Prise en charge per- et postopératoire du patient coronarien






Principes de l’anesthésie chez le patient coronarien
La phase opératoire est particulièrement favorable au déséquilibrede la fonction cardiovasculaire souvent préalablement altérée, en raison des effets circulatoires générés à la fois par l’acte chirurgical lui-même et par l’anesthésie (Tableau 4) [57]. Le maintien de la volémie est primordial chez l’insuffisant coronarien. Toute diminution du retour veineux peut altérer le débit cardiaque qui ne sera donc plus adapté à la demande métabolique du patient. Ce mécanisme est surtout observé en présence d’une hypertrophie pariétale (hypertension artérielle) et/ou d’une anomalie de la fonction diastolique associée. À l’inverse, une baisse du retour veineux peut être assez bien tolérée s’il existe une cardiopathie dilatée associée à des pressions de remplissage élevées et une altération de la fonction systolique [57].

Les circonstances opératoires favorisant la baisse du retour veineux sont fréquentes : hypovolémie par spoliation sanguine, veinodilatation imputable à l’anesthésie générale ou rachidienne. À l’opposé, une augmentation du retour veineux peut générer un oedème. Ces circonstances de survenue sont les phases de transfusion massive, l’arrêt de la ventilation artificielle, la stimulation sympathique consécutive à la douleur ou au réveil.
La réduction de l’hyperactivation sympathique consécutive à l’intubation ou à l’incision chirurgicale est impérative chez l’insuffisant coronarien dont la fonction systolique est conservée ; elle assure une prévention efficace de l’ischémie myocardique.

En revanche, le maintien d’une activité sympathique soutenue est essentiel pour le bon fonctionnement d’un myocarde rendu défaillant. L’induction d’une anesthésie générale ou l’installation d’une anesthésie rachidienne bloquant le sympathique cardiaque peuvent générer un collapsus ou un arrêt circulatoire en cas d’altération sévère de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (< 40 %). La fréquence cardiaque est également un élément important de la performance cardiaque. La tachycardie possède un effet inotrope positif mais favorise de fait l’augmentation de la consommation myocardique en oxygène et la survenue d’une ischémie myocardique [32]. Au-delà de 120 battements par minute, cet effet inotrope s’estompe en raison d’un raccourcissement trop important du temps de remplissage diastolique et devient même délétère en cas de dysfonction diastolique. Un rythme sinusal est donc nécessaire à l’optimisation du remplissage télédiastolique ventriculaire gauche, en particulier quand la fonction diastolique est altérée [32]. Les troubles du rythme supraventriculaires sont donc toujours mal tolérés chez les patients coronariens porteurs d’une dysfonction ventriculaire diastolique ou systolique. Ils doivent être traités rapidement.
Les modifications de la consommation d’oxygène (V˙ O2) contemporaines de la période opératoire soumettent le système circulatoire à une demande parfois excessive. Ceci concerne essentiellement la phase de réveil. La dépense énergétique et la V˙O2 sont augmentées de façon brutale lors de la première heure postopératoire. Ce surcoût énergétique est compensé par une majoration contemporaine du débit cardiaque chez le sujetsain [58]. La survenue de frissons, favorisée par l’hypothermie périopératoire, peut majorer grandement la V˙ O2 basale, atteignant des seuils proches de la V˙ O2 maximale. L’hypothermie est un facteur de morbidité cardiovasculaire associé. Une étude prospective randomisée récente (300 patients) démontre clairement une réduction de 55 % de l’incidence des événements cardiovasculaires périopératoires (angor instable, infarctus, arrêt cardiaque, tachycardie ventriculaire) chez les patients maintenus normothermes durant toute l’intervention [18].

Prémédication
Une prémédication sédative par benzodiazépine orale permet de procurer une anxiolyse adaptée avec peu d’effets hémodynamiques et respiratoires en l’absence de terrain à risque (respiratoire notamment).
On l’associe à la prise des traitements antiischémiques et antihypertenseurs habituels qui peuvent être administrés oralement moins de 2 heures avant l’intervention.

Monitorage
Chez le patient à risque, le monitorage hémodynamique habituel réglementaire comprend un électrocardiogramme avec analyse digitalisée du segment ST, un oxymètre de pouls, un capnomètre et un appareil de mesure automatique de la pression artérielle [32].

Le monitorage des dérivations DII, V4 et V5 avec analyse continue digitalisée du segment ST est, de ce point de vue, le plus sensible pour la détection des épisodes d’ischémie et d’infarctus périopératoire [6]. L’apparition d’un sous-décalage du segment ST correspond habituellement à une ischémie sous-endocardique. Le sous-décalage horizontal ou descendant est l’aspect le plus typique de l’ischémie périopératoire.
Son amplitude doit dépasser 0,1 mV (1 mm) pour avoir une spécificité suffisante [59]. Le sus-décalage du segment ST traduit généralement une ischémie transmurale. Son amplitude doit dépasser 0,2 mV (2 mm) pour être symptomatique d’une ischémie. Le diagnostic d’ischémie est porté lorsque les modifications durent au moins 20 secondes. L’optimisation du réglage des alarmes de fréquence cardiaque et de segment ST est donc impérative.

Cependant, en présence d’un bloc de branche gauche, d’une hypertrophie ventriculaire, d’un entraînement électrosystolique, d’un bloc auriculoventriculaire complet ou d’un traitement digitalique, le monitorage du segment ST est inopérant [59]. La surveillance continue de la pression artérielle est essentielle pour juger en permanence de la capacité du système circulatoire à maintenir une pression de perfusion optimale. En cas de chirurgie majeure, un cathéter artériel permet de raccourcir les délais de traitement des variations de pression artérielle. Là encore, les alarmes de pression artérielle doivent être impérativement vérifiées. Une pression artérielle diastolique inférieure à 40 mmHg réduit dangereusement la perfusion coronaire.
L’indication de la mise en place d’un cathéter artériel pulmonaire est depuis longtemps l’objet de controverses. Le développement d’une ischémie myocardique peut néanmoins s’accompagner d’une augmentation significative des pressions artérielles pulmonaires occlusives (PAPO), secondaire à l’altération de la performance systolique et de la compliance ventriculaire gauche [59].

En cas de survenue d’ischémie myocardique antérieure étendue intéressant le muscle papillaire, une onde V témoin d’une insuffisance mitrale aiguë peut se développer.
Cependant, l’augmentation des PAPO est relativement peu sensible dans ce contexte [60]. En cas de dysfonction ventriculaire gauche aiguë, l’analyse en continu du débit cardiaque et de la saturation veineuse en oxygène est aussi source d’informations. 

Il est à noter que le recrutement de cette étude est constitué d’une grande partie de patients ASA I et II pour lesquels l’utilisation d’un tel monitorage peut sembler discutable.
L’indication de mise en place d’une sonde de Swan-Ganz est donc fortement liée au type de procédure chirurgicale envisagé et au degré d’atteinte cardiovasculaire sous-jacente du patient. En cas d’altération de la fonction systolique ventriculaire gauche, il est recommandé de mettre en place un cathétérisme artériel pulmonaire dans les cas suivants [62] :
- infarctus myocardique récent (moins de 3 mois) compliqué d’insuffisance cardiaque ;
- chirurgies abdominale et thoracique majeures, chirurgie avec clampage aortique ;
- état de choc, polytraumatisme ;
- sepsis avec insuffisance circulatoire ;
- défaillance respiratoire sévère.
L’échographie transoesophagienne permet de détecter une dégradation segmentaire de la contractilité myocardique avec une grande sensibilité mais avec une spécificité médiocre [63].
Si elle autorise un monitorage optimal de la volémie, l’échographie transoesophagienne est difficilement utilisable chez les patients conscients ou extubés ; or, l’ischémie myocardique est deux fois plus fréquente en phase postopératoire et l’instabilité hémodynamique est souvent contemporaine de l’induction anesthésique [64].
D’autres facteurs limitant cette technique existent (disponibilité et prix des appareils, formation des anesthésistes-réanimateurs, reproductibilité de la technique opérateur-dépendante).
Des anomalies de contractilité segmentaire peuvent aussi exister en l’absence d’ischémie.

L’hypovolémie aiguë par réduction des pressions de remplissage ventriculaire gauche peut conduire à visualiser des anomalies de la cinétique segmentaire, surtout en cas d’altération préexistante de la contractilité. [65] Des modifications de la postcharge, du ventricule gauche inhérentes à un clampage aortique peuvent aussi entraîner des anomalies de la cinétique segmentaire d’autant plus marquées que le clampage aortique est proximal (notamment supracoeliaque) [66].
Le monitorage de la température centrale est indispensable si le risque d’hypothermie est important (salle d’opération froide, transfusion, durée opératoire longue, chirurgie extensive avec nécessité de remplissage vasculaire), car la prévention de l’hypothermie peropératoire pourrait minimiser les contraintes hémodynamiques postopératoires liées au réchauffement [18]. Le monitorage de la diurèse est un appoint indispensable pour apprécier la fonction circulatoire lors d’interventions importantes (vasculaire aortique, thoracique, abdominale). Le monitorage de la fraction expirée en gaz carbonique par capnographie est indispensable chez le patient coronarien atteint d’insuffisance cardiaque pour éviter l’hyperventilation qui majore le risque d’hypokaliémie, et pour dépister précocement les modifications de la V˙ O2 ou du débit cardiaque. Une chute brutale et importante de la fraction expirée en gaz carbonique est un signe révélateur d’une chute du débit cardiaque.

Conduite de l’anesthésie
Contrôles hémodynamique, ventilatoire et métabolique
Même si aucune étude ne démontre clairement qu’une détection précoce de l’ischémie myocardique périopératoire et une prise en charge optimale pourraient modifier le devenir postopératoire des insuffisants coronariens, il apparaît opportun de pouvoir contrôler rapidement un certain nombre de paramètres hémodynamiques, métaboliques et ventilatoires durant l’anesthésie et la phase postopératoire. Ainsi, l’hypertension, la tachycardie, l’hypotension et les arythmies doivent être corrigées le plus rapidement possible. Lieberman et al.
ont anciennement décrit les facteurs de risque hémodynamiques d’ischémie myocardique peranesthésique [67]. Le risque d’ischémie myocardique augmente ainsi lorsque la pression artérielle moyenne diminue de 30 %, lorsque la pression de perfusion coronaire diminue de 40 %, la fréquence cardiaque augmente de 20 %, la PAPO augmente de 76 % par rapport aux valeurs hémodynamiques initiales avant induction.
La valeur critique retenue pour la pression artérielle systolique est de 90 mmHg, 50 mmHg pour la pression de perfusion coronaire, 80 battements par minute pour la fréquence cardiaque.
Les agents anesthésiques et analgésiques sont utilisés afin de prévenir l’hyperactivation des systèmes ortho- et parasympathiques.

En cas d’insuffisance de ces mesures anesthésiques, le recours aux bêtabloquants, aux inhibiteurs calciques ou aux dérivés nitrés est indiqué. L’anémie aiguë profonde est un facteur de morbidité et de mortalité cardiovasculaires. Sur le plan ventilatoire, l’hématose doit toujours être optimisée de façon à éviter tout déséquilibre du rapport capacité de diffusion de l’oxygène/consommation d’oxygène dû à un défaut d’apport en oxygène. L’hypercapnie (50 mmHg) augmenterait de 15 % le débit sanguin coronaire en raison d’une augmentation concomitante du débit cardiaque (+ 13 %) ; l’hypocapnie modérée (31 mmHg) serait sans effet [68]. Les patients coronariens opérés d’une chirurgie non cardiaque avec un taux d’hémoglobine préopératoire inférieur à 5,8 g l–1 ont un risque de mortalité périopératoire 25 fois supérieur aux patients non anémiques [69]. De même, un taux d’hématocrite postopératoire inférieur à 28 % chez ces mêmes patients après chirurgie vasculaire lourde est un facteur de risque d’ischémie et de nécrose myocardiques [16, 70]. Après prostatectomie radicale, les facteurs de risque indépendants d’ischémie myocardique périopératoire sont l’existence d’une cardiopathie ischémique préalable, une tachycardie et un taux d’hématocrite inférieur à 28 % [71]. L’analyse de la littérature nous permet de conclure qu’un taux d’hémoglobine compris entre 9 et 10 g l–1 est souhaitable chez ces patients à risque [72]. L’hypothermie inférieure à 35 °C au réveil majore la morbidité cardiovasculaire postopératoire [17].Un contrôle thermique peropératoire strict (36,7 ± 0,1 °C à l’arrivée en unité de soins intensifs) réduit le risque de complications cardiovasculaires postopératoires de 55 % [18].

Choix de la technique anesthésique
Les principes anesthésiques restent donc similaires, quelle que soit la technique : la précharge, la postcharge, la fréquence cardiaque et la contractilité doivent être, si possible, maintenues dans d’étroites limites autour des valeurs préopératoires.

De nombreuses études ont tenté de documenter l’impact de différentes techniques anesthésiques sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires postopératoires des patients insuffisants coronariens. Un nombre limité d’études anciennes suggère= un effet bénéfique de l’anesthésie locorégionale.Cependant, ces études comportaient des biais méthodologiques et des imprécisions (contrôle hémodynamique non invasif, monitorage postopératoire à la discrétion de l’anesthésiste, analgésie postopératoire insuffisamment décrite, absence d’évaluation de la qualité de l’analgésie postopératoire). D’autres études plus récentes, prospectives, randomisées, portant sur un gros collectif de patients coronariens opérés d’une chirurgie vasculaire périphérique (pont fémoropoplité) n’ont pu clairement démontrer d’effet bénéfique de l’anesthésie périmédullaire (péridurale ou rachianesthésie) sur l’anesthésie générale en termes de morbidité ou même de mortalité postopératoire d’origine cardiovasculaire [74]. La combinaison narcose-anesthésie locorégionale n’a par ailleurs pas fait la preuve de sa supériorité sur l’anesthésie générale [75-77], malgré une implication dans la réduction des saignements peropératoires et des complications thromboemboliques postopératoires en cas d’arthroplastie de hanche [78].

Récemment, une méta-analyse basée sur 141 études cliniquesprospectives randomisées incluant plus de 9 500 patients publiée par Rodgers et al. conclut favorablement à la supériorité de l’anesthésie périmédullaire (péridurale et rachianesthésie) sur l’anesthésie générale en termes de morbidité et mortalité cardiovasculaires postopératoires [79].

Les effets bénéfiques de l’anesthésie locorégionale semblent dus à la prévention de l’inhibition de la fibrinolyse, source habituelle de thrombose artérielle postopératoire [11]. L’efficacité reconnue de l’analgésie postopératoire et laréduction de la réponse catécholergique au stress semblent supérieures en cas d’anesthésie locorégionale. [80] Récemment, d’autres études concluent de façon similaire.
L’analgésie péridurale thoracique réduirait significativement l’incidence des arythmies supraventriculaires après thoracotomie par blocage du système sympathique à destinée cardiaque [81]. Elle serait aussi à l’origine d’une réduction de l’incidence des ischémies postopératoires après fracture de hanche [82]. Elle participerait même à la réduction de la durée d’hospitalisation globale et en soins intensifs après prostatectomie radicale [83].

Anesthésie locorégionale
Anesthésie péridurale. Même si des mises au point récentes participent à une meilleure compréhension des effets cardiovasculaires et pulmonaires de l’anesthésie péridurale, notamment thoracique, [84] il semble parfois difficile d’extrapoler les effets de ce type d’anesthésie chez le sujet sain au sujet dont les réserves d’adaptation myocardiques sont altérées. L’anesthésie péridurale thoracique a des effets favorables, mais sa complexité de mise en oeuvre la rend en pratique faiblement utilisée. L’effet de l’anesthésie péridurale thoracique sur la performance ventriculaire gauche est l’objet de nombreuses études expérimentales et cliniques aux résultats souvent disparates. En effet, la contractilité du ventricule gauche peut être inchangée [85], réduite [86] ou majorée [87]. La variabilité de ces résultats est certainement due aux différentes méthodologies utilisées (modèle expérimental, type d’anesthésique local, utilisation de soluté adrénaliné, nombre de métamères bloqués, méthodes d’évaluation de la fonction ventriculaire gauche différentes).

Sur une population de 376 patients coronariens devant bénéficier d’une revascularisation coronarienne chirurgicale, l’analyse échographique démontre que l’anesthésie péridurale thoracique renforce la fonction diastolique du ventricule gauche tout en préservant la fonction systolique [88].La baisse de la postcharge du ventricule gauche consécutive au bloc sympathique en cas d’anesthésie péridurale améliore théoriquement la vidange ventriculaire, sous réserve que la contractilité ne soit pas altérée et que le sympathique à destinée cardiaque ne soit pas bloqué (T1-T4).
L’anesthésie péridurale améliore la contractilité du ventricule gauche après ischémie [89]. Chez des patients en angor instable, l’anesthésie péridurale thoracique réduit le nombre et la durée des épisodes ischémiques [90]. Cet effet ne semble pas seulement dû à une normalisation du débit sanguin coronarien, [91] mais aussi à la réduction des phénomènes douloureux qui accompagnent tout épisode angineux. Il existe par ailleurs une meilleure stabilité hémodynamique sous anesthésie périmédullaire du fait du blocage sympathique [92]. Cette technique demeure formellement contre-indiquée en cas de dysfonction ventriculaire gauche sévère, de cardiopathie obstructive, de troubles sévères de l’hématose, d’infection au site de ponction et de refus du patient.
Anesthésie locorégionale plexique. Dès lors que le siège et la nature de l’acte chirurgical l’autorisent, la possibilité de réaliser un bloc plexique ou tronculaire doit être retenue après consentement éclairé du patient. Les indications principales sont la chirurgie des membres et la chirurgie ophtalmologique. L’avantage de ces techniques réside en la possibilité de réaliser une analgésie postopératoire de qualité, par mise en place d’un cathéter, notamment dans la chirurgie des membres. L’indication d’une anesthésie locorégionale intraveineuse est plus discutable dans la mesure où, même si l’utilisation de bupivacaïne n’est pas indiquée, le risque de lâchage du garrot n’est jamais nul. Il convient alors d’utiliser les garrots à double manchette afin de limiter les risques.

Choix de l’anesthésique local. Les accidents cardiotoxiques dus aux anesthésiques locaux sont imputables à une résorption massive ou bien à une injection intravasculaire directe accidentelle. Ils sont d’autant plus graves que l’anesthésique est puissant et que le pic de concentration plasmatique est atteint rapidement. L’effet se traduit par un ralentissement des vitesses de conduction et une altération de l’inotropisme [93]. La bupivacaïne et la ropivacaïne, plus puissantes, sont plus toxiques. La toxicité cardiovasculaire de la lidocaïne est précédée d’une symptomatologie neurologique. L’hypoxie, l’hypercapnie, l’acidose, l’hypothermie, l’hyponatrémie et l’hyperkaliémie sont autant de facteurs aggravants [93]. D’autre part, les médicaments à tropisme cardiovasculaire aggravent la cardiotoxicité des anesthésiques locaux. C’est le cas des inhibiteurs calciques, des bêtabloquants et des antiarythmiques de classe I [93].
L’essentiel de ces effets adverses peut être prévenu par l’indication réfléchie du type d’anesthésie, une technique rigoureuse, un choix judicieux de l’anesthésique local, un monitorage et une surveillance adaptés. La lidocaïne et la mépivacaïne semblent des choix préférables à la bupivacaïne, surtout en présence d’une cardiopathie avec troubles de la conduction et de l’excitabilité, de traitement par inhibiteurs calciques ou bêtabloquants. La ropivacaïne dont l’efficacité est proche de la bupivacaïne en termes de durée d’action semble posséder une toxicité cardiaque inférieure sur le plan expérimental.

Cette toxicité demeure néanmoins supérieure à celle de la lidocaïne. L’utilisation d’adjuvants (morphinomimétiques, solutions alpha2-agonistes, solutions adrénalinées ...) à l’anesthésique local permet de réduire les effets potentiellement délétères des anesthésiques locaux, en réduisant dose et concentration. L’adjonction de solutés adrénalinés aurait des effets inotropes (bêta 1) mais entraînerait une baisse modérée de la pression artérielle systémique (effet bêta 2).
Anesthésie locorégionale et anticoagulation. En cas d’indication d’anesthésie périmédullaire, chez un patient anticoagulé par héparine sodique intraveineuse, l’arrêt de l’héparine est effectif au moins 2 heures avant la mise en place du cathéter (vérification systématique de l’isocoagulabilité par un temps de céphaline activé). Pour les héparines de bas poids moléculaire, la dernière injection doit précéder la ponction d’au moins 10 à 12 heures. La première dose d’héparine de bas poids moléculaire est administrée au moins 2 heures après le retrait du cathéter.
La présence de ticlopidine doit faire différer l’intervention d’au moins 10 jours en cas d’indication d’anesthésie locorégionale [93]. Le risque d’hématome périmédullaire chez un patient traité par aspirine ou anti-inflammatoire non stéroïdien semble très faible, et il n’est rapporté que de manière anecdotique. L’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens ne contreindiquent pas systématiquement une anesthésie périmédullaire au cas par cas si l’on considère que son bénéfice est supérieur au très faible risque d’hématome médullaire, à la condition que le patient n’ait reçu aucun traitement anticoagulant avant la ponction.

Il faut alors préférer la rachianesthésie en ponction unique à la péridurale ou la rachianesthésie avec mise en place de cathéter [94]. En cas de bloc périphérique, l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens constituent probablement un risque très faible ou nul. Le risque lié aux thiénopyridines est ressenti comme plus important et justifie une évaluation précise du rapport bénéfice-risque de leur arrêt si l’on désire pratiquer un bloc plexique ou une anesthésie locorégionale intraveineuse. En ophtalmologie (anesthésie péribulbaire, intracaronculaire), un traitement par thiénopyridines est préférablement suspendu.

Anesthésie générale
Induction. L’induction est généralement réalisée sous oxygène pur. L’utilisation du protoxyde d’azote est déconseillée, en particulier en raison d’un risque majoré d’activation orthosympathique [95], de dépression de la fonction ventriculaire gauche et d’altération du débit cardiaque [96] concourant à une majoration du risque d’ischémie myocardique peranesthésique [96-99]. Les produits ayant une forte action inotrope négative doivent naturellement être évités quand il existe une insuffisance cardiaque associée (thiopental et propofol en bolus). En ce qui concerne les agents d’induction, les benzodiazépines (midazolam) ont peu d’effets circulatoires [97]. Leur action sur la précharge est même plutôt favorable, voire recherchée en cas de dysfonction systolique associée [100]. L’étomidate reste une molécule également intéressante du fait de la modicité de ses effets circulatoires. La kétamine ne devrait pas être utilisée seule chez l’insuffisant coronarien car elle est à l’origine de tachycardies délétères [101].

Les morphiniques ont acquis une grande popularité chez ce type de patient car ils ont peu d’effets circulatoires, même à doses fortes, et ils atténuent fortement la réponse sympathique aux stimuli nociceptifs.
Les agonistes des récepteurs morphiniques μ1 tels que la morphine, le fentanyl, le sufentanil et le rémifentanil ont expérimentalement un effet cardioprotecteur lorsqu’ils sont administrés avant la survenue de l’épisode ischémique [95].Mais leur administration durant ou après la survenue de l’épisode ischémique est dépourvue de ces effets protecteurs. La morphine, en raison de ses effets agonistes μ1, sensibilise les myofilaments myocytaires au calcium [102]. Les effets centraux de son antagoniste, la naloxone, améliorent la récupération du myocarde ischémique [103]. L’anesthésie intraveineuse à objectif de concentration a connu ces dernières années un large essor en chirurgie cardiaque (revascularisation coronarienne) [104, 105]. La littérature reste cependant pauvre concernant l’anesthésie pour chirurgie non cardiaque des patients insuffisants coronariens. L’anesthésie intraveineuse à objectif de concentration pourrait cependant participer à limiter les conséquences hémodynamiques liées à l’intubation et à l’incision, [106] ainsi que l’instabilité hémodynamique inhérente aux surdosages morphiniques (débit massique) [107].

Le choix du curare n’a rien de spécifique. Il convient cependant de proscrire le bromure de pancuronium à l’effet tachycardisant.
Si la fonction cardiaque est très altérée, il peut être licite de pratiquer l’induction de l’anesthésie sous couvert d’une perfusion continue de catécholamine inotrope (dobutamine).

En cas d’estomac plein, dans une situation d’urgence, une séquence différente doit être proposée. L’étomidate est utilisé seul, tout au moins jusqu’à l’intubation, qui est facilitée par l’administration de succinylcholine.
Entretien. L’association morphinique et halogéné paraît préférable pour l’entretien de l’anesthésie. Les agents halogénés restent très efficaces pour atténuer la réponse adrénergique aux stimuli chirurgicaux [108, 109]. Les anesthésiques halogénés utilisés en entretien ont des effets dépressifs myocardiques documentés, mais ceci à des concentrations plutôt élevées. L’isoflurane est bien toléré car ses effets sur les résistances artérielles compensent son action inotrope négative. Il améliore ainsi la vidange systolique ventriculaire gauche [110]. Cet agent a longtemps été décrit comme responsable d’un vol coronaire secondaire à une vasodilatation coronarienne en aval d’une sténose [111]. Ces effets ischémiques sembleraient surtout dus à une baisse de la pression de perfusion coronaire secondaire à une baisse de la pression artérielle moyenne. D’autres études récentes tendent à démontrer un effet protecteur de cet halogéné contre l’ischémie myocardique [95, 112].
L’isoflurane réduirait l’afflux calcique intramyocytaire, majorant de fait les effets inotropes négatifs et les effets vasodilatateurs des inhibiteurs calciques [113, 114]. Leseffets hémodynamiques du desflurane sont voisins de ceux de l’isoflurane [115].
À concentrations fortes (> 1,7 CAM), le sévoflurane semble altérer la postcharge ventriculaire de façon plus significative.

Il induit lui aussi un effet coronarodilatateur dose-dépendant et une baisse de la consommation myocardique d’oxygène uniquement à haute dose (> 2 CAM), dont le mécanisme semble encore équivoque [116]. Ces trois anesthésiques volatils altèrent significativement le couplage ventriculovasculaire gauche (rapport des élastances ventriculaire gauche et artérielle, c’est-àdire la façon qu’a le ventricule gauche de s’adapter aux variations de postcharge) dès lors que leur concentration devient supérieure à 0,9 CAM [115].
Des morphiniques sont régulièrement administrés, mais la tendance actuelle semble être de réduire les doses. En effet, les fortes doses de morphiniques (fentanyl, alfentanil, sufentanil) n’assurent pas toujours une stabilité hémodynamique satisfaisante lors des stimuli nociceptifs chirurgicaux et imposent une ventilation contrôlée postopératoire prolongée [117]. Le rémifentanil à la demi-vie contextuelle courte est bien toléré sur le plan hémodynamique, à condition d’éviter tout bolus, responsable d’une réduction de l’élastance télésystolique ventriculaire gauche (reflet de la contractilité) [118]. Le choix du type de morphinique dépend essentiellement de la durée et du type d’acte chirurgical, ainsi que du protocole d’analgésie postopératoire retenu.

Préconditionnement anesthésique par les agents halogénés. 
Le préconditionnement ischémique contribue à la protection endogène du myocarde face à l’ischémie. Il est constitué d’une ou plusieurs ischémies courtes qui induisent un signal protecteur face à une ischémie longue. Ces ischémies courtes peuvent être remplacées par l’administration préalable d’un halogéné avec un même effet protecteur comparable : on parle de préconditionnement anesthésique. Ces deux préconditionnements partagent les mêmes mécanismes biochimiques (protéine kinase C, tyrosine kinase, ouverture des canaux potassium-acide adénosine triphosphate de la mitochondrie et du sarcolemme, activation de l’oxyde nitrique-synthase endothéliale) [120]. Il semble aussi possible de protéger le myocarde après survenue d’une ischémie (lors de la reperfusion), soit par une succession d’ischémies de courte durée, soit par l’administration d’agents anesthésiques volatils. C’est la définition du postconditionnement. De nombreuses études cliniques récentes, réalisées en chirurgie cardiaque (revascularisation myocardique) démontrent que le préconditionnement anesthésique par agents halogénés (isoflurane, sévoflurane, desflurane) diminue les taux de troponine Ic postopératoire et améliore la récupération fonctionnelle ventriculaire gauche après circulation extracorporelle (versus propofol) [121-124].

La dernière étude prospective randomisée sur un collectif de 150 patients met en évidence un préconditionnement et un postconditionnement ischémiques plus favorables avec le sévoflurane utilisé avant, pendant et après la circulation extracorporelle, tendant même à diminuer la durée de séjour en soins intensifs et la durée de séjour hospitalière [124]. Cette dernière étude clinique, qui reste à confirmer, suggère un effet additif du pré- et du postconditionnement par les agents halogénés. Pour autant, aucune étude ne tend à démontrer à l’heure actuelle d’effet bénéfique du préconditionnement anesthésique sur la mortalité postopératoire. De même, la totalité des études est réalisée en chirurgie cardiaque (pontages aortocoronariens avec ou sans circulation extracorporelle) [121-125]. Il reste à démontrer cet effet bénéfique du pré- et du postconditionnement anesthésique en chirurgie non cardiaque.

Antibioprophylaxie: elle doit tenir compte du type de chirurgie (notion de geste chirurgical à risque,notamment oto-rhino-laryngologique, digestif ou urogénital) et d’éventuels risques de greffe endocarditique consécutifs à certaines pathologies cardiaques associées (présence de prothèse valvulaire, cardiopathie cyanogène non obstructive, valvulopathie, bicuspidie aortique ....) [126]. Elle repose dans la plupart des cas sur l’association d’une bêtalactamine (amoxicilline) et d’un aminoside (gentalline) par voie intraveineuse dans l’heure précédant le geste. Une prise orale d’amoxicilline est souvent nécessaire 6 heures plus tard. En cas d’allergie aux bêtalactamines, l’association vancomycine ou téicoplanine et gentamicine est justifiée [126].

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