Infarctus aigu du myocarde avec sus-décalage du segment ST : 48 premières heures










Éric Bonnefoy : Praticien hospitalier.
Gilbert Kirkorian : Professeur des Universités, praticien hospitalier.
Philippe Chevalier : Professeur des Universités, praticien hospitalier.
Paul Touboul : Professeur des Universités, praticien hospitalier.
Service de cardiologie et soins intensifs.
Vincent Piriou : Praticien hospitalier.
Service de réanimation chirurgicale.
Hôpital cardiovasculaire et pneumologique Louis-Pradel, BP Lyon-Montchat, 69394 Lyon cedex 03, France.


Résumé. – Parmi les syndromes coronariens aigus, les infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST constituent un groupe très bien défini avec des modalités de prise en charge bien établies. Le diagnostic, dont dépendent les premières mesures thérapeutiques, repose sur l’interprétation correcte de la douleur thoracique et du sus-décalage du segment ST sur l’électrocardiogramme.Les marqueurs biologiques de l’infarctus, au premier rang desquels les troponines, n’interviennent que pour confirmer le diagnostic.
Le mécanisme de ces infarctus est l’obstruction d’une artère coronaire par un thrombus développé sur une plaque d’athérome, elle-même rompue. La destruction complète du myocarde se fait en quelques heures.L’urgence est donc de reperfuser l’artère coronaire par thrombolyse ou angioplastie coronaire. Le pronostic dépend du délai et du degré de réussite de cette désobstruction. Le traitement médical qui lui est associé comprend de l’aspirine, des bêtabloquants et de l’héparine. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont prescrits d’autant plus tôt qu’existent des signes d’insuffisance cardiaque ou une altération de la fonction ventriculaire gauche. La majorité des infarctus aigus ont une évolution très simple autorisant leur sortie rapide des soins intensifs. Quelques-uns présentent des complications. Les plus fréquentes sont l’insuffisance cardiaque, les récidives ischémiques et les troubles du rythme. Le grand âge, le diabète, le sexe féminin, constituent des groupes à très haut risque. Convenablement traités, la survie hospitalière des patients ayant fait un infarctus aigu non compliqué est de l’ordre de 90 %.

Mots-clés : infarctus du myocarde, thrombolyse, angioplastie primaire.


Quelques définitions
La terminologie de l’urgence coronaire a évolué. Le terme « syndromes coronariens aigus » (SCA) s’est généralisé. Il désigne une douleur thoracique récente suspecte d’être d’origine coronarienne. Le tracé de l’électrocardiogramme (ECG) divise ce cadre très large en SCA avec sus-décalage du segment ST et SCA sans sus-décalage du segment ST (fig 1). Cette répartition est essentielle et conditionne le traitement.
Les SCA avec sus-décalage de ST (ST elevation acute myocardial infarction des Anglo-Saxons) sont presque toujours dus à l’obstruction complète d’une artère coronaire. Leur traitement impose une revascularisation urgente par thrombolyse ou angioplastie.
Les SCA sans sus-décalage de ST constituent un groupe beaucoup plus vaste et hétérogène.
Ils sont habituellement dus à l’obstruction incomplète d’une artère coronaire. Le traitement thrombolytique serait inefficace, voire délétère dans ce groupe. Leur prise en charge repose sur une stratification du risque qui utilise toujours les critères cliniques et électrocardiographiques, et maintenant la troponine, un marqueur biologique de lésion myocardique dont la valeur pronostique est ici considérable. Selon la classification récemment révisée [15], les angors instables avec augmentation de troponine sont à considérer comme des infarctus et sont classés en « infarctus sans sus-décalage du segment ST » (non ST segment elevation myocardial infarction). La prise en charge optimale des SCA sans sus-décalage du segment ST reste encore discutée.

Ce qui fait l’unité des SCA est une base physiopathologique commune. L’obstruction artérielle, partielle ou complète, est en effet induite le plus souvent par la rupture d’une plaque d’athérome.
Cet article va limiter son sujet aux infarctus avec sus-décalage du segment ST.

Physiopathologie
La plupart des SCA résultent d’une obstruction complète ou partielle d’une artère coronaire. Les images angioscopiques obtenues peu de temps après infarctus montrent des plaques de couleur jaune, c’està- dire assez jeunes, très souvent rompues (50 %) ou avec des restes de thrombus (80 %) [91]. En effet, l’obstruction est due à un thrombus développé sur une rupture de la paroi interne de l’artère au niveau du toit fibreux d’une plaque d’athérome [39]. Sa rupture en expose le contenu. Certains éléments comme le collagène stimulent l’activation plaquettaire et la formation de thrombus, et des facteurs synthétisés par la paroi artérielle lésée activent la voie extrinsèque de la coagulation [40]. Le premier thrombus à tapisser cette brèche dans la paroi du vaisseau est constitué de plaquettes. Il est appelé thrombus « blanc ». Le processus peut s’arrêter là. L’obstruction de la lumière de l’artère est incomplète. Ce sont ces lésions que l’on retrouve chez la plupart des patients en angor instable. Mais, ce thrombus blanc peut se compléter d’un thrombus « rouge », constitué de globules rouges enchâssés dans un réseau de fibrine qui se développe dans la stase en amont de l’occlusion. Ce thrombus rouge aboutit souvent à l’obstruction complète de l’artère. La persistance de cette occlusion plus d’une quinzaine de minutes entraîne la constitution d’un infarctus du myocarde. L’infarctus progresse en un front d’ondes du sous-endocarde vers le sous-épicarde [72]. La taille de l’infarctus dépend de la localisation de l’occlusion, de l’étendue du territoire d’aval, de la collatéralité, de la durée et aussi du degré de l’occlusion [73]. En effet, le thrombus n’est pas une structure figée.
Continuellement, il se délite en partie et se reconstitue. Cette dynamique dépend du rapport des facteurs thrombolytiques et thrombotiques locaux.
Pourquoi certaines plaques se rompent-elles ? Les plaques qui se rompent ont un toit plus fin, un contenu plus riche en lipides, et surtout contiennent plus de cellules inflammatoires (macrophages et monocytes) [63].
Ces cellules inflammatoires se concentrent en bordure de plaque et jouent un rôle essentiel dans leur rupture [64].
Elles synthétisent des protéases et des métalloprotéinases qui digèrent et fragilisent le toit de la plaque. Des facteurs mécaniques participent aussi à la rupture de ces plaques vulnérables. Bien que les heures de survenue des infarctus soient très variables, il existe un rythme circadien avec un pic dans les toutes premières heures de la matinée [51]. Ce rythme est parallèle à d’autres rythmes circadiens (de l’activation plaquettaire et des capacités thrombolytiques, des taux d’adrénaline). Une augmentation brutale d’adrénaline par un stress (effort, chirurgie) pourrait aussi y contribuer, même si le mécanisme en reste hypothétique.
Chez les patients qui ont une atteinte coronarienne multiple et sévère, une augmentation importante et rapide des besoins myocardiques peut conduire à un déficit relatif des apports coronaires suffisamment important pour entraîner un infarctus. C’est une situation classique en postopératoire. Ces infarctus sont cependant plus souvent de type « sans sus-décalage du segment ST ».

Épidémiologie
La fréquence des infarctus du myocarde dans la population générale est mal connue car beaucoup d’infarctus sont « silencieux » ou entraînent un décès rapide. Les études épidémiologiques montrent que, globalement, la mortalité de l’infarctus à 1 mois est de près de 50 %, avec la moitié des décès dans les toutes premières heures [13].
Au cours des 20 dernières années, il ne semble pas que la mortalité extrahospitalière des infarctus se soit améliorée [90]. La mortalité hospitalière, bien que toujours trop élevée, a nettement diminué [36].
Elle est actuellement de l’ordre de 10 à 20 % à 1 mois [61].


Interrogatoire : douleur
Le diagnostic d’infarctus repose sur l’interrogatoire et l’ECG. La douleur thoracique reste le motif de prise en charge en urgence le plus fréquent. La douleur est souvent très évocatrice : très intense, rétrosternale à type de serrement ou d’oppression avec irradiation dans le bras gauche. D’autres expressions sont fréquentes : sensation de brûlure, irradiation dans le cou, la mâchoire, les épaules, les bras, les poignets. Cette douleur est prolongée, classiquement plus de 20 minutes, non soulagée par la trinitrine. Sa chronologie est importante. Un syndrome prémonitoire, à type de douleurs angineuses de repos, régressant spontanément ou sous dérivés nitrés, de durée très variable (de l’ordre de la minute ou de l’heure) est présent chez un quart des patients. Il ne faut pas le confondre avec le début de la douleur de l’infarctus.
La localisation épigastrique haute est la forme « piège » la plus fréquente (15 %). Habituellement associée à des nausées et vomissements, elle est souvent confondue avec une indigestion par les patients et traitée empiriquement comme telle, avant que l’infarctus ne soit reconnu.

La douleur est rarement absente. Lorsqu’elle est très intense, elle conduit rapidement à la demande d’avis médical et au traitement de l’infarctus. Elle peut être négligée par le patient (de 10 à 35 % des cas). Ces formes non reconnues sont malheureusement plus fréquentes chez les sujets à très haut risque, âgés et diabétiques.
Enfin, l’infarctus du myocarde peut être « camouflé » par un oedème aigu du poumon, une syncope, un état de choc.
Un malaise général intense et des manifestations vagales (pâleur, sueurs, nausées) sont souvent associés à la douleur. Une dyspnée, une syncope, sont beaucoup plus rares et font craindre une évolution compliquée.
L’identification de facteurs de risque (tabagisme, hypercholestérolémie, diabète, hypertension artérielle, contexte familial de maladie coronarienne) renforce l’impression clinique.
D’autres pathologies peuvent être confondues avec un infarctus du myocarde : péricardite aiguë ; myocardite ; dissection de l’aorte ; pneumopathie aiguë ; pancréatite ; cholécystite. Un niveau élevé de suspicion clinique et la réalisation immédiate d’un ECG doivent permettre la bonne orientation.


Signes électrocardiographiques
L’ECG est essentiel dans la prise en charge d’une douleur thoracique. L’identification d’un sus-décalage de ST entraîne en effet un ensemble de procédures dont l’efficacité est liée à la rapidité de leur mise en oeuvre. La réalisation de l’ECG est donc urgente [78].
L’ECG doit être systématiquement lu par territoires (fig 2, 3). Ces territoires ont une correspondance anatomique myocardique et coronaire. Lorsque les anomalies sont discrètes, leur concordance dans un territoire donné aide souvent le diagnostic [23]. Les principaux territoires sont définis par les dérivations DII, DIII et aVF pour le territoire inférieur, habituellement vascularisé par la coronaire droite ou l’artère circonflexe. Les dérivations aVL, DI, V5, V6 explorent le territoire latéral. Cette zone est vascularisée par les branches latérales de l’interventriculaire antérieure (IVA) (dites diagonales) et de la circonflexe (les marginales). Le territoire antérieur et septal est retrouvé dans les dérivations V1, V2, V3, V4. Il est vascularisé par l’IVA. Les correspondances sont indiquées dans le tableau I.
L’exploration de certains territoires fait appel à des dérivations particulières. Les dérivations V7, V8, V9 explorent la face postérieure du coeur vascularisée par une branche de l’artère circonflexe ou de la coronaire droite. C’est un territoire important car il comprend le pilier postéromédian de l’appareil mitral et son atteinte peut entraîner une insuffisance mitrale. Le ventricule droit est « vu » par la dérivation V4r, placée en symétrique de la dérivation V4 par rapport à la ligne sternale [97]. Un sus-décalage de ST de plus de 1 mm dans cette dérivation définit l’infarctus du ventricule droit, habituellement d’expression purement électrique.


Le sus-décalage du segment ST correspond au déplacement de la ligne de base de ce segment vers le haut de plus de 1 mm. Très précoce, il apparaît dès la première minute dans les dérivations qui explorent le territoire de l’infarctus ; il est alors associé à un aspect pointu et symétrique de l’onde T avec une ascension transitoire de R. Dans le même temps, un sous-décalage de ST apparaît dans les dérivations opposées. Ce « miroir » contribue au diagnostic et a une valeur pronostique [19, 69]. Si l’ischémie persiste plus d’une quinzaine de minutes, l’infarctus se développe. Une onde Q apparaît et se creuse parallèlement à la diminution d’amplitude de l’onde R dans les dérivations concernées. L’absence de constitution d’ondes Q chez les patients thrombolysés est un indicateur de bon pronostic [43]. Le nombre de dérivations avec un ST sus-décalé est un indicateur de l’étendue de l’infarctus et un facteur pronostique important [46].

L’intensité de l’ischémie participerait à l’amplitude du sus-décalage.
Le segment ST revient ensuite progressivement à la ligne isoélectrique en même temps que les ondes T s’inversent. La régression rapide du sus-décalage du segment ST au cours de la thrombolyse ou de l’angioplastie primaire est un marqueur de reperfusion tissulaire et de bon pronostic [31, 92]. Sa persistance audelà de quelques jours fait craindre, notamment dans le territoire antérieur, une évolution anévrismale.

Un sus-décalage de ST est observé au cours de circonstances non pathologiques ou sans rapport avec un SCA. Le sus-décalage de ST de la péricardite aiguë est concave vers le haut. L’atteinte est souvent diffuse, ne correspondant pas à un territoire coronaire cohérent. Le plus souvent, il n’y a pas de miroir. Le diagnostic devient beaucoup plus difficile lorsqu’il s’agit d’une myocardite.
L’ECG peut alors simuler un infarctus du myocarde. Certaines variantes « normales » de l’ECG comportent un sus-décalage de ST.
Un sus-décalage dans le territoire inférieur ou latéral est observé dans les repolarisations précoces. Le mécanisme en est inconnu. Le sus-décalage est souvent peu ample (de 1 à 2 mm), concave en haut, et présente une encoche négative lors de son départ du QRS. Le signe le plus fiable reste sa constance d’un ECG à l’autre. Dans le territoire antérieur, un sus-décalage isolé en V2-V3 est aussi une variante assez commune de la normale. Enfin, un bloc de branche gauche est associé à un sus-décalage de ST.

La confusion diagnostique n’existe pas vraiment, car lorsqu’il est associé à une douleur thoracique suspecte, un bloc de branche gauche est à considérer comme un sus-décalage du segment ST [82]. En cas de bloc de branche droit, les ondes Q et les modifications du segment ST ne sont pas cachées [52]. Pour mémoire, l’hypothermie est associée à un sus-décalage de ST. On peut aussi observer des sus-décalages de ST transitoires après choc électrique externe.
Le développement des ondes Q et la diminution de R progressent en quelques heures ou jours. Elles n’ont pas de rapport avec le caractère transmural de l’infarctus, mais leur nombre et leur amplitude sont un reflet de l’importance de la nécrose. On peut observer des ondes Q en dehors d’un infarctus du myocarde ; elles peuvent correspondre :– dans le territoire latéral, à un coeur vertical ou une hypertrophie septale avec des ondes Q habituellement profondes et étroites ;
– dans le territoire antérieur, à une hypertrophie ventriculaire gauche ou une distension thoracique, éventuellement aiguë, comme un pneumothorax gauche ;
– enfin, dans le territoire inférieur, en DIII, à une variante normale, fréquente, avec des ondes Q étroites et peu profondes (moins du quart de l’onde R), ayant tendance à disparaître en inspiration profonde et influencées par la position des électrodes des membres.
Une préexcitation due à une voie accessoire peut donner un aspect QS en DIII et aVF et des anomalies du segment ST mimant un infarctus inférieur semi-récent.

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