Hémorragies en obstétrique. Hémorragie du post-partum.








E. Gayat, O. Morel, W. Daaloul, M. Rossignol, O. Le Dref, D. Payen, A. Mebazaa
La mortalité maternelle reste très élevée dans le monde, aux environs de 127 000 décès par an et l’hémorragie en est la principale cause, représentant 24%des cas. Le caractère peu ou pas prévisible et la rapidité d’installation de ces syndromes hémorragiques rendent leur prise en charge complexe.
Celle-ci doit être rapide et pluridisciplinaire, basée sur une collaboration étroite entre l’anesthésiste-réanimateur, l’obstétricien et le radiologue interventionnel. Elle est basée sur le traitement simultané de la cause du saignement et de ses conséquences, particulièrement en termes d’hémodynamique et d’hémostase. De même, l’anesthésie de ces patientes en état de choc hémorragique comporte des spécificités principalement liées au syndrome hémorragique. Depuis 2004, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a émis des recommandations et leur application doit permettre une homogénéisation des pratiques et conduire à une amélioration de la prise en charge des patientes. Les hémorragies obstétricales sont, en outre, évitables dans un certain nombre de cas ; l’application des principes de prévention exposés dans ce chapitre devrait pouvoir en faire diminuer l’incidence.

Mots clés : Post-partum ; Choc hémorragique ; Sulprostone ; Embolisation ; Anesthésie obstétricale


Introduction
On estime l’incidence de l’hémorragie obstétricale à 14 millions de cas par an,
et l’hémorragie du post-partum en est la forme la plus fréquente (Fig. 1) [1].
La mortalité maternelle reste très élevée dans le monde, aux environs de 127 000 décès, et l’hémorragie en est la principale cause, représentant 24 % des cas.
 Une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques, l’amélioration de la surveillance de la grossesse et la médicalisation de l’accouchement ont permis de faire diminuer la morbidité et la mortalité maternelles, principalement dans les pays dits « occidentaux ».
Cependant, l’hémorragie reste toujours la principale cause de mortalité maternelle en France et les taux nationaux sont d’ailleurs supérieurs à ceux constatés dans la majorité des autres pays de l’Union européenne [2-4].
L’urgence hémorragique obstétricale constitue une situation spécifique qui impose une prise en charge pluridisciplinaire immédiate où obstétricien, anesthésiste-réanimateur et radiologue interventionnel sont impliqués. Les hémorragies obstétricales présentent plusieurs caractéristiques :
• leur gravité : elles sont à l’origine d’environ 20 % de la mortalité maternelle en France ;
• l’évitabilité des décès reliés. En effet, si la survenue d’une hémorragie ne semble, dans la majorité des cas, ni prévisible ni évitable, huit à neuf décès sur dix semblent directement liés à une prise en charge inadaptée.
Cette notion est ancienne : en 2001, Bouvier-Colle et al.
[5] observaient déjà que neuf décès sur 11 étaient évitables, dus à un délai de prise en charge trop long, des traitements inadaptés et une sous-estimation de la gravité ;
• leurs spécificités : ces hémorragies peuvent survenir avant la naissance mais aussi et surtout dans le post-partum immédiat.
Cette situation a amené le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) à publier en 2004 des recommandations pour la prise en charge des hémorragies obstétricales [6].
 Ne sont traitées dans ce chapitre que des hémorragies obstétricales engageant le pronostic vital, en insistant très largement sur les récentes recommandations pour la pratique clinique du CNGOF.





Hémorragies du prépartum


Hémorragies du début de la grossesse
La rupture d’une grossesse ectopique peut se compliquer par une hémorragie grave.
Le dépistage et la prise en charge précoce des grossesses extra-utérines permettent de diminuer le risque de complication hémorragique grave.
 Leur prise en charge chirurgicale ou médicamenteuse est aujourd’hui bien codifiée.
Les formes de diagnostic précoce, à un stade précédant la rupture hémorragique de la grossesse ectopique, peuvent bénéficier d’une prise en charge médicamenteuse par injection de méthotrexate, ou d’une chirurgie coelioscopique conservatrice.
En cas de rupture entraînant un hémopéritoine et potentiellement un état de choc, une salpingectomie doit être réalisée en urgence [7].
La prise en charge des grossesses ectopiques sur cicatrice utérine ou des grossesses cornuales reste plus complexe.
 Leur nombre est actuellement en augmentation, en rapport avec le plus grand nombre d’utérus cicatriciels [8].
 Laprise en charge médicamenteuse par injection de méthotrexate
ou Méthotrexate Bellon® par voie générale ou in situ est conseillée si le diagnostic a pu être porté avant la survenue d’une hémorragie. La prise en charge d’une hémorragie sur grossesse cornuale [9] est chirurgicale, consistant en la résection de la corne gravide ; ce geste est réalisable par coelioscopie pour des opérateurs entraînés. La prise en charge chirurgicale des grossesses sur cicatrice de césarienne est techniquement complexe, du fait des rapports avec les éléments urinaires (vessie et uretères). L’embolisation des artères utérines est alors la méthode conservatrice de choix lorsqu’elle est techniquement réalisable.


Hémorragies de fin de grossesse
Deux étiologies principales sont à envisager : le décollement prématuré d’un placenta normalement inséré (DPPNI) et l’hémorragie sur placenta prævia.
La rupture utérine hémorragique est une complication rare.

Décollement prématuré d’un placenta normalement inséré
Son incidence est estimée entre 0,1 et 2,2 % dans la population générale ; elle augmente en cas de contexte de prééclampsie.
Il associe un tableau de métrorragies, une hypertonie ou une$ contracture utérine, un rythme cardiaque foetal anormal ou une mort foetale in utero. Dans le passé, les retards à l’évacuation pouvaient aboutir à un infarcissement massif de l’utérus (utérus de Couvelaire) [10].
Lorsque le foetus est encore vivant, une extraction par césarienne doit être réalisée sans délai. En cas de mort foetale in utero et si l’état maternel est stable, un déclenchement dans le but d’obtenir une évacuation utérine par voie basse doit être débuté. Le misoprostol (Cytotec®) est utilisé par la majorité des centres dans cette indication.
Placenta prævia
Il est défini comme une insertion anormalement basse sur le segment inférieur. Une distance mesurée échographiquement inférieure à 5 cm par rapport à l’orifice interne du col est retenue par la plupart des auteurs.
Le tableau est en général celui d’une hémorragie de sang rouge, dans un contexte de contractions utérines. La gestion obstétricale est à adapter avant tout à l’importance de l’hémorragie. Si celle-ci met en jeu le pronostic vital, il faut assurer une évacuation utérine la plus rapide possible. Dans le cas contraire, l’attitude pratique dépend du terme : tocolyse active pour les foetus prétermes lorsque le saignement n’entraîne pas de retentissement hémodynamique ; rupture artificielle des membranes (lorsqu’elles sont accessibles) et déclenchement du travail pour les foetus à terme [10].
Sur le plan anesthésique, lorsqu’une intervention chirurgicale est nécessaire, le protocole d’induction est celui d’une anesthésie en séquence rapide chez une patiente à estomac plein, telle que décrite plus loin dans ce chapitre.

  
Hémorragie du post-partum





Aspects épidémiologiques
Définitions
Historiquement,on considère que le saignement physiologique accompagnant un accouchement se situe entre 50 et 300 ml [11].
Ainsi, la définition communément admise de l’hémorragie du post-partum (HPP) est un saignement de plus de 500 ml dans les 24 heures suivant la naissance, même si cette définition reste discutée. En considérant cette définition, les hémorragies du post-partum concernent environ 5 % des grossesses [12, 13].
Actuellement, la définition la plus communément admise est clinique. Les obstétriciens font la distinction entre les HPP simples répondant aux mesures obstétricales initiales, les HPP sévères requérant la mise en route du sulprostone (Nalador®) et les HPP graves nécessitant le recours à une technique invasive d’hémostase [6].Si l’on considère les HPP engageant le pronostic vital, c’està- dire requérant un traitement radical immédiat (chirurgie ou embolisation d’hémostase), l’incidence est estimée à environ 1 pour 1 000 naissances [14].
Une étude rétrospective récente, réalisée dans trois régions françaises, montre que les soins prodigués en cas d’HPP grave (> 1 500 ml de saignement estimé) étaient inappropriés dans 38 % des cas [5]. Les facteurs associés à une surmortalitématernelle étaient :
• un nombre annuel d’accouchements dans le centre de soins inférieur à 500 par an ;
• l’absence de médecin anesthésiste-réanimateur de garde sur place.

Facteurs de risque d’hémorragie du post-partum
La majorité des HPP surviennent chez des patientes ne présentant aucun facteur de risque identifié [6].
 Actuellement, la valeur prédictive des facteurs de risque d’HPP évoqués dans la littérature ne permet pas de sélectionner les patientes devant faire l’objet de mesures préventives spécifiques avant la naissance.
Cependant, pour les patientes présentant un placenta recouvrant, une suspicion de placenta accreta ou des troubles sévères de l’hémostase,il est recommandé (accord professionnel) d’organiser la naissance dans un centre disposant d’un plateau médicotechnique adapté(soins intensifs maternels, produits sanguins labiles [PSL] disponibles sur place, gynécologueobstétricien et anesthésiste-réanimateur sur place 24 h/24) [6, 15].




Étiologies
Il existe plusieurs étiologies d’HPP, relevant chacune d’une prise en charge obstétricale spécifique. Ces étiologies peuvent être associées, rendant capital un diagnostic précis et complet.
Elles sont classiquement réparties en : 
                    Pathologies de la délivrance,
                    Lésions de la filière génitale, 
                    Anomalies de l’insertion placentaire et 
                    Pathologies de l’hémostase [16].

·         Pathologies de la délivrance, atonie utérine
Le saignement peut débuter avant (hémorragie dite du 1er temps) ou après la délivrance complète ou partielle du placenta (hémorragie dite du 2e temps). Rappelons que trois conditions doivent être réunies pour interrompre le saignement physiologique lié à l’accouchement :
®      le décollement et l’évacuation complète du placenta ;
®      la vacuité utérine ;
®      la rétraction utérine.
Cette dernière est capitale pour clamper les vaisseaux utérins qui ont perdu, en fin de grossesse, leur capacité à se vasoconstricter.
La rétraction utérine optimale n’est possible (en dehors du cas particulier du placenta accreta) que lorsque la vacuité utérine est acquise et complète.
L’atonie utérine est présente dans 70 à 80 % des cas d’HPP. Sa physiopathologie n’est pas totalement appréhendée. Une prédisposition pourrait exister, certaines patientes récidivant à chaque grossesse.
Un mécanisme d’épuisement utérin ou de désensibilisation des récepteurs à l’ocytocine est fréquemment évoqué,ce qui fait critiquer par certains l’utilisation importante d’ocytociques pendant le travail.
Les facteurs favorisants semblent être :
®      la surdistension utérine (grossesse multiple, hydramnios, macrosomie foetale) ;
®      un travail long ou au contraire trop rapide ;
®      une anomalie de la contractilité utérine (multiparité, fibrome utérin, endométriose utérine, chorioamniotite, malformation utérine) ;
®      et certains médicaments (salbutamol, dérivés nitrés, anticalciques, halogénés), bien que les valeurs prédictives soient très faibles [16].La rétention placentaire (même partielle ou ne concernant qu’une rétention de membranes) peut être la cause d’une atonie sévère, justifiant la réalisation systématique d’une révisionutérine en cas d’HPP débutante (cf. infra). Enfin, l’atonie peut entrer dans le cadre d’anomalies d’insertion placentaires que sont les placenta prævia et accreta [17].
En cas d’accouchement à domicile, en l’absence de saignement actif, la délivrance peut être différée à l’arrivée dans le centre périnatal le plus proche.
Cependant, une délivrance artificielle doit être effectuée dans les plus brefs délais en cas d’hémorragie précédant l’expulsion placentaire ; les équipes du Samu devraient être formées à la réalisation de ce geste simple et salvateur.

·         Lésions de la filière génitale
Elles sont constamment sous-estimées et très souvent présentes en cas d’hémorragie après naissance par manoeuvres instrumentales (forceps en particulier). Elles peuvent siéger à tous les niveaux, de l’utérus au périnée. Elles peuvent concerner tous les niveaux de la filière génitale depuis la rupture utérine jusqu’au simple thrombus vaginal en passant par les déchirures du col de l’utérus et les déchirures vaginales, vulvaires et périnéales.
La rupture utérine se voit surtout en cas d’accouchement par voie basse sur utérus cicatriciel, surtout lié à une précédente césarienne [18].
L’analgésie péridurale a longtemps été contreindiquée en cas d’utérus cicatriciel de peur de masquer les signes de rupture. Ce n’est plus le cas, l’utérus cicatriciel en étant même devenu une bonne indication, du fait du risque élevé de passage au bloc opératoire. L’hémorragie n’étant pas toujours extériorisée, même en post-partum, la rupture utérine doit être recherchée en cas d’instabilité hémodynamique non expliquée par les pertes objectivées.
®      Les déchirures du col de l’utérus peuvent survenir lors d’efforts expulsifs ou de forceps sur un col incomplètement dilaté.
®      Les déchirures vaginales, vulvaires et périnéales sont générées par les forceps ou la tête du bébé. Elles doivent être suturées rapidement [19].
®      Le thrombus vaginal, ou hématome paravaginal, est également d’origine traumatique. Souvent non extériorisé lorsque la muqueuse vaginale est intacte, il constitue une hémorragie interne pouvant être massive, fusant en rétropéritonéal un peu comme dans les traumatismes graves du bassin. Les signes révélateurs peuvent être une douleur intense à la levée de la péridurale (hématome sous tension), un hématome des grandes lèvres, une hypotension, voire un état d’agitation non expliqué.


·         Anomalies de l’insertion placentaire : placenta prævia, placenta accreta
®      Le placenta prævia :
il s’agit d’une insertion anormalement basse du placenta sur le segment inférieur de l’utérus.Dans certains cas, il recouvre le col (placenta prævia recouvrant) et empêche tout accouchement par voie basse.Il peut être à l’origine d’un saignement prépartum, à l’occasion d’un décollement placentaire spontané ou associé à des contractions, mais aussi en post-partum où il peut être à l’origine d’une hémorragie par atonie utérine, le segment inférieur de l’utérus ayant de faibles capacités contractiles [20].

®      Le placenta accreta :
il se définit comme une adhérence anormale du placenta au myomètre.
 Il est la conséquence d’un défaut d’implantation et de décidualisation (transformation des cellules du stroma endométrial en cellules déciduales) de la caduque basale.
L’absence localisée ou diffuse de cette caduque basale s’interposant habituellement entre les villosités choriales et le myomètre caractérise le placenta accreta.
On distingue différents types selon les degrés d’infiltration du placenta dans le myomètre :
• placenta accreta : adhésion anormale des villosités choriales au myomètre sans l’envahir ;
• placenta increta : invasion profonde des villosités choriales dans le myomètre jusqu’à la séreuse sans la dépasser ;
• placenta percreta : invasion des villosités choriales dans tout le myomètre franchissant la séreuse et pouvant envahir des organes de voisinage tels que la vessie ou le tube digestif [17].
Toute tentative de clivage forcé entre placenta et myomètre en cas de placenta accreta provoque le plus souvent une hémorragie massive lors de la délivrance mettant en jeu le pronostic vital maternel.
L’incidence du placenta accreta ne cesse d’augmenter ces dernières années avec un taux variant de 1/500 à 1/2 500 selon les séries, augmentation apparemment corrélée à l’augmentation croissante du taux de césariennes.
Tous les phénomènes susceptibles d’endommager la muqueuse utérine sont considérés comme facteurs de risque de placenta accreta, en particulier les cicatrices secondaires à une chirurgie utérine (césarienne, myomectomie, traitement chirurgical d’une perforation ou d’une malformation utérine), les cicatrices secondaires à des gestes endo-utérins (curetage).
Le diagnostic de placenta accreta est évoqué le plus souvent au moment de la délivrance devant l’absence de plan de clivage du placenta lors d’une délivrance artificielle et/ou dans un contexte d’hémorragie de la délivrance. Il est confirmé par l’examen anatomopathologique du placenta et/ou de la pièce opératoire en cas de chirurgie.
Idéalement, le diagnostic est évoqué en anténatal grâce aux techniques d’imagerie que sont essentiellement l’échographie couplée au mode Doppler, voire à l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Le diagnostic précoce permet alors d’orienter la patiente vers un centre expérimenté où une discussion pluridisciplinaire permet de définir la meilleure stratégie obstétricale.
Les modalités de prise en charge ne sont pas à ce jour clairement codifiées et opposent deux attitudes thérapeutiques :
• l’attitude extirpative : une tentative de délivrance forcée est effectuée. Cette attitude engendre dans la plupart des cas une hémorragie immédiate et massive, et le recours à l’hystérectomie d’hémostase est alors souvent la seule solution. Cette chirurgie peut être délabrante en cas de placenta percreta, pouvant nécessiter des résections digestives et/ou une cystectomie partielle secondaires à l’envahissement placentaire.
L’hystérectomie d’hémostase compromet par ailleurs définitivement la fertilité ultérieure chez la patiente.
La Figure 2 est une photographie de pièce anatomique d’hystérectomie montrant l’envahissement de la paroi de l’utérus par le placenta percreta ;
• l’attitude conservatrice :
la prise en charge conservatrice des placenta accreta consistant à laisser le placenta en place au moment de la délivrance a été décrite par l’équipe obstétricale de la maternité Port-Royal à Paris. Les résultats des études déjà réalisées semblent prometteurs. Sur une série de 30 patientes, l’équipe de la maternité de Port-Royal rapporte seulement quatre hystérectomies liées aux résidus placentaires.Dans tous les autres cas, le placenta a spontanément involué, sans que la physiopathologie de ce processus d’involution soit clairement comprise. Outre la préservation de l’utérus, cette prise en charge présente avant tout l’intérêt de diminuer les besoins transfusionnels [21, 22].

·         Troubles constitutionnels ou acquis de l’hémostase

®      Les troubles constitutionnels peuvent concerner
o    l’hémostase primaire (thrombopénie, thrombopathies, thrombasthénie, maladie de von Willebrand)
o    ou l’hémostase secondaire (déficits en facteurs) et indiquer des thérapeutiques spécifiques.
®      Les troubles acquis peuvent essentiellement être
o    médicamenteux (héparinothérapie préventive ou curative pendant la grossesse) 
o    ou liés à une pathologie obstétricale.
Certaines situations, comme la rétention de foetus mort, l’hématome rétroplacentaire, la prééclampsie, le syndrome HELLP (Haemolysis Elevated Liver enzyme Low Patelet count), l’embolie amniotique, peuvent générer de véritables fibrinolyses aiguës ou coagulations intravasculaires disséminées (CIVD) [23] (cf. infra).
 Enfin, toute hémorragie grave du post-partum peut se compliquer d’une coagulopathie secondaire, mélange de dilution et d’activation. Il faut se souvenir que les troubles de l’hémostase sont bien plus fréquemment la conséquence de la spoliation sanguine liée à l’hémorragie que l’étiologie du syndrome hémorragique. Ainsi lors d’une hémorragie obstétricale, la présence de troubles de l’hémostase doit plutôt être considérée comme un facteur de gravité associé et ne doit pas empêcher la recherche d’une autre étiologie primaire de cette hémorragie.

Aspects épidémiologiques
 Définitions
 Facteurs de risque
Étiologies
 Pathologies de la délivrance,
 décollement et l’évacuation complète du placenta
la vacuité utérine ;
la rétraction utérine
Anomalies de l’insertion placentaire              
placenta prævia,
placenta accreta
Lésions de la filière génitale
Pathologies de l’hémostase 















Prévention : principes de sécurité à appliquer à toute femme enceinte




La majorité des facteurs de risques de survenue d’une hémorragie du post-partum évoqués dans la littérature ont une valeur prédictive relativement faible. Ainsi, plus de la moitié des HPP surviennent chez des patientes ne présentant aucun facteur de risque particulier. Si la prévention de la survenue d’une HPP (à son stade initial) semble impossible en l’état actuel des connaissances, la prévention de l’aggravation d’une HPP par la possibilité permanente de mise en oeuvre immédiate des mesures adaptées est primordiale. Une organisation rigoureuse de la disponibilité des soins semble donc essentielle [24].

Consultation anténatale d’anesthésie
La collaboration entre équipe d’anesthésie et équipe obstétricale est primordiale. Chaque femme enceinte doit bénéficier d’une consultation anténatale d’anesthésie. Elle permet la mise en place d’une prise en charge multidisciplinaire au moment de l’accouchement.

Protocole
Les modalités de prise en charge des HPP devraient être
 rédigées sous forme d’un protocole en collaboration avec l’équipe anesthésique, adapté aux conditions locales d’exercice et mis à jour régulièrement.
Une procédure simple d’alerte des différents acteurs impliqués dans cette prise en charge doit être établie. L’ensemble de la prise en charge doit être consignée avec une chronologie précise dans le dossier obstétrical.

Permanence de la disponibilité des soins
La disponibilité des médicaments susceptibles d’être utilisés doit être permanente et une procédure de vérification de la disponibilité devrait être mise en place.
Chaque maternité devrait disposer d’un système de garde et astreinte permettant la disponibilité permanente d’un praticien dont les compétences permettent la réalisation d’éventuels gestes d’hémostase.
L’organisation de l’approvisionnement et l’acheminement des PSL doit être clairement établie dans toute maternité, afin de toujours pouvoir obtenir des PSL dans un délai inférieur à 30 minutes.

Documents transfusionnels
Toute femme enceinte devrait disposer à l’entrée en salle de naissance de deux déterminations du groupe sanguin ABO RHI (D) et du phénotype RH 1 et KEL 1 valides ainsi que du résultat de RAI (recherche d’agglutinines irrégulières) de moins de 1 mois (dans le cas contraire, ces examens doivent être réalisés dans les plus brefs délais). En cas de césarienne ou de situation à haut risque hémorragique, il est recommandé de disposer de RAI de moins de 3 jours (accord professionnel).

Dépistage de l’anémie
Il permet de mettre en place une supplémentation en fer et en folates ; ce traitement vise à améliorer le taux d’hémoglobine (grade A) dans le but de diminuer le taux de transfusion (grade C). La transfusion autologue ne présenterait un intérêt qu’en cas de phénotype érythrocytaire rare ou d’allo-immunisation complexe (grade C).

Prévention au moment de l’accouchement
Une prise en charge active de la délivrance est primordiale.
Elle nécessite une surveillance permanente, et au moment du décollement placentaire, une traction contrôlée du cordon associée à une contre-pression sus-pubienne. Un massage de l’utérus est effectué après expulsion en cas d’hypotonie (grade A).
 Cette attitude peut être appelée « délivrance contrôlée ».
Un examen systématique du placenta est effectué.
S’il est incomplet (suspicion de rétention de cotylédons ou de membranes), une révision utérine est réalisée (accord professionnel). Une injection prophylactique de 5 à 10 UI d’ocytocine est effectuée au moment du dégagement de l’épaule antérieure ou après la délivrance (voie intraveineuse directe lente ou intramusculaire) (grade B). Il n’existe pas à l’heure actuelle de preuve d’une éventuelle supériorité de la pratique systématique de la délivrance dite « dirigée » par injection systématique de Syntocinon® à toutes les parturientes par rapport à la pratique de la délivrance dite « contrôlée » [25] pour la prévention de la survenue d’une HPP. Une délivrance artificielle doit être réalisée lorsque le placenta n’est pas expulsé dans un délai de 30 minutes. En cas de césarienne, il est recommandé d’effectuer une délivrance dirigée plutôt qu’une délivrance manuelle (grade B) [26].

Diagnostic et évaluation de la gravité initiale
La précocité du diagnostic est un élément essentiel de la prise en charge.
Elle passe par une surveillance régulière en salle de naissance pendant les 2 heures qui suivent l’accouchement (accord professionnel) :
globe utérin, pertes sanguines, fréquence cardiaque et pression artérielle. Une quantification des pertes peut être facilitée par la mise en place d’un sac de recueil gradué dès le dégagement foetal (grade C, efficacité dans la prise en charge à établir).
En post-partum, si l’hémorragie immédiatement extériorisée et d’emblée massive est le plus souvent détectée, un certain nombre de situations peuvent aboutir à une sous-estimation de la gravité.
Un saignement distillant peut passer inaperçu et être parfaitement toléré par une femme jeune dont le bloc sympathique lié à la péridurale est en train de se lever.
Un utérus atone et distendu peut contenir plusieurs litres de sang non extériorisés, surtout au décours d’une césarienne sans épreuve de travail préalable car le col est fermé.
 La surveillance des parturientes, dans les minutes suivant la naissance, est donc un point capital qui fait parfois défaut.Les soins prodigués au nouveau-né monopolisent parfois l’attention alors qu’une simple épisiotomie ou une déchirure cervicovaginale passée inaperçue peuvent être responsables d’une hémorragie importante, débutant avant même la délivrance.
 La patiente ne doit pas être laissée seule et le globe utérin, caractérisé par un utérus dur et sous-ombilical, doit être vérifié à plusieurs reprises.
 L’appréciation visuelle par le personnel de la salle de travail
(obstétriciens, sages-femmes, infirmières) est fréquemment pris en défaut dans le sens d’une sous-estimation des pertes. Ceci a été confirmé par la mauvaise corrélation entre l’évaluation en salle de travail du saignement et la chute du taux d’hémoglobine mesuré. L’utilisation de sacs gradués est encore l’objet d’étude de faisabilité et n’est pas actuellement recommandée dans la pratique clinique [6]. Le monitorage de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, parfois suspendus au moment de l’accouchement, doit être repris dès l’expulsion.
Ces paramètres peuvent cependant être trompeurs. Un saignement peu important mais brutal, concomitant d’un bloc sympathique un peu haut, peut générer un collapsus impressionnant.
Inversement, un saignement progressif peut être bien toléré chez une patiente sans anesthésie locorégionale (ALR) ou dont le bloc sympathique est en cours de disparition. En revanche, une hypotension artérielle persistante, malgré le remplissage, ou récidivante, doit toujours faire rechercher une hypovolémie. Toute augmentation de la fréquence cardiaque au-dessus de 100 b min–1 doit faire suspecter une hémorragie importante.

Les diagnostics différentiels (embolie pulmonaire, décompensation d’une cardiopathie, accident d’ALR, embolie amniotique) sont bien sûr évoqués mais l’hémorragie occulte doit être traquée. Sur le plan biologique, l’American Society of Obstetricians définit la gravité de l’HPP par une chute de plus de 10 % de l’hématocrite [27] ce qui correspond à 3 g/100 ml–1 d’hémoglobine environ. Cependant, si cet indice est assez fiable à 48 heures en situation aiguë, il dépend beaucoup de l’intensité du remplissage.

Néanmoins, toute maternité doit pouvoir disposer en urgence d’une mesure du taux d’hémoglobine et de la coagulation par un laboratoire et ce 24 heures sur 24.Ceci sous-entend, s’il n’en existe pas dans l’enceinte de l’établissement, qu’une organisation soit prévue pour l’acheminement des prélèvements et la récupération des résultats qui doivent être disponibles en moins de 1 heure. En attendant, la disponibilité d’appareil de mesure de l’hémoglobine capillaire (type Hémo- Cue®) est indispensable en salle de travail. Les résultats sont assez fiables à condition de multiplier les prélèvements et d’en respecter les règles (prélèvement capillaire).
L’existence d’anomalies de la coagulation est toujours un signe de gravité, qu’elles soient la cause ou la conséquence de l’hémorragie.
Enfin, la réponse aux traitements hémostatiques entrepris est un critère important d’appréciation de la gravité.



Prise en charge initiale d’une hémorragie du post-partum





 Prise en charge initiale d’une hémorragie du post-partum fig 3



Les objectifs de cette prise en charge sont résumés sous forme de schéma dans la Figure 4 [28].


Prise en charge multidisciplinaire immédiate


Tous les intervenants potentiels doivent être prévenus sans délai (obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs,biologiste,sages-femmes, infirmières).La rapidité et l’adaptation de la prise en charge à l’importance de l’hémorragie sont deux éléments primordiaux : il est conseillé d’effectuer un relevé spécifique des pertes sanguines quantitatives ainsi qu’un relevé chronologique (accord professionnel).
Les gestes doivent être réalisés par un personnel formé. En milieu universitaire, les médecins et sages-femmes en formation ont toute leur place, mais doivent être encadrés par un senior.Pour les plus petites maternités, il faut alors envisager l’appel de renforts (astreinte interne à l’établissement ou Samu), l’approvisionnement en PSL en grande quantité et l’évacuation éventuelle de la patiente vers une structure plus lourde.

Identifier la cause du saignement
Les plus fréquentes sont l’atonie utérine,
la rétention placentaire et les plaies cervicovaginales. Les gestes obstétricaux à réaliser immédiatement consistent à s’assurer de la vacuité utérine (accord professionnel) :
• réaliser une délivrance artificielle si la délivrance n’a pas eu lieu ;
• réaliser une révision utérine systématique même si la délivrance semble complète ;
• assurer un massage de l’utérus s’il est hypotonique, vessie vide.
La réalisation prolongée de gestes endo-utérins est associée à l’administration d’une antibioprophylaxie à large spectre (grade C).

Examen de la filière génitale sous valves
Il doit être systématique en cas d’HPP après naissance par voie basse, surtout en cas de manoeuvre d’extraction. L’examen de la filière doit être exhaustif, et réalisé dans des conditions techniques optimales : une aide et une analgésie adaptée sont souvent nécessaires. Les plaies de la filière ou du col peuvent être à l’origine de pertes sanguines importantes et rapides. Les sutures chirurgicales nécessaires doivent être effectuées le plus rapidement possible.

Administration d’utérotoniques de façon systématique
L’ocytocine est préconisée de première intention en cas de survenue d’une HPP : 5 à 10 UI en intraveineuse lente (grade C) suivis d’une perfusion d’entretien : 5 à 10 UI/h pendant 2 heures.

Les prostaglandines ne sont pas recommandées en première intention dans le traitement de l’HPP (accord professionnel).

En cas d’aggravation de l’hémorragie du post-partum (Fig. 5)
Il est nécessaire de recourir aux étapes suivantes du traitement si l’hémorragie persiste au-delà de 15 à 30 minutes (c’est dire l’importance d’un relevé chronologique). Ce délai est à moduler en fonction de l’abondance de l’hémorragie et de la tolérance hémodynamique [29].


Réanimation

Après la transmission des informations par l’équipe médicalisée du Samu,
la réanimation symptomatique est menée parallèlement à l’évaluation multidisciplinaire (gynécologueobstétricien, radiologue interventionnel) [30]. Sur le plan symptomatique, notre attitude est la suivante.
Si l’état hémodynamique de la patiente est stable, la patiente est évaluée et surveillée en salle de « déchocage » sur le plan obstétrical et hémodynamique.

Les médecins anesthésistes-réanimateurs complètent le monitorage hémodynamique de la patiente par la mise en place de cathéters veineux central et artériel, idéalement en fémoral gauche. Il est fortement déconseillé de tenter d’accéder aux veines jugulaires en raison de l’hypovolémie et des troubles de l’hémostase. Il est préférable d’utiliser les vaisseaux fémoraux gauches pour permettre au radiologue interventionnel d’accéder aux vaisseaux fémoraux droits.
Le bilan paraclinique est large et systématique,
à la recherche de complications fréquentes.

Il comprend en particulier un bilan biologique extensif, un dosage de la troponine I et un électrocardiogramme (ECG) à la recherche d’une ischémie myocardique et une radiographie du thorax.

Dès que possible (en pratique pendant la mise en place d’un cathéter fémoral gauche), le médecin gynécologue-obstétricien débute une échographie abdominopelvienne, même en cas d’accouchement par voie basse, à la recherche d’un hémopéritoine et/ou d’une rétention placentaire (visualisation ou non de la ligne de vacuité utérine). Il pratique ensuite (quand les cathéters sont en place) une révision utérine et un examen du col même s’ils ont été réalisés avant le transfert. En effet, les lésions de la filière génitale sont souvent sous-estimées. Leur suture par voie basse peut s’avérer inefficace en raison d’une coagulopathie sévère et/ou d’un oedème important des tissus.

Dans les cas les plus simples,où le saignement semble contrôlé et où aucun geste hémostatique n’est indiqué, la surveillance clinique et biologique est poursuivie en salle de réveil ou en réanimation.

Lorsque le saignement est toujours actif (objectivé par un saignement extériorisé, une aggravation des troubles de l’hémostase, un mauvais rendement transfusionnel, une instabilité hémodynamique persistante), une embolisation artérielle est réalisée en première intention, en particulier en cas d’accouchement par voie basse et d’atonie utérine. Elle est le plus souvent efficace d’emblée [31, 32].

En cas d’hémopéritoine important compliquant une césarienne, une laparotomie est discutée pour réaliser le bilan et la réparation des lésions (rupture utérine, trait de refend). Une embolisation préopératoire nous a plusieurs fois semblé utile mais l’évaluation d’une telle stratégie est difficile.


Traitement pharmacologique de l’atonie utérine

L’atonie utérine peut survenir d’emblée et être la cause de l’HPP ou venir compliquer secondairement une hémorragie d’une autre étiologie, en particulier une lésion de la filière génitale initialement négligée. Elle est quasi constante dans les formes graves. Les différents traitements pharmacologiques de l’atonie ne se conçoivent qu’associés aux gestes obstétricaux destinés à assurer la vacuité et l’intégrité utérine ainsi que la réparation d’éventuelles déchirures cervicovaginales.

Ocytocine (Syntocinon®)
L’ocytocine est un peptide naturel de neuf acides aminés synthétisé à partir d’un précurseur hypothalamique puis transporté et stocké dans la post-hypophyse.
Elle est libérée dans la circulation à partir de stimuli en provenance du col utérin, du vagin et des mamelons, et augmente la fréquence et la force des contractions utérines en agissant sur des récepteurs spécifiques, dont le nombre augmente en fin de grossesse. Le Syntocinon® est un analogue de synthèse de l’ocytocine, disponible sous forme d’ampoules de 5 UI qui doivent être conservées à 4 °C. L’administration de 5 à 10 UI en intraveineuse lente suivie d’une perfusion continue en raison d’une demi-vie courte (15 min) est systématique, lors de tout accouchement, après la délivrance du placenta, car le taux plasmatique spontané d’ocytocine est très variable d’une patiente à l’autre. Il est déconseillé de dépasser 60 à 80 UI j–1 en raison du risque d’hyponatrémie. Cependant, l’injection lente de faibles doses n’a aucun effet [33].
L’ocytocine est un puissant vasodilatateur qui peut être source d’hypotension artérielle si la volémie est insuffisante et/ou en cas d’injection intraveineuse rapide.
L’injection sur voie périphérique est la règle. Les bolus peuvent provoquer des douleurs transitoires au point de perfusion.

Sulprostone (Nalador®)
Les prostaglandines sont de puissants utérotoniques,synergiques de l’ocytocine.
Synthétisées par la cyclo-oxygénase à partir de l’acide arachidonique,
elles sont produites dans de nombreux organes et ont une activité apocrine.
Les utérotoniques sont les prostaglandines E2 et F2 (PGE2 et PGF2).
Elles jouent un rôle important dans la contraction utérine et sont synthétisées en excès en fin de grossesse, participant au déclenchement du travail [34].
Le sulprostone, analogue de synthèse de la PGE2, est devenu le traitement de référence de l’atonie utérine résistant à l’ocytocine [35]. Il doit être administré précocement, si possible dans les 30 premières minutes [12]. Une première ampoule (500 μg) est administrée en 1 heure par une seringue électrique, tout en poursuivant le massage utérin.
L’effet doit apparaître très rapidement, au bout de quelques minutes d’administration.En cas d’efficacité, le relais est pris par une ampoule en 4 à 6 heures à la seringue électrique parfois suivie d’une ampoule en 12 heures. En cas d’échec, d’autres thérapeutiques décrites plus loin doivent être envisagées. L’arrêt du sulprostone, dont la demi-vie est de 8 à 12 minutes, doit avoir lieu en salle de travail, en salle de réveil ou en réanimation afin d’effectuer un relais par de l’ocytocine et vérifier l’absence de récidive. Sur le plan hémodynamique, la PGE2 est vasodilatatrice [36, 37]. Elle déclenche fréquemment une hyperthermie pouvant poser de réels problèmes diagnostiques avec un sepsis [38].
Certaines observations ont cependant fait état de réponses
hémodynamiques paradoxales,
à type d’hypertension artérielle sévère avec vasoconstriction, imposant la prudence chez les patientes toxémiques [39].
 Les injections intraveineuses directes rapides et intramurales sont déconseillées [12] : plusieurs cas d’infarctus avec spasme coronaire, voire d’arrêt circulatoire attribués au Nalador® ont été publiés [40, 41].Ces observations posent le problème de l’utilisation de ce puissant utérotonique chez les patientes présentant des facteurs de risques vasculaires ou quand la perfusion coronaire est menacée [42].
 Dans notre expérience,
 nous avons observé plusieurs cas d’ischémies myocardiques aiguës sévèresavec retentissement hémodynamique et/ou troubles du rythme, ce qui justifie la réalisation d’un ECG 12 dérivations à l’admission puis tous les jours ainsi que la surveillance régulière de la troponine I pendant toute la phase aiguë. L’étude des dossiers de 55 patientes consécutives, admises sur 18 mois avec des critères de choc hémorragique, a retrouvé une élévation de la troponine I dans plus de 50 % des cas. Ce mouvement enzymatique était associé à des signes électriques d’ischémie. L’analyse multivariée ne retrouve pas le sulprostone comme facteur indépendant. En revanche, la pression artérielle diastolique inférieure à 50 mmHg et la fréquence cardiaque au-dessus de 110 b min–1, deux paramètres de la balance d’oxygénation myocardique, sont des facteurs prédictifs. Une patiente présentant une pression artérielle diastolique endessous de 50 mmHg et une fréquence cardiaque supérieure à 110 min–1 a une troponine I élevée dans 78 % des cas [32].
Néanmoins,la description, dans la littérature, d’épisodes cliniques et électriques d’ischémie myocardique, lors d’administration de Nalador®, en dehors de toute instabilité hémodynamique (pour interruption de grossesse ou mort foetale in utero) incite à rester vigilant [43].
En cas d’arrêt circulatoire, quelle qu’en soit la cause (spasme, anémie ou hypovolémie) survenant sous sulprostone, l’adrénaline, coronarodilatateur, reste le médicament vasopresseur de choix. Enfin, l’asthme n’est pas une contre-indication à son utilisation dans le cadre d’une HPP, le sulprostone étant intrinsèquement bronchodilatateur [44].

Prostaglandine E1 (misoprostol, Cytotec®)
Elle est proposée en intrarectal (3 à 5 comprimés) dans le traitement de l’atonie utérine [45]. Le misoprostol a un certain nombre d’avantages théoriques par rapport au sulprostone.Tout d’abord, les effets secondaires cardiovasculaires du Nalador® et du Méthergin® n’ont pas été rapportés avec ce produit.De plus, son administration en intrarectal est simple, sans recours à une perfusion continue. Cependant, la variabilité des résultats publiés et une pharmacocinétique moins prévisible par cette voie lui font préférer le sulprostone [46, 47]. Enfin, pour certains, l’administration de misoprostol, en faisant retarder l’introduction du sulprostone est une perte de temps et de chance. Son utilisation n’est donc pas préconisée par la recommandation pour la pratique clinique (RPC) française [6].

Maléate de méthylergométrine (Méthergin®)
C’est un dérivé de l’ergot de seigle. Vasoconstricteur,
la gravité de ses effets secondaires (nécrose myocardique) et son mode d’administration peu maniable ont conduit à son abandon.


Hémorragie résistante au sulprostone


 Place de la chirurgie d’hémostase


Techniques de compressions et de cloisonnements utérins
Le principe de ces techniques est d’assurer une hémostase utérine en comprimant le myomètre par des sutures transfixiantes.
 La procédure est habituellement précédée par une compression bimanuelle de l’utérus permettant
de tester l’efficacité de la compression myométriale sur l’arrêt des saignements.
Plicature de B-Lynch (Fig. 7). La première technique de compression myométriale a été décrite par B-Lynch en 1997 sur une série de cinq patientes présentant une hémorragie sévère du post-partum [48]. Dans cette technique, une incision de Pfannenstiel ou la reprise de l’incision de la césarienne est suffisante.
Une hystérotomie segmentaire est d’abord effectuée après décollement vésico-utérin. En cas de césarienne, la sutureutérine est réouverte. Une révision utérine est réalisée et l’utérus est extériorisé.
Elle consiste à passer un fil en bretelle autour du fond utérin comme l’illustre la Figure 7. Les points d’entrée et de sortie sont ainsi noués en avant sur le segment inférieur.
Cette technique présente un taux de succès rapporté dans la littérature proche de 95 %. Les auteurs retiennent l’atonie utérine comme indication princeps, les causes d’erreurs rapportées étant la présence d’un placenta percreta, la survenue d’une CIVD ou une erreur technique.Capitonnage multipoint  (Fig. 8). Une compression par cloisonnement des deux faces utérines a été proposée. La technique décrite par Cho [49] consiste à réaliser à l’aiguille droite un capitonnage en carré du myomètre. Plusieurs sutures multipoints en cadre sont effectuées, adossant ainsi la face antérieure de l’utérus à sa face postérieure en prenant soin d’éviter la portion interstitielle des trompes.
Aucun échec de cette technique n’a été rapporté dans la littérature [49].

Ligatures vasculaires
La Figure 9 rappelle la vascularisation normale de la filière génitale.
Ligature bilatérale des artères hypogastriques (Fig. 10). Les premiers cas de ligature des artères hypogastriques ont été décrits dès les années 1960 [51]. Il s’agit donc de la plus ancienne technique chirurgicale pratiquée dans le cadre du traitement conservateur des hémorragies graves du post-partum.

Cette technique nécessite une voie d’abord abdominale, l’incision utilisée pour effectuer la césarienne étant en général suffisante pour ce geste.
La ligature se fait au fil résorbable environ 2 cm sous la bifurcation en prenant garde de ne pas blesser la veine. On vérifie à la fin de la procédure les pulsations de l’artère iliaque externe. Le même geste est réalisé de l’autre côté [52].
Certains auteurs ont proposé d’associer une ligature bilatérale des ligaments lombo-ovariens et des ligaments ronds afin d’optimiser les chances de succès.
Le taux de succès est très variable dans la littérature, variant de 42 à 93 %[53]. Les causes utérines (atonie, placenta accreta) sont une source importante d’échecs. Des complications sont possibles (plaie veineuse, ligature des uretères, ligature de l’artère iliaque externe, lésions nerveuses périphériques).
Ligature bilatérale des artères utérines. Les premiers cas de ligature bilatérale des artères utérines ont été décrits par O’Leary en 1966 [50, 54]. Il s’agit d’une procédure facile et rapide à réaliser.
La technique habituelle nécessite une voie d’abord abdominale utilisant l’incision de césarienne. Un décollement du péritoine vésico-utérin et une section des ligaments ronds sont généralement nécessaires pour exposer les pédicules mais non obligatoires. L’utérus est extériorisé et tracté vers le haut. Une ligature au fil résorbable est effectuée 2 à 3 cm environ sous la ligne habituelle d’hystérotomie de la césarienne.
Cette ligature prend en masse la branche ascendante de l’artère utérine en s’appuyant sur le myomètre. La même ligature est ensuite réalisée du côté opposé.
Cette technique de ligature a aussi été décrite en utilisant la voie vaginale [55].
Le taux de succès rapporté varie de 80 à 96 % des cas. Les échecs ont été rapportés en cas d’anomalies d’insertion placentaire et de CIVD grave.
Triple ligature de Tsirulnikov (Fig. 11). Tsirulnikov a proposé en 1979 de compléter la ligature des vaisseaux utérins par une ligature des artères ovaro-utérines et des artères du ligament rond [56]. La ligature de la branche ascendante de l’artère utérine est effectuée selon la technique décrite par O’Leary après section et ligature du ligament rond et ouverture du péritoine vésico-utérin. Une ligature du ligament utéroovarien est ensuite réalisée. La triple ligature est effectuée de la même manière du côté opposé.
Le taux de succès rapporté par l’auteur est de 100 % sur une série de 24 patientes. L’atonie utérine semble être la principale indication.
Ligatures étagées ou « stepwise » (Fig. 12). Cette technique a été décrite par Abdrabbo en 1994 [57]. Son principe est d’instaurer une dévascularisation utérine progressive en plusieurs étapes. Chaque étape n’est réalisée qu’en cas de persistance des saignements 10 minutes après chaque ligature. La première étape est la ligature bilatérale des artères utérines précédemment décrite. En cas de persistance des saignements sont réalisées successivement : une ligature basse des artères utérines et des pédicules cervicovaginaux (ligature réalisée quelques centimètres en dessous de la précédente), une ligature bilatérale des pédicules lombo-ovariens.
Dans sa propre série de 103 patientes, Abdrabbo rapporte un taux de succès de 100 % et aucune complication n’a été décrite.


Indications
Le choix d’une méthode chirurgicale dépend de l’origine des saignements. Un bilan lésionnel complet doit au préalable être effectué.
La rapidité de la prise en charge estun facteur
majeur d’efficacité du traitement chirurgical, la réalisation de multiples techniques doit être évitée [58].
En cas d’atonie utérine, les techniques de compression utérine peuvent être réalisées. Une compression bimanuelle doit vérifier avant le geste l’efficacité d’une telle méthode. La technique de B-Lynch et le capitonnage de Cho semblent tous deux donner de bons résultats. La technique de B-Lynch n’est cependant pas toujours facile à exécuter dans l’urgence si l’opérateur ne connaît pas par avance chaque étape de la procédure. Une autre alternative est la réalisation d’emblée d’une ligature étagée, la ligature des artères utérines et des ligaments ronds suffisant bien souvent dans ces cas.
L’hystérectomie reste indiquée en cas d’échec de ces procédures.
En cas d’anomalies d’insertion placentaire, si une technique conservatrice placentaire efficace n’a pas pu être réalisée, une ligature étagée peut être proposée avec nécessité d’une dévascularisation utérine souvent complète (ligature des ligaments lombo-ovariens). Une hystérectomie est réalisée en cas d’échec.
 En cas d’hémorragie du segment inférieur (placenta prævia),
la dévascularisation du segment inférieur est possible en réalisant une ligature étagée avec suture basse des artères utérines et des pédicules cervico-utérins. Un capitonnage du segment inférieur peut aussi être réalisé.

En cas de cause extra-utérine (délabrement cervicovaginal par traumatisme obstétrical ou thrombus vaginal), les ligatures proximales gardent leur intérêt si une technique d’embolisation n’est pas disponible. Une ligature des artères hypogastriques peut alors être réalisée.
En cas de CIVD, une ligature étagée complète est indiquée.
En cas d’échec une ligature des artères hypogastriques, voire une hystérectomie, doivent être réalisées.


Place de l’embolisation (Fig. 1314)
L’embolisation artérielle d’hémostase est pratiquée depuis plusieurs décennies en cas de saignement incoercible lié à des traumatismes graves du bassin ou des cancers gynécologiques ou urologiques inopérables [59].
Son utilisation sporadique lors des hémorragies de la délivrance est rapportée depuis une vingtaine d’années. Ses bons résultats ont conduit à organiser des centres spécialisés pluridisciplinaires offrant cette option thérapeutique 24 h/24 [60].
La procédure est réalisée en salle de radiologie vasculaire, en présence d’une équipe médicale qui poursuit la réanimation durant l’embolisation.
L’administration d’administration de sulprostone (Nalador®) peut être transitoirement arrêtée durant la procédure d’embolisation en cas de spasme sévère pouvant gêner le geste.
Un abord artériel unifémoral classique sous anesthésie locale précède le cathétérisme des artères hypogastriques. L’artériographie préembolisation permet le repérage et l’analyse de l’artère utérine.
On évalue ainsi la possibilité de la cathétériser sélectivement en peu de temps, selon son anatomie et l’importance du spasme [31, 61].
En cas d’atonie (cas le plus fréquent), l’artère utérine est très étendue, remontant au-dessus de la bifurcation aortique, sans extravasation de produit de contraste. Plus rarement, on visualise des traumatismes vasculaires directs sous forme de flaque d’origine artérielle ou de fistule artérioveineuse, en général au niveau de la filière génitale.
L’embolisation intéresse si possible les artères utérines, et éventuellement les troncs antérieurs de l’hypogastrique.
Dans tous les cas,
l’embolisation doit être bilatérale en raison de la richesse des anastomoses pelviennes, en particulier transutérines.
 Les troncs postérieurs de l’artère hypogastrique sont respectés dans la mesure du possible, afin d’éviter une claudication fessière transitoire et surtout une ischémie sciatique par occlusion des artères sacrées latérales.
Un contrôle final en grand champs permet de s’assurer de l’absence de reprise distale de l’artère utérine par des collatérales.
L’occlusion vasculaire est effectuée à l’aide de fragments de gélatine résorbables (Curaspon®), ce qui entraîne une diminution temporaire du flux artériel permettant la cicatrisation de la muqueuse utérine.
Pendant ces quelques jours, la vascularisation utérine est assurée par des branches accessoires : artères ovariennes et du ligament rond essentiellement.
Beaucoup plus rarement, en cas de plaie vasculaire (fistule artérioveineuse, section d’un rameau artériel notable), on réalise une occlusion définitive à l’aide de matériaux divers : cyanoacrylate, coils.
Une embolisation peut également être réalisée en cas de persistance d’un saignement après hystérectomie ou ligature vasculaire. On recherche alors une absence d’étanchéité des ligatures vasculaires, ou une vascularisation de la zone hémorragique par des collatérales.
Les troubles de l’hémostase ne contre-indiquent pas, bien au contraire, l’embolisation.
Le taux de succès de l’embolisation rapporté dans la littérature est supérieur à 90 %, indépendamment de l’étiologie.En outre,
on observe assez fréquemment une amélioration des paramètres hémodynamiques dès la fin de la procédure,
l’occlusion des artères utérines en post-partum excluant un secteur vasculaire à basses résistances.En cas de reprise du saignement, il faut effectuer une nouvelle artériographie à la recherche d’une reperméabilisation des vaisseaux embolisés. Celle-ci est en général liée à une levée du spasme artériel, et nécessite une embolisation complémentaire.
Il faut également rechercher l’absence de revascularisation utérine notable par les artères ovariennes et du ligament rond, ou par les honteuses externes en cas de plaie cervicovaginale.
Dans notre expérience, une seconde embolisation est nécessaire dans moins de 10 % des cas.

Hystérectomie d’hémostase
Le risque principal estde retarder sa réalisationen cas de choc hémorragique résistantaux différentes procédures conservatrices, chirurgicales ou par radiologie interventionnelle [6].
On réalise classiquement une hystérectomie interannexielle subtotale, laissant le col en place. Les anomalies de placentation telles que le placenta prævia ou le placenta accreta peuvent engendrer un saignement d’origine isthmique ou cervical nécessitant alors de compléter l’hystérectomie par l’ablation du col.
 On peutretenicomme indication de l’hystérectomie d’hémostaseun
syndrome hémorragique cataclysmique empêchant d’envisager le transfert de la patiente vers un centre expert ou un syndrome hémorragique persistant malgré les tentatives de prise en charge conservatrice (embolisation artérielle, capitonnage utérin et/ou ligatures vasculaires).

Choc hémorragique




Prise en charge hémodynamique
Remplissage
Le remplissage dans le choc hémorragique a donné lieu à beaucoup de publications ces dix dernières années. Les conclusions sont difficiles à tirer car beaucoup de ces études s’intéressent à la stratégie de prise en charge préhospitalière de polytraumatisés ou de plaies par arme [62]. On est loin de l’HPP, choc hémorragique pur (non traumatique), survenant chez une parturiente au sein d’une structure où la transfusion sanguine est le plus souvent possible.
 Les solutés de remplissage
 (cristalloïdes, gélatines fluides modifiées et hydroxyéthylamidons) présentent deux limites principales :
• ce ne sont pas des transporteurs d’O2. En effet, ils contribuent au rétablissement du débit cardiaque en restaurant le retour veineux mais au prix d’une baisse du contenu en O2 (hémoglobine) ;
• la seconde limite est liée à l’effet potentiellement aggravant du remplissage sur le volume d’une hémorragie non contrôlée et donc sur la mortalité.
Les hypothèses retenues pour expliquer le surcroît de mortalité attribué au remplissage sont l’augmentation de la pression pulsée au niveau de la plaie ainsi que de la pression motrice du saignement (pression intravasculaire), la levée des mécanismes d’adaptation au choc (vasoconstricteurs), la dilution des facteurs de la coagulation et des plaquettes, la baisse de l’agrégabilité plaquettaire par la baisse de l’hématocrite, et enfin les effets propres de certains colloïdes comme les hydroxyéthylamidons.

Cette discussion est remarquablement exposée dans une revue de la littérature [63].
En prépartum, le remplissage est classiquement effectué à l’aide de cristalloïdes car les colloïdes, hormis l’albumine, n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) chez la femme enceinte. En cas d’instabilité hémodynamique, la priorité est au rétablissement de la volémie et les colloïdes peuvent être utilisés, les hydroxyéthyamidons présentant un risque allergique plus faible que les gélatines.

En post-partum, la controverse colloïdes/cristalloïdes n’est pas plus réglée que dans les autres chocs hémorragiques. Le niveau de remplissage optimal est difficile à définir. Des bolus de 250 ml, répétés et évalués (pression artérielle et fréquence cardiaque), sont préférables à la perfusion libre de litres de produits de remplissages, génératrice d’hémodilution.

Il est probable que, par analogie aux autres urgences hémorragiques, une pression artérielle systolique à 80-90 mmHg est suffisante.Au-delà, le bénéfice n’est pas évident et les pertes sanguines possiblement plus importantes.En prépartum, la situation est plus complexe car le niveau de perfusion placentaire conditionne le pronostic du nouveau-né. La fréquence cardiaque est le deuxième paramètre immédiatement disponible mais est influencée à la fois par la volémie et par l’anémie. Si le remplissage ne réduit pas la tachycardie, la transfusion est probablement urgente.

Une fois l’hémorragie contrôlée (révision utérine, embolisation, chirurgie),ou dès que du sang est
disponible,la correction de la volémie devient un objectif prioritaire car l’hypovolémie est rapidement délétère, en particulier par le biais de la souffrance hépatosplanchnique et coronaire qu’elle entraîne [32, 64].

Catécholamines
L’utilisation de catécholamines vasoconstrictrices (adrénaline, noradrénaline)
dans un choc hémorragique peut surprendre,ces patientes étant considérées comme hypovolémiques et spontanément en vasoconstriction.

 Cependant,un certain nombre d’arguments plaident en faveur de leur administration. Tout d’abord,
toutes les techniques d’analgésie (péridurale, rachianalgésie) et d’anesthésie (générale ou locorégionale) sont à des degrés divers vasodilatatrices, soit par bloc sympathique, soit par altération des mécanismes d’adaptation à l’hypovolémie. De plus, la ventilation mécanique gêne d’autant plus le retour veineux (donc le débit cardiaque) que le secteur veineux est compliant (veinodilatation).

Enfin, le choc hémorragique évolué s’accompagne rapidement d’une hyporéactivité vasculaire [65].
 De plus, le remplissage a un effet de dilution sur les hématies mais également sur les facteurs de coagulation aggravant (ou générant) la coagulopathie. En pratique, en salle de travail, la première catécholamine administrée est l’éphédrine, médicament de choix en obstétrique et qui s’administre sans danger sur une voie veineuse périphérique (bolus de 3 à 9 mg) [66].

Dans les cas sévères, le relais peut être pris par de la néosynéphrine (bolus de 50 μg) ou de la noradrénaline à la seringue électrique (0,5 à 1 mg h–1 en fonction de la pression artérielle).
Ce traitement peut être débuté sur une voie veineuse périphérique mais doit être relayé sur une voie veineuse centrale fémorale posée secondairement.Il est possible de retenir, comme indication à l’introduction de catécholamines, les situations suivantes :
• hypotension artérielle survenant dès le début de l’hémorragie chez une patiente sous ALR (éphédrine) ;
• arrêt circulatoire (adrénaline) ;
• situation hémodynamique catastrophique malgré le remplissage (pression artérielle systolique < 70 mmHg, trouble de la conscience) dans l’attente de culots globulaires, pour limiter l’hémodilution (noradrénaline) ;
• choc hémorragique non contrôlé (pression artérielle systolique < 70 mmHg) malgré le remplissage et la transfusion (noradrénaline) ;
• collapsus au décours de l’induction d’une anesthésie générale résistant au remplissage et à l’éphédrine (éphédrine puis noradrénaline) ;
• collapsus au dégonflage du pantalon antichoc (noradrénaline).

Pantalon antichoc
Introduite dans la prise en charge du choc hémorragique pendant la guerre du Viet-Nam, l’utilisation du pantalon antichoc reste classique malgré la publicationd’études mettant en évidence ses effets délétères dans de nombreuses situations [67].Son gonflement génère une autotransfusion de sang veineux en provenance des membres inférieurs ainsi qu’une augmentation des résistances vasculaires systémiques (effet de clampage aortique) [68].
L’HPP incontrôlable, bien qu’il n’y en ait aucune démonstration, pourrait rester une bonne indication car il s’agit d’un saignement unique et pelvien. Les règles d’utilisation doivent être précises : gonflement des jambes puis de l’abdomen, pression de gonflage de l’ordre de 100 mmHg sur les jambes et 80 mmHg sur l’abdomen, ventilation et sédation de la patiente. En particulier, sa mise en place préventive (dégonflé) lors d’un transport interhospitalier est probablement légitime.


Monitorage hémodynamique
La prise en charge est initialement guidée par un monitorage non invasif (scope, pression artérielle non invasive). Dès que possible dans les formes graves, la mise en place d’une pression artérielle sanglante, radiale ou fémorale, est très utile tant pour guider la réanimation (pression artérielle en continu, forme de la courbe, interaction avec la ventilation) que pour permettre les prélèvements sanguins. La voie veineuse centrale est nécessaire chez les patientes recevant de l’adrénaline ou de la noradrénaline.La voie fémorale gauche est privilégiée en raison de sa facilité et des fréquents troubles de l’hémostase pouvant rendre risquée une mise en place dans le territoire cave supérieur. La capnographie, outre son intérêt pour le contrôle de l’intubation, est un marqueur précoce de dégradation hémodynamique. En situation hémorragique, la baisse de l’ETCO2 signe une baisse du débit cardiaque [69].
Beaucoup de techniques de mesure non invasive du débit cardiaque ou du volume d’éjection systolique font, depuis quelques années, leur apparition au bloc opératoire et en réanimation. Le Doppler transoesophagien, particulièrement facile à mettre en place et ne nécessitant aucune calibration, est utilisable pour guider le remplissage, en particulier au bloc opératoire au cours d’une chirurgie d’hémostase [70].


Identifier et prendre en charge la coagulopathie
Généralités
Beaucoup d’auteurs insistent sur l’importance des troubles de l’hémostase, généralement étiquetés CIVD, comme étiologie des HPP et sur la nécessité de les traiter agressivement (fibrinogène, antithrombine III, héparine...) [71].Insistons d’emblée sur le fait que le traitement « médical » de la coagulopathie ne doit pas se substituer à la stratégie d’hémostase, basée sur les gestes obstétricaux, la radiologie interventionnelle et la chirurgie, que trop d’espoirs investis dans un traitement hémobiologique risquent de retarder. Une étude française récente montre en effet que la prescription de plasma frais congelé (PFC) est souvent inappropriée [72].Il est cependant vrai qu’en pratique clinique, les formes graves s’accompagnent presque toutes d’une coagulopathie (baisse du TP, allongement du TCA, baisse du fibrinogène, baisse des plaquettes...). Dans notre expérience, l’hémorragie a généralement précédé la coagulopathie, que la transfusion de plasma, de fibrinogène, voire de plaquettes n’a pas corrigée.En revanche, le contrôle du saignement s’accompagne toujours de la correction spontanée et rapide (en quelques heures)de la coagulopathie.Sans nier l’existence d’authentiqueCIVD/fibrinolyse obstétricale (rétention de foetus mort,
prééclampsie sévère,syndrome HELLP,embolie amniotique, hématome rétroplacentaire), la survenue de troubles de l’hémostase au cours d’une hémorragie du post-partum est plus souvent le signe d’une hémorragie non contrôlée que qu’un facteur étiologique. La part de dilution (remplissage, transfusion) est rapidement importante [73]. Dans ce cas, la consommation des facteurs de la coagulation est en fait adaptée et la perturbation des résultats biologiques est le résultat d’une utilisation supérieure à la capacité de production hépatique.

Au-delà de ces considérations, la coagulation doit être assistée comme les autres fonctions vitales, au mieux en fonction des résultats biologiques. Les plasmas frais congelés (viro-inactivés ou sécurisés) sont donc le plus souvent administrés en premier car ils apportent tous les facteurs de la coagulation et constituent un excellent produit de remplissage. Si le taux de fibrinogène reste bas (< 0,5 g l–1) malgré l’apport de plasma, un apport de fibrinogène purifié peut être envisagé. Le renforcement de la coagulation est probablement surtout important en cas de décision d’hémostase chirurgicale. Dans ce cas, les règles de prescription ne sont pas différentes de celles appliquées dans toute chirurgie hémorragique. En cas d’embolisation pour atonie utérine isolée, l’hémostase est probablement un paramètre moins important. La ponction fémorale ne nécessite pas en elle-même de traitement spécifique. Il est inutile d’apporter des plaquettes au-dessus de 50 000 mm–3. D’autres paramètres, souvent négligés, comme l’anémie, l’hypothermie et l’acidose,doivent être impérativement corrigés. La présence de globules rouges semble être nécessaire à la fonction plaquettaire comme le montrent certaines études établissant une meilleure corrélation du temps de saignement avec le taux d’hématocrite qu’avec le taux de plaquettes [74, 75]. Par ailleurs, l’hypothermie et l’acidose sont des facteurs démontrés d’augmentation de saignement et de la mortalité en chirurgie et chez le polytraumatisé [76, 77].

Agents pharmacologiques spécifiques
Ils peuvent être envisagés comme traitement adjuvant.

Antithrombine III
Ce traitement a récemment été proposé dans l’HPP par analogie avec les CIVD du sepsis (purpura fulminans) ou des leucémies aiguës myéloblastiques. La problématique est pourtant fondamentalement différente. En effet, dans le cas de l’HPP, les complications thrombotiques de la coagulopathie ne sont pas en cause comme cela est le cas dans la CIVD. L’administration d’antithrombine III n’est donc probablement pas indiquée.

Aprotinine (Trasylol®, Antagosan®)
C’est un antifibrinolytique dont l’efficacité est démontrée pour réduire le saignement en chirurgie cardiaque, hépatique et orthopédique. C’est un inhibiteur des sérines protéases, ce qui en fait un médicament dont l’action dépasse largement son rôle classique d’antifibrinolytique. En effet, outre son effet inhibiteur de la plasmine (antifibrinolytique), il inhibe également la kallikréine, la thrombine, la protéine C activée et même la trypsine et la chymotrypsine. Un effet anti-inflammatoire est défendu par certains, pouvant limiter le syndrome d’ischémie/ reperfusion dans les situations génératrices d’hypoxie.
Enfin, son effet « protecteur » des plaquettes, ayant motivé son utilisation dans la chirurgie cardiaque sous aspirine, est plus discuté.
L’aprotinine est proposé en obstétrique lorsque la part de fibrinolyse pure est importante et objectivée par un taux de D-dimères très élevé [78], résultat d’interprétation difficile en fin de grossesse. Son effet « anti-atonie utérine » par le biais d’une réduction des produits de dégradation de la fibrine n’est pas assez documenté.
L’autre indication pourrait être la persistance du saignement, sur un mode incoagulable, malgré l’obtention d’un bon globe utérin, lorsqu’une fibrinolyse locale intrautérine est suspectée (utérus fibromateux par exemple). Une discordance entre une hémostase plasmatique conservée et un saignement incoagulable est en faveur de cette situation. Il n’y a cependant aucune validation de cette attitude dans la littérature.
L’intérêt de la prescription d’aprotinine doit donc être évalué au cas par cas, en raison de ses effets secondaires. Le risque anaphylactique est de 1 % à la première injection et de presque 3 % lors d’une réutilisation précoce (< 6 mois), improbable en obstétrique. Par ailleurs, une étude récente comparant en chirurgie cardiaque l’aprotinine avec d’autres antifibrinolytiques (acide tranexamique, acide aminocaproïque) retrouve un risque significativement plus élevé d’insuffisance rénale, d’insuffisance cardiaque ou de complications neurologiques [79].
Sa prescription systématique devant toute HPP avec troubles de l’hémostase n’est donc pas indiquée et doit être discutée au cas par cas.

Acide tranexamique (Exacyl®)
Il s’agit d’un analogue de la lysine, inhibant spécifiquement la plasmine en occupant le site de fixation de la fibrine, empêchant ainsi la formation du complexe ternaire fibrinolytique (plasmine/activateur du plasminogène/fibrine).
Cet antifibrinolytique, très prescrit dans le cadre des ménométrorragies ou des épistaxis, n’est pas assez évalué dans la prise en charge de l’hémorragie du post-partum [80]. L’étude de Mangano et al.
 participe au regain d’intérêt pour cette molécule, possiblement aussi efficace que l’aprotinine, considérablement moins chère et présentant moins d’effets secondaires [79]. Une étude multicentrique française est en cours dans le cadre de l’HPP.


Facteur VII activé (Novoseven®)
Il a récemment été rajouté à la liste des agents d’hémostase utilisables dans la prise en charge de la coagulopathie liée à l’HPP. Ce nouvel agent a été initialement développé pour traiter les complications hémorragiques pouvant survenir chez les patients hémophiles. Son utilisation a été ensuite étendue au contrôle du choc hémorragique chez les patients présentant une coagulopathie sévère résistante aux thérapeutiques usuelles sans désordre héréditaire de la coagulation.
Dans l’hémorragie du post-partum, la revue de la littérature s’intéressant à l’usage du facteur VII activé (FVIIa) ne permet de retrouver à ce jour que des cas cliniques et des revues de la littérature. En 2006, Pepas et al. ont publié une revue de 17 cas rapportés de 2001 à 2004 [81]. Dans tous les cas, l’utilisation du FVIIa a permis un contrôle de l’hémorragie. Cette revue suggère qu’une dose unique de 70-90 μg/kg serait suffisante pour contrôler l’hémorragie dans 75 % des cas. Les auteurs suggèrent que le recours au FVIIa devrait être envisagé avant la réalisation d’une hystérectomie d’hémostase, même s’ils reconnaissent l’absence d’indication claire du produit dans l’HPP.Une série de 12 cas publiée en 2005 dans le British Journal of Anaesthesia n’apporte malheureusement pas beaucoup plus d’information [82]. Les auteurs confirment que, d’après leur expérience, le FVIIa pourrait avoir sa place chez les patientes ne répondant pas à la transfusion associée aux traitements utérotoniques dans le but d’éviter au maximum le recours à l’hystérectomie d’hémostase. Ils proposent également son usage chez les patientes ayant un saignement majeur en rapport avec une atonie utérine dans l’attente d’un transfert en vue d’une éventuelle embolisation artérielle.
Il est donc difficile de proposer une attitude standardisée visà- vis d’un FVIIa dont la place dans la prise en charge de l’HPP reste à déterminer par des études de plus haut niveau de preuve.
Il convient également de préciser que ce produit n’est pas dénué d’effets indésirables, en particulier des accidents thrombotiques dont l’incidence a été évaluée à 5 %, l’obésité et le diabète étant des facteurs favorisants [83].
L’indication pour les experts français est : saignement persistant malgré la mise en oeuvre d’une procédure chirurgicale ou d’embolisation.

Transfusion
Une hémorragie importante et durable aboutit toujours à l’effondrement du transport en O2, par la baisse du débit cardiaque en l’absence de remplissage ou par baisse du taux d’hémoglobine en cas de compensation des pertes. En dessous d’une valeur critique d’oxygène transporté (5 mg kg–1 min–1) à partir de laquelle l’extraction ne peut plus compenser, apparaît une hypoxie tissulaire rapidement fatale [84].
Malgré d’importants travaux de recherche, il n’existe pas encore de substitut au sang utilisable en clinique [85]. La transfusion de culots globulaires est donc le seul moyen, en cas d’hémorragie importante, de rétablir le transport en O2. En effet, la surmortalité liée au remplissage, discutée plus haut, disparaît lorsque celui-ci est réalisé avec du sang [86]. Plusieurs études animales confirment qu’en cas de choc hémorragique massif, seul le sang ou un autre transporteur de l’O2 améliorent la survie [87]. Les témoins de Jéhovah en sont malheureusement une démonstration [88].
En situation d’urgence, l’indication transfusionnelle ne repose que partiellement sur le taux d’hémoglobine. Celui-ci est en effet très influencé par le niveau de remplissage et la notion de seuil transfusionnel est donc décevante. L’indication doit tenir compte avant tout du contrôle ou non de l’hémorragie, de la part d’hypovolémie résiduelle et du débit de saignement. Le prescripteur doit également prendre en compte le délai d’obtention de produits sanguins, très variable d’une maternité à une autre. Des recommandations récentes ont été formulées en ce sens [89]. Schématiquement, tant que le saignement est actif, le remplissage doit être administré, en termes de volume, en fonction des paramètres hémodynamiques et du débit de saignement extériorisé.

Le choix des produits de remplissage (cristalloïdes/colloïdes ou culots globulaires) se fait en fonction du taux d’hémoglobine, mesuré régulièrement, qu’il faut maintenir au-dessus de 8 g 100 ml–1. Le caractère souvent imprévisible de l’HPP grave (80 % sans facteur de risque) et la fréquence des transfusions en péripartum (1 à 2,5 % par voie basse et 3 à 5 % par césarienne) rend nécessaire une procédure valide de mise en réserve, commande et distribution des PSL.


Toute maternité doit pouvoir être approvisionnée en PSL en moins de 30 minutes. Une table ronde récente sur le traitement des urgences transfusionnelles obstétricales, organisée par l’établissement français du sang (disponible sur le site de la SFAR,www.sfar.org) rappelle la classification en trois niveaux d’urgence :
• l’urgence vitale immédiate, qui permet la distribution instantanée de concentrés de globules rouges (CG) sans carte de groupe ni recherche d’agglutinines irrégulières (RAI). C’est la seule procédure légale permettant l’obtention de culots O rhésus négatifs. Les examens immunohématologiques doivent être acheminés au centre de transfusion sanguine (CTS) le plus rapidement possible afin de permettre rapidement une transfusion isogroupe ;
• l’urgence vitale, permettant l’obtention de PSL en moins de 30 minutes. Les produits sanguins sont isogroupes mais la RAI est facultative. De même, les tubes doivent être acheminés au CTS afin de la réaliser dans les plus brefs délais ;
• l’urgence relative, permettant la réalisation d’une carte complète et la distribution de PSL isogroupes éventuellement compatibilisés.
Cette classification a pour but d’améliorer les échanges d’information entre les cliniciens et les sites transfusionnels [90].
Si le site transfusionnel est à distance du centre hospitalier, il est possible d’organiser un dépôt de sang (généralement de CG O rhésus négatif) permettant de débuter une transfusion très urgente. Enfin, rappelons l’importance, même dans l’urgence, de réaliser complètement le contrôle prétransfusionnel afin d’éviter les erreurs d’attribution encore trop fréquentes [91].


Anesthésie pour gestes obstétricaux




Anesthésie pour césarienne en urgence pour métrorragies du troisième trimestre
En cas d’hémorragiedu prépartum,
 la césarienne peut être indiquée en raison de l’importance du saignement,
 d’une souffrance foetale ou d’une association morbide dangereuse comme une hémorragie modérée chez une patiente proche du terme porteuse d’un placenta prævia.
Le choix de l’anesthésie est guidé par l’état hémodynamique et le degré d’urgence. En cas d’hémorragie importante, la seule procédure envisageable est l’anesthésie générale. Ses règles ne diffèrent pas du cadre de l’anesthésie générale pour césarienne. Il faut dans ce cas réaliser une induction le plus tôt possible, car seule l’extraction foetoplacentaire peut permettre de contrôler le saignement d’origine utérine.

En revanche, les prélèvements au laboratoire, en particulier groupe sanguin et rhésus doivent être demandés le plus rapidement possible. L’anesthésie de ces patientes est à risque. Il s’agit d’une anesthésie de patientes hypovolémiques, parfois choquées et à estomac plein. Aux difficultés inhérentes à toute patiente en fin de grossesse (difficultés d’intubation, risque d’inhalation), s’ajoutent l’effet de l’anesthésie générale (altération du baroréflexe, vasodilatation artérielle et veineuse, diminution du stress) et de la ventilation mécanique (baisse du retour veineux). Tout est donc réuni pour décompenser le choc hémorragique et entraîner une hypotension sévère, pouvant aller jusqu’à l’arrêt circulatoire.

Différents agents d’induction peuvent être utilisés mais la kétamine (Kétalar® 1 à 1,5 mg kg–1) et l’étomidate (Hypnomidate® :
0,3 mg kg-1) ont le retentissement hémodynamique le plus faible [92]. Il faut rappeler que la kétamine est possiblement inotrope négative. L’augmentation de la pression artérielle qui lui est associée s’explique par un effet sympathicomimétique indirect qui peut faire défaut lorsque le tonus sympathique de la patiente est à son maximum.

 L’étomidate a pourinconvénient potentiel d’être un inhibiteur de la fonction surrénalienne.
La succinylcholine (Célocurine® :
1,5 mg kg–1) est nécessaire pour permettre l’intubation, impossible sans curare dans cette situation. C’est à ce jour le seul curare permettant une curarisation rapide (50 secondes) mais également une reprise rapide de la ventilation spontanée (quelques minutes) en cas d’intubation et de ventilation impossibles. Rappelons que l’intubation difficile est estimée à 1/250 parturientes et que son incidence a tendance à augmenter dans les pays développés [93, 94]. Une des explications avancée est la baisse de compétence des médecins anesthésistes, liée au recours de plus en plus fréquent aux techniques locorégionales.

L’administration d’antihistaminiques H2 effervescents est souhaitable en dehors de troubles de la conscience et les conditions d’intubation doivent être vérifiées avant l’induction. L’ensemble de la procédure et des précautions à prendre dans l’induction à séquence rapide est résumé dans le Tableau 2.Les critères prédictifs d’intubation difficile sont nombreux, ils sont résumés dans une publication de conférence de consensus de la Société française d’anesthésie et de réanimation [91]. Les techniques alternatives et les arbres décisionnels en cas d’impossibilité d’intubation (masque laryngé, Fastrack®, Airtrack ®, mandrins) doivent être connus et appliqués dès que possible.

La technique à séquence rapide doit être obligatoirement utilisée en raison du risque d’inhalation, en gardant à l’esprit que la manoeuvre de Sellick n’est efficace que si elle est correctement réalisée [95].
 Dans le cas contraire, elle est susceptible de gêner l’intubation, voire de provoquer un réflexe de vomissement chez une patiente insuffisamment curarisée [96].

L’adjonction d’un morphinique pour l’intubation doit être évitée chez les patientes choquées. Les morphiniques peuvent être introduits secondairement, plutôt en entretien à faible dose. L’entretien peut se faire avec de la kétamine à la seringue électrique en continu ou en bolus.
L’utilisation d’halogénés est dangereuse en situation d’hypovolémie.

Leur effet vasodilatateur et dépresseur du baroréflexe peut majorer l’insuffisance circulatoire [97]. De plus, les halogénés sont tous utérorelaxants, ce qui est néfaste dans de telles situations [98].
La ventilation mécanique doit être réalisée avec des pressions d’insufflation les plus faibles possibles.
En effet, l’association d’une vasoplégie (anesthésie générale) et d’une augmentation de la pression de l’oreillette droite (ventilation mécanique) diminue d’autant plus le retour veineux que la patiente est hypovolémique, ce qui entraîne un effondrement du débit cardiaque et de la pression artérielle [99].Le risque est alors le désamorçage de la pompe cardiaque et l’arrêt circulatoire.
L’induction anesthésique et la ventilation doivent, idéalement, suivre un remplissage, une transfusion de culots globulaires et surtout l’administration de vasoconstricteurs. L’éphédrine est la drogue de première intention dans ce dernier cas car rapidement disponible et de maniement familier pour les anesthésistes-réanimateurs [66].

Son effet s’épuise car, comme la kétamine, son action sympathicomimétique est indirecte et dépend des « réserves catécholaminergiques » de la patiente.
En cas d’inefficacité et de collapsus persistant, il faut avoir recours à une catécholamine directe, comme la phényléphédrine (bolus de 50 μg) ou à la noradrénaline (bolus de 100 μg), afin de maintenir la pression artérielle dans l’attente du rétablissement de la volémie et de la masse globulaire.

En l’absence de saignement, ou s’il est modéré, une césarienne peut être décidée pour anticiper une hémorragie grave.
Dans ce cas, le choix de l’anesthésie est plus discuté. L’anesthésie générale reste la référence dans les raisons citées plus haut mais une étude récente a mis en évidence un intérêt potentiel de l’ALR dans cette indication [100]. En effet, sous rachianesthésie, le saignement semble être moins important et aussi bien toléré que sous anesthésie générale, même en cas d’hémorragie massive. Seule la suspicion de placenta accreta (utérus cicatriciel et placenta prævia antérieur par exemple) reste une indication formelle d’anesthésie générale car l’hémorragie massive est très probable et le temps opératoire souvent long.

Anesthésie pour gestes obstétricaux par voie basse à la phase initiale de l’hémorragie
Il s’agit le plus souvent d’une révision utérine, d’un examen sous valve ou de la suture de déchirures cervicovaginales. À ce stade, la patiente n’est pas encore choquée et le remplissage est suffisant pour restaurer la volémie. Le choix est donc entre l’ALR et l’anesthésie générale.
ALR : la présence d’un cathéter péridural fonctionnel, c’est-àdire testé et efficace, est un élément important à prendre en compte. En post-partum immédiat, le bloc sensitif en place est normalement suffisant pour effectuer un geste court (révision utérine) sans réinjection.
À distance, ou en cas de geste plus long, il est possible d’utiliser le cathéter si le saignement est modéré et la volémie maintenue. La lidocaïne (Xylocaïne® à 2 %) est le produit de choix car le plus rapide. La discussion (quel produit, quelle concentration) en termes de retentissementhémodynamique n’a pas lieu d’être puisqu’en cas d’instabilité hémodynamique, l’ALR est contre-indiquée.

En l’absence decathéter de péridurale, le choix est également dicté par le débit de saignement et l’état hémodynamique. En effet, la technique recommandée aux États-Unis chez une patiente stable est la rachianesthésie, réalisée en décubitus latéral gauche [101]. Ce choix est justifié par une grande rapidité d’installation et la crainte des complications respiratoires de l’anesthésie générale.
De petites doses, par exemple 5 mg de bupivacaïne (Marcaïne®) associées à 5 μg de sufentanil (Sufenta®), permettent d’obtenir un bloc sensitif D10, suffisant pour une révision utérine et au retentissement hémodynamique modeste.

L’anesthésie générale : malgré l’augmentation régulière du taux de péridurale (70 % des parturientes en France), l’anesthésie générale reste indiquée en cas de contre-indication à l’ALR ou lorsque le débit de l’hémorragie fait craindre une hypovolémie ou l’apparition rapide de trouble de l’hémostase. L’enquête « Trois jours d’anesthésie en France » a révélé qu’en cas de geste obstétrical urgent chez une patiente ne bénéficiant pas d’une péridurale, le taux d’anesthésie générale était de 95 % avec un taux d’intubation de seulement 8 % [102]. La technique recommandée est pourtant l’induction à séquence rapide avec intubation décrite plus haut, la drogue d’induction étant choisie en fonction de l’état hémodynamique. Les techniques d’anesthésie générale sans intubation, qu’elles se pratiquent en ventilation spontanée ou assistée au masque facial, sont dangereuses en raison du risque d’inhalation et des difficultés d’intubation secondaires. La dernière enquête de mortalité maternelle britannique retrouve en effet six décès directement liés à l’anesthésie, tous secondaires à des problèmes de contrôle des voies aériennes [103].

L’analgésie à la kétamine : seule alternative référencée à la crash induction, l’analgésie par de faibles doses de kétamine mérite d’être discutée.
Son retentissement sur les mécanismes de protection des voies aériennes est faible et limiterait donc le risque d’inhalation. De plus, chez une patiente à jeun et prémédiquée par des anti-H2 effervescents, le risque d’oedème pulmonaire lésionnel est réduit.La kétamine est en effet très utilisée en médecine de guerre, y compris pour des interventions majeures de chirurgie gynécologique, orthopédique ou viscérale [104]. Elle est généralement associée à une benzodiazépine (midazolam ou diazépam), en ventilation spontanée sans intubation [104].

 Bien que peu académique, et contradictoire avec la notion d’estomac plein, la sédation intraveineuse pour manoeuvres obstétricales est citée dans certains manuels d’anesthésie faisant référence sous l’appellation de low-dose ketamine analgesia [105]. Il s’agit d’un bolus de 15 mg de kétamine, éventuellement répété toutes les 5 minutes sans dépasser 1 mg kg–1.
Les précautions à prendre sont nombreuses :
 monitorage hémodynamique et de la saturation, prémédication par citrate ou anti-H2 effervescents, contact verbal maintenu, drogues et plateau d’intubation préparés et immédiatement disponibles. L’intérêt de cette technique, réputée préserver la ventilation spontanée et les réflexes de déglutition, est d’éviter le recours à l’intubation. Ceci est tentant dans des maternités géographiquement isolées où les possibilités de renfort, en cas d’échec d’intubation, sont limitées. Une seule étude, à notre connaissance, a évalué le risque de ne pas intuber de telles patientes [106].

Les auteurs rapportent une série de 1 870 patientes sur 14 ans, à jeun depuis plus de 8 heures et sans reflux gastro-oesophagien symptomatique, endormies ou sédatées en post-partum pour geste obstétrical (délivrance artificielle, révision utérine, examen sous valve, suture de déchirures).Les patientes, non prémédiquées, recevaient une faible dose de kétamine ou de thiopental. Les auteurs ne constatent qu’un épisode compatible avec une inhalation au réveil, réversible en quelques heures sous oxygénothérapie, sans aucune pneumopathie ni admission en soins intensifs.Les auteurs font remarquer que la plupart des cas d’inhalation rapportés dans la littérature (65 %) ont lieu lors d’échec d’intubation, situation toujours à craindre en obstétrique, ou au moment du réveil et de l’extubation. Par ailleurs, le développement de l’ALR en obstétrique, en diminuant le recours à l’anesthésie générale, a possiblement diminué la compétence des jeunes médecins anesthésistes face à l’intubation des parturientes [107]. Aucune étude, dans la littérature, ne compare de façon prospective une stratégie d’intubation systématique (avec un risque d’intubation impossible) à une stratégie d’intubation ciblée (avec un risque d’inhalation).
L’autre avantage théorique serait un retentissement hémodynamique minime, du fait des faibles doses utilisées et de l’absence de ventilation en pression positive.
Il est cependant difficile de recommander cette technique en cas d’HPP sévère avec hypovolémie installée.

L’absence de contrôle des voies aériennes rend en effet le médecin anesthésiste peu disponible pour les autres tâches (remplissage, transfusion, etc.).
En revanche, pour la réalisation d’une révision utérine rapide chez une patiente non choquée, la kétamine low dose a peutêtre l’avantage (trompeur ?) de la simplicité. L’association d’autres médicaments comme le midazolam (troubles de la déglutition) ou les morphiniques (dépression respiratoire), en augmente le risque. Si l’analgésie est insuffisante, il faut savoir revenir à une crash induction classique.

Anesthésie pour laparotomie pour ligature vasculaire ou hystérectomie d’hémostase
L’anesthésie générale est incontournable en dehors de cas exceptionnels, même en présence d’un cathéter péridural en place.
En effet, il s’agit d’une chirurgie potentiellement longue et hémorragique. Les conditions d’induction et d’entretien sont les mêmes que celles développées plus haut.
Anesthésie pour embolisation artérielle
L’embolisation artérielle ne nécessite pas en elle-même d’anesthésie. Lorsque la patiente n’est pas sédatée, une anesthésie locale au point de ponction associée à une analgésie parentérale (paracétamol et morphinique) doit suffire.
Les morphiniques doivent être titrés avec prudence car ils sont vasodilatateurs. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont contre-indiqués car antiagrégants plaquettaires et utérorelaxants.
Cependant, la présence d’une équipe d’anesthésie-réanimation est indispensable tout au long de la procédure pour la prise en charge de l’hémorragie.

Tableau 2.
Matériels nécessaires et modalités de l’induction à séquence rapide ou crash induction.
Vérification du matériel :
– plateau d’intubation : laryngoscope, 2 lames, 2 Guedel, sonde d’intubation n° 6,5 avec seringue de 10 ml en place, mandrin
– système d’aspiration vérifié. Sonde d’aspiration montée
– matériel de secours à portée de main (mandrin de Eschmann et/ou de Cooke)
Administration de 400 mg de Tagamet® effervescent per os dans 20 ml d’eau
Préoxygénation ou dénitrogénation en O2 pur en ventilation spontanée
– le masque appliqué de façon étanche sur le visage. Une fraction expirée en 02 > 80 % garantit une bonne dénitrogénation
Prévenir la patiente de la manoeuvre de Sellick qui est débutée avant l’induction
Induction en fonction de l’état hémodynamique :
– étomidate (Hypnomidate®) 20mg IVD
– ou kétamine (Kétalar®) 1 - 1,5 mg kg-1 IVD
Curarisation à la perte du réflexe ciliaire (qui peut être préservé avec la kétamine) :
– Célocurine® 1,5 mg kg-1 IVD
– maintien du masque facial sans ventiler jusqu’à la fin des fasciculations
Laryngoscopie après la fin des fasciculations (> 50 secondes)
Intubation (ballonnet 2 cm après les cordes vocales)
Gonflage du ballonnet
Vérification de la position de la sonde d’intubation :
– auscultation pulmonaire bilatérale et du creux épigastrique
– courbe de CO2 expiré au capnographe
Levée de la manoeuvre de Sellick
Fixation de la sonde d’intubation
Mesures répétées et (très) rapprochées de la pression artérielle



Conclusion
Les hémorragies obstétricales, en particulier l’hémorragie du post-partum, sont des situations graves pouvant engager le pronostic. Un des points clés de la prise en charge de ces syndromes hémorragiques réside dans la rapidité de celle-ci. Elle ne peut être que pluridisciplinaire et implique le gynécologueobstétricien, l’anesthésiste-réanimateur et le radiologue interventionnel.L’application des recommandations éditées par le CNGOF doit permettre une homogénéisation des pratiques et conduireà une amélioration de la prise en charge des patientes.
Les hémorragies obstétricales sont, en outre, évitables dans un certain nombre de cas ; l’application des principes de prévention exposés dans cet article devrait pouvoir en faire diminuer l’incidence. De la même façon, il semble primordial d’identifier les patientes à risque quand cela est possible afin d’adapter leur prise en charge et ainsi limiter les conséquences d’une éventuellehémorragie.


 Points essentiels
Le choc hémorragique est la principale cause de mortalité maternelle en France.
L’urgence hémorragique obstétricale constitue une situation spécifique qui impose une prise en charge pluridisciplinaire immédiate où obstétricien, anesthésiste-réanimateur et radiologue interventionnel sont impliqués.
La majorité des hémorragies du post-partum surviennent chez des patientes ne présentant aucun facteur de risque identifié.
Les anomalies de la placentation, en particulier le placenta accreta, constituent des situations particulières et réclament une prise en charge chirurgicale spécifique.
Les lésions de la filière génitale qui sont parfois méconnues ou sous-estimées peuvent à elles seules être à l’origine d’un choc hémorragique.
Dans les formes graves, une réanimation basée exclusivement sur le remplissage (cristalloïdes ou colloïdes) augmente possiblement les pertes sanguines, l’hémodilution et la mortalité en l’absence de transfusion. Le remplissage a donc pour but, en attendant les produits sanguins, d’éviter le désamorçage hypovolémique et de maintenir une pression « suffisante » pour la perfusion des organes « nobles » (coronaires et cerveau).
La transfusion sanguine est incontournable en cas d’hémorragie importante car elle seule est capable de maintenir le transport en O2.
Dès que du sang est disponible, la normalisation de la volémie devient un objectif prioritaire car l’hypovolémie est rapidement délétère, en particulier par le biais de la souffrance hépatosplanchnique et myocardique.
Les catécholamines vasoconstrictrices (éphédrine, noradrénaline, adrénaline) sont indiquées en cas de collapsus après l’induction de l’anesthésie, de choc hémorragique incontrôlable ou pour le transport interhospitalier d’une patiente instable. Elles sont toujours associées au remplissage et à la transfusion.
Les recommandations émises par le CNGOF en 2004 sont à connaître et définissent clairement les bonnes pratiques en matière de prise en charge des hémorragies du post-partum.
Devant une hémorragie persistante en milieu obstétrical, malgré une prise en charge initiale optimale, il faut, si l’état de la patiente le permet, la transférer vers un centre tertiaire doté d’un plateau technique complet (en particulier avec possibilité de radiologie interventionnelle).
La réflexion sur la prise en charge de l’hémorragie du post-partum doit se faire en amont avec la mise en oeuvre de toutes les mesures préventives et la recherche de facteurs de risque.

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