Taysir Assistance.TN Résumé. – Les méthodes d’épuration extrarénale se sont enrichies d’une gamme de techniques utilisant le transport convectif. Ce dernier autorise, à la façon du glomérule, la filtration de très grandes quantités de fluides et le passage de substances d’un poids moléculaire inférieur à 30 000 Da. L’importante quantité de liquide ultrafiltré doit être compensée par l’administration d’un liquide de substitution dont la composition est adaptée afin de rétablir l’équilibre hydroélectrolytique souhaité. Ces techniques peuvent être mises en oeuvre de diverses façons dont seule la méthode veinoveineuse est aujourd’hui utilisée en pratique régulière. Elle utilise des dispositifs qui asservissent les entrées aux sorties de façon à ne pas induire de situations d’hypovolémie ou de déshydratation.
La maîtrise des aspects pratiques de ces techniques est essentielle pour assurer leur réussite.Voies vasculaires, anticoagulation, modificationspharmacocinétiques, équilibre nutritif, monitorage doivent faire l’objet d’une formation spécifique du personnel médical et paramédical utilisant ces méthodes.
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Mots-clés : hémofiltration, insuffisance rénale aiguë.
Introduction
Depuis les années 1970,les techniques d’hémofiltration continue (HFC) se sont
progressivement imposées comme méthode thérapeutique pour la prise en charge de l’insuffisance rénale aiguë (IRA) en réanimation à la place de l’hémodialyse intermittente (HDI) [13]. Cet état de fait résulte de propriétés spécifiques de cette famille de méthodes d’épuration extrarénale dont la réalité est bien établie mais aussi de préférences individuelles de sorte que la question d’un choix étayé entre HFC et HDI reste difficile.
Quoi qu’il en soit, il est probable que les deux types de techniques soient d’efficacité équivalente lorsqu’il s’agit simplement de suppléer la fonction rénale à condition qu’elles soient correctement mises en oeuvre.
Toutefois, l’expérience de ces techniques relativement invasives apprend qu’elles sont susceptibles, en cas d’erreur, de défaillance matérielle ou de manque d’habitude, d’entraîner des complications graves. Leur emploi requiert donc une solide formation préalable ainsi qu’une parfaite compréhension de leur mode de fonctionnement.
Principes
PRINCIPE DE L’HÉMOFILTRATION
Au cours de l’HFC, les échanges se réalisent par transport convectif : seul le gradient de pression hydrostatique détermine le passage des substances et de leur soluté. Dans le cas typique, il n’y a pas de différence de pression oncotique de part et d’autre de la membrane.
Toutes les molécules dont l’encombrement stérique est compatible avec la dimension des pores membranaires peuvent fuir du plasmavers l’extérieur. On exprime souvent cette caractéristique par la notion de « point de coupure » [11].
Il s’agit du poids moléculaire limite des molécules qu’une membrane laisse passer. Cette mesure est seulement schématique car, d’une part, la limite de perméabilité s’opère graduellement et, d’autre part, parce qu’elle est variable pour un même poids moléculaire d’une molécule à l’autre. En effet, d’autres facteurs influent sur la capacité de passage des molécules comme leur charge électrique ou leur degré de liaison protéique. La molécule qui passe le mieux par convection est la plus petite et la plus abondante du plasma : l’eau. Le liquide ainsi obtenu est dénommé « ultrafiltrat » (UF). Il contient toutes les substances ayant la capacité de passer la membrane qui s’y retrouvent à des concentrations proches de leur concentration plasmatique. Il en résulte que la clairance des molécules est à peu près égale au débit d’ultrafiltration. L’eau n’échappe pas à ce principe et sa clairance est égale au débit d’ultrafiltration, faisant de l’hémofiltration la méthode diurétique la plus puissante possible. Cette « diurèse forcée » emporte les petites molécules sans discrimination, qu’elles soient à considérer comme des déchets du métabolisme que l’on évalue en clinique par la surveillance de l’urée et de la créatinine ou qu’elles soient des molécules physiologiques comme les électrolytes ou les acides aminés. Ainsi, une HFC efficace repose sur un transport convectif d’environ 20 L/j chez un adulte. Il est évident que même si une déplétion hydrique importante est souhaitée, une large part de cette perte hydrique doit être compensée : ce but est atteint par l’administration de liquide de substitution (ou de « restitution »). Ce remplacement se fait à l’aide d’une solution (spécialité pharmaceutique) dont la composition est similaire à celle du plasma en ce qui concerne les électrolytes. Sa composition peut être délibérément modifiée en cas d’anomalie de l’ionogramme sanguin en vue de corriger ce trouble.
PRINCIPE DE L’HÉMODIALYSE
En revanche, l’HD repose sur le principe physique de diffusion qui entraîne peu de passage de solvant. L’intensité du transport dépend du gradient de concentration, du coefficient de diffusion de la substance considérée, de la composition du dialysat, de la nature de la membrane et de la surface d’échange. La vitesse de transfert est inversement proportionnelle au poids moléculaire de la substance.
En cas de fort gradient de concentration entre le plasma et le dialysat, le transport est maximal. L’HD peut donc être très efficace pour les molécules anormalement présentes en grandes quantités. Il s’agit en général de molécules de petite taille. Les faibles transferts volumiques de l’HD font qu’il n’y a pas besoin de substitution ; en pratique, la part convective d’une séance d’HDI dépasse rarement 2 à 3 L.
PLACE RESPECTIVE DES DEUX PRINCIPES PHYSIQUES
Ainsi, les molécules de faible poids moléculaire et présentes en grand nombre comme l’urée, le potassium ou la créatinine sont principalement éliminées par diffusion (HD) alors que celles dont le poids moléculaire est plus élevé mais dont la taille reste inférieure à celle des pores de la membrane, telle la myoglobine, et qui se trouvent en faible nombre dans le soluté sont mieux éliminées par convection (hémofiltration). Sur le plan théorique, les deux techniques sont donc complémentaires et le choix de l’une ou de l’autre devrait dépendre de ce que l’on souhaite éliminer. Hélas, cette dernière question n’est pas totalement résolue ; de nombreux indices reflétant la qualité de l’épuration extrarénale se sont imposés, comme l’urémie et la créatininémie dans le cadre de la suppléance rénale chronique. On peut toutefois au moins formuler l’hypothèse que les buts à atteindre lors des situations d’IRA où la défaillance rénale n’est que l’une des composantes du tableau clinique sont différents.
Au plan de l’efficacité, les deux techniques atteignent à peu près les mêmes objectifs de suppléance rénale mais l’HFC est utilisée en continu là où l’HDI se pratique en séances de 4 à 5 heures. On peut donc en conclure que cette dernière est, rapportée au temps d’utilisation, de 5 à 6 fois plus « puissante » en matière d’épuration.
Techniques d’hémofiltration continue
De nombreuses combinaisons sont possibles pour définir différentes techniques selon le mode d’épuration principal utilisé : diffusif, convectif ou mixte et le mode d’abord vasculaire, artérioveineux ou veinoveineux.
MÉTHODES ARTÉRIOVEINEUSES
La continuous arterio-venous hemofiltration (CAVH) ne nécessite que peu de matériel. C’est la pression artérielle du malade qui fournit l’énergie nécessaire pour faire circuler le sang dans l’hémofiltre. Le sang provient d’un cathéter inséré dans une artère de gros calibre et retourné au malade par un second cathéter veineux. Le débit sanguin spontané ainsi obtenu est de l’ordre de 50 à 90mL.min-1 pour une pression artérielle moyenne normale. Les résistances à l’écoulement des hémofiltres et des lignes utilisées doivent être les plus basses possible afin de permettre un débit suffisant et maintenu dans le temps. Ces conditions permettent alors d’obtenir un débit d’UF adéquat pour assurer une suppléance rénale à peu près satisfaisante à la condition d’un emploi continu et précoce et d’une hémodynamique satisfaisante. Les clairances de la créatinine obtenues sont au mieux de l’ordre de 10 à 30 mL·min-1 [16]. En dehors du débit d’UF, qui n’est qu’un argument indirect, il n’existe pas en routine de moyen simple pour déterminer le débit sanguin du circuit ; or, les diminutions de débit favorisent la thrombose du circuit. Les lignes employées doivent être courtes et de gros calibre, afin de limiter les résistances à l’écoulement qui favorisent la thrombose. Cette dernière est en effet la cause d’échec la plus répandue. Elle fait augmenter les doses d’héparine administrées, ce qui augmente probablement le risque hémorragique en présenced’un abord artériel de gros calibre.
MÉTHODES VEINOVEINEUSES
La continuous venovenous hemofiltration (CVVH) soustrait et restitue du sang veineux à l’aide d’une pompe. Le débit sanguin est ainsi imposé, ce qui assure une efficacité soutenue, à la différence de la CAVH. Les résistances à la perfusion du système étant constantes, le débit imposé à la pompe détermine la pression d’ultrafiltration et donc la quantité d’UF produite. La limite au débit d’UF est ainsiimposée par celle du débit sanguin au travers du circuit et par le degré d’hémoconcentration souhaité. Si les dangers d’un abord artériel sont ici écartés, d’autres aspects nécessitent d’êtresoigneusement pris en considération. En effet, l’utilisation d’une pompe fait courir les risques potentiels d’embolie gazeuse et d’hémorragie par déconnexion d’un élément le long du circuit. Pour cette raison, l’appareil de CVVH doit être doté d’un dispositif d’alarme et d’interruption automatique de la circulation du sang de façon similaire aux appareils de dialyse. Pour éviter la déconnexion du circuit, la fixation du cathéter au patient doit être excellente. En effet, la résistance à l’écoulement du sang dans la ligne de retour veineux est normalement assez importante de sorte qu’une déconnexion veineuse n’entraîne pas nécessairement une chute de pression suffisante pour que le dispositif de monitorage de pression ne réagisse de façon adéquate.
DIALYSE COMPLÉMENTAIRE
Chez certains sujets soumis à un catabolisme intense ou ayant accumulé un retard d’épuration, l’hémofiltration peut être insuffisante pour assurer une épuration adaptée, notamment à l’égard des substances de faible poids moléculaire telles que l’urée ou la créatinine. Une dialyse continue peut alors lui être associée en utilisant l’hémofiltre pour réaliser, en plus des échanges par convection, des échanges par diffusion. Ces techniques sont regroupées sous le vocable d’hémodiafiltration (CAVHDF ou CVVHDF) [2]. Cette dialyse est réalisée en faisant circuler un liquide à bas débit (0,5 à 4 L·h-1) et à contre-courant dans le compartiment de recueil d’UF (fig 1).
Figure1: Montage de continuous veno-venous hemodiafiltration (CVVHDF)
ou hémodiafiltration veinoveineuse. Le sang est aspiré depuis le cathéter veineux par une pompe, reçoit une solution anticoagulante puis traverse l’hémofiltre où il est ultrafiltré. À sa sortie, il est recueilli sur un filtre veineux destiné à éviter les embolies cruoriques ou gazeuses. Un dispositif de sécurité (électroclamp) est inséré à ce niveau.
Le sang est retourné au patient par un autre cathéter ou l’autre voie d’un cathéter à double lumière. De l’autre côté de la membrane, l’ultrafiltrat produit se mélange avec le liquide de dialysat qui est entraîné par la seconde pompe.
Le faible débit utilisé permet de ne pas recycler le liquide de dialyse et de simplement le perdre avec l’UF.
Ce procédé sert souvent à rendre efficace une hémofiltration qui ne l’est pas assez mais complique le montage du circuit en introduisant des risques d’erreurs supplémentaires. Elle ne peut être raisonnablement employée qu’avec une machine automatisant les bilans hydriques. En effet, le volume recueilli correspond au mélange de l’UF et du liquide de dialyse.
Il est donc assez important(100 L/j est une valeur courante) et une minime erreur de mesure peut aisément entraîner un déséquilibre des entrées-sorties quotidiennes. La composition de ce liquide de dialyse doit, au plan ionique, être proche de celle du plasma normal. Une concentration élevée en sodium, de l’ordre de 140 mmol·L-1, assure une bonne stabilité hémodynamique. Tout comme pour la solution de restitution envisagée plus bas, le tampon choisi est aujourd’hui, en règle, le bicarbonate.
L’HD peut également être réalisée de façon continue. Le transport diffusif continu est alors mieux toléré qu’une authentique HDI. Ces techniques dénommées CAVHD et CVVHD sont très utilisées sur le territoire nord-américain mais restent largement moins évaluées que les procédés convectifs. Il faut noter que le vocable de « dialyse continue » est souvent utilisé à tort pour désigner les techniques d’HFC ou d’hémodiafiltration.
Matériel et méthodes d’hémofiltration
MEMBRANES
Les filtres utilisés en hémofiltration sont caractérisés par une haute perméabilité [14]. Ils présentent de faibles résistances à l’écoulement du sang. Le point de coupure de ces filtres est de l’ordre de 30 000 à 50 000 Da. Ils appartiennent à deux principales familles de technologies différentes : les capillaires et les plaques.
Les plaques sont progressivement abandonnées car leur intérêt réside essentiellement dans leur bonne rhéologie qui les rend adaptées à la CAVH. Les filtres dits « capillaires » sont composés de nombreuses fibres creuses disposées parallèlement au sein d’un cylindre de matière plastique. Elles sont parcourues longitudinalement par le sang du patient et l’UF produit est recueilli autour des fibres (fig 2).
Au cours de la traversée des fibres capillaires, la pression sanguine hydrostatique (P) qui est responsable du phénomène d’ultrafiltration décroît progressivement du fait de la perte de charge. Cette dernière, en vertu de la loi de Poiseuille, est proportionnelle à la longueur de la fibre et à l’inverse de la puissance 4 du rayon de la fibre. Dans le même temps, la pression oncotique plasmatique (p) augmente du fait de l’hémoconcentration. Dans la mesure où le transport convectif est la résultante de la pression hydrostatique qui évacue le plasma par convection et de la pression oncotique qui le retient, la force motrice efficace est évaluable par intégration de la surface contenue entre les deux courbes de pression (fig 3).
Si les deux niveaux de pression se rejoignent, cette force motrice devient nulle et le parcoursdu sang le long de l’hémofiltre devient inutile et même dangereux : il s’agit d’un sang fortement concentré circulant au contact d’un matériau étranger à basse vitesse entraînant un risque élevé de thrombose du filtre. Pour cette raison, à surface équivalente, les filtres longs à faible quantité de fibres ont été abandonnés au profit des filtres courts à grand nombre de fibres parallèles [17].Les matériaux les plus utilisés sont synthétiques comme la polysulfone (PS), le polyméthacrylate de méthyle (PMMA) et le polyacrylonitrile (PAN) dont les biocompatibilités sont excellentes.
De récentes études laissent à penser qu’on ne doit plus employer des matériaux non synthétiques, cellulosiques, tels que le cuprophane, en particulier chez les patients souffrant d’IRA chez qui ils accroissent la mortalité [6, 20].On a par ailleurs beaucoup insisté sur les biocompatibilités comparées de ces diverses membranes synthétiques. En particulier, la PS semble capable, outre d’entraîner une activation moindre du complément, d’éliminer une grande partie des fragments du complément activés par un mécanisme d’absorption. Cette élimination est évidemment rapidement saturable et n’a peut-être pas beaucoup d’implications cliniques lorsque les filtres sont utilisés plusieurs heures de suite (le cas habituel). De même, les propriétés d’absorption de cytokines semblent réelles mais l’intensité de cette fixation comme son implication physiopathologique et ses conséquences cliniques restent hypothétiques [19].
MACHINES D’HÉMOFILTRATION
Les techniques d’HFC peuvent être réalisées avec un matériel extrêmement rudimentaire tel qu’un simple dispositif artérioveineux de CAVH(D) dépourvu de pompe. Cependant, les inconvénients et les limitations de cette méthode font qu’on préfère en général utiliser des dispositifs pouvant contrôler la pression du sang sur la membrane d’hémofiltration. Ces machines sont en général simples et reposent sur une pompe à sang et sur un ensemble de systèmes de détection des variations excessives de pression ou de bulles d’air.
Cependant, l’importance de la balance entre la restitution et l’UF ainsi que la volonté d’obtenir des volumes d’UF élevés font qu’un asservissement des apports à la soustraction volumique est nécessaire.
Il utilise un procédé de pesée adjoint à un microprocesseur contrôlé par logiciel. Les machines modernes d’hémofiltration sont donc devenues d’une complexité similaire à celles des machines d’HDI. Plusieurs automates sont aujourd’hui disponibles sur le marché.
ABORD VASCULAIRE
Les patients en IRA sont rarement porteurs d’une fistule artérioveineuse et l’épuration extrarénale requiert la pose d’un accès vasculaire adapté. La méthode de choix est un cathéter à double lumière posé par voie cervicale dans la veine jugulaire interne. Cette voie est celle qui semble présenter la plus faible incidence de complications [3]. Son extrémité doit se situer 1 à 2 cm au-dessus de la jonction entre la veine cave supérieure et l’oreillette droite. Sa tunnellisation permet d’en augmenter la durée de vie. On emploie des cathéters d’un calibre au moins égal à 9 F chez l’adulte de façon à pouvoir assurer le débit sanguin nécessaire à une épuration correcte du patient.
En CAVH, un cathéter artériel est nécessaire. Il est à l’origine de complications sévères et fréquentes qui limitent l’emploi de cette méthode d’épuration extrarénale aux situations où un matériel adapté n’est pas disponible. De nombreux cathéters sont disponibles sur le marché et les meilleurs matériaux sont aujourd’hui le silicone et le polyuréthane. Seuls les cathéters souples doivent être utilisés car ils induisent peu de lésions vasculaires.Ils doivent être flexibles et ne pas être altérés dans leur structure par les
plicatures intempestives (« mémoire du plastique »).
Les soins apportés aux cathéters d’épuration extrarénale sont essentiels pour faciliter leur emploi prolongé et pour prévenir les complications sévères qu’ils peuvent entraîner.
MONTAGE DU CIRCUIT
Les circuits d’hémofiltration sont le plus souvent fournis par le fabricant dans l’optique d’être utilisés avec une machine précise. Sur les dispositifs les plus récents, le circuit est compact. Il bénéficie d’une procédure d’installation sur la machine simplifiée par l’automatisation de son insertion puis de sa purge. Sur les machines plus anciennes, les circuits disposent d’un code couleur pour faciliter la mise en place des différentes lignes. Une fois mis en place, le circuit doit être purgé. La purge se fixe deux objectifs : chasser l’air que le circuit contient au départ et l’imprégner du produit anticoagulant. Cette purge est réalisée avec 2 à 3L de solution de chlorure de sodium isotonique contenant environ 5 000 UI d’héparine ou un autre antithrombotique. La circulation du liquide doit être très lente au début de façon à chasser vers l’avant l’interface air/eau sans créer de bulles. Les phénomènes de capillarité font qu’il s’en forme tout de même et la seconde phase de la purge doit alors être moins douce : on frappe le circuit à l’aide d’un objet dur (clamp métallique, paire de ciseaux) en regard des bulles visualisées et sur le corps de la membrane. La purge initiale doit absolument être éliminée car elle contient des composés toxiques destinés à la conservation des membranes, en particulier celles en PAN. Un rinçage est donc nécessaire en fin de purge. Le circuit peut alors être mis en circulation en circuit fermé en attendant sa connexion au patient.
La connexion du patient à la machine peut se faire selon diverses modalités : en connectant directement les lignes « artérielle » et « veineuse » au patient et en démarrant la pompe ou en connectant la seule ligne « artérielle » et en purgeant le circuit avec le sang du patient. La première méthode entraîne une légère hémodilution (150 mL environ) qui est facilement compensée par ultrafiltration, la seconde entraîne une très légère hypovolémie.
Le circuit doit être changé toutes les 24 à 48 heures. Cette durée ne correspond aux résultats d’aucune étude mais réalise un compromis entre le risque infectieux introduit par la persistance d’un circuit nécessairement contaminé par les manipulations successives et le coût ainsi que par la consommation de plaquettes et de facteurs de la coagulation induits par la mise en place d’un nouvel hémofiltre.
SUBSTITUTION DES LIQUIDES ULTRAFILTRÉS EN HÉMOFILTRATION
Au cours d’une HFC, le volume total d’UF quotidien doit atteindre 15 à 20 L. Ceux-ci doivent être en grande partie compensés dans des proportions qui dépendent de l’état hydroélectrolytique du malade ainsi que des autres apports liquidiens nécessaires (remplissage vasculaire, transfusions, nutrition, médicaments). L’électroneutralité de la solution est assurée par du lactate ou du bicarbonate. Le choix du tampon reste très débattu. Le lactate requiert une fonction hépatique satisfaisante pour assurer son métabolisme en bicarbonate. En cas de limitation de ce métabolisme, l’accumulation de lactate semble sans conséquence pratique mis à part la difficulté de distinguer la part de la lactatémie imputable aux apports de celle qui résulte d’une éventuelle activation de la glycolyse anaérobie. Le tampon bicarbonate est de ce fait largement utilisé. Il pose cependant des problèmes d’ordre pratique et théorique. En effet, sa stabilité en solution est médiocre et des microprécipitats ont tendance à se former en limitant son stockage à quelques mois. En outre, il n’est pas démontré que la normalisation thérapeutique de l’équilibre acidobasique soit bénéfique. Le soluté de substitution doit bien sûr tenir compte de certaines pertes obligatoires, tels les bicarbonates ou les phosphates.
Dans la mesure où les volumes et quantités échangés sont très importants, on comprend que cette méthode soit à la fois extrêmement efficace mais aussi dangereuse pour le patient. Ce danger réside dans le fait que la correction hydroélectrolytique porte en premier lieu sur le compartiment plasmatique.
L’espace intracellulaire et l’espace interstitiel sont eux-mêmes en équilibre avec le compartiment plasmatique mais le temps nécessaire au transfert hydrique entre ces compartiments est nettement plus long que celui nécessaire à la technique d’hémofiltration pour soustraire de l’eau du plasma (fig 4). Le même raisonnement peut être appliqué aux électrolytes et à toutes les substances aisément diffusibles. Ainsi, l’un des risques principaux de l’hémofiltration est de mettre le patient en situation d’hypovolémie du seul fait d’une déplétion hydrique trop rapide. Au plan ionique, il peut se constituer des gradients de concentration susceptibles d’affecter les volumes et les propriétés physiologiques des compartiments interstitiel et intracellulaire. Ainsi, même si le mécanisme exact en est fréquemment débattu, la correction trop rapide d’une hyponatrémie peut entraîner des troubles neurologiques sévères dont le substrat anatomopathologique est la myélinolyse centropontique.
Le rythme de déplétion hydrique doit être adapté à l’état du patient et il est difficile d’énoncer une règle générale si ce n’est celle qui consiste à viser un bilan hydrique nul au cours des premières heures d’emploi de la méthode.
En effet, c’est le débit d’administration du liquide de restitution qui détermine la déplétion obtenue et laconnaissance de la situation précise de cet équilibre est nécessaire à chaque instant. Pour ce faire, il est recommandé d’employer une feuille de surveillance telle que celle de la figure 5, que l’on utilise ou non une machine asservissant les entrées aux sorties.
Au plan pratique, la solution de substitution peut être administrée en amont de l’hémofiltre, réalisant la technique dite de « prédilution » ou sur une autre ligne ou cathéter. L’avantage de la prédilution est de réduire la concentration des facteurs humoraux et cellulaires de la coagulation au moment de leur passage sur l’hémofiltre et d’améliorer la rhéologie du sang. Il s’agit donc d’une technique antithrombotique. La clairance de la créatinine est réduiteavec la prédilution mais le transfert d’urée est légèrement accru en raison d’un transfert de l’urée contenue à l’intérieur des hématies vers le plasma. En outre, la prédilution augmente le volume d’UF de façon artificielle et accroît donc le coût de la technique d’épuration.
ANTICOAGULATION
Les circuits d’épuration extrarénale requièrent l’emploi d’une méthode antithrombotique afin d’éviter l’activation de la coagulation au contact des matériaux exogènes.
L’HDI est relativement peu exigeante dans ce domaine car elle est utilisée sur des périodes courtes.
Ainsi, un début de thrombose est possible sans conséquence et souvent sans même que le clinicien ne s’en rende compte, la thrombose se limitant au filtre veineux, ou n’est décelable que par un examen détaillé du circuit.
De la même façon, les complications hémorragiques sont relativement peu fréquentes car la périoded’exposition au risque hémorragique est courte et maximale durant la séance d’HDI.En revanche, outre une durée d’utilisation plus longue qu’en HD, les méthodes convectives sont caractérisées par une activation de la cascade de la coagulation, d’autant plus intense que le processus d’ultrafiltration tend à concentrer les protéines plasmatiques et donc les facteurs de la coagulation lors de son passage sur la membrane. Or, c’est précisément le contact du plasma et de la membrane qui initie l’activation de la cascade de la coagulation. Il en découle d’importantes considérations, envisagées plus haut, en matière d’architecture optimale des hémofiltres favorisant le choix de fibres courtes et nombreuses de façon à ne pas atteindre un degré d’hémoconcentration trop important.
Enfin, l’incidence élevée des conditions pro-inflammatoires, en particulier septiques, contribue à favoriser l’activation de la cascade de la coagulation chez les patients de réanimation qui bénéficient de ces techniques d’épuration continue.
À l’inverse, d’autres patients sont potentiellement à risque d’hémorragie, en particulier en situation chirurgicale. Souvent, les patients de neurochirurgie ou de chirurgie hépatique ne peuvent pas recevoir de traitement anticoagulant important pour ce motif. Le bénéfice d’une anticoagulation efficace est donc à mettre en balance avec son risque. C’est la raison pour laquelle de nombreuses alternatives ont été envisagées pour assurer ce qu’il convient davantage de considérer comme un traitement antithrombotique que comme un traitement anticoagulant.
Héparine
L’héparine non fractionnée administrée en continu est l’agent antithrombotique le plus utilisé en HFC. Les doses nécessaires dépendent de plusieurs facteurs, du malade et du matériel utilisé.
Les doses employées sont donc très variables. Elles sont adaptées au poids du patient mais surtout à l’effet évalué de l’héparine. Le temps de céphaline activé (TCA) reste le test le plus adapté pour suivre de façon pragmatique l’effet de l’héparine. Les facteurs susceptibles de modifier les besoins en héparine sont, comme ailleurs, l’existence d’un syndrome inflammatoire ou thrombotique évolutif et, de façon plus spécifique, le débit sanguin sur l’hémofiltre qui est fortement corrélé au degré d’hémoconcentration. Les circuits revêtus d’héparine pourraient représenter une alternative à l’administration systémique d’héparine et permettre d’en réduire les complications. Leur évaluation dans ce contexte ne fait toutefois que débuter.
Plusieurs auteurs ont étudié l’anticoagulation régionale à l’héparine.
Son principe est d’administrer de l’héparine de façon continue et à doses normales, voire élevées, en amont de l’hémofiltre sur la ligne dite « artérielle » du circuit et à en neutraliser l’effet au niveau de sa ligne veineuse par l’administration continue de protamine. Ainsi, l’anticoagulation systémique du patient est réduite. Si le principe et les résultats publiés de l’anticoagulation régionale méritent qu’on s’y intéresse, sa réalisation pratique se heurte souvent à la thrombose de la ligne veineuse et à l’apparition de syndromes hémodynamiques similaires à ceux qui ont été décrits en chirurgie cardiaque lors de l’administration de protamine.
Héparines de bas poids moléculaire (HBPM)
En dissociant l’activité anti-Xa de l’activité anti-IIa de l’héparine, les HBPM devraient atteindre une plus grande efficacité antithrombotique pour un moindre risque hémorragique [8].
Plusieurs travaux ont évalué ces dérivés de l’héparine en HFC [7]. Si leur efficacité semble acquise dans cette indication, leur tolérance ne pourra être affirmée qu’à l’issue d’un plus large emploi étroitement encadré. Peu disposent d’une autorisation de mise sur le marché dans cette indication. L’activité anti-Xa doit être maintenue entre 0,2 et 0,5 UI/mL mais la pratique enseigne que des accidents thrombotiques peuvent survenir en dépit de valeurs comprises danscette fourchette. Le critère biologique de monitorage idéal de l’emploi des HBPM en hémofiltration n’est donc pas encore disponible.
Rinçage périodique
Le rinçage périodique de la membrane consiste à administrer à intervalle régulier un bolus d’environ 100 mL de sérum physiologique en amont du circuit d’épuration extrarénale. Cette technique est efficace lorsqu’elle est utilisée au cours de séances de quelques heures d’HD séquentielle chez les malades ne devant pas recevoir d’héparine. En effet, les phénomènes thrombotiques apparaissent rapidement, à moins que l’hémostase du sujet soit d’emblée très sévèrement compromise. En l’absence d’évaluation publiée, il est prudent de proscrire l’emploi de cette méthode lors des HFC car elle est susceptible d’entraîner une importante consommation des facteurs de la coagulation restants.
Citrate
En chélatant le calcium nécessaire à de nombreuses étapes de la coagulation, le citrate est un antithrombotique de référence.
Toutefois, son administration requiert une neutralisation par l’administration de calcium en aval du circuit, dans un rapport stoechiométrique, afin d’éviter une hypocalcémie aiguë chez un malade dont l’état cardiovasculaire est souvent précaire. Cette contrainte exige de disposer d’un matériel adapté et du dosage facile et répété du calcium ionisé [15]. De plus, la substitution, comme la dialyse complémentaire, nécessite l’emploi de solutés particuliers, dépourvus de chlore en raison des phénomènes de compétition qui peuvent survenir entre les anions.
Prostacycline
La prostacycline est un puissant antiagrégant plaquettaire. Elle est coûteuse mais très efficace pour assurer la prévention antithrombotique en HFC [7].
Son action est très efficacement potentialisée par l’emploi concomitant de faibles doses d’héparine ou d’HBPM [12]. Toutefois, sa très puissante action vasodilatatrice la réserve aux malades ne pouvant recevoir d’héparine, sévèrement thrombopéniques et dont l’état hémodynamique est étroitement surveillé.
NUTRITION
Le glucose étant facilement ultrafiltré, ses apports doivent être adaptés aux besoins du sujet, mais aussi au cumul des pertes quotidiennes apprécié par le dosage du glucose dans l’UF.
L’ultrafiltration des acides aminés circulants est très variable en fonction des auteurs. Elle est de l’ordre de 2 à 5%, ce qui est faible face aux apports nécessaires pour assurer une nutrition efficace dans le contexte des malades de réanimation. Il semble également exister une très grande variabilité d’ultrafiltration d’un acide aminé à l’autre et d’un hémofiltre à l’autre. Ces données engagent à administrer les acides aminés essentiels, tout comme les vitamines et les oligoéléments, en larges proportions chez ces patients en état hypercatabolique. Les émulsions lipidiques ne sont pas ultrafiltrées.
Même si l’HDI autorise une suppléance satisfaisante de la fonction rénale du patient anurique, il a été démontré qu’elle accentue la tendance hypercatabolique des sujets en IRA et conduit à une limitation thérapeutique injustifiée des apports nutritionnels. En facilitant le contrôle des bilans, l’HFC rend possible la réalisation d’une nutrition parentérale ou entérale sans limitation des apports hydriques, azotés ou caloriques [1]. Les mesures thérapeutiques restrictives, susceptibles d’induire une dénutrition, peuvent alors être évitées. Cette propriété de l’HFC est capitale dans la mesure où les cas de sujets survivant à une IRA avec un bilan énergétiquenégatif sont rares. De plus, l’IRA s’accompagne en règle d’un déficit nutritionnel notable, même lorsque les malades sont hémodialysés.
En effet, si des objectifs nutritionnels satisfaisants peuvent être envisagés en HDI, les séances doivent être rapprochées et leur tolérance peut alors être plus difficile à assurer.
Précautions d’emploi d’hémofiltration
SURVEILLANCE
Les techniques d’épuration extrarénale requièrent une surveillance étroite du matériel et du malade. Le caractère continu de l’HFC contribue à accroître la charge de travail inhérente à cette surveillance. Le ratio d’une infirmière entraînée par malade doit donc être respecté. L’importance des transferts hydroélectrolytiques pendant plusieurs jours exige la disponibilité et l’attention continue d’un personnel infirmier et médical entraîné. Bien qu’aucune étude spécifique n’ait été réalisée, il est probable que l’incidence des complications iatrogènes s’accroisse au cours des thérapeutiques continues par rapport aux méthodes séquentielles. Ainsi, l’infection reste un des risques les plus importants de la méthode. Elle est prévenue par le respect draconien des règles d’asepsie lors des manipulations.
La grande efficacité de l’HFC en matière de mouvements d’électrolytes impose de réaliser au minimum des contrôles fréquents de l’ionogramme sanguin.
La pratique de ionogrammes de l’UF n’a pas d’intérêt car sa composition est proche de celle du plasma. La diminution de l’efficacité du filtre doit être prévenue par un changement systématique dès que le débit d’UF chute, avant que les transferts d’électrolytes ou de créatinine ne se réduisent.
Prévention de l’hypothermie
La circulation extracorporelle tend à refroidir le sang et les capacités de thermorégulation des malades de réanimation sont souvent altérées. Un réchauffement est donc toujours nécessaire. Le réchauffement du liquide de substitution semble pour le moment être la meilleure solution ; il permet de compenser à la fois la perte calorique convective du liquide ultrafiltré et la déperdition thermique découlant de la conduction et de la radiation dans le circuit sanguin. Un autre danger de cette hypothermie est le risque de masquer des accès fébriles témoins d’une infection. Compte tenu de son faible débit, le dialysat utilisé en CVVHDF n’a pas besoin nd’être réchauffé.
ÉLIMINATION DES AGENTS THÉRAPEUTIQUES
Si on ne considérait que leurs poids moléculaires, la plupart des nsubstances utilisées en thérapeutique devraient être éliminées par les techniques d’épuration extrarénale. Cependant, leur liaison protéique limite cette fuite car seule la fraction libre est sujette au transport. Hélas, cette fraction libre trouve chez les malades de réanimation de nombreux motifs de variation : pH, urémie, présence d’héparine, d’acides gras libres, hyperbilirubinémie, etc, de sorte que les travaux réalisés restent toujours sujets à caution. Le comportement pharmacocinétique de la plupart des médicaments peut être prédit par le calcul lors de l’hémofiltration et de l’HD. En revanche, lors de l’association des deux méthodes, le calcul conduit à des résultats différents de ce que l’on peut mesurer. Ce phénomène est lié au fait que les hypothèses nécessaires aux calculs ne sont pas vérifiées en pratique. En particulier, la saturation du dialysat n’est pas totale. Ainsi, une variabilité importante est observée dans les résultats d’études portant sur l’élimination de médicaments d’usage fréquent comme la vancomycine en hémodiafiltration. Le principe théorique de l’adaptation posologique est basé sur la formuleCl = S·UFR qui exprime que la clairance d’une molécule est égale au produit du débit de filtration (UFR) par son coefficient de partage (S) [18]. Ce dernier représente la proportion de la substance retrouvée dans l’UF par rapport à sa concentration plasmatique. Une substance passant totalement à un coefficient de partage égal à 1. Les coefficients de partage des agents thérapeutiques usuels sont largement publiés [4]. Parfois, l’adaptation des posologies peut se faire d’après un effet recherché appréciable en clinique (cas des catécholamines exogènes). En clinique, lorsqu’il est réalisable, le dosage dans le sérum et l’UF des concentrations d’un médicament à l’état stationnaire permet d’adapter rapidement sa posologie de façon pragmatique.
Résultats d’hémofiltration
SUPPLÉANCE RÉNALE
L’efficacité de l’HFC est meilleure que celle de l’HDI sur les moyennes et sur les grosses molécules. La clairance de la créatinine est à peu près égale au débit d’UF. En revanche, l’urée est moins bien épurée que par une HDI de même durée. Lorsque les échanges sont de l’ordre de 12 à 15 L/j, l’épuration rénale peut être totalement assurée par l’HFC. La dialyse complémentaire permet environ de doubler les clairances des petites molécules telles que l’urée et la créatinine.
ÉCHANGES HYDROÉLECTROLYTIQUES ET ACIDOBASIQUES
L’HFC est la méthode « diurétique » la plus puissante qui soit. En effet, la soustraction rapide d’eau représente l’un des principaux attraits de l’HFC. Avec des débits d’UF de l’ordre de 400 à 1 400 mL·h-1, quelques heures suffisent à normaliser l’équilibre hydrique de la plupart des malades. Une substitution adaptée autorise, si besoin, une importante clairance de l’eau libre. Les électrolytes plasmatiques sont ultrafiltrés à des concentrations proches de celles du plasma (leur coefficient de partage est proche de 1). Les quantités éliminées dépendent donc des concentrations plasmatiques, qui sont faibles pour le potassium, fortes pour le sodium, le chlore ou les bicarbonates. Le bilan net dépend ensuite de la nature du liquide de substitution.
L’HFC permet la correction de l’hyperkaliémie moins rapidement que l’HDI. Mais la possibilité de réaliser une déplétion hydrosodée concomitante autorise l’alcalinisation rapide au bicarbonate de sodium ou l’apport parentéral d’une solution de glucose associée à de l’insuline dans le but exclusif de corriger la kaliémie. Sous HFC, des apports potassiques similaires à ceux des personnes à fonction rénale normale sont rapidement nécessaires. Les pertes potassiques doivent être compensées afin de conserver le pool potassique intracellulaire. L’ultrafiltration s’accompagne d’une perte obligatoire en calcium, phosphate et magnésium qui doit être prise en compte par la substitution. L’HFC permet en outre d’utiliser des médicaments apportant une charge sodée ou un important volume d’eau.
De la même façon, la perte de bicarbonate est obligatoire au cours de l’HFC. La solution de substitution doit en apporter, avant que ne se développe une acidose métabolique, en général normochlorémique. Lorsqu’une acidose métabolique préexiste ou accompagne l’HFC, l’alcalinisation par du bicarbonate de sodium est facilitée par la possibilité d’éliminer rapidement l’eau et le sodium en excès.
TOLÉRANCE HÉMODYNAMIQUE
De nombreux auteurs ont souligné la supériorité de l’HFC sur l’HDI au plan de la tolérance cardiocirculatoire malgré des déplétions hydriques égales ou supérieures. L’utilisation de concentrations sodées élevées dans le dialysat permet aujourd’hui de réduire en grande partie cette intolérance hémodynamique lors de l’HDI. En HFC, l’UF est produit aux dépens du secteur vasculaire, mais il est très rapidement remplacé à la fois par le liquide de substitution et par un transfert hydroélectrolytique depuis le secteur interstitiel.
L’HDI rend le secteur intracellulaire hypertonique par rapport au secteur extracellulaire et induit une inflation hydrique intracellulaire.
Il est possible que ces phénomènes appliqués aux cellules endothéliales soient à l’origine de réactions humorales dont la manifestation est hémodynamique. Nous ne disposons hélas toujours pas d’étude correctement conduite et comparant les deux méthodes de façon rigoureuse. Il serait en particulier utile de savoir si la pratique répandue de l’accroissement des doses d’inotropes ou de vasoconstricteurs pendant les séances d’HDI est une attitude recommandable ou non.
ÉLIMINATION DE SUBSTANCES DÉLÉTÈRES
L’étude de l’utilité clinique de l’épuration par HFC de médiateurs de la cascade inflammatoire suscite un vif intérêt dans le cadre des défaillances polyviscérales. Il est clair que la simple réduction de l’inflation hydrique est susceptible à elle seule d’améliorer la fonction de plusieurs organes. Cependant, des études chez l’animal et en clinique humaine ayant employé des techniques d’HFC à haut débit et à bilan hydrique nul suggèrent que l’élimination d’une ou de plusieurs substances est bien à l’origine d’un effet clinique supplémentaire [5]. À ce jour, les techniques d’HFC ont démontré leur capacité à améliorer la fonction de plusieurs organes chez l’animal au cours de situations septiques et chez l’humain lors de la chirurgie cardiaque [9, 10]. Il est de même établi que cette propriété est due à l’élimination convective de substances non identifiées par les études.
L’amélioration observée semble positivement corrélée au débit d’ultrafiltration. De plus, les techniques d’HFC, contrairement aux techniques d’HD, ont montré en clinique humaine leur capacité à éliminer certains des médiateurs connus participant à la cascade de l’inflammation. Cette élimination, par convection ou par absorption, est faible en regard des quantités circulantes et tissulaires [19]. Laréduction des concentrations plasmatiques n’est observée que lors de l’utilisation de très hauts volumes d’UF. Enfin, il faut souligner qu’il n’existe aucune preuve de la nature causale de la liaison entre les effets cliniques de l’hémofiltration et sa capacité à éliminer un médiateur donné. Ainsi, il n’est pas à ce jour justifié d’utiliser cette technique dans le seul but de réduire le taux plasmatique de médiateurs circulants pour la simple raison qu’il n’a jamais été démontré que l’élimination de l’un d’entre eux est utile.
CHOIX D’UNE MÉTHODE D’ÉPURATION
En dehors du cadre encore mal limité des indications de l’HFC pour réaliser l’épuration de molécules de poids moléculaire moyen ou élevé, le choix de l’HFC par rapport à celui de l’HDI reste basé sur sa meilleure tolérance cardiovasculaire. Il reste cependant évident, et jusqu’à preuve du contraire, qu’une séance d’HDI bien supportée au plan hémodynamique n’a pas de raison d’être remplacée par une méthode continue. Au sein des méthodes d’HFC, le malade, sa pathologie et son état hémodynamique devraient orienter vers le choix d’une technique. La CAVH a perdu beaucoup de ses indications lorsque le matériel de CVVH s’est répandu dans les services de réanimation. Lorsqu’un retard est pris dans l’épuration du malade et au-delà de 40 à 50 mmol·L-1 d’urémie, la CVVHD reste la technique d’HFC de choix. L’efficacité de la CAVH étant subordonnée à l’existence d’une bonne pression artérielle, il est paradoxal de la proposer à des malades pouvant être hémodialysés.
Par ailleurs, l’HFC reste une technique possible et bien tolérée lorsque la dialyse péritonéale est impossible (chirurgie abdominale, prothèses et drains intra-abdominaux, insuffisance respiratoireimportante...). En pratique, le choix d’une méthode d’épuration extrarénale dépend souvent des moyens disponibles. L’habitude et la connaissance d’une technique sont également déterminantes.
Dix points importants.
– Hémodialyse et hémofiltration diffèrent par leur principe physique qui sont respectivement la diffusion et la convection.
– Bien que pouvant être réalisée en utilisant le gradient de pression hydrostatique artérioveineux, l’hémofiltration est préférentiellement mise en oeuvre à l’aide d’un système de pompe sur un circuit veinoveineux.
– L’hémofiltration, contrairement à l’HD, est réalisée de façon continue en raison de sa moindre efficacité. En revanche, sa tolérance hémodynamique semble meilleure.
– L’élimination de quantités importantes d’eau et d’électrolytes plasmatiques en hémofiltration impose une compensation mesurée. Celle-ci
doit être administrée à l’aide d’un dispositif asservi et contrôlé par la machine d’hémofiltration.
– Le principal risque des techniques d’HFC est l’induction d’une hypovolémie favorisant l’évolution de l’IRA. Une surveillance hémodynamique continue ainsi que la réalisation d’un bilan hydrique précis permettent de s’en prémunir.
– Un autre risque important de ces techniques repose sur leur efficacité à modifier la composition hydroélectrolytique du milieu intérieur. La correction des troubles hydroélectrolytiques doit rester lente en dépit de la possibilité de le faire rapidement que confèrent ces techniques.
– Le choix du site d’abord vasculaire ainsi que celui des cathéters sont essentiels à la réussite d’une HFC. De fréquents incidentsthrombotiques sont attribuables à des anomalies de circulation du sang dans les lignes.
– Les techniques d’HFC sont très exigeantes en matière de qualité du traitement antithrombotique. L’héparine administrée en continu reste la méthode de référence mais de nombreux autres protocoles ont été proposés. Le citrate est la méthode de choix chez les patients à haut risque hémorragique.
– L’hémodiafiltration associe un transport diffusif au transport convectif de l’hémofiltration. Elle améliore ainsi ses performances en matière d’épuration de petites molécules (que représentent urée et créatinine).
– Il n’existe pas à ce jour de preuve formelle justifiant l’utilisation d’une technique d’épuration convective en dehors de l’insuffisance rénale. Les études prometteuses sur les états septiques sévères utilisent de très hauts débits de convection, difficilement réalisables en pratique.
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Conclusion
Nous disposons à l’heure actuelle d’un éventail de méthodes qui permettent de prendre en charge les défaillances rénales de tous les types de patients de réanimation. Si de nouvelles techniques sont en cours d’élaboration, elles n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité et de leur innocuité. Leurs indications sont donc loin d’être posées. En attendant, la technique à laquelle l’équipe soignante est la mieux entraînée devrait toujours être favorisée car la performance des techniques d’épuration extrarénale tient sans doute davantage à la façon dont elles sont conduites qu’à leurs propriétés intrinsèques, expliquant ainsi à la fois la difficulté de les comparer et leur efficacité déjà appréciée chez des milliers de patients.
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