Taysir Assistance.TN Jean-Daniel Chiche : Assistant, département d'anesthésie-réanimation
CHU de Liège, Domaine du Surt Tilman, B-4000 Liège, Belgique France
Ginette Deby-Dupont : Chercheur qualifié, département d'anesthésie-réanimation et centre de biochimie de l'oxygène
Maurice Lamy : Professeur, directeur du centre de biochimie de l'oxygène, chef de service du département d'anesthésie-réanimation
Résumé
Initialement décrit en 1967 [10], le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) est caractérisé par un oedème pulmonaire aigu en rapport avec une augmentation de perméabilité de la membrane alvéolocapillaire. Depuis sa description, cette entité a suscité un vif intérêt, en partie justifié par la persistance d'un taux de mortalité élevé malgré les progrès de la réanimation.
Les efforts de recherche fondamentale comme les travaux épidémiologiques et cliniques ont révélé l'extrême complexité du SDRA, qui apparaît aujourd'hui comme l'expression d'un processus inflammatoire d'origine pulmonaire ou extrapulmonaire. Si les liens étroits unissant SDRA, sepsis et syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV) ne sont qu'imparfaitement appréhendés, des progrès significatifs ont cependant été réalisés dans la compréhension de la physiopathologie du SDRA et dans la prise en charge de ces patients, permettant une réduction substantielle de la mortalité.Le but de cet article est de faire le point sur les données épidémiologiques, étiopathogéniques et sur les principes d'exploration et de traitement actuellement disponibles.
SYNDROME DE DÉ TRESSE RESPIRATOIRE AIGUË : ÉVOLUTION DU CONCEPT
Évolution du concept
En 1967,
Ashbaugh et al décrivaient pour la première fois une défaillance respiratoire aiguë, survenue dans les suites de traumatismes et de chocs hypovolémiques sévères, qui devait entraîner le décès de sept patients sur 12 [10].
Ce syndrome associait tachypnée, hypoxémie sévère en rapport avec un shunt intrapulmonaire, diminution de la compliance thoracopulmonaire et présence d'infiltrats diffus sur la radiographie thoracique [10]. Plus tard, dans un article intitulé " Syndrome de détresse respiratoire de l'adulte ", le même groupe précisait les caractéristiques et les premiers éléments du traitement de cette nouvelle entité [215]. Déjà, les hypothèses physiopathologiques proposées faisaient intervenir une augmentation de la perméabilité capillaire et l'inactivation (ou la déplétion) du surfactant. Néanmoins, jusqu'au début des années 1970, le SDRA apparaissait associé à la survenue d'une insuffisance rénale au décours d'un traumatisme ou d'un état de choc hypovolémique : l'oedème pulmonaire survenait suite à la tentative de correction de l'insuffisance rénale par des substituts du plasma.
La décennie 1970-1980 a vu s'affirmer le concept du SDRA comme manifestation d'un processus inflammatoire, d'origine pulmonaire et directe, ou d'origine
extrapulmonaire.
Dans ce cas, l'agression pulmonaire résulte de l'afflux par la circulation sanguine et/ou lymphatique de médiateurs de l'inflammation. Cette nouvelle conception permet d'expliquer la survenue d'un SDRA au cours de l'évolution de pathologies diverses: infections graves, brûlures étendues, pancréatites aiguës, embolies pulmonaires, états de choc, phénomènes d'ischémie - reperfusion... Elle permet également d'expliquer l'apparition de défaillances multisystémiques après une agression pulmonaire directe [190]. Les nombreuses études sur la nature, l'importance et la cinétique d'apparition des médiateurs inflammatoires n'ont pas permis l'identification de médiateurs spécifiques du SDRA dont la détection précoce pourrait conduire à l'institution d'un traitement spécifique, rapide et efficace. Ces études ont néanmoins contribué à la compréhension des mécanismes impliqués dans la genèse du SDRA, en mettant l'accent sur le rôle deséléments cellulaires (macrophages alvéolaires, leucocytes polymorphonucléaires [PMN], monocytes, lymphocytes, plaquettes et cellules endothéliales) dans la synthèse des différents médiateurs, et sur les relations complexes qui existent entre ces éléments. Ainsi, qu'il résulte d'une agression directe ou indirecte, le SDRA apparaît actuellement comme une manifestation localisée d'un processus inflammatoire complexe, responsable d'une augmentation de la perméabilité de la membrane alvéolocapillaire.
Définition
Pendant de nombreuses années, les définitions ont reposé sur la description du syndrome clinique (et en particulier la caractérisation de l'hypoxémie), et sur l'exclusion des autres causes potentielles d'oedème pulmonaire. En 1988, le score proposé par Murray et al amorçait l'évolution vers une définition plus uniforme du SDRA, en réservant le diagnostic de SDRA sévère aux patients présentant un score supérieur à 2,5 (tableau II) [195]. Peu spécifique, ce score permet plus volontiers une évaluation de la sévérité de l'atteinte respiratoire que le diagnostic de SDRA.Récemment, une conférence de consensus a proposé une définition standardisée, notamment destinée à servir de base pour la sélection des patients inclus dans des essais cliniques [18]. Le SDRA est enfin reconnu comme l'expression d'une atteinte anatomique et fonctionnelle de la membrane alvéolocapillaire, se traduisant par des altérations des échanges gazeux de sévérité variable. Rebaptisé syndrome de détresse respiratoire aiguë, le SDRA associe une hypoxémie caractérisée par un rapport PaO2/FiO2 ≤ 200 mmHg, la présence d'infiltrats pulmonaires bilatéraux et diffus, en l'absence de signes d'insuffisance ventriculaire gauche ou avec une pression artérielle pulmonaire occlusive (PAPO) ≤ 18 mmHg lorsqu'elle est mesurée. Le terme anglo-saxon acute lung injury (ALI) définit une forme moins sévère en terme d'hypoxémie (PaO2/FiO2 ≤ 300 mmHg).
Néanmoins, le choix arbitraire d'un rapport PaO2/FiO2 pour définir le SDRA a fait l'objet de controverses. Au cours d'un travail portant sur un large collectif de patients, 98 % des patients identifiés comme souffrant de SDRA avec un rapport PaO2/FiO2 ≤ 250 mmHg satisfont des critères plus sévères (PaO2/FiO2 < 150 mmHg) 1 à 7 jours plus tard [248].
Dans cette étude, la mortalité observée était indépendante de la définition utilisée. Plus récemment, le groupe de San Francisco a démontré que l'utilisation d'un rapport PaO2/FiO2 ≤ 300 mmHg permet d'identifier une population de patients partageant les caractéristiques cliniques et la mortalité de patients présentant un SDRA selon les critères traditionnels [66]. De plus, 20 % des patients étaient identifiés plus tôt. Le rôle des principaux facteurs susceptibles d'influencer le rapport PaO2/FiO2 a été évoqué au cours de la conférence de consensus [18]. L'utilisation d'une pression expiratoire positive (PEP) ou le mode de ventilation peuvent influencer l'importance du shunt intrapulmonaire et l'oxygénation, mais ces effets sont peu prévisibles, variables au cours du temps et d'un individu à l'autre [134].
Il a donc été décidé de ne pas tenir compte de ces paramètres dans la définition [18].
Si les critères gazométriques et/ou radiologiques retenus au cours de la conférence de consensus semblent suffisamment sensibles, ils restent peu spécifiques et sans corrélation directe avec l'augmentation de perméabilité microvasculaire pulmonaire caractéristique du SDRA. Schuster plaide pour une définition incluant des critères physiopathologiques (augmentation de la perméabilité vasculaire), radiologiques (infiltrats alvéolaires diffus, bilatéraux) et étiologiques (contexte clinique compatible avec les facteurs de risque identifiés de SDRA) [238]. Si cette approche semble théoriquement séduisante, elle pose le problème de l'estimation de la perméabilité vasculaire en pratique clinique. La mesure du taux de protéines au sein du liquide de lavage bronchoalvéolaire (LBA) ne donne qu'un résultat qualitatif. Quant aux méthodes utilisant la clairance du vert d'indocyanine ou la mesure du flux de protéines marquées, elles sont aussi difficiles à réaliser au lit du patient qu'à interpréter : la quantité d'eau pulmonaire extravasculaire au cours du SDRA est en moyenne trois fois supérieure à la normale (5-7 mL · kg-1), mais ce chiffre peut varier dans des proportions importantes [41, 67, 144, 189].
En attendant la validation de critères plus spécifiques cliniquement utilisables, la définition actuelle devrait permettre d'inclure précocement une population de patients homogènes dans des essais cliniques et thérapeutiques mieux contrôlés [18].
ÉPIDÉMIOLOGIE
Incidence
L'incertitude régnant sur l'incidence exacte du SDRA reflète l'absence de définition et de critères diagnostiques standardisés au cours des dernières années. L'incidence du SDRA a été estimée à 75 cas pour 100 000 habitants aux États-Unis en 1972 [221], mais des données plus récentes indiquent que ce nombre est surestimé [158, 268]. Au cours d'une étude prospective conduite dans l'Utah, Thomsen rapporte une incidence variant entre 4,8 et 8,3 pour 100 000 habitants et par année [268]. En Europe, ce chiffre serait compris entre 1,5 et 4,5 cas pour 100 000 habitants et par année [158, 277]. L'utilisation de la définition tirée de la conférence de consensus devrait permettre une meilleure estimation de l'incidence du SDRA [18].
Étiologie et facteurs de risques
identifiés [134]. Ces facteurs de risque sont actuellement classés en facteurs directs et indirects, selon que le processus inflammatoire résulte d'une atteinte pulmonaire ou extrapulmonaire [18]. Le SDRA survient généralement dans les 48 à 72 heures suivant l'apparition du facteur prédisposant, mais ce délai peut être seulement d'une douzaine d'heures, notamment en cas de sepsis [151]. Les principales étiologies reconnues sont regroupées dans le tableau I.
Certains facteurs prédisposants sont associés à une incidence particulièrement élevée de SDRA. Récemment, Hudson et al ont prospectivement évalué l'incidence de SDRA chez 695 patients présentant un ou plusieurs facteurs prédisposants classiquement identifiés dans la littérature [130]. Entre 1983 et 1985, 179 (25 %) des patients à risque ont développé un SDRA. L'incidence la plus élevée était associée à l'existence d'un syndrome septique (43 %), de transfusions massives (40 %), ou d'un polytraumatisme (25 %). Au total, sept facteurs de risque ont permis d'identifier une population de patients à risque élevé de SDRA avec une sensibilité de 79 % : seuls 48 patients ont développé un SDRA pendant la période d'étude sans présenter une des conditions prédisposantes prédéfinies.Malgré tout, les états infectieux constituent la principale étiologie du SDRA, qu'ils soient d'origine pulmonaire ou extrapulmonaire [134, 248]. Au cours d'une étude multicentrique européenne menée entre 1985 et 1987, 57 % des 583 cas de SDRA étaient d'origine septique et 24 % de ces cas résultaient d'une infection extrapulmonaire [9]. Sloane et al rapportent des données similaires : l'existence d'un sepsis était le facteur de risque le plus fréquemment associé à la survenue d'un SDRA (63 %, dont 31 % d'origine pulmonaire) [248]. D'autre part, l'incidence de SDRA en présence d'un syndrome septique est comprise entre 25 et 40 % [5, 26, 162]. Enfin, si le sepsis est une cause fréquente de SDRA, l'infection peut compliquer l'évolution d'un certain nombre de SDRA et les deux conditions peuvent entraîner la survenue d'un SDMV [150].La présence de plusieurs facteurs étiologiques chez un même patient augmente significativement l'incidence de SDRA (Hudson, 1995 ; Fowler, 1983 ; Kollef 1995). Le plus souvent, un sepsis complique un tableau clinique comportant déjà plusieurs facteurs de risque (par exemple : polytraumatisé, en état de choc initial et multitransfusé), et la défaillance respiratoire s'installe dans les 12 à 24 heures suivant l'apparition du syndrome septique. Le risque de survenue d'un SDRA pour un facteur prédisposant donné augmente également avec la gravité de l'atteinte sous-jacente (scores APACHE II ou ISS), laprésence d'une acidose métabolique et la préexistence d'une pathologie bronchopulmonaire ou d'une hépatopathie alcoolique [130].
Pronostic du SDRA
Depuis la description du syndrome, la plupart des études rapportent des chiffres de mortalité globale supérieurs à 50 %. La majorité des décès sont en rapport avec la pathologie sous-jacente, un sepsis ou une défaillance multiviscérale. En effet, sepsis et SDMV sont responsables de 90 % des décès survenant dans les 3 premières semaines après l'apparition du SDRA [150, 191], et seuls Suchyta et al rapportent l'hypoxémie comme une cause majeure de décès [258]. Ceci explique qu'aucune mesure symptomatique (et notamment aucun mode de ventilation) n'ait permis isolément d'abaisser la mortalité au cours d'une étude prospective et randomisée.
Cependant, les études récentes attestent d'une réduction de la mortalité par rapport aux séries historiques (fig 1) et indiquent une amélioration sensible dans la prise en charge de ces patients [186, 238, 258]. Ainsi, Milberg et al ont analysé l'évolution de la mortalité du SDRA dans leur institution entre 1983 et 1993, et rapportent une diminution de la mortalité globale, particulièrement nette pour les patients âgés de moins de 60 ans et pour ceux dont le SDRA complique l'évolution d'un sepsis (de 67 à 40 %) [186].
De nombreuses études se sont attachées à définir les facteurs pronostiques péjoratifs. La mortalité augmente significativement avec l'âge [248], l'existence et la gravité d'une maladie sous-jacente (cancer, hémopathie maligne, immunodépression..), avec certaines étiologies (sepsis, pneumopathies par inhalation...) ou la combinaison de plusieurs facteurs favorisants, et avec la sévérité du tableau clinique telle qu'elle est évaluée par les scores de gravité (APACHE II, SAPS II ou ISS). Souvent, le SDRA n'est qu'une manifestation précoce d'un SDMV dont le pronostic est fort péjoratif : la mortalité est alors supérieure à 80 % et augmente avec le nombre d'organes atteints [13, 151, 191].
À côté des facteurs extrapulmonaires, il faut souligner l'importance pronostique de l'atteinte respiratoire " per se ". Ainsi, pour un même facteur étiologique, la survenue du SDRA augmente significativement la mortalité [130]. Ces données justifient les efforts entrepris pour identifier des facteurs pronostiques liés à la sévérité de l'atteinte respiratoire.
Les scores physiologiques basés sur des paramètres respiratoires permettent d'identifier les patients nécessitant une intubation prolongée, mais se révèlent moins performants pour prédire la survie ou le décès [120, 164, 195]. La prise en compte des variations de ces paramètres en réponse à la thérapeutique pourrait permettre d'augmenter la valeur prédictive positive de ces scores. Par exemple, alors que le rapport PaO2/FiO2 initial ne paraît pas être un facteur prédictif fiable, son évolution au cours des 48 premières heures est mieux corrélée à la mortalité [18]. Si la mortalité globale est élevée, il faut souligner que la plupart des survivants récupèrent une fonction pulmonaire quasi normale dans les 6 mois suivant la sortie des soins intensifs [79, 128]. Lorsqu'une altération persiste, il s'agit le plus souvent d'une discrète diminution des capacités de diffusion ou d'un syndrome restrictif de sévérité modérée [79, 181].
Généralement, ces manifestations surviennent chez les patients dont l'évolution n'a été que lentement favorable, nécessitant une ventilation prolongée [128, 214]. Enfin, les séquelles générales et psychosociales sont le plus souvent limitées.
Mécanismes du syndrome
de détresse respiratoire aiguë
Étudiés depuis plus de 20 ans déjà, les mécanismes du SDRA diffèrent selon
l'origine directe ou indirecte du SDRA [59, 150, 199, 257].Ils impliquent des interactions complexes nentre éléments cellulaires et médiateurs inflammatoires, avec des effets en cascade et la présence fréquente d'un SDMV(fig 2). Malgré des progrès significatifs, de nombreux points restent mal compris, particulièrement au niveau du déclenchement de ce syndrome : on ignore toujours pourquoi, à conditions cliniques équivalentes, un patient développe un SDRA tandis qu'un autre récupère rapidement.
SDRA consécutif à une agression pulmonaire directe
Les agressions directes (fumées toxiques, vapeurs acides, agents chimiques, oxygène pur, pneumopathies infectieuses, contusions pulmonaires...) conduisent au SDRA à la suite de lésions directes de l'épithélium pulmonaire et d'une activation des macrophages alvéolaires [30, 177]. On peut distinguer trois phases (fig 3) : la phase exsudative (oe dème, hémorragie et inflammation), la phase proliférative (organisation d'un exsudat intraluminal et réparation) et la phase fibrotique finale [168, 271]. La phase exsudative (première semaine) est caractérisée par la congestion capillaire, l'oedème alvéolaire et interstitiel et l'hémorragie intra-alvéolaire (fig 3 A). Les lésions de l'épithélium et du surfactant, les micro-organismes et les toxines activent les macrophages des voies aériennes, des espaces alvéolaires et des tissus interstitiels. Ceux-ci produisent des formes activées de l'oxygène, libèrent des médiateurs inflammatoires, des enzymes et des facteurs chémotactiques qui attirent les cellules sanguines dans les alvéoles et modifient la perméabilité alvéolocapillaire, entraînant une accumulation de cellules et de liquides intraalvéolaires (fig 3 A).
La réaction inflammatoire excessive touche d'abord l'épithélium pulmonaire, mais atteint rapidement les cellules endothéliales. Celles-ci réagissent en libérant de nouveaux médiateurs inflammatoires, des substances vasoactives et desfacteurs procoagulants, et en exprimant des récepteurs d'adhésion pour les PMN [219].Les capillaires pulmonaires sont un site physiologique de réserve pour les cellules phagocytaires qui y constituent un pool marginé indispensable à la défense antibactérienne.Le renforcement de l'adhésion et la présence de médiateurs chémotactiques et inflammatoires provoquent l'activation et la diapédèse des PMN présents dans les capillaires vers les alvéoles, où ils viennent renforcer la réaction inflammatoire. Les membranes hyalines se développent, les alvéoles deviennent l'interstitium est en contact direct avec les espaces alvéolaires. Au cours des phases de prolifération et de fibrose qui suivent, les exsudats s'organisent dans les alvéoles et l'interstitium (fig 3 B, 3 C). Les pneumocytes de type II prolifèrent, repeuplent les espaces dénudés et se différencient en pneumocytes de type I. L'apparition au sein des capillaires de microthrombi fibrinoplaquettaires et d'agrégats leucocytaires s'ajoute à la prolifération fibrocellulaire de l'intima pour favoriser la création de zones d'hypoxie cellulaire. Les fibroblastes et les myofibroblastes se multiplient dans les parois alvéolaires pour reformer une matrice interstitielle et reconstituer des alvéoles fonctionnelles. Cette réponse fibroproliférative réparatrice est dirigée par des molécules-signaux agissant sur la migration et la multiplication des fibroblastes, parmi lesquelles se trouvent la fibronectine, les fragments de collagène, d'élastine et de fibrine résultant d'une activité protéolytique excessive, mais aussi des facteurs de croissance comme le facteur α de croissance des tumeurs (TGFα), le facteur de croissance épidermique (EGF) et le facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF). Mais dans le SDRA, cette réparation s'effectue souvent de manière incomplète et la réponse fibroproliférative est excessive. Les fibroblastes et myofibroblastes se fixent sur la membrane basale épithéliale dans les alvéoles, et sécrètent des éléments matriciels qui vont progressivement obstruer les espaces alvéolaires et altérer la compliance pulmonaire. Les cellules mésenchymateuses se multiplient également, et une angiogenèse intra-alvéolaire apparaît, en réponse aux facteurs de croissance produits en excès [24, 182, 252].
SDRA consécutif à une agression pulmonaire indirecte
Il se développe sous l'action des médiateurs inflammatoires libérés à distance dans d'autres organes, et amenés au niveau pulmonaire par le flux sanguin et par l'accumulation de microagrégats dans les capillaires.
Il s'agit donc d'un aspect particulier d'un phénomène inflammatoire plus général dont les cellules sanguines (monocytes, PMN, plaquettes...) et les cellules endothéliales sont les éléments très actifs [58, 90, 149, 219].
Lors d'une infection, sous l'effet des toxines bactériennes et des cytokines, ou à la suite d'une agression de type ischémie-reperfusion (états de choc...), les fonctions normales des cellules endothéliales sont perturbées. Elles développent une action procoagulante favorisant le développement d'une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), libèrent des médiateurs inflammatoires (prostaglandines, facteur d'activation des plaquettes ou PAF, cytokines...), activent le complément (par liaison des complexes immuns circulants) et expriment des récepteurs d'adhésion en nombre croissant. Ces récepteurs favorisent la fixation et l'activation des PMN, qui à leur tour vont contribuer à léser l'endothélium et à entretenir et propager la réaction inflammatoire. Ces altérations de l'endothélium entraînent des modifications des fonctions métaboliques du poumon, et notamment une augmentation des concentrations plasmatiques de substances très actives (bradykinine, prostaglandines E1 et E2, sérotonine...) responsables de vasoconstriction ou de vasodilatation, d'agrégation plaquettaire et d'une augmentation de la perméabilité vasculaire... [53, 192].Le nombre de PMN dans le poumon normal est à peu près trois fois celui des neutrophiles circulants. Ils y sont marginés sans s'activer ni altérer les cellules endothéliales. Mais, activés in loco et attirés dans les capillaires pulmonaires par des facteurs chémotactiques (peptides bactériens, leucotriène B4, C5a, interleukine 8...), les PMN libèrent des formes activées de l'oxygène, des enzymes hydrolytiques et protéolytiques, des médiateurs de l'inflammation (PAF, prostaglandines, leucotriènes...) qui vont léser l'endothélium [90, 263, 265]. Leur activation entraîne une augmentation de volume et de rigidité qui ralentit leur mouvement et favorise leur séquestration dans les capillaires [267]. Leur adhésion à l'endothélium est renforcée par la présence de récepteurs de surface correspondant aux récepteurs exprimés par les cellules endothéliales [107, 201, 289, 297]. À partir des capillaires pulmonaires, ils migrent dans les espaces interstitiels et dans les alvéoles où ils peuvent constituer jusqu'à 80 % des cellules dénombrées dans les liquides de LBA et où, activés en excès, ils contribuent au développement du SDRA. Les produits de leur activation et de leur dégranulation (peroxyde d'hydrogène, enzymes, lactoferrine...) ont été mesurés dans le LBA au cours du SDRA [156, 263, 265].
Les plaquettes activées par les endotoxines, les facteurs du complément et les médiateurs libérés par d'autres cellules (comme le PAF) sont également piégées au niveau pulmonaire où elles contribuent largement au développement du SDRA en participant à la formation de microthrombi et en libérant de nouveaux médiateurs (PAF, thromboxane A2, sérotonine...) et des facteurs de croissance qui activeront la prolifération cellulaire et la fibrose.
SDRA, premier témoin d'une défaillance multiviscérale
L'activation des cellules et la production de médiateurs sont responsables de la dispersion et de l'amplification d'un phénomène inflammatoire conduisant au SDRA. Mais cette réaction inflammatoire peut ne pas être limitée au poumon. Des augmentations de la perméabilité capillaire sont décrites dans d'autres organes à la suite d'infection ou d'états de choc.
Les phénomènes d'ischémie-reperfusion sont responsables de lésions mitochondriales et cellulaires, dont l'importance varie selon la sensibilité particulière de l'organe touché par l'hypoperfusion. Les médiateurs inflammatoires libérés localement sont dispersés par le flux sanguin et atteignent d'autres organes où ils déclenchent ou accentuent une réaction inflammatoire [179], favorisant ainsi la survenue d'un SDMV. Au niveau de certains organes touchés par l'ischémie-reperfusion (et en particulier de l'aire splanchnique), la réaction inflammatoire peut rester cliniquement discrète [56, 57]. En revanche, l'hypoxémie et la défaillance respiratoire induites par les modifications de la perméabilité capillaire sont rapidement diagnostiquées. Dans cette perspective, le SDRA devient une manifestation d'une maladie multiorganique, et le poumon un des nombreux participants à une réaction inflammatoire généralisée [150].
Médiateurs du SDRA
On ne peut nier le rôle des médiateurs d'origine humorale et cellulaire impliqués dans le déclenchement, l'entretien et l'amplification des réactions inflammatoires
qui accompagnent le SDRA, de même que leurs interactions multiples et leurs effets en cascade. De nombreuses recherches expérimentales et cliniques ont été consacrées à l'identification de ces médiateurs dans le plasma et plus récemment dans le liquide de LBA où leur apparition semble plus précoce et mieux corrélée avec le développement du SDRA.Une valeur prédictive a même été attribuée à plusieurs d'entre eux, souvent dans l'ordre chronologique de leur découverte, mais il est bien admis actuellement qu'il n'existe aucun médiateur ou groupe de médiateurs qui puisse être considéré comme un marqueur spécifique et précoce du SDRA [60, 151, 199].
Cascades du complément et de la coagulation-fibrinolyse
L'activation de la cascade du complément a été démontrée (consommation du C3,
présence dans le plasma des anaphylatoxines C3a et C5a et du complexe
terminal membranolytique) dans de nombreuses situations pathologiques associées au SDRA, comme l'infection, la chirurgie cardiaque sous circulation extracorporelle (CEC), les brûlures, la pancréatite aiguë nécroticohémorragique, et les traumatismes. Les principales conséquences de cette activation sont l'attraction et la stimulation des PMN, mais aussi l'activation de la cascade de la coagulation. Les fragments du complément, surtout le C5a, ont été considérés comme marqueurs spécifiques du SDRA au début des années 1980 ; on admet actuellement qu'ils jouent un rôle important, mais insuffisant pour expliquer isolément l'apparition du SDRA [65, 76, 206].La présence de microthrombi, d'agrégats plaquettaires et de fibrinogène dans les capillaires et tissus pulmonaires, comme l'existence d'une CIVD sont fréquentes dans le SDRA. Ils résultent de l'activation des voies extrinsèque et intrinsèque de la coagulation [118] : activation par les endotoxines, le traumatisme, les fragments du complément, le facteur tissulaire, avec libération de kinines, de thrombine, de plasmine... Plusieurs études ont relevé une augmentation des concentrations plasmatiques d'enzymes activées, de produits de dégradation du fibrinogène et une séquestration pulmonaire de plaquettes, sans que ces changements soient spécifiques du SDRA [118].
Médiateurs lipidiques
Une grande importance a été accordée aux dérivés de l'acide arachidonique libérés à partir des phospholipides par la phospholipase A2, dont l'activation au cours du SDRA est démontrée. Dans les années 1980, plusieurs études animales soutenaient l'hypothèse d'une libération séquentielle de thromboxane A2 (TXA2), responsable d'hypertension pulmonaire précoce, précédant la libération de prostacycline, puis de leucotriènes ; chez l'homme, cette séquence n'a pas été confirmée [32, 152]. Des concentrations plasmatiques élevées en TXA2 et en prostacycline ont été associées au SDRA, mais également aux états septiques. Actuellement, on les considère plutôt comme des marqueurs de souffrance membranaire que comme des médiateurs spécifiques du SDRA [55].
Des concentrations anormales en leucotriènes ont été mesurées chez l'homme dans les liquides de LBA au cours du SDRA : ils jouent vraisemblablement un rôle important dans les modifications de perméabilité membranaire et dans l'attraction des PMN, mais leur présence n'est pas spécifique du SDRA [256].
Espèces oxygénées activées
L'activation des cellules phagocytaires (flambée respiratoire) génère l'anion superoxyde, le peroxyde d'hydrogène(par dismutation de l'anion superoxyde),
l'acidehypochloreux (produit par le fonctionnement de la myéloperoxydase, enzyme granulocytaire desneutrophiles), l'oxygène singulet, une forme excitée de l'oxygène non radicalaire mais très réactive, et sans doute aussi, en présence de Fe2+, le radical hydroxyle [139, 149, 263].Produites en excès, ces espèces oxygénées dont la durée de vie est brève sont responsables d'une peroxydation lipidique conduisant à la destruction membranaire et à la mort cellulaire. Des espèces oxygénées activées sont aussi produites par le fonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale et de la xanthine-oxydase lors de la reperfusion après ischémie (états de choc), ainsi que par l'hémoglobine libre plasmatique présente en cas d'hémolyse.
Dans le SDRA, l'activation excessive des phagocytes, l'hémolyse et l'ischémie-reperfusion sont des phénomènes courants, mais la présence d'espèces oxygénées activées dans le sang ou les liquides de LBA n'a pas été directement mise en évidence. Le dosage de la malonedialdéhyde plasmatique permet d'estimer la présence de lipoperoxydations, mais cette technique manque de spécificité. L'hypothèse d'une formation de radicaux libres au cours du SDRA et du SDMV est cependant soutenue par la démonstration d'une consommation des protecteurs antiradicalaires naturels (comme la vitamine E), d'une variation d'activité des enzymes piégeuses des espèces oxygénées activées (superoxyde dismutase-SOD, catalase, glutathion-peroxydase) et d'une libération plasmatique de myéloperoxydase [156, 218].
Cytokines
La présence des cytokines a été démontrée dans le plasma et le liquide de LBA au cours du SDRA [272]. Ces molécules agissent sur le fonctionnement cellulaire par l'intermédiaire de récepteurs de surface présents sur de nombreuses cellules (PMN, monocytes, cellules endothéliales...). Les cytokines les mieux étudiées dans le SDRA sont le TNF (tumor necrosis factor) et les interleukines (IL). Le TNF est libéré par les monocytes-macrophages, le plus souvent en réponse aux endotoxines, mais aussi à d'autres stimuli comme la PGE2 ou d'autres cytokines. Il entraîne la production séquentielle des interleukines (IL1, IL6 et IL8), l'activation des PMN et des cellules endothéliales (production de facteurs procoagulants et expression accrue des récepteurs d'adhésion). Les interleukines amplifient la réaction inflammatoire, notamment par stimulation de la production des protéines de la phase aiguë et par une action sur l'activation et le chémotactisme des PMN, cette dernière propriété étant particulièrement bien démontrée pour l'IL8. Des taux plasmatiques élevés de TNF et d'interleukines ont été mesurés chez des patients en SDRA mais, une fois de plus, sans valeur prédictive quand au développement potentiel ou à la mortalité du syndrome. Les dosages réalisés récemment dans les liquides de LBA indiquent une meilleure corrélation entre le taux d'IL8 et la survenue ou la sévérité du SDRA, sans pour autant que les cytokines soient des marqueurs spécifiques précoces [49, 64, 65, 262].
Récepteurs d'adhésion
Ces récepteurs,
dont l'existence a été mise en évidence par l'utilisation d'anticorps monoclonaux, règlent les interactions entre cellules endothéliales et cellules sanguines.
Leur expression est augmentée par l'activation des PMN et des cellules endothéliales, et par de nombreux médiateurs comme le PAF, l'IL8 et sans doute aussi le monoxyde d'azote (NO) et le GM-CSF (granulocyte-macrophage colony stimulating factor) [90, 297]. Ils appartiennent aux familles des sélectines, des intégrines et à la superfamille des immunoglobulines. Les cellules endothéliales expriment les récepteurs ELAM (endothelialleukocyte adhesion molecule), ICAM (intercellular adhesion molecule) et VCAM (vascular adhesion molecule) ; les PMN expriment le LFA (leukocyte factor of adhesion), tandis que les récepteurs LECAM (leukocyte endothelial cell adhesion molecule) sont exprimés par les cellules endothéliales et les PMN [287, 289, 297].
Protéases et antiprotéases
L'activation des PMN,
des cascades du complément et de la coagulation-fibrinolyse amènent de nombreuses protéases (d'origine cellulaire et extracellulaire) dans le flux sanguin, notamment des protéases à sérine active (comme l'élastase, les cathepsines, les protéases du complément, la kallikréine et les protéases de la coagulation), des protéases acides et des métalloprotéases (la collagénase). Libérées en excès, ces protéases amplifient l'activation du complément et de la coagulation, et sont responsables d'une protéolyse avec libération de peptides actifs et destructions cellulaires et tissulaires.
Elles contribuent ainsi à l'amplification de la réaction inflammatoire. Des protéases actives comme l'élastase et la collagénase ont été identifiées dans les liquides de LBA [39, 262].Deby-Dupont et al ont montré que le SDRA s'accompagne souvent d'une souffrance pancréatique et d'une augmentation des concentrations plasmatiques en protéases actives comme la trypsine [57, 59].Cette action protéasique est normalement contrebalancée par les antiprotéases plasmatiques, comme l'α1 protéinase inhibiteur (α1PI), l'antithrombine III (AT III), le C1 estérase inhibiteur, l'α2-macroglobuline (α2M)... Mais, au cours du SDRA, ces antiprotéases (α1PI, l'α2M...) peuvent être inactivées par les espèces oxygénées activées ou les protéases en excès, ou ne sont présentes qu'à des taux plasmatiques effondrés (α2M).
Évaluation clinique au cours du SDRA
Malgré les progrès significatifs réalisés dans la compréhension de la physiopathologie du SDRA, aucune thérapeutique spécifique n'est actuellement disponible et le taux de mortalité reste élevé.
Dans ce contexte, l'importance du traitement symptomatique renforce, si besoin était, le caractère primordial d'une évaluation clinique rigoureuse et exhaustive visant à évaluer la sévérité de la maladie, prévenir et détecter les complications, guider au mieux la thérapeutique et évaluer ses effets bénéfiques ou délétères.Récemment, les progrès de la réanimation ont été influencés par l'avènement de nouvelles techniques d'investigation, souvent disponibles au lit du patient, dont l'intérêt clinique et physiologique au cours du SDRA mérite d'être souligné.
Évaluation hémodynamique au cours du SDRA
Si la nouvelle définition n'impose plus le recours au monitorage hémodynamique invasif débit cardiaque élevé et d'une PAPO normale est fortement évocatrice, mais de nombreux facteurs compliquent l'interprétation de ces données. D'une part, les pressions de remplissage peuvent être artificiellement élevées par l'augmentation des pressions intrathoraciques liée à la ventilation mécanique ou par le remplissage vasculaire nécessaire à la correction d'un état de choc. D'autre part, en fonction de l'étiologie et de la sévérité du tableau, de nombreux facteurs peuvent altérer la performance cardiaque (acidose,hypoxie, TNF et autres médiateurs libérés au cours des états septiques...). Par ailleurs, d'autres pathologies (surcharge vasculaire partiellement traitée, oedème pulmonaire cardiogénique en voie de résolution...) peuvent donner le même tableau hémodynamique et, a contrario, un patient présentant un authentique SDRA peut également souffrir de défaillance cardiaque responsable d'une élévation de la PAPO [238]. Enfin, il faut noter que l'étiologie du SDRA n'influence que faiblement le profil hémodynamique observé au cours des premières heures [225]. En particulier, les SDRA d'origine septique ne diffèrent pas significativement des SDRA non infectieux en termes d'hémodynamique pulmonaire ou systémique, de fonction ventriculaire ou de transport d'O2 (DO2) [150, 225].En dépit de ces aléas, le monitorage hémodynamique invasif peut s'avérer très utile à l'évaluation initiale et au management du SDRA.En effet, l'instabilité tensionnelle parfois observée pendant la phase aiguë du SDRA, surtout lorsque celui-ci complique l'évolution d'un état septique, rend souvent indispensable un monitorage hémodynamique invasif.Le but du cathétérisme est alors de guider au mieux le remplissage vasculaire et la prescription de vasopresseurs et d'inotropes, afin d'éviter tant que possible l'administration d'une quantité de liquide susceptible d'aggraver l'oedème pulmonaire et l'hypoxémie.D'autre part, un des buts du traitement symptomatique du SDRA est d'améliorer l'oxygénation tissulaire. À cet égard, le cathéter de Swan-Ganz permet d'apprécier le retentissement hémodynamique des différents modes de ventilation. En particulier, si les pressions mesurées sont largement faussées par l'augmentation de pression intrathoracique, les variations du débit cardiaque, du transport et de la consommation d'oxygène (VO2), comme celles de la saturation veineuse en O2 (Sv¯O2) et de la lactacidémie en fonction du mode ventilatoire fournissent des renseignements indispensables à l'optimisation de la ventilation mécanique chez ces patients. Par ailleurs, certains ont proposé d'utiliser les données du cathétérisme droit pour optimiser la DO2 au cours du SDRA, en suggérant qu'il existait tout comme pour les états septiques une dépendance pathologique de la DO2 et de la VO2 [241]. La controverse sort du cadre de cet article, mais il semble qu'un couplage mathématique explique la dépendance entre DO2 et VO2 au cours du SDRA [117, 119, 141, 216, 227]. Lorsque des méthodes indépendantes sont utilisées pour déterminer DO2 et VO2, aucune dépendance n'est démontrée [117, 141, 216, 227].Par ailleurs, le cathétérisme droit peut révéler une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), dont l'importance est proportionnelle à la sévérité de l'atteinte parenchymateuse [294]. Indépendante des modifications du débit cardiaque, cette HTAP persiste après correction de l'hypoxémie [294].Elle résulte de la combinaison de facteurs liés à l'agression initiale, à la réponse inflammatoire à cette agression (libération de cytokines, de dérivés de l'acide arachidonique et d'antifibrinolytiques, formation de microthrombi...) et des complications iatrogènes du traitement (toxicité de l'O2, barotraumatisme...) [293]. Si les résistances vasculaires pulmonaires (RVP) se normalisent progressivement chez les survivants, l'aggravation de l'HTAP est de mauvais pronostic. Entre autres conséquences, elle peut favoriser la formation de l'oedème pulmonaire ou altérer la fonction du ventricule droit (VD), retentissant parfois sur le débit cardiaque et la DO2 [245, 279]. En effet, le SDRA est fréquemment associé à une dysfonction ou à une défaillance ventriculaire droite [278].
En réponse à l'HTAP, certains patients développent une dilatation ventriculaire droite et tentent de maintenir leur volume d'éjection systolique par le mécanisme de Frank-Starling [36, 61, 244]. Ainsi, Brunet et al ont démontré l'existence d'une dilatation ventriculaire droite et d'une diminution de la fraction d'éjection du ventricule droit (FEVD) chez 34 patients souffrant d'insuffisance respiratoire aiguë [36]. En dehors de l'augmentation de la postcharge, une diminution de la contractilité du VD joue un rôle important dans la physiopathologie de la défaillance ventriculaire droite [61, 132, 278]. La survenue d'une défaillance ventriculaire droite aggrave singulièrement le pronostic, et justifie le monitorage de la fonction ventriculaire droite et des volumes du VD au cours du SDRA.Des cathéters de Swan-Ganz permettant la mesure des volumes et de la FEVD sont disponibles sur le marché, mais leur utilité dans ces circonstances s'accompagnant souvent d'insuffisance tricuspidienne est discutée [137]. L'échocardiographie bidimensionnelle, parfois de réalisation difficile chez un patient ventilé, permet d'améliorer sensiblement le monitorage de la performance ventriculaire droite en cas d'HTAP [138].
Imagerie thoracique et SDRA
Radiographie thoracique (RX)
Bien que les anomalies radiologiques puissent être absentes lors de l'installation de l'hypoxémie, l'apparition d'opacités alvévolo-interstitielles diffuses dans les 24 heures suivant les premiers signes cliniques est caractéristique du SDRA. Rapidement, les opacités peuvent devenir confluantes et réaliser en quelques heures l'aspect classique de " poumons blancs ". La progression des signes radiologiques est en règle générale parallèle à celle de l'oedème alvéolaire, mais il n'existe qu'une faible corrélation entre la sévérité de l'atteinte radiologique et celle de l'hypoxémie [284]. À ces signes s'associent la présence de bronchogrammes aériens, de plages d'atélectasie, ou plus rarement d'un épanchement pleural de faible abondance.Ces manifestations radiologiques peuvent se confondre avec celles d'un oedème pulmonaire cardiogénique, et plusieurs auteurs ont décrit des signes permettant le diagnostic différentiel en l'absence d'exploration hémodynamique invasive [187, 284]. Une cardiomégalie accompagnant des pédicules vasculaires larges, une redistribution vasculaire vers les sommets et un oedème à prédominance périhilaire évoquent une origine hémodynamique [187]. En revanche, chez les patients présentant unSDRA, les structures vasculaires sont de volume normal et l'oedème pulmonaire tend à être hétérogène et périphérique, épargnant les angles costodiaphragmatiques [284].
Cependant, ces signes ne sont pas aussi sensibles et spécifiques qu'initialement décrits, et l'utilisation de ces critères par d'autres investigateurs n'a pas permis de confirmer leur valeur prédictive [1, 251].L'aspect du cliché est influencé par la thérapeutique mise en oeuvre. Ainsi, le remplissage vasculaire agressif, parfois indispensable au traitement d'un état de choc associé, ou l'apparition d'une insuffisance rénale oligoanurique aggravent considérablement l'image radiologique (et l'hypoxémie). De même, la réalisation d'un LBA peut entraîner l'apparition de nouvelles opacités. En revanche, la ventilation mécanique avec un niveau élevé de PEP améliore l'image radiologique en générant une hyperinflation pulmonaire qui atténue les signes de condensation pulmonaire. L'aspect radiologique est aussi influencé par l'étiologie du SDRA : la présence d'une contusion pulmonaire, d'une pneumopathie infectieuse ou d'une embolie pulmonaire favorisent la constitution d'une image radiologique asymétrique.
En général, les signes les plus sévères sont présents pendant les 5 premiers jours et régressent après la première semaine chez les survivants. Les infiltrats alvéolo-interstitiels prennent ensuite un aspect plus diffus, en " verre dépoli ", avec persistance de bronchogrammes aériens en leur sein. Une aggravation radiologique après ce délai suggère l'existence d'une complication (pneumonie nosocomiale, surcharge vasculaire ou défaillance cardiaque, barotraumatisme...). En effet, en dehors de son intérêt diagnostique, la RX thoracique est particulièrement utile à la détection des lésions associées et des complications, qu'elles soient ou non liées au traitement. Deux situations méritent d'être particulièrement évoquées.
Les lésions de baro- ou de volotraumatisme apparaissent en général 1 à 4 semaines après la survenue du SDRA. Leur physiopathologie permet d'expliquer la diversité des aspects cliniques et radiologiques. Après la rupture alvéolaire, les gaz fusent le long des manchons périvasculaires pour atteindre le médiastin, la plèvre viscérale, les tissus sous-cutanés ou le rétropéritoine. Les lésions d'emphysème pulmonaire interstitiel, souvent révélées par des clartés péribronchiques ou périvasculaires au sein d'un parenchyme précédemment homogène, sont en règle générale les premières à apparaître. Si elles peuvent se confondre avec un bronchogramme aérique, l'association fréquente d'un pneumomédiastin ou d'un pneumothorax (PTX) sur la RX thoracique facilite le diagnostic [284]. Le PTX est letype le plus commun de barotraumatisme. Son diagnostic est d'autant plus important que ces PTX tendent à être sous tension et sources d'instabilité hémodynamique, mais il est souvent difficile chez ces patients ventilés. Les signes radiologiques classiques ne sont présents que chez une faible proportion de patients, et la qualité parfois médiocre des RX thoraciques en réanimation peut gêner leur détection [48, 270]. D'autre part, un PTX incomplet ne décolle pas nécessairement le poumon de la paroi latérale, et l'air se localise alors au niveau de la partie antérieure du thorax. La visibilité anormale de certaines structures (franges graisseuses péricardiques, bord médiastinal, cul-de-sac latéral costodiaphragmatique ou partie antérieure d'une coupole), l'existence d'une hyperclarté de tout ou partie d'un hémithorax feront suspecter un PTX partiel et antérieur. La réalisation de clichés en décubitus latéral peut aussi faciliter le diagnostic, mais bon nombre de PTX méconnus sont révélés par la tomodensitométrie ou par les techniques d'échocardiographie [160, 284].
Une pneumonie nosocomiale survient chez 30 % des patients présentant un SDRA.
Ces pneumopathies sont particulièrement difficiles à diagnostiquer.
L'apparition d'un nouvel infiltrat unilatéral, plus de 5 jours après la survenue du SDRA, est probablement un bon signe radiologique de surinfection pulmonaire.
Ces nouvelles opacités parenchymateuses peuvent aussi refléter l'aggravation d'une atélectasie ou la survenue d'un infarctus pulmonaire.
Les signes radiologiques doivent donc être interprétés en fonction des données cliniques : l'existence d'une fièvre, d'expectorations purulentes, ou la dégradation des échanges gazeux ou de la compliance thoracopulmonaire évoquent une pneumonie nosocomiale dont le diagnostic bactériologique devra être confirmé.
Tomodensitométrie thoracique (TDM)
Au cours de ces dernières années,
la TDM nous a fourni d'importantes indications morphologiques, diagnostiques et pronostiques, susceptibles d'influencer considérablement la thérapeutique. En dehors des hyperdensités caractéristiques du SDRA, elle permet notamment d'apporter de nombreux renseignements morphologiques, et se révèle supérieure à la RX thoracique pour la détection et la caractérisation d'un épanchement pleural, d'abcès pulmonaires, de bulles ou d'autres formations kystiques. La suspicion de lésions barotraumatiques constitue en particulier une excellente indication de scanner thoracique [213]. Celui-ci permet de reconnaître la présence d'air extra-alvéolaire, d'apprécier l'importance et la localisation d'un PTX partiel, de préciser le trajet d'un drain thoracique ou de guider le traitement d'une fistule bronchopleurale [11, 126].
En dehors de l'apport diagnostique, la TDM a permis avant tout de progresser dans la compréhension du SDRA.
Dès 1986, sous l'influence du groupe de Gattinoni, de nombreuses études ont tenté de corréler les altérations morphologiques et physiologiques qui le caractérisent [97, 99, 106]. Ces auteurs ont développé une méthode d'analyse de coupes de 9 mm d'épaisseur passant par l'apex, les hiles et les bases pulmonaires chez des patients anesthésiés et curarisés, en apnée, à une PEP ou á une pression de plateau sélectionnée. À chaque voxel (unité de reconstruction de 1,5 × 1,5 × 0,9 mm) est attribué un chiffre exprimé en unités Hounsfield (H), proportionnel à la densité du tissu examiné et variable entre 0 (eau) et -1 000 (air). Par ailleurs, chaque poumon est divisé dans le sens antéropostérieur en 10 sections d'environ 300 à 500 voxels : les sections 1-3, 4-7 et 8-10 représentent respectivement les zones non dépendantes, intermédiaires et dépendantes. Il est ainsi possible d'estimer, pour la totalité du parenchyme ou section par section, le volume et le poids du poumon ou la quantité de tissu pulmonaire normalement (H<-500), peu (-500<H<-100) ou pas aéré (-100<H<100).
En utilisant ces techniques d'analyse quantitative, Gattinoni et al ont montré que le SDRA était caractérisé par une diminution du volume pulmonaire aéré et une augmentation du volume tissulaire [95].
Le même groupe, utilisant une estimation TDM du poids des poumons, a démontré que l'augmentation de l'eau pulmonaire extravasculaire au cours du SDRA était corrélée à la pression artérielle pulmonaire moyenne [102]. Ces données suggèrent dès lors que l'importance des anomalies TDM est proportionnelle à la gravité du SDRA, qu'elle soit évaluée par le score de Murray ou par l'importance de l'oedème pulmonaire [102, 195, 202].
D'autre part, la révélation de l'hétérogénéité de l'atteinte pulmonaire du SDRA est un des apports les plus importants du scanner thoracique en réanimation [180]. Même si la RX montre deux poumons " blancs " et homogènes, la TDM peut révéler des condensations multiples, bilatérales, à contours nets, le plus souvent dans les régions postérieures et déclives. Lorsque les lobes supérieurs sont intéressés, les condensations siègent dans le segment dorsal, et sont limitées en arrière par la scissure. Parfois, le parenchyme tout entier apparaît hyperdense, en " verre dépoli ". Ces hyperdensités peuvent représenter un oedème interstitiel pulmonaire, une atélectasie ou une condensation alvéolaire, évolution naturelle de la lésion alvéolaire. La TDM ne permet pas de différencier ces différents mécanismes physiopathologiques en fonction de la morphologie ou de la densité, mais la réponse à la PEP ou aux changements de position peut fournir des informations intéressantes sur la nature de ces hyperdensités.
En effet, la répartition spatiale de ces zones de condensation est largement influencée par la gravité [95, 96]. En revanche, aucun gradient n'est observé en ce qui concerne l'augmentation de perméabilité capillaire caractéristique du SDRA [235], ce qui tendrait à confirmer l'hypothèse suivante. Selon Gattinoni, les poumons d'un patient atteint de SDRA peuvent être comparés à une éponge gorgée de liquide. Si l'on divise cette éponge en 10 sections égales dans le sens antéropostérieur, la pression qui règne au niveau des sections inférieures est plus élevée, du fait du poids du liquide s'accumulant dans les zones susjacentes.
L'augmentation de pression hydrostatique surimposée dans les zones déclives favorise le collapsus alvéolaire et la distribution gravitationnelle des densifications [95, 96].
Ces travaux permettent d'expliquer la redistribution ventrale de ces hyperdensités dans les minutes suivant le passage en décubitus ventral [100]. Par ailleurs, la PEP nécessaire à la réouverture de ces alvéoles collabées est au moins égale à cette pression hydrostatique surimposée [96]. Passé ce niveau de PEP, il faut admettre que les améliorations d'oxygénation parfois observées ne s'expliquent pas par le recrutement d'alvéoles collabées par un mécanisme compressif.
D'autre part, ces données suggèrent que l'application d'une PEP représente toujours un compromis, dans la mesure où le niveau de PEP requis pour recruter les alvéoles des régions dépendantes pourrait entraîner une surdistension des régions non dépendantes.
Pour vérifier cette hypothèse, Gattinoni et al ont récemment étudié les effets de la PEP sur la distribution régionale du volume courant (VT) et du recrutement alvéolaire [98]. En réalisant des coupes passant par les bases pulmonaires en fin d'inspiration et d'expiration, le recrutement alvéolaire imputable à l'augmentation de la pression de plateau (Pplat) est observé en fin d'inspiration, tandis que les coupes réalisées en fin d'expiration révèlent l'effet de la PEP sur la distribution des densités. Dans les conditions de base (PEP = 0), le VT se distribue préférentiellement vers les zones non dépendantes, mais l'application d'une PEP permet une répartition plus homogène du volume insufflé en diminuant le pourcentage du VT distribué aux alvéoles des régions non dépendantes, tandis que celui destiné aux zones déclives augmente. En considérant la totalité du parenchyme visible sur une coupe basale, le recrutement induit par l'augmentation de Pplat (de 21 ± 1,8 à 46 ± 3,2 cmH2O) n'augmente pas significativement avec la Pplat. En revanche, le recrutement alvéolaire induit par la PEP est proportionnel au niveau de PEP. Ceci suggère que la totalité du parenchyme recrutable est ouverte pour une Pplat de 21 cmH2O, et que la PEP diminue la quantité de parenchyme soumis au phénomène de recrutement-dérecrutement au cours du cycle respiratoire. Ainsi, Pplat peut être considérée comme la pression d'ouverture tandis que la PEP permet de garder ces alvéoles ouvertes.
Par ailleurs, l'analyse de la distribution du recrutement alvéolaire démontre que celui-ci se fait au bénéfice des alvéoles des zones dépendantes. Cependant, une PEP de 5 ou 10 cmH2O peut également induire une atélectasie par compression au niveau des zones les plus déclives. Au niveau des régions supérieures, le recrutement alvéolaire est négligeable, et ces alvéoles sont surdistendues par la PEP et l'augmentation de Pplat qui en résulte [98].L'effet de la PEP sur la compliance varie selon le niveau considéré : la PEP pourrait diminuer la compliance régionale des zones supérieures du fait de la surdistension qu'elle engendre, et améliorer graduellement celle des zones moyennes et inférieures en augmentant le nombre d'alvéoles recrutées.
Ces données confirment celles d'une précédente étude, ou la réponse régionale à la PEP était étudiée en analysant, au niveau de chaque section de coupe, l'évolution du ratio gaz/tissu (Rg/t) en fonction du niveau de PEP. Trois types de courbes Rg/t-PEP ont été identifiés : linéaire, biphasique et non significative (pas d'augmentation de Rg/t avec la PEP). La pente des courbes linéaires au niveau de chaque section permettait de définir la compliance régionale section par section, tandis que le point d'inflexion présent sur les courbes biphasiques était utilisé pour détecter le recrutement alvéolaire. Les courbes linéaires étaient prédominantes au niveau des sections ventrales, tandis que le pourcentage de courbes biphasiques augmentait dans le sens antéropostérieur. De même, la pression au point d'inflexion (Pflex) était plus importante dans les zones déclives, et la compliance des régions dorsales était significativement plus faible que celle des régions ventrales.
Si riche d'enseignement qu'elle soit, il ne faut pas oublier que la réalisation d'une TDM nécessite le transport de patients fragiles, dont l'oxygénation est souvent précaire malgré l'utilisation de modes ventilatoires sophistiqués. À nos yeux, ceci ne peut se concevoir qu'après stabilisation initiale de l'état du patient, et uniquement si le personnel médical, le matériel et le monitorage nécessaires à la réalisation de l'examen en toute sécurité sont disponibles pendant le transport du malade et dans la salle de radiologie [88].
Mécanique respiratoire et SDRA
Le SDRA s'accompagne d'anomalies de la mécanique respiratoire dont la
valeur diagnostique et pronostique a été soulignée [165, 211].
Du fait de leurs conséquences thérapeutiques et de par leur caractère dynamique et évolutif, ces anomalies justifient pleinement l'utilisation d'un monitorage spécifique.
d'importance variable en fonction du stade de la maladie et des méthodes de mesure utilisées [15, 101, 176, 209]. Ces résultats, supportés par les études TDM publiées, ont donné naissance au concept de baby lung : parfois, à peine un tiers des alvéoles apparaissent aérées et fonctionnelles [101, 103]. La mesure de la CRF, relativement aisée au lit du patient, permet d'estimer la quantité de parenchyme ventilable [211].
De nombreux investigateurs se sont intéressés aux propriétés élastiques du poumon au cours du SDRA. Au cours d'un travail explorant la relation entre la compliance, le poids pulmonaire, et la quantité de poumon normal, peu ou pas aéré, Gattinoni a démontré que, pour une pression donnée, seule la région aérée est explorée par la courbe pressionvolume (P-V) : la pente de celle-ci est proportionnelle à la quantité de poumon normalement ventilée [102]. La mesure de la compliance reflète donc directement la sévérité de l'atteinte pulmonaire. Quelle que soit la technique de mesure utilisée, la compliance statique pulmonaire, thoracique ou totale est nettement diminuée au cours du SDRA [95, 165, 211, 223, 230]. À la phase initiale du SDRA, cette diminution reflète davantage la réduction du parenchyme ventilable qu'une altération des propriétés mécaniques, et la compliance spécifique (rapportée à la quantité de poumon aérée) est quasi normale.
Parmi les différentes méthodes de mesure, la technique d'occlusion en fin d'inspiration [78, 223, 230] et la construction de courbes P-V à l'aide d'une superseringue sont les plus utilisées [15, 101, 165, 176, 211]. La présence d'un point d'inflexion sur la courbe P-V est considérée par certains comme un paramètre utile au choix du niveau de PEP optimal [260, 261], tandis que d'autres proposent d'utiliser la partie linéaire de la courbe pour déterminer le volume courant (fig 4) [176]. Lorsqu'une PEP supérieure à Pflex (point d'inflexion inférieure) est appliquée, la ventilation se fait dans une partie plus favorable de la courbe P-V : une augmentation du VT n'entraîne qu'une augmentation modérée des pressions d'insufflation. Ce point d'inflexion, qui indiquerait le niveau de pression nécessaire à la réouverture des alvéoles collabées, est assez souvent retrouvé à la phase aiguë du SDRA si aucune PEP n'est appliquée [14, 78, 101, 176, 223]. En revanche, Matamis rapporte la disparition du point d'inflexion et de l'hystérésis à un stade plus tardif de la maladie [176].La recherche d'une PEP intrinsèque (PEPi, ou auto PEP) traduisant un phénomène d'hyperinflation dynamique doit être systématique. Les mécanismes physiopathologiques, les techniques de mesure et les implications cliniques et thérapeutiques liées à l'existence d'une PEPi ont été récemment revus [231]. Cette PEPi est liée à la réduction des volumes pulmonaires, l'hétérogénéité des constantes de temps et à l'augmentation des résistances aériennes souvent observées au cours du SDRA. Sa valeur sera prise en compte dans le calcul de la compliance, et il est important d'en tenir compte afin de diminuer le travail respiratoire lorsqu'un mode de ventilation assistée est utilisé. Ses effets adverses sur l'hémodynamique et le risque barotraumatique sont les mêmes que ceux d'une PEP extrinsèque.
Plus récemment, la présence d'un point de déflexion, à partir duquel la courbe P-V s'aplatit et diverge de la partie linéaire, a été mise en évidence chez certains patients (fig 4) [37, 38]. Les études démontrant le rôle du volume pulmonaire en fin d'inspiration dans la genèse des lésions de baro- ou volotraumatisme soulignent l'importance physiologique de ce point [51, 70, 121, 280]. Au-delà de ce seuil, le poumon est surdistendu et le risque de volotraumatisme augmente. Ainsi, Brunet et al ont évalué le risque de barotraumatisme chez huit patients atteints de SDRA lorsque le respirateur était réglé en fonction de critères cliniques (VT pour PaCO2 > 40 mmHg, PEP pour PaO2 ≥ 60 mmHg avec FiO2 ≥ 0,6). En combinant la réalisation de courbes P-V et une estimation des volumes pulmonaires par pléthysmographie à variation d'inductance, un point de déflexion était retrouvé chez quatre des huit patients. La Pplat et le volume télé-inspiratoire résultant de la ventilation étaient supérieurs à la pression et au volume correspondent au point de déflexion, suggérant ainsi un risque significatif de complication baro- et/ou volotraumatique malgré une hypercapnie permissive. D'autres équipes ont confirmé ces résultats [233].
Enfin, une augmentation des résistances des voies aériennes a été rapportée au cours du SDRA [21, 34]. Cette augmentation porte à la fois sur la composante ohmique, liée aux résistances des voies aériennes proprement dites, et sur la composante additionnelle résultant des phénomènes viscoélastiques et de l'inégalité des constantes de temps au sein du parenchyme pulmonaire [211, 264]. Eissa et al ont étudié l'influence des flux et des volumes aériens sur ces différentes composantes chez des patients atteints de SDRA [77, 78], et ont montré que la résistance liée aux voies aériennes n'est que modérément augmentée, tandis que la composante additionnelle est fortement accrue et influencée de façon majeure par les volumes et les flux inspiratoires. Les mécanismes physiopathologiques responsables sont incomplètement compris : le rôle d'une hyperréactivité bronchique, d'une augmentation du tonus vagal ou de la réduction des volumes pulmonaires a été proposé. Récemment, Pelosi et al ont évalué les résistances pulmonaires spécifiques en indexant les résistances aériennes par rapport aux volumes pulmonaires et n'ont pas retrouvé d'augmentation significative par rapport à la normale [209]. Ceci suggère que l'élévation des résistances aériennes retrouvée au cours du SDRA n'est pas liée à une diminution du diamètre des voies aériennes, mais plutôt à une réduction des volumes pulmonaires. Cependant, l'utilisation de bronchodilatateurs s'est révélée utile dans certains cas [212].
Lavage bronchoalvéolaire
Parmi les techniques permettant de mieux appréhender la physiopathologie du SDRA, le LBA a une place privilégiée. Bien plus qu'une simple dilution d'un échantillon plasmatique, le liquide de LBA reflète l'activité métabolique sélective de l'interstitium pulmonaire et de l'alvéole en réponse au processus inflammatoire, et constitue ainsi un précieux moyen d'étude de la pathogénie du SDRA. Les principales caractéristiques du LBA au cours du SDRA ont été récemment revues [8], et ne feront pas l'objet d'une description exhaustive.
Tous les médiateurs précédemment décrits ont été recherchés et souvent retrouvés au niveau du LBA, reflétant ainsi la cascade d'activation des médiateurs impliqués dans la physiopathologie du syndrome. On retiendra surtout une nette augmentation du pourcentage de PMN, qui peut atteindre 80 % en dehors de tout épisode infectieux [8].
En pratique clinique quotidienne, la recherche d'une pneumonie nosocomiale ou d'une infection opportuniste pouvant se présenter comme un SDRA constitue la principale indication du LBA. Le diagnostic et le traitement des infections pulmonaires ont fait l'objet d'une mise au point récente [155]. Le diagnostic d'infection est fortement probable si le LBA révèle la présence de micro-organismes en quantité supérieure à 104 cfu/mL. La réalisation simultanée d'un brossage bronchique protégé (positif si > 103 cfu/mL) permet d'augmenter la sensibilité et la spécificité du LBA. En dehors de la controverse portant sur l'utilité de ces méthodes diagnostiques dans cette indication chez les patients ventilés [44, 200], certains ont attiré l'attention sur les risques de ces techniques chez des patients en situation critique [273]. Steinberg et al ont réalisé 110 LBA chez 438 malades atteints de SDRA, et ont rapporté la bonne tolérance de la technique lorsqu'elle est réalisée par une équipe expérimentée [255].
Thérapeutique du SDRA
Outre le traitement purement symptomatique, la thérapeutique du SDRA comporte avant tout un traitement préventif et étiologique, qui doit être entrepris précocement chez les patients à risque. Ainsi, l'instauration de mesures hémodynamiques destinées à traiter l'état de choc (remplissage vasculaire, vasopresseurs et/ou drogues inotropes...), d'un traitement chirurgical précoce visant à fixer les foyers de fractures et éradiquer les foyers septiques et nécrotiques, la mise en oeuvre d'une antibiothérapie adaptée aux résultats d'examens microbiologiques ou le drainage actif de collections biologiquement actives (cavité péritonéale, canal thoracique dans les formes sévères de pancréatite aiguë nécroticohémorragique) constituent des mesures préventives indispensables. Lorsque le SDRA survient malgré tout, le but de la prise en charge clinique est d'assurer le maintien ou ses complications.
Mesures thérapeutiques générales
En dehors de la stratégie ventilatoire et du traitement étiologique, la qualité du traitement symptomatique au cours du SDRA est un élément déterminant du pronostic.En effet, le SDRA n'est souvent qu'une manifestation pulmonaire d'un processus systémique complexe et contre lequel aucun traitement spécifique n'est disponible. Par conséquent, la stratégie ventilatoire doit s'inscrire dans le contexte d'une prise en charge clinique globale [149].
Support cardiovasculaire
S'il est clair qu'une instabilité hémodynamique ou un état de choc doivent
être énergiquement traités, aucun consensus n'existe sur les buts du
traitement hémodynamique au cours du SDRA.
Certes, le maintien d'une perfusion tissulaire adéquate est un objectif fondamental, mais l'obtention de valeurs supranormales de DO2 est un but beaucoup plus controversé. L'hypothèse selon laquelle il existe une dépendance pathologique entre DO2 et VO2, et qui suggère qu'une diminution de la mortalité peut être obtenue en augmentant la DO2 à des valeurs supranormales est loin d'être démontrée. Les différentes études conduites rapportent des résultats contradictoires [29, 117, 141, 216, 227, 241]. Par ailleurs, une étude récente démontre que le niveau de DO2 critique est plus faible qu'initialement estimé [226] et que l'extraction d'oxygène est perturbée au cours du SDRA.
Il n'existe donc pas suffisamment d'arguments pour considérer l'augmentation de la DO2 à des valeurs supranormales comme un objectif thérapeutique [129, 144]. En pratique, en dehors de signes cliniques et paracliniques d'hypoperfusion tissulaire, cette attitude nous semble injustifiée lorsque l'index cardiaque (IC) est significativement élevé (> 3,5 L · min-1 · m-2).
Qu'elle soit liée à l'étiologie du SDRA ou à l'élévation des pressions intrathoraciques induite par la ventilation, une instabilité hémodynamique justifie souvent une expansion volémique. Ici encore, aucun consensus n'existe, tant sur la quantité que sur le type de liquides à administrer. Les partisans d'une augmentation de la DO2 plaident pour un remplissage vasculaire agressif [29, 241]. Pour d'autres, la crainte d'une détérioration des échanges gazeux, favorisée par une élévation des pressions hydrostatiques et les troubles de perméabilité capillaire, justifie une restriction hydrique et/ou l'administration de diurétiques, à condition que cette politique ne compromette pas la perfusion et l'oxygénation tissulaire [131, 236, 237]. Cette approche, reposant sur l'équation de Starling, est supportée par un nombre croissant de travaux expérimentaux et cliniques [236, 237]. En effet, plusieurs études suggèrent une amélioration de la fonction pulmonaire lorsqu'une réduction de la PAPO ou du poids corporel est induite par une restriction hydrique [25, 131, 189, 237, 239]. Mitchell et al rapportent les bénéfices d'une stratégie de restriction hydrique basée sur la mesure de l'eau pulmonaire extravasculaire. Au cours d'une étude prospective randomisée portant sur 89 patients, ces auteurs retrouvent une association entre la ,diminution de l'eau pulmonaire extravasculaire obtenue grâce à cette stratégie et uneréduction significative de la durée de ventilation mécanique et du séjour aux soins intensifs [189]. Cette approche, qui ne semble pas associée à une instabilité hémodynamique ou à une majoration de l'incidence d'insuffisance rénale aiguë, est évidemment contre-indiquée en cas d'hypovolémie et ne peut se concevoir que si l'adéquation de la perfusion et de l'oxygénation tissulaire est soigneusement monitorisée [144, 237]. Par ailleurs, la nature des liquides à perfuser fait aussi l'objet d'une polémique : il existe autant d'arguments en faveur que contre l'usage des colloïdes et/ou des cristalloïdes dans le traitement des états de choc et du SDRA [241]. En ce qui concerne les globules rouges, aucune étude n'a permis de définir une valeur optimale d'hématocrite ; il paraît sage de ne pas tolérer des valeurs inférieures à 30 %.
Enfin, la prise en charge d'un état de choc septique ou cardiogénique associé à un SDRA répond aux principes de traitement usuellement mis en oeuvre dans ces situations [178, 208]. Citons cependant la fréquence de l'HTAP et d'une défaillance ventriculaire droite pouvant poser des problèmes thérapeutiques plus spécifiques [45, 132, 245, 254, 294]. Le traitement de l'HTAP pourrait améliorer la performance ventriculaire droite, mais aussi limiter la formation de l'oedème pulmonaire : en effet, lorsque le débit sanguin pulmonaire est élevé, la pression de filtration capillaire est plus proche de la pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPM) que de la PAPO.
Prévention et traitement des infections
En plus de l'altération des mécanismes de défense immunitaire induite par
l'agression systémique au cours du SDRA, les moyens mis en oeuvre pour la surveillance et le traitement (cathéters, intubation trachéale, sonde urinaire...) exposent ces patients au risque d'infection. Une hygiène hospitalière rigoureuse et l'usage standardisé de procédures aseptiques sont d'une importance capitale dans la prévention des infections nosocomiales.
En dehors du cathéter de Swan-Ganz, le changement systématique des cathéters et des sondes trachéales en l'absence de signes infectieux locaux ou généraux n'est pas recommandé [185].
D'autre part, il n'existe à présent aucune donnée justifiant l'utilisation systématique d'une antibioprophylaxie ou d'une décontamination digestive sélective au cours du SDRA [94, 142]. En dehors de ses indications plus générales (patients neutropéniques, immunodéprimés...), l'antibiothérapie empirique doit être limitée aux états de choc et aux SDRA dont l'origine infectieuse est hautement vraisemblable [144].Des prélèvements bactériologiques exhaustifs doivent être réalisés sans délai, et l'antibiothérapie sera adaptée en fonction de leurs résultats.
En effet, l'administration d'antibiotiques à large spectre en dehors d'une infection favorise l'émergence de mutants résistants responsables d'infections dont le taux de mortalité est élevé [143].
Autres éléments du traitement général
À la phase aiguë, le SDRA s'accompagne généralement d'un
hypercatabolisme, particulièrement marqué avec certaines étiologies (sepsis, polytraumatisme, brûlures) [28,133, 234, 281].
Il est donc essentiel de nourrir les patients en apportant les trois constituants principaux (hydrates de carbone, protéines et lipides), mais aussi vitamines et oligoéléments. Cette alimentation sera débutée précocement, et adaptée au cours des différents stades évolutifs du SDRA. Les besoins caloriques varient d'un patient à l'autre et en fonction de nombreux facteurs [28, 281], et ne sont que très imparfaitement calculés à l'aide des formules habituellement utilisées. Par ailleurs, les conséquences néfastes d'une sous-alimentation ou, au contraire, d'une suralimentation ont été établies par de nombreuses études [4, 161, 281]. L'utilisation de la calorimétrie indirecte permet une estimation plus précise des besoins métaboliques et du rapport calorico-azoté chez un patient ventilé [31, 281, 286]. À nos yeux, l'emploi de cette technique favorise la prescription d'une alimentation optimale et doit être encouragé, même si aucune étude n'a démontréune réduction de mortalité liée à l'application de la technique.
Lorsque la possibilité existe, il semble que l'alimentation par voie entérale soit préférable.
Cette pratique permet d'éviter l'atrophie villositaire, et serait associée à une réduction de l'incidence des complications hémorragiques (ulcères de stress) et infectieuses (infections sur cathéter). Le maintien d'une nutrition entérale aurait également des effets bénéfiques sur la réponse immunitaire du patient [2, 276]. La diminution des phénomènes de translocation bactérienne et le bénéfice parfois rapporté sur l'incidence du SDMV et des pneumopathies nosocomiales semblent plus hypothétiques [2, 122, 163, 276]. Ces phénomènes de translocation bactérienne sont surtout favorisés par l'ischémie tissulaire [241], et le maintien d'une oxygénation tissulaire satisfaisante au niveau de l'aire splanchnique constitue vraisemblablement un moyen de prévention efficace. Certains proposent d'utiliser la tonométrie afin d'estimer plus finement l'adéquation de la perfusion splanchnique. Cependant, cette technique est d'interprétation délicate et comporte des difficultés pratiques qui limitent son intérêt dans le cadre du SDRA.
L'utilisation d'agents dopaminergiques a été proposée pour améliorer le débit splanchnique et pour protéger la fonction rénale [242].Cependant, ces données n'ont pas été formellement démontrées et restent controversées. Lorsqu'une insuffisance rénale aiguë survient malgré les mesures préventives (traitement d'un état de choc ou d'une hypovolémie, monitorage des drogues néphrotoxiques...), le recours aux méthodes d'épuration extrarénale peut être justifié. Les techniques d'hémofiltration continue, veinoveineuse ou artérioveineuse, sont efficaces et bien tolérées chez des patients dont la situation hémodynamique et respiratoire est critique. Certains ont proposé leur utilisation afin d'éliminer les médiateurs impliqués dans la physiopathologie du SDRA, et ont publié quelques études préliminaires avec un taux de survie intéressant [52, 92, 113]. Cependant, aucune étude contrôlée ne justifie le recours systématique à l'hémofiltration au cours du SDRA en dehors du traitement d'une insuffisance rénale.
D'autre part, la plupart des patients ventilés requièrent une sédation et/ou une analgésie afin d'améliorer leur confort, d'augmenter la tolérance de la ventilation et de permettre le sommeil. Cette analgosédation sera d'autant plus profonde que la correction de l'hypoxémie nécessite un mode de ventilation difficilement toléré (allongement du temps inspiratoire, ventilation à haute fréquence...). Dans certains cas, les difficultés de ventilation justifient une curarisation mais l'emploi systématique des curares n'est pas recommandé, puisque ceux-ci favorisent l'atrophie des muscles respiratoires et sont associés à la survenue de polyneuropathies acquises en réanimation.Parmi les autres éléments du traitement général, la prophylaxie des ulcères gastroduodénaux est probablement justifiée. Cependant, il n'existe pas de consensus sur les modalités, et le débat sur l'efficacité et les effets secondaires des différentes thérapeutiques possibles n'est pas clos. Enfin, en dehors des contre-indications habituelles et en particulier d'une CIVD, l'utilisation préventive des thérapeutiques antithrombotiques est hautement recommandée.
Stratégie ventilatoire
Les principes de base de la ventilation mécanique ont fait l'objet de mises au point récentes [249, 250, 269]. Les progrès réalisés dans la compréhension des effets délétères de la ventilation sont à l'origine d'un certain nombre d'innovations dans la stratégieventilatoire au cours du SDRA. Bien que s'appuyant sur des bases rationnelles, ces nouvelles modalités de ventilation n'ont pas encore fait la preuve de leur supériorité absolue.
L'approche traditionnelle et ses aléas
Les modalités de la ventilation mécanique en réanimation ont été longtemps inspirées par celles utilisées en anesthésie. Ainsi, jusqu'il y a peu, la ventilation en volume contrôlé (VC) avec un débit inspiratoire élevé, un VT de 10 à 15 mL·kg-1, une fréquence respiratoire (FR) adaptée en fonction de la PaCO2 et/ou du pH, et un niveau de PEP permettant la correction de l'hypoxémie avec une FiO2 non toxique constituait le standard d'assistance respiratoire mécanique au cours du SDRA. Centrée sur l'amélioration des échanges et sur les répercussions hémodynamiques de la ventilation, cette approche ne considère pas les conséquences potentielles des modalités d'assistance respiratoire sur la sévérité de l'atteinte pulmonaire et les possibilités de guérison.
La réduction du risque de volotraumatisme nécessite donc la connaissance précise des volumes télé-expiratoires et télé-inspiratoires entre lesquels les poumons peuvent osciller sans danger au cours du cycle respiratoire. Un nombre croissant d'arguments indique que le niveau de PEP totale (en tenant compte de l'existence d'une PEPi) et le VT courant sélectionné doivent permettre à la ventilation de se dérouler entre les points d'inflexion et de déflexion de la courbe P-V (fig 4) [37, 71, 171]. Deux études récentes démontrent que, chez de nombreux patients, la ventilation conventionnelle avec une PEP au niveau du point d'inflexion et un VT d'environ 10 mL · kg-1 ne protège pas du risque d'hyperinflation [37, 233]. D'ores et déjà, ces données suggèrent que l'étude systématique des relations pressions-volumes du système respiratoire permet d'optimiser la ventilation mécanique au cours du SDRA.
Bases de la stratégie ventilatoire
À la lumière des travaux soulignant les effets iatrogènes de la ventilation mécanique, les buts de la stratégie ventilatoire ont évolué (tableau V) [173, 269]. L'approche initiale a fait place à une stratégie où la normalisation des échanges gazeux n'est plus la seule considération importante, et où les potentiels effets secondaires de la ventilation sont mis en balance avec le bénéfice escompté.
Ainsi, les notions d'hypoxémie et/ou d'hypercapnie permissive sont aujourd'hui acceptées, dans le but de limiter les contraintes mécaniques (volumes pulmonaires et pressions d'insufflation) et biochimiques (FiO2 élevée)susceptibles d'aggraver l'atteinte pulmonaire ou de nuire aux processus de réparation.
Quel que soit le mode de ventilation utilisé, la stratégie ventilatoire est aujourd'hui guidée par des critères qui font l'objet d'un consensus [249, 250].
L'objectif principal de la ventilation mécanique au cours du SDRA reste le traitement de l'hypoxémie associé au shunt veinoartériel caractéristique du syndrome. Par définition, la sévérité de l'hypoxémie justifie souvent l'utilisation d'une FiO2 élevée. Les effets toxiques de l'oxygénothérapie ont fait récemment l'objet d'une mise au point exhaustive, et justifient les efforts visant à maintenir la FiO2 en deçà de 0,65 [139]. L'alternative dans la prise en charge de l'hypoxémie consiste à augmenter la pression alvéolaire moyenne (mPalv), principal déterminant de l'oxygénation [175]. En effet, dans des conditions d'inflation passive, mPalv et la pression intratrachéale moyenne (Pmoy), son reflet cliniquement mesurable, sont corrélées aux forces qui s'opposent au collapsus alvéolaire [174, 175]. Au cours du SDRA, l'augmentation de Pmoy induit en général une amélioration de la PaO2 grâce au recrutement d'alvéoles collabées, à la redistribution de l'eau pulmonaire extravasculaire, et du fait de la réduction du shunt parallèle à la diminution de débit cardiaque (pour une Pmoy élevée). Passé un certain niveau de PEP, la relation entre l'amélioration de la PaO2 et l'élévation de Pmoy est quasi linéaire, quelle que soit la méthode utilisée pour augmenter Pmoy[174, 175]. Cependant, certains patients ne répondent pas (ou peu) à l'augmentation de Pmoy. Par ailleurs, l'élévation de Pmoy est également associée au risque de barotraumatisme et à des effets délétères sur la performance cardiovasculaire ou la formation d'oedèmes tissulaires [169]. Une augmentation de la Pmoy peut être obtenue par différentes méthodes, dont les avantages et inconvénients théoriques méritent d'être évoqués.
Le niveau de PEP optimal fait encore l'objet de controverses : certains proposent une détermination empirique basée sur la réponse gazométrique [144, 249, 250] tandis que d'autres préconisent la construction systématique d'une courbe P-V [171, 176, 260]. Le niveau minimal de PEP doit être légèrement supérieur à Pflex (lorsqu'un point d'inflexion existe sur la courbe P-V), afin de favoriser le recrutement alvéolaire et surtout d'éviter les lésions pulmonaires résultant de la déplétion en surfactant et du stress élastique induit par les phénomènes répétés de recrutement-dérecrutement au cours du cycle respiratoire [71, 171, 196]. À partir de cette valeur, un effet optimal peut être recherché en augmentant la PEP par paliers de 2-3 cmH2O, en tenant compte du fait que cet effet peut apparaître après un certain délai chez certains patients [154]. Quant au niveau de PEP à ne pas dépasser, il faut se contenter d'une PEP permettant d'obtenir une SaO2 acceptable (≥0,9) avec une FiO2 non toxique (≤0,6), et en tous cas ne pas dépasser une PEP supérieure au diamètre antéropostérieur du patient. En effet, la PEP nécessaire au recrutement alvéolaire dans les zones déclives peut induire une surdistension des zones ventrales et des lésions de volotraumatisme [96, 98, 171, 210]. Dirusso et al ont évalué la survie chez des patients traités avec une PEP > 15 cmH2O dans le but de maintenir une SaO2 > 0,92 avec une FiO2 < 0,5, et rapportent une mortalité globale de 45 % [63].
L'allongement progressif du temps inspiratoire constitue un autre moyen d'augmenter Pmoy et d'améliorer la ventilation alvéolaire, en permettant une meilleure distribution du VT au sein d'alvéoles dont les constantes de temps diffèrent et en maintenant ces alvéoles ouvertes pendant une partie plus longue du cycle respiratoire. Ainsi, Sjostrand et al ont démontré que la ventilation en pression contrôlée et rapport I/E inversé (PCIRV : pressure-controlled inverse ratio ventilation) induit un recrutement alvéolaire supérieur malgré une diminution des pressions d'insufflation et des volumes télé-inspiratoires [247].
L'effet sur la PaO2, obtenu sans modification substantielle des régimes de pression (Ppeak, Pplat, PEP) lorsque l'allongement du temps inspiratoire est modeste [7, 166, 172], peut n'être manifeste qu'après plusieurs heures [144]. Cependant, une PEPi est souvent notée pour un ratio I/E > 2 :1 ou pour une ventilation minute élevée et, pour certains, la diminution du shunt intrapulmonaire induite par l'allongement du temps inspiratoire est liée à une augmentation de la PEP totale [240]. De plus, en présence d'une PEPi, Pmoy sous-estime mPalv [169], et il est difficile de comparer les différents régimes de pression. Ainsi, la majorité des études comparant ventilation conventionnelle et PCIRV à niveaux de PEP équivalents ne démontrent pas d'amélioration significative de l'oxygénation [43, 157, 275].
Il est également possible d'allonger le temps inspiratoire en utilisant un algorithme où le volume est contrôlé, avec un débit inspiratoire constant ou progressivement décéléré [169]. Cependant, un changement de la FR, du temps de pause ou du débit d'insufflation peut avoir des conséquences désastreuses et imprévisibles sur les pressions d'insufflation si celles-ci ne sont pas limitées. Ce choix interdit donc la présence d'efforts inspiratoires spontanés et, en pratique, n'est pas conseillé [146].Si la ventilation en PCIRV présente des avantages théoriques séduisants, ses effets secondaires potentiels sont à souligner. Ainsi, certains auteurs ont rapporté une diminution du retour veineux et du débit cardiaque associée à l'inversion du rapport I/E, pouvant compromettre la DO2 [184]. Des travaux récents suggèrent que le retentissement hémodynamique est négligeable pour des rapports I/E≤2 :1 [157, 220]. Enfin, la ventilation en PCIRV nécessite une sédation profonde, voire une curarisation, et il est préférable d'utiliser la PEP pour augmenter Pmoy lorsque le patient garde une respiration spontanée et déclenche le respirateur [129, 172].Enfin, on peut augmenter la Pmoy en augmentant la ventilation minute. Une augmentation de FR se traduira le plus souvent par l'apparition d'une PEPi, tandis que l'augmentation du VT s'accompagne d'une élévation des pressions intrathoraciques et expose le patient au risque de volotraumatisme et/ou de barotraumatisme. À cet égard, on considère que, quel que soit le mode de ventilation utilisé, la pression transalvéolaire (Pplat - pression pleurale) doit rester inférieure ou égale à 30 cmH2O afin de limiter les conséquences néfastes de la ventilation. Le plus souvent, la pression pleurale est normale, et on admet que Pplat ne doit pas dépasser 35 cmH2O [249, 250]. Cependant, cette valeur n'est qu'indicative et il est prudent de ne pas atteindre ou dépasser le point d'inflexion supérieur lorsqu'il est identifiable sur la courbe P-V [37, 169, 171, 233]. Cet objectif justifie la réduction du VT, même au prix d'une hypercapnie significative. Chez certains patients, la pression au point d'inflexion supérieur est d'environ 25 cmH2O, et le risque de surdistension parenchymateuse existe malgré le strict respect des recommandations issues de la conférence de consensus [37, 233, 249, 250]. Ces patients pourraient bénéficier de méthodes d'assistance respiratoire non conventionnelles (cf infra) [37].
Choix du mode de ventilation : volume contrôlé (VC) ou pression contrôlée (PC) ?
S'il est aujourd'hui clair que l'approche ventilatoire traditionnelle est inadaptée et dangereuse, aucun mode ventilatoire n'a encore fait la preuve de sa supériorité au cours du SDRA, en dépit du nombre de travaux cliniques et expérimentaux consacrés à ce sujet [170]. De nombreux modes ventilatoires, basés sur le contrôle des pressions d'insufflation, ont été introduits afin de limiter les lésions induites par la ventilation [149]. Tous dériventde la ventilation en PC : en dehors de la FiO2, l'utilisateur détermine la pression d'insufflation (Pset), la PEP, la FR et le rapport I/E.
Dans ces conditions, le VT et la ventilation alvéolaire ne sont pas contrôlés et varient avec l'impédance thoracopulmonaire, le gradient de pression (Pset-PEP) et le rapport I/E.
Plusieurs études ont comparé la ventilation en VC et en PC au cours du SDRA [157, 194, 224].
Munoz et al n'ont pas retrouvé de différence significative en termes d'échanges gazeux et de mécanique respiratoire entre une ventilation en VC avec débit progressivement décéléré et l'application de cycles en PC [194]. Au cours d'une étude prospective et randomisée, Rappaport et al suggèrent une tendance à l'amélioration des échanges gazeux et de la compliance statique en PC [224]. Cependant, aucune de ces études n'envisage de façon parfaite les problèmes posés par l'existence d'une PEPi ou d'efforts inspiratoires inopportuns. Plus récemment, Lessard et al ont comparé les effets de la ventilation en VC, PC et PCIRV sur les échanges gazeux, les caractéristiques mécaniques et l'hémodynamique chez neuf patients, en maintenant constants la PEP, le VT et la FR. Aucun bénéfice à court terme n'a été observé en faveur de la ventilation en PC ou en PCIRV.
S'il ne semble pas exister d'avantage déterminant en faveur d'une ventilation en PC, les hypothèses rationnelles en faveur d'une restriction des volumes et des pressions téléinspiratoires semblent fondées.
En effet, une équipe a comparé la ventilation conventionnelle (VC, VT = 12 mL · kg-1, PEP suffisante pour diminuer la FiO2 et normocapnie) à une approche destinée à minimiser les volumes insufflés et les phénomènes cycliques de recrutement-dérecrutement [207]. En utilisant une ventilation en PC (Pset ≤ PEP + 20 cmH2O, VT < 6 mL · kg-1) avec un niveau de PEP au-delà de Pflex, ces auteurs retrouvent une amélioration significative du rapport PaO2/FiO2, de la compliance et du taux de sevrage de la ventilation mécanique. Compte tenu du faible nombre de patients, la tendance vers la réduction de mortalité dans le groupe traité en PC n'atteint pas le seuil de significativité. Cette étude fait intervenir simultanément plusieurs stratégies qui, envisagées isolément, n'ont pas prouvé leur utilité de façon irréfutable mais dont la combinaison pourrait améliorer significativement la fonction pulmonaire et le pronostic au cours du SDRA. En d'autres termes, les modalités d'application des différents modes de ventilation sont plus importantes que le choix du mode lui-même [116, 170].
Hypercapnie permissive et insufflation intrachéale d'oxygène
Le concept d'hypercapnie permissive repose sur la diminution du VT (4-7 mL · kg-1) dans le but de réduire les pressions d'insufflation et d'éviter les lésions de volotraumatisme.
Initialement proposée pour le traitement des asthmes aigus graves [54], son utilisation au cours du SDRA est justifiée par les progrès effectués dans la compréhension du syndrome et des effets délétères de la ventilation mécanique [22, 69, 80, 101, 180, 249, 250, 274]. Plusieurs études rapportent une diminution de la mortalité par rapport à des groupes contrôles historiques [108, 123] ou par rapport à celle prédite par le score APACHE II [124].Parallèlement à l'émergence du concept d'hypercapnie permissive, le groupe de Marini a développé une stratégie combinant ventilation en PC et insufflation intratrachéale d'oxygène afin d'augmenter la clairance du CO2 sans augmenter les pressions d'insufflation [40, 197, 198]. L'insufflation d'oxygène (2-14 L · min-1) par un cathéter dont l'extrémité distale est située au-dessus de la carène (1-1,5 cm) permet de laver l'espace mort anatomique du CO2 qu'il contient. Avec un débit de 14 L · min-1, Nahum et al rapportent une diminution de la PaCO2 (-41 %) et de VD/VT (-75 %), avec une augmentation modeste de Ppeak (1-2 cmH2O) [197]. Cette stratégie pourrait se révéler particulièrement efficace lorsqu'elle est associée à l'hypercapnie permissive : en effet, la réduction du VT s'accompagne généralement d'une augmentation de l'espace mort anatomique, et la réduction modeste de VD/VT induit une diminution de PaCO2 d'autant plus élevée que la PaCO2 initiale est élevée. Si cette technique n'induit pas d'augmentation significative des pressions d'insufflation [171, 197], le risque d'hyperinflation régionale n'a pas été évalué.
Inhalation d'oxyde nitrique (NO)
Depuis 1987,
le NO est identifié comme étant un vasodilatateur endogèneendothéliumdépendant [136, 203]. In vivo, il agit en activant la guanylate cyclase soluble et en augmentant le taux intracellulaire d'un second messager, le GMP (guanosine monophosphate) cyclique (cGMP), avant d'être immédiatement inactivé par l'hémoglobine.
Dès 1991, le groupe de Zapol a mis en évidence les propriétés uniques du NO administré par inhalation [87, 89]. Lorsque la circulation pulmonaire est préconstrictée, l'inhalation de 20 à 80 ppm de NO induit une vasodilatation artérielle pulmonaire sélective dans les secondes suivant sa diffusion alvéolaire [87, 89]. À ces doses, aucun effet n'est observé sur la circulation systémique.
Logiquement, cette vasodilatation artérielle pulmonaire ne s'exerce qu'au sein des territoires bien ventilés.Au cours du SDRA, l'inhalation de NO entraînerait une diversion d'une partie du débit sanguin pulmonaire vers ces régions ventilées, et par conséquent une diminution de l'admission veineuse et une amélioration de PaO2. Cette hypothèse a été vérifiée au cours d'une étude portant sur 10 patients, traités successivement par inhalation de 18 et 36 ppm de NO ou par administration intraveineuse (IV) de prostacycline (PGI2) [228].L'inhalation de NO entraîne une diminution significative de PAPM et des RVP, sans altération des résistances vasculaires systémiques (RVS). Ces modifications s'accompagnent d'une diminution du shunt intrapulmonaire et d'une amélioration significative du rapport PaO2/FiO2. En comparaison, la PGI2 induit une diminution significative des RVS et une dégradation du rapport PaO2/FiO2 par augmentation du shunt intrapulmonaire. Au cours de cette étude, l'inhalation de 5 à 20 ppm de NO n'était associée à aucun effet secondaire. En particulier, l'absence de méthémoglobinémie était soulignée.
Depuis, de nombreuses études destinées à préciser les mécanismes d'action et les modalités d'administrations ont été publiées. L'effet vasodilatateur prédomine sur le versant veineux des RVP, et l'inhalation de NO pourrait favoriser la résorption de l'oedème pulmonaire en diminuant la pression capillaire pulmonaire [16, 17]. Il semble que la réponse soit d'autant plus favorable que les RVP sont initialement élevées [23]. Cependant, les effets hémodynamiques et respiratoires sont variables d'un patient à l'autre et, pour un même patient, au cours de l'évolution du syndrome. Pour des raisons encore obscures, l'inhalation de NO n'entraîne aucune amélioration chez 30 % des patients [23, 292].
D'autre part, il existe un consensus pour une diminution des doses afin de minimiser les risques théoriques de formation de dioxyde d'azote (NO2) et autres dérivés oxydatifs. Gerlach et al ont rapporté l'existence d'une amélioration de PaO2 pour des concentrations de l'ordre de quelques centaines de particules par billion (ppb), tandis que la réponse vasculaire optimale semble nécessiter l'inhalation de 10 à 20 ppm [110]. La concentration minimale efficace doit être utilisée et régulièrement réévaluée ; ceci implique un monitorage par chimiluminescence des concentrations de NO et de NO2.
D'autres travaux ont décrit les facteurs potentialisant les effets hémodynamiques et respiratoires de l'inhalation de NO. Puisque ce dernier diffuse à partir des alvéoles bien ventilées, les mesures visant à augmenter le recrutement alvéolaire majorent l'effet du NO [222]. Par ailleurs, certains auteurs ont proposé de combiner inhalation de NO et administration IV d'almitrine afin de favoriser la vasoconstriction artérielle pulmonaire hypoxique au sein des territoires mal ventilés. L'utilisation d'inhibiteurs spécifiques des phosphodiestérases (Zaprinast) métabolisant le cGMP permet également de potentialiser les effets vasculaires du NO [135].
Enfin, le NO peut également être indiqué au cours du SDRA afin de traiter une défaillance ventriculaire droite consécutive à une HTAP sévère [45, 46, 81, 229]. Ce traitement permet d'augmenter significativement le débit cardiaque, tout en préservant la perfusion coronaire du VD grâce à l'absence d'effet systémique et d'hypotension artérielle [45, 46]. Malgré tout, un bénéfice en termes de mortalité et/ou de morbidité, ainsi que l'absence de toxicité à long terme doivent encore être démontrés par une des études multicentriques actuellement en cours avant de généraliser l'emploi de ce traitement prometteur mais encore expérimental.
Techniques de ventilation non conventionnelles
L'utilisation de la jet-ventilation à haute fréquence (JVHF) a été proposée dans le traitement du SDRA. Cette technique est basée sur l'administration d'un VT réduit (1-4 mL · kg-1) à une FR comprise entre 100 (jet-ventilation) et 3 600 cycles/min (oscillation à haute fréquence). L'oxygénation est assurée par l'augmentation de Pmoy consécutive à la création d'une PEPi, et la JVHF pourrait permettre de ventiler un patient sur la partie linéaire de la courbe P-V, entre les points d'inflexion inférieur et supérieur. Aucune étude ne démontre un avantage significatif sur l'oxygénation par rapport à la ventilation conventionnelle à Pmoy équivalentes [42, 91], et seuls quelques travaux anecdotiques suggèrent une amélioration de l'oxygénation [47, 111]. Chez 17 patients sévèrement hypoxiques après optimalisation de la ventilation conventionnelle, nous avons obtenu une amélioration significative du rapport PaO2/FiO2 en combinant JVHF (FR 150-400) et ventilation conventionnelle (PC, Pset pour VT = 150 mL et I/E = 1/8) [47]. D'autre part, la JVHF a été préconisée pour le traitement des fistules bronchopleurales au cours du SDRA [42], mais cette indication est remise en question à la lumière de données plus récentes [217]. Enfin, la mise en oeuvre de cette technique pose un certain nombre de problèmes pratiques (réglage du ventilateur, humidification des gaz inspirés, mesure des pressions et des volumes intrathoraciques), et une certaine expérience est requise afin d'améliorer l'oxygénation et d'éviter les complications iatrogènes particulièrement sévères qui lui sont associées (dessiccation de la muqueuse, trachéite hémorragique, volotraumatisme). La JVHF au cours du SDRA doit actuellement être réservée aux hypoxémies réfractaires aux autres thérapeutiques conventionnelles optimalisées.
D'autres méthodes ont été proposées afin d'assurer les échanges gazeux et de limiter les complications baro- et/ou volotraumatiques.
Dès 1979, une étude multicentrique comparant ventilation conventionnelle et CEC avec oxygénateur à membrane (ECMO : extracorporeal membrane oxygenation) rapporte une amélioration de l'oxygénation sans effet sur la mortalité [295]. Plus récemment, plusieurs auteurs ont proposé de combiner une ventilation à basse fréquence limitant VT et pressions d'insufflations (LFPPV), oxygénation intratrachéale et épuration extracorporellede de CO2 (ECCO2R) [35, 38, 104, 105].
Cette technique permet d'améliorer significativement l'oxygénation et de limiter le risque d'hyperinflation et de complications barotraumatiques [35, 38]. Une étude prospective randomisée suggère l'absence de bénéfice sur la mortalité [193]. Cependant, au cours de ce travail portant sur des patients inclus après échec de la PCIRV, Morris et al ne sont pas parvenus à obtenir l'amélioration de l'oxygénation et la diminution du risque barotraumatique rapportée par d'autres [35, 38, 104], et relevaient un taux de complications hémorragiques particulièrement élevé. Une étude prospective randomisée, conduite par des équipes maîtrisant parfaitement cette technique sophistiquée et coûteuse, devrait permettre de préciser définitivement la place de l'ECCO2R dans l'arsenal thérapeutique du SDRA.D'autres auteurs ont proposé l'insertion dans la veine cave inférieure d'un oxygénateur intravasculaire (IVOX), composé de plusieurs centaines de fibres permettant les échanges gazeux. Cependant, la capacité de transfert est modeste, tant pour l'oxygène (70-84 mL · min-1) que pour le CO2 (50-80 mL · min-1), et n'autorise qu'une assistance respiratoire partielle permettant de réduire les contraintes mécaniques de la ventilation [50, 188].D'autre part, l'insertion de l'IVOX peut s'accompagner d'effets secondaires immédiats (diminution de IC et DO2) ou retardés (hépatite cytolytique, insuffisance rénale, thrombose veineuse profonde) qui limitent encore davantage les indications [93, 109].
Décubitus ventral
Considérant l'hétérogénéité de l'atteinte pulmonaire et l'influence de la gravité sur la répartition spatiale des zones d'atélectasie [96, 100], certains auteurs ont proposé d'alterner des séances de décubitus ventral, afin de favoriser la perfusion des régions bien ventilées et de recruter les zones dorsales atélectasiées en augmentant les pressions transpulmonaires au-delà de la pression d'ouverture [148, 204]. Au cours d'une étude expérimentale, Lamm et al ont réalisé des scintigraphies de ventilation/perfusion et des tomographies à émission de position afin d'étudier les mécanismes impliqués dans
l'amélioration des échanges gazeux. Après administration d'acide oléique, le passage en décubitus ventral s'accompagnait d'une réduction de l'hétérogénéité des rapports VA/Q et de leur gradient dorsoventral, se traduisant par une amélioration significative du rapport VA/Q moyen et de l'oxygénation. Chez l'homme, quelques études cliniques rapportent une diminution du shunt intrapulmonaire et une amélioration de l'oxygénation, mais la réponse est variable d'un patient à l'autre et, pour un même patient, d'une séance à l'autre [204].
Ainsi, chez huit patients, Pappert et al ont noté une amélioration de PaO2 en rapport avec une réduction du shunt (11 ± 5 %) et une augmentation concomitante du pourcentage de zones à VA/Q normal (12 ± 4 %) [204]. En revanche, le changement de position a induit une détérioration de l'oxygénation chez quatre autres patients, sans modification significative des rapports V/Q [204]. Enfin, les difficultés inhérentes à la prise en charge d'un patient en décubitus ventral limitent l'utilisation plus systématique de cette technique.
Traitement pharmacologique
Il vise à limiter l'action directe des nombreux médiateurs impliqués dans le SDRA, leurs effets en cascade et leurs interactions. Cependant, l'abondance de ces médiateurs, ainsi que leur absence de spécificité pour le SDRA, rend utopique l'idée d'un traitement pharmacologique spécifique et applicable précocement. De nombreux traitements ont été proposés, dirigés contre un médiateur ou un groupe de médiateurs, mais aucun n'a apporté de résultats clairement positifs, malgré des résultats prometteurs chez l'animal [20, 112, 144, 153]. Une partie de ces résultats pourrait s'expliquer par la sélection de nombreux patients septiques dans ces essais thérapeutiques.
Corticostéroïdes
Les propriétés anti-inflammatoires des corticoïdes et leurs effets immunomodulateurs ont justifié la réalisation de plusieurs études préliminaires aux résultats encourageants, chez des patients septiques ou atteints de SDRA [243, 253]. Malheureusement, plusieurs études prospectives randomisées, contre placebo, ont démontré que l'administration IV de fortes doses de corticoïdes à la phase aiguë du SDRA, n'améliore pas le pronostic de ces patients SDRA [3, 85]. À la phase fibroproliférative, plusieurs études anecdotiques rapportent une amélioration clinique inattendue chez des patients en situation critique, suggérant ainsi que les corticoïdes, grâce à leurs effets sur la prolifération fibroblastique et sur les dépôts de collagène, pourraient favoriser la guérison [127, 183]. En particulier, Meduri a observé une amélioration de la survie chez des patients répondeurs, et rapporte une diminution significative des cytokines dans le sérum et le LBA après corticothérapie (méthylprednisolone, 2-3 mg · kg-1 · j-1) chez les patients survivants. Néanmoins, les complications infectieuses sont à redouter particulièrement, et une corticothérapie ne doit pas être entreprise avant d'avoir éliminé la possibilité d'une infection latente. Ce type de traitement doit être validé par des études contrôlées, randomisées et conduites en double aveugle, avant d'être recommandé plus largement.
Prostaglandine E1
En 1986, Holcroft et al ont suggéré une diminution de la mortalité au cours du SDRA après administration IV de PGE1 [125]. Cependant, ces résultats n'ont pas été confirmés par uneétude multicentrique prospective et randomisée [27], malgré l'existence d'un effet favorable sur la PAPM et le débit cardiaque [246]. Pour certains, ces résultats pourraient être améliorés en favorisant la diffusion de la PGE1 vers ses sites d'action. Une étude de phase 2 est actuellement en cours afin d'évaluer les effets d'une forme liposomale de PGE1.
Inhibiteurs de la synthèse des prostanoïdes et anti-PAF
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens inhibent la synthèse du thromboxane et de la prostacycline, et leurs essais chez l'animal se sont révélés encourageants [150]. Chez l'homme, leur application est restée limitée au syndrome septique avec une étude pilote utilisant l'ibuprofène (effets favorables sur l'évolution du choc, sur la pression sanguine et sur la ventilation, absence d'effet néphrotoxique) et avec le kétoconazole, inhibiteur de la synthèse du thromboxane, utilisé avec succès pour la prévention du SDRA [290]. Mais, les études sur le SDRA lui-même restent fragmentaires, avec des résultats peu convaincants.
L'attribution aux prostanoïdes de certaines propriétés, comme la fonction de régulation de l'expression du TNF par les macrophages reconnue à la PGE2, expliquerait, au moins en partie, les effets parfois peu convaincants des thérapeutiques pro- ou antiprostanoïdes déjà essayées.
Il est difficile de limiter la synthèse du PAF puisqu'il est produit par de nombreuses cellules activées, mais on peut envisager de limiter ses effets en bloquant les récepteurs par des antagonistes (substances naturelles ou analogues synthétiques) dont les effets ont été prouvés chez l'animal. Une étude a été menée chez l'homme dans l'infection sévère, avec des résultats prometteurs [62].
Surfactant
Plusieurs études ont rapporté une diminution de la concentration en surfactant du liquide de LBA ou des anomalies qualitatives de ses protéines constitutives [159]. Ces anomalies sont principalement liées à la diminution de synthèse du surfactant par les pneumocytes de type 2 et à son inactivation par l'oedème protéinacé. Par analogie avec le syndrome de détresse respiratoire néonatale (maladie des membranes hyalines), certains ont proposé un traitement substitutif. À ce jour, la seule étude randomisée n'a montré aucun bénéfice d'un traitement par surfactant artificiel (Exosurf®) chez des patients atteints de SDRA d'origine septique [6]. Les résultats préliminaires d'une étude plus modeste suggèrent une diminution de la mortalité dans le groupe de patients traités par un surfactant d'origine bovine [115]. Cependant, les modalités du traitement restent encore très discutées : le choix du surfactant à utiliser, la méthode (nébulisation, installation intratrachéale) et le schéma d'administration, l'inactivation potentielle par les protéines présentes au sein de l'oedème alvéolaire et les coûts prohibitifs d'un tel traitement sont autant de problèmes non résolus à l'heure actuelle.
Thérapeutique par anticorps et par antirécepteurs
Anticorps antiendotoxines
Le rôle clef des endotoxines (LPS) dans l'infection et le SDRA associé explique les efforts réalisés pour tenter de limiter leurs effets activateurs et déclencheurs sur les monocytesmacrophages, les cellules endothéliales et les éléments sanguins ; les deux voies explorées sont l'inhibition par anticorps antiendotoxines et celle par antirécepteurs.
La structure des endotoxines permet de concevoir des anticorps spécifiquement dirigés contre la partie lipidique ou polysaccharidique.Les premiers essais faits avec des antisérums humains dirigés contre le lipide A des LPS n'ont pas abouti à des résultats indiscutablement favorables [12].
Avec l'avènement des anticorps monoclonaux, des anticorps murins [E5] et humains (HA-IA) ont pu être utilisés dans des études multicentriques, randomisées : les effets obtenus restent discutés, voire même considérés comme défavorables [82, 114, 282, 285, 296].
Anticorps anticytokines
Des anticorps dirigés contre le TNF ont été utilisés avec succès en expérimentation animale (modèle de choc endotoxinique) [272, 285]. Chez l'homme, l'utilisation d'anticorps anticytokines spécifiques est toujours dans la phase des essais cliniques : les premiers résultats ne montrent pas d'effet bénéfique dans le choc septique [84], mais ces essais doivent être confirmés et surtout étendus au SDRA lui-même.
Antirécepteurs aux cytokines
Au lieu d'agir directement sur les cytokines, il est possible d'agir sur leurs récepteurs.
L'administration d'IL 1-ra (IL1-receptor antagonist) qui se fixe de manière compétitive sur les récepteurs à l'IL 1, est en cours d'étude chez l'homme dans le choc septique : les résultats préliminaires d'une étude multicentrique n'indiquent pas d'amélioration de la survie, mais doivent être analysés de manière plus détaillée (analyse des sous-groupes de patients) [20, 83].
Antirécepteurs d'adhésion
Limiter l'adhésion des PMN aux cellules endothéliales en bloquant leurs
récepteurs permettrait de réduire les dommages provoqués par l'activation excessive des PMN. Des anticorps monoclonaux ont été utilisés avec succès dans des modèles animaux et sont en cours d'évaluation chez l'homme.
Thérapeutique antioxydante
Pour lutter contre les radicaux libres et les espèces activées de l'oxygène, on peut envisager l'apport d'enzymes de type superoxyde dismutase (SOD), catalase ou glutathion peroxydase. Cette stratégie est limitée par la faible distribution intracellulaire de ces enzymes et par la difficulté de les synthétiser en quantité suffisante. En revanche, l'administration de substances antioxydantes ou de chélateurs du fer est une voie plus aisée. Contrairement aux enzymes comme la SOD ou la catalase, les antioxydants réagissent de manière stoechiométrique avec les formes activées de l'oxygène et doivent être utilisés à des concentrations élevées. Ils doivent avoir une cinétique de réaction très rapide vis-à-vis des espèces oxygénées activées, et agir de manière spécifique pour être efficaces [150]. La vitamine E a été utilisée avec succès dès 1982 (amélioration de la survie) dans une étude randomisée sur le SDRA [288], mais ce premier essai n'a pas été clinique ou du taux de survie [140, 259]. Des études complémentaires seront nécessaires pour déterminer si la N-acétylcystéine possède un réel effet bénéfique dans le traitement du SDRA.
Thérapeutiques d'avenir
Compte tenu du rôle joué par les PMN activés en excès dans le développement du SDRA, il paraît intéressant de bloquer ou de ralentir leur activité. Des études expérimentales chez l'animal suggèrent l'action bénéfique de la pentoxyfilline. L'utilisation d'anticorps monoclonaux dirigés contre le C5a, puissant attracteur des PMN, est également envisagée.
Parmi les autres possibilités thérapeutiques, l'utilisation d'antiprotéases pourrait limiter les conséquences provoquées par une activité protéolytique excessive, mais il convient encore de déterminer les protéases cibles et leurs inhibiteurs.Enfin, grâce aux progrès des techniques de génie génétique, on peut envisager l'amplification ou la répression transitoire de gènes codant pour des protéines de défense (comme la SOD ou la catalase) ou pour la synthèse des médiateurs inflammatoires (régulation de la production des cytokines...) [33, 90]. L'immunomodulation par thérapie génique a été entreprise chez l'animal, mais est encore loin d'être applicable chez l'homme pour le traitement du SDRA.
CONCLUSION
En conclusion,le SDRA apparaît aujourd'hui comme l'expression pulmonaire
d'un processus inflammatoire généralisé, pouvant survenir dans les suites d'une agression pulmonaire directe ou indirecte.
Parmi les facteurs de risque bien individualisés, le sepsis joue un rôle important par sa fréquence et par sa signification pronostique péjorative. Si les progrès effectués dans la compréhension du SDRA et dans le traitement des patients ont contribué à diminuer la mortalité, celle-ci reste élevée et principalement liée à la survenue d'un SDMV. La physiopathologie fait intervenir des interactions cellulaires complexes entre les PMN, les cellules endothéliales et les autres éléments cellulaires de la réaction inflammatoire (monocytes, macrophages, lymphocytes, plaquettes).Ces interactions sont responsables de la synthèse de médiateurs inflammatoires agissant en cascade et de l'activation d'autres systèmes (complément, protéases et antiprotéases, coagulation - fibrinolyse...). Ce processus inflammatoire entraîne une altération de la perméabilité capillaire caractéristique du SDRA. Du fait de la complexité de la physiopathologie du syndrome, aucun traitement spécifique n'est actuellement disponible.
Ceci souligne l'importance d'une évaluation clinique et d'un traitement symptomatique de qualité.
En dehors des mesures thérapeutiques générales (support cardiovasculaire, prévention et traitement des infections, nutrition...), la stratégie ventilatoire a pour but d'améliorer les échanges gazeux sans aggraver l'atteinte pulmonaire ou nuire aux processus de réparation. De nouvelles modalités de ventilation limitant les volumes et les pressions d'insufflation sont apparues, et les notions d'hypoxémie et/ou d'hypercapnie permissive sont aujourd'hui acceptées afin de ne pas exposer le parenchyme pulmonaire sain à des contraintes mécaniques dont les études récentes ont démontré les effets délétères. Enfin, les possibilités thérapeutiques immunopharmacologiques devraient encore s'élargir dans les années à venir. Toutes ces nouvelles stratégies devront être évaluées rigoureusement, chez des groupes de patients homogènes, avant que leur usage soit recommandé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire