraveineuse, peuvent être utilisés pour le traitement de certains accès hypertensifs postopératoires. Leur administration au décours de la chirurgie cardiaque a été proposée par de nombreux auteurs. [27, 35, 85]
Le nitroprussiate de sodium est actif sur le muscle vasculaire lisse aussi bien artériel que veineux. Son action sur la pression artérielle est dose-dépendante et particulièrement rapide, puisqu’elle apparaît moins de 40 secondes après le début d’une perfusion continue. Elle affecte aussi bien la pression artérielle systolique que diastolique.
L’action principale de la trinitrine est une relaxation de toutes les fibres musculaires lisses de l’organisme, quels que soient leur type d’innervation et leurs réponses aux stimulations. [78] Ses principaux effets thérapeutiques résultent de son action sur les fibres lisses du réseau coronaire, du système artériel périphérique résistif et du système veineux capacitif. Pour une dose inférieure à 1,5 mg h–1, la vasodilatation intéresse principalement le système veineux capacitif. Pour une dose supérieure à 2 mg h–1 apparaît une vasodilatation touchant le système vasculaire résistif. La baisse de la pression artérielle est plus lente avec la trinitrine qu’avec le nitroprussiate, et l’effet disparaît progressivement 4 à 7 minutes après l’arrêt de la perfusion. La diminution de la pression artérielle moyenne est dosedépendante, mais la pression artérielle systolique baisse beaucoup plus nettement que la pression artérielle diastolique. C’est pourquoi la pression de perfusion coronaire est souvent préservée, ce qui explique les effets anti-ischémiques de la trinitrine administrée par voie intraveineuse : baisse de la consommation d’oxygène du myocarde, et également augmentation du flux coronaire dans les territoires myocardiques menacés. Ce médicament est donc particulièrement utile chez les patients aux réserves coronaires limitées. [75]
Les modifications du débit cardiaque que la trinitrine et le nitroprussiate de sodium entraînent dépendent essentiellement de leur posologie d’administration, de l’état de la fonction ventriculaire gauche des opérés et de leur volémie. L’administration de trinitrine ou de nitroprussiate normalise la pression artérielle, mais abaisse peu le volume télésystolique ventriculaire gauche, puisque la vidange systolique est déjà satisfaisante.
En chirurgie générale, le traitement rapide des accès hypertensifs postopératoires peut être obtenu par l’administration de bolus de trinitrine (0,5 mg), répétés toutes les 30 secondes jusqu’au retour à la normale de la pression artérielle. La survenue, lors du premier bolus, d’une baisse notable de la pression artérielle est rare, mais peut être observée chez les patients hypovolémiques. Elle impose un remplissage vasculaire. L’effet bénéfique des bolus de trinitrine ne dure que 5 à 10 minutes. Pour obtenir une prolongation de l’effet antihypertenseur, il faut envisager l’administration de trinitrine par voie intraveineuse à débit continu (extrêmement variable d’une sujet à l’autre), modulé en fonction des modifications tensionnelles obtenues.
L’administration de nitroprussiate ou de trinitrine ne se conçoit qu’en perfusion continue et sous surveillance attentive de la pression artérielle, obtenue au mieux par la mise en place d’un cathéter radial.
Il ne faut pas perdre de vue que sous perfusion de trinitrine ou de nitroprussiate, le débit cardiaque est extrêmement dépendant de la volémie. Or, il est souvent difficile au décours d’une intervention de chirurgie générale de connaître le niveau relatif de la volémie, en dehors d’un monitorage hémodynamique adapté. C’est pourquoi la posologie optimale de trinitrine et de nitroprussiate qu’il convient d’administrer en débit continu est parfois difficile à déterminer. Le développement des nouveaux agents antihypertenseurs a largement simplifié le traitement des accès hypertensifs postopératoires.
Ce traitement restaure un état hémodynamique satisfaisant si sont prises en compte à la fois la physiopathogénie de l’accès hypertensif et les propriétés pharmacodynamiques des différentes molécules administrables par voie intraveineuse en postopératoire .
Conclusion
Les anomalies tensionnelles et circulatoires qui menacent l’opéré hypertendu imposent de définir une démarche permettant d’assurer une bonne stabilité tensionnelle tout au long de la période opératoire. Cette démarche doit porter sur les périodes pré-, per- et postopératoires. À chaque temps une stratégie adaptée assure la prévention efficace des complications liées à la maladie hypertensive. C’est en fait une véritable démarche qualité qui doit être suivie, puisqu’elle intègre les objectifs de soins et des indicateurs assurant que la prise en charge de l’opéré hypertendu a atteint son but : assurer une stabilité hémodynamique et circulatoire tout au long de la période opératoire pour éviter la survenue des complications cardiovasculaires. La stratégie thérapeutique doit être rationalisée. Elle conduit en préopératoire à modifier le traitement cardiovasculaire pris au long cours par l’opéré, et dans certains cas à instaurer dès la période préopératoire certaines thérapeutiques prophylactiques.
En peropératoire, elle impose d’assurer une parfaite stabilité hémodynamique et de contrôler les stimuli nociceptifs de la chirurgie.
En postopératoire, il est essentiel d’assurer la prévention, voire le traitement rapide des épisodes d’hypertension artérielle postopératoire. La démarche proposée chez l’hypertendu s’inscrit dans une perspective logique de réduction des complications cardiovasculaires de l’anesthésie chez les opérés à risque.
Autoévaluation:anesthésie et hypertension artérielle
Questions
I
A - L’HTA est la pathologie la plus fréquemment rencontrée chez les patients en milieu chirurgical
B - La pression pulsée (PP) est égale à la différence entre les pressions artérielles systolique et diastolique
C - Dans l’HTA, la perte des propriétés élastiques des gros troncs artériels favorise la diminution de la PP
D - Le niveau de la pression artérielle moyenne est un bon indicateur du risque de complications cérébrales
E - Chez l’hypertendu âgé de 40 à 60 ans, le niveau de PP est un bon indicateur du risque de complications cardiovasculaires
II
A - La diminution des réseaux microcirculatoires cutané et musculaire participe à l’élévation des résistances vasculaires chez l’hypertendu
B - Au premier stade de l’HTA, il est fréquemment observé un accroissement du volume d’éjection systolique
C - Dans la majorité des HTA essentielles, et ce d’autant qu’elles sont plus anciennes, le débit cardiaque est diminué
D - Les cardiopathies secondaires à une HTA sont plus volontiers des cardiopathies dilatées
E - Les cardiopathies hypertrophiques secondaires à une HTA sont plus volontiers concentriques
III
A - Chez l’hypertendu, l’altération ventriculaire gauche porte surtout sur la fonction systolique
B - Il n’existe pas de relation entre l’existence d’une hypertrophie ventriculaire et la mortalité
C - Au cours de l’accès hypertensif avec fonction systolique ventriculaire gauche conservée, l’oedème aigu du poumon (OAP) s’explique par une dysfonction diastolique
D - Les barorécepteurs haute pression (mécanorécepteurs) sont surtout activés par les variations du volume ventriculaire
E - Le SRA est principalement mis en jeu par les stimulations nociceptives
IV
A - L’activation du SRA est un mécanisme prépondérant dans la réponse à la baisse du retour veineux entraînée par une anesthésie générale ou une anesthésie péridurale
B - La diminution de la pression de perfusion rénale peut être à l’origine d’une sécrétion de rénine
C - Il existe une production tissulaire locale d’angiotensine
D - La rénine agit uniquement sur l’angiotensinogène circulant sécrété par le foie
E - La vasopressine est le moins vasoconstricteur des peptides vasoactifs
V
A - L’endothéline est le moins puissant vasoconstricteur connu
B - Il existe une relation directe entre le niveau de pression artérielle et la fréquence de survenue d’accidents coronariens
C - Chez les sujets de moins de 50 ans, la PP est un facteur prédictif des complications cardiovasculaires plus fiable que le niveau de pression artérielle systolique (PAS)
D - En chirurgie non cardiaque, il existe une relation directe entre le niveau de pression artérielle en préopératoire et le risque cardiovasculaire
E - Il est communément admis pour une chirurgie non urgente de récuser temporairement les opérés dont la pression artérielle diastolique est supérieure à 110 mmHg, et ceci afin de permettre d’instituer un traitement antihypertenseur
VI
A - La survenue d’épisodes d’ischémie myocardique périopératoire est majorée chez les opérés hypertendus
B - Chez l’hypertendu coronarien ayant reçu en périopératoire un bêtabloquant pour la prévention de l’ischémie myocardique, les interférences entre les bêtabloquants et le retentissement circulatoire de la période opératoire sont plus délétères que bénéfiques
C - Chez les patients traités par vérapamil, le sévoflurane est contre-indiqué en raison d’une synergie des inotropes négatifs des deux substances
D - Les IEC se comportent comme des vasodilatateurs touchant à la fois les systèmes résistifs et capacitifs
E - Chez l’opéré hypertendu, l’arrêt d’un traitement par IEC expose à un effet rebond
VII
A - Chez l’hypertendu traité par ARA II, les interférences avec l’anesthésie sont superposables à celles observées avec les IEC
B - Les ARA II doivent être interrompus 8 heures avant l’intervention chirurgicale
C - L’urapidil agit essentiellement sur l’inhibition des récepteurs alpha-2 postsynaptiques périphériques et centraux
D - Le blocage du système sympathique secondaire à la prise de bêtabloquants majore le risque d’hypotension artérielle pendant l’anesthésie
E - La pression artérielle de référence pour l’opéré est la pression artérielle la plus basse observée au repos la veille de l’intervention ou lors de la consultation d’anesthésie
VIII
A - En peropératoire, lorsque les réserves cardiaques sont limitées, les halogénés permettent de contrôler facilement les élévations tensionnelles provoquées par les stimuli nociceptifs
B - En coeliochirurgie, la stimulation de la production de rénine par le pneumopéritoine permet d’expliquer les poussées tensionnelles observées lors de l’insufflation de CO2
C - Chez un patient hypertendu correctement traité et en l’absence de toute hypovolémie absolue ou relative, les modifications tensionnelles
induites par l’anesthésie médullaire sont tout à fait comparables à celles observées chez un patient normotendu
D - Chez les patients traités au long cours par IEC, les épisodes d’hypotension artérielle durant l’anesthésie s’accompagnent volontiers d’une bradycardie
E - Chez les patients traités au long cours par IEC, les agonistes sympathiques sont plus efficaces pour corriger une hypotension artérielle
IX
A - En peropératoire, le risque d’hypotension sévère lors du traitement d’une poussée hypertensive par un inhibiteur calcique est plus important chez l’hypertendu que chez le sujet habituellement normotendu
B - La nicardipine a un effet dépresseur myocardique important chez le patient hypertendu
C - Les bêtabloquants représentent le traitement de première intention des accès hypertensifs postopératoires chez le patient hypertendu
D - L’effet alpha du labétalol est 4 à 16 fois plus puissant que son effet antagoniste bêta
E - Sous perfusion de trinitrine, le débit cardiaque devient très dépendant de la volémie
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Réponses
I
A - Vrai
B - Vrai
C - Faux
D - Vrai
E - Vrai
II
A - Vrai : il en est de même de l’élévation anormale du tonus vasoconstricteur et du remodelage hypertrophique de la paroi vasculaire
B - Vrai : en raison d’une augmentation du tonus dans le système veineux capacitif qui redistribue le sang vers le territoire cardiopulmonaire
C - Faux : le débit cardiaque est normal
D - Faux : la cardiopathie est hypertrophique
E - Vrai
III
A - Faux : l’altération est principalement diastolique et entraîne des anomalies du remplissage ventriculaire gauche
B - Faux
C - Vrai
D - Faux : les variations du volume ventriculaire agissent sur les barorécepteurs « basse pression »
E - Faux : le SRA est activé par la baisse du retour veineux ; les stimulations nociceptives activent surtout le système sympathique
IV
A - Vrai
B - Vrai : la rénine est stockée dans les granules des cellules myoépithéliales des artérioles afférentes au glomérule
C - Vrai
D - Faux : l’angiotensinogène provient aussi d’une synthèse locale tissulaire
E - Faux
V
A - Faux : c’est le plus puissant
B - Vrai
C - Faux : cela n’est observé que chez les sujets âgés
D - Faux
E - Vrai
VI
A - Vrai
B - Faux
C - Faux
D - Vrai
E - Faux : aucun risque d’accès hypertensif, d’insuffisance ventriculaire gauche congestive ou d’accident ischémique n’est à craindre dans les jours qui suivent l’arrêt d’un traitement par IEC
VII
A - Vrai
B - Faux : ces médicaments ayant une demi-vie prolongée (au moins 12 heures), il est recommandé de les interrompre au minimum 24 heures avant l’intervention
C - Faux : il agit au niveau des récepteurs alpha-1
D - Faux : contrairement aux IEC ou aux inhibiteurs de l’angiotensine II
E - Vrai
VIII
A - Vrai
B - Faux
C - Vrai
D - Vrai : en raison d’une augmentation du tonus sympathique et des modifications de l’arc baroréflexe démontrées chez les patients traités au long cours par IEC
E - Faux
IX
A - Faux
B - Faux
C - Faux
D - Faux
E - Vrai
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Références
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