Induction
Parmi les agents anesthésiques, seuls l’halothane et surtout le sévoflurane peuvent être utilisés lors de l’induction chez l’adulte
et chez l’enfant. L’effet irritant du desflurane contre-indique
formellement son utilisation comme agent d’induction. L’effet
irritant de l’isoflurane est moindre qu’avec le desflurane, mais
le plus long délai d’induction rend cette technique moins
maniable pour la pratique clinique. Si l’induction au masque
chez l’enfant est très largement utilisée depuis longtemps,
l’induction au masque chez l’adulte est une pratique récente.
Peu utilisée, elle permet cependant, dans l’extrême majorité des
cas, une stabilité hémodynamique et des conditions d’intubation
excellentes tout en conservant la ventilation spontanée.
Ceci constitue un avantage en cas d’intubation difficile. Les
complications respiratoires secondaires observées lors de
l’induction par inhalation avec du sévoflurane ont la même
fréquence que lors d’une induction intraveineuse et la majorité
des auteurs retrouve une même acceptation de la technique dès
lors qu’il est demandé au patient d’inspirer une capacité vitale
forcée d’un mélange contenant 50 % de N2O et 8 % de sévoflurane.
Cette technique dite « de la capacité vitale » permet
d’accélérer la vitesse de perte de conscience qui varie alors entre
20 et 60 secondes.
La majorité des utilisateurs emploie dès l’induction leur circuit-filtre, ce qui permet de réduire la consommation d’agents
halogénés. En effet, le circuit ainsi saturé d’halogénés est utilisé
pour l’entretien de l’anesthésie dès l’induction. Cette pratique
évite d’avoir à saturer l’espace mort du circuit secondairement
comme c’est le cas après une induction intraveineuse. Une valve
spécifique, la valve SIBI®, permet de réaliser la préoxygénation
et la préparation du circuit sans utiliser le circuit accessoire.
Cette valve réduit la pollution du bloc opératoire.
Bien que simple en apparence, cette technique nécessite un
minimum d’apprentissage car le délai au bout duquel il est
possible d’intuber est variable entre les sujets (4 à 5 minutes) et
il n’existe pour le moment aucun moyen objectif autre que le
sens clinique de l’opérateur pour juger du moment optimal de
l’intubation ou de l’insertion du masque laryngé. La valeur
téléexpiratoire des concentrations en halogéné ne permet pas de
déterminer ce délai car elle reflète mal les concentrations
cérébrales pendant l’induction (cf. supra). Les publications
déterminant les CAM d’intubation ou de pose de masque
laryngé sont toutes effectuées en condition stationnaire et donc
n’ont pas de relevance clinique lors de l’intubation. Le BIS ne
permet pas lui non plus de prédire quels sujets vont ou non
bouger lors de l’intubation. Seuls des critères cliniques parfois
subjectifs tels que le délai écoulé depuis le début de l’induction,
la position centrée des pupilles, un myosis (inconstant) et le
relâchement du maxillaire inférieur permettent de juger du
moment adéquat pour intuber le patient.
Des adjuvants ont été proposés lors de l’induction au masque
avec le sévoflurane pour améliorer ou raccourcir les délais de
perte de conscience, d’intubation ou de pose de masque
laryngé. L’adjonction de N2O au mélange permet de réduire le
délai d’intubation et la concentration alvéolaire théorique
d’intubation. [104] Une moindre incidence de phénomènes
d’excitation lors de l’induction liée à l’association de N2O au
sévoflurane est observée chez l’enfant mais pas toujours chez
l’adulte. [20, 116] L’utilisation conjointe de morphiniques associés
au sévoflurane peut être proposée pour améliorer les conditions
d’induction. Les concentrations idéales de morphiniques et leur
moment d’administration dépendent de l’objectif clinique.
L’objectif théorique est de réduire la CAM de l’halogéné et
d’accélérer la vitesse d’induction tout en gardant une stabilité
hémodynamique et une ventilation efficace. L’adjonction d
morphiniques ne permet pas d’accélérer le délai de perte de
conscience. Les morphiniques permettent certes de diminuer la
CAM d’intubation du sévoflurane à 2 % environ, mais parallèlement
la synergie d’action sur la commande respiratoire entre
opioïdes et agents halogénés est responsable d’apnées chez un
nombre élevé de patients, y compris pour des concentrations de
morphiniques faibles. [27]L’avantage principal des petites
concentrations de morphiniques est d’obtenir une stabilité
hémodynamique supérieure et d’éviter l’élévation de fréquence
cardiaque induite par la technique ou l’intubation. [109] Lorsque
les concentrations de morphiniques sont plus importantes, une
chute de pression artérielle et de fréquence cardiaque est
observée chez 30 % des patients de façon similaire à l’association
propofol-alfentanil. [110] Des cas d’asystolie ont été également
décrits. Enfin, l’incidence d’apnée voire la fermeture de
glotte induite par les fortes concentrations de morphiniques
rendent alors cette technique peu différente de l’induction par
voie intraveineuse et un curare peut s’avérer nécessaire.
Lors de l’induction anesthésique avec 8 % de sévoflurane, des
modifications de l’EEG sous forme d’activité pointes-ondes ont
été décrites chez l’adulte et chez l’enfant. Ces modifications
surviennent de façon préférentielle lorsque la concentration de
fin d’expiration s’élève au-dessus de 2 CAM, en présence d’une
hypocapnie spontanée ou provoquée par une hyperventilation
intentionnelle, et seraient paradoxalement moins fréquentes en
présence de N2O. Ces modifications électriques peuvent être
associées à des mouvements cloniques. Quelques cas de crises
tonicocloniques généralisées ont été observés chez des patients
prédisposés, voire ont permis de diagnostiquer une tumeur
cérébrale latente. Chez les sujets prédisposés, cette activité n’est
pas limitée à la zone épileptogène, ce qui suggère un risque de
manifestation électrique paroxystique y compris chez les sujets
sains. [63] L’incidence de ces anomalies est pour le moment mal
connue, notamment chez l’adulte. Dans une étude prospective,
Conreux et al. l’enregistrent chez deux enfants sur 18, alors que
Constant et al. ne l’observent chez aucun enfant. [19, 20]
L’utilisation d’une benzodiazépine comme agent de prémédication
pourrait expliquer la discordance entre ces deux études. De
plus, aucune corrélation entre cette activité électrique paroxystique
et des anomalies résiduelles lors du réveil n’a pu être
établie. Cette activité électrique cérébrale paroxystique survient
au même moment que l’augmentation de fréquence cardiaque
et l’élévation de la pression artérielle, comme c’est le cas lors
des sismothérapies. La relation de cause à effet existant entre
cette activité électrique et la tachycardie (voire la poussée
hypertensive) observée en moyenne dans les 2 minutes suivant
le début de l’induction reste cependant à établir. Clairement,
chez les patients souffrant d’antécédents d’épilepsie, il semble
donc préférable de ne réserver la technique d’induction au
masque avec 8 % de sévoflurane qu’aux situations où l’induction
par voie intraveineuse n’est pas possible. Il est alors licite
d’élever le seuil épileptogène de ces patients grâce à l’administration
préopératoire d’une benzodiazépine.
Enfin, chez le coronarien et l’insuffisant cardiaque, cette technique n’a pour le moment pas été validée.
Avec l’induction au masque, le coût d’une anesthésie, même
de courte durée, est inférieur à celui d’une anesthésie avec du
propofol sous réserve d’un contrôle strict du débit de gaz frais
et de la durée de préparation du circuit. [50, 107] Ainsi, après
l’induction avec un circuit-filtre, en réduisant le débit de gaz
frais à 1 l.min–1 et en fermant le vaporisateur, la décroissance
lente des concentrations expirées jusqu’à la CAM est obtenue en
20 minutes en moyenne. Cette technique dite d’overcoasting, qui
limite la délivrance des halogénés à la stricte période de
l’induction, permet ainsi une réduction nette des coûts pour des
anesthésies de courte durée.
Si la pratique de l’induction par inhalation a des avantages
majeurs chez l’enfant, les indications spécifiques de cette
technique chez l’adulte restent à définir. Plusieurs auteurs
rapportent l’intérêt de cette technique en cas d’intubation
difficile. [26, 50]
Entretien
Actuellement, l’isoflurane, le desflurane et le sévoflurane sont
majoritairement utilisés après une induction intraveineuse pour
l’entretien de l’anesthésie. Leurs faibles différences pharmacodynamiques
expliquent que leur choix dépende de leurs
différences pharmacocinétiques contrebalancées par leur coût
direct et indirect (cf. infra). L’argument cinétique, très largement
utilisé pour justifier un abandon de l’halothane et de l’isoflurane,
résulte d’une schématisation héritée de la seule analyse
des coefficients de partition sang-gaz des différents agents. La
réalité est plus complexe et le délai d’obtention de concentrations
alvéolaires adaptées soit à l’anesthésie soit au réveil
dépend de nombreux paramètres. Ceux-ci peuvent être modulés
pour obtenir des effets cliniques superposables quel que soit
l’agent utilisé dans nombre de circonstances (cf. supra).
Le coût direct de l’anesthésie peut en effet être multiplié par
quatre. Le prix de l’entretien et d’une adaptation thérapeutique
peuvent atteindre une somme élevée dès lors que la gestion des
gaz frais n’est pas rigoureuse ou qu’un circuit sans réinhalation
est utilisé. Les moindres effets de la réinhalation justifient une
gestion différente des ajustements thérapeutiques selon l’agent.
Avec de l’isoflurane, l’augmentation rapide des concentrations
de fin d’expiration ne peut être obtenue qu’en augmentant de
façon simultanée la concentration délivrée par le vaporisateur et
le débit de gaz frais. Du fait de la plus faible captation périphérique
du sévoflurane et surtout du desflurane, [87]augmenter au
maximum la concentration délivrée par le vaporisateur permet
une adaptation thérapeutique rapide sans avoir à augmenter le
débit de gaz frais. De plus, ce dernier peut être réglé à des
valeurs très basses, inférieures à 1 l.min–1, suffisantes pour
compenser la consommation du patient et les fuites.
L’utilisation du N2O en association avec les halogénés reste justifiée du fait de son effet additif sur la CAM de ces derniers.
L’adjonction de 50 % de N2O permet de réduire de moitié la
consommation des agents halogénés et donc d’autant le coût
d’utilisation des plus chers d’entre eux. La réduction du risque
de mémorisation et celle du délai de réveil pour les agents les
plus solubles constituent un avantage clinique indéniable. [45, 46]
Aucun agent halogéné ne possède d’autorisation de mise sur
le marché spécifique pour un type de chirurgie donné. En
pratique clinique, l’isoflurane reste indiqué dans l’extrême
majorité des cas pour l’entretien de l’anesthésie générale
balancée. Cependant, lorsque des concentrations élevées
d’halogénés sont nécessaires, l’isoflurane s’accumule et un délai
de réveil supérieur est prévisible. L’utilisation d’agents peu
solubles comme le desflurane ou le sévoflurane peut donc se
justifier lorsque l’anesthésiste doit réaliser une hypotension
contrôlée. Plus encore, la grande maniabilité des agents peu
solubles permet d’adapter le niveau d’anesthésie plus rapidement.
Ainsi, l’adaptation du niveau d’anesthésie plus rapide
avec du desflurane qu’avec de l’isoflurane permet une moindre
utilisation des hypotenseurs associés. [9] Bien qu’il n’existe pas
d’étude randomisée, un contrôle moins rapide des variations de
pression artérielle est prévisible avec l’isoflurane, lors de la
chirurgie du phéochromocytome par exemple ou pour diminuer
la poussée hypertensive liée à un stimulus nociceptif chez un
hypertendu. De même, en pratique clinique, l’allègement de
l’anesthésie, nécessaire en cas de chute de tension artérielle
majeure, est obtenu moins rapidement avec l’isoflurane.
Clairement, bien que toujours utilisable, l’isoflurane n’a plus,
pour ces raisons, une place privilégiée en pratique dans les
indications suivantes : chirurgie du phéochromocytome ;
hypotension contrôlée ; patient pour lequel des modifications
hémodynamiques majeures sont attendues comme chez le
patient hypertendu ; contrôle du retentissement hémodynamique
lors de la chirurgie comportant des clampages vasculaires
carotidien ou aortique. Ainsi, le desflurane utilisé pour contrôler
les à-coups de pression artérielle lors de la chirurgie aortique
permet le maintien des performances hémodynamiques [48] et
un contrôle rapide des chiffres tensionnels.
Si l’utilisation d’agents faiblement liposolubles a peu de
conséquences sur la durée de séjour en salle de réveil, un
retentissement psychomoteur lié à la persistance de faibles
concentrations d’halogénés est en faveur de l’utilisation d’agents
moins solubles lors de la chirurgie ambulatoire.
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