Anesthésie du patient alcoolique




Résumé.  L’extrême fréquence de l’intoxication alcoolique chronique (près d’un homme hospitalisé sur quatre) amène tout naturellement les anesthésistes-réanimateurs à prendre en charge des patients éthyliques chroniques et/ou ébrieux, dont la mortalité et la morbidité peropératoires sont plus élevées que chez les sujetsnormaux. Les conséquences de l’alcoolisme doivent être connues et prévenues par le médecin anesthésisteréanimateur.
La prise en charge des patients cirrhotiques n’est pas étudiée ici. Le métabolisme de l’éthanol est très majoritairement hépatique, par le biais de trois voies métaboliques différentes : alcool déshydrogénase, système microsomial d’oxydation de l’éthanol et catalase. La dégradation de l’éthanol aboutit, dans tous les cas, à la formation d’acétaldéhyde, qui peut être considéré comme un bloqueur métabolique et un toxique direct. 
 L’intoxication éthylique chronique se traduit par des altérations touchant de nombreux appareils.Les conséquences neurologiques sont principalement la polynévrite et l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke par carence en thiamine. Le retentissement hépatique peut être mineur (stéatose) ou sévère (hépatite alcoolique aiguë), aboutissant à la cirrhose hépatique.
Le retentissement cardiovasculaire est souvent sous-estimé. La cardiomyopathie alcoolique se traduit par une altération de la contractilité, à laquelle l’organisme répond par une hypersécrétion de catécholamines, à l’origine de troubles du rythme cardiaque et d’une majoration de l’incompétence myocardique. Le béribéri cardiaque est plus rare. Le retentissement nutritionnel explique une grande partie des complications neurologiques, cardiaques, infectieuses et musculaires. L’intoxication éthylique aiguë (IEA) a ses complications propres, notamment traumatiques.
Les anesthésies en urgence pratiquées dans un contexte d’IEA concernent volontiers des patients hypovolémiques, atteints d’hypocontractilité cardiaque et à l’estomac plein. L’anesthésie du patient éthylique chronique non ébrieux nécessite une évaluation préopératoire soigneuse du retentissement de l’intoxication et la prescription rapide d’une suppléance nutritionnelle.
L’étude de la littérature ne retrouve que peu de travaux étudiant la pharmacologie des agents anesthésiques chez l’éthylique non cirrhotique. Il n’y a pas de contre-indication à l’utilisation de tel ou tel agent ou de telle ou telle technique. Schématiquement, l’IEA nécessite une réduction posologique des analgésiques et des hypnotiques, tandis que l’intoxication chronique peut justifier une discrète majoration des doses utilisées.
Les complications surviennent essentiellement pendant la phase postopératoire, en partie en raison des carences en thiamine et phosphore.

La survenue d’un syndrome de sevrage est fréquente et peut être mortelle, notamment en cas de delirium tremens.Le meilleur traitement des complications postopératoires est certainement préventif, mais peut être insuffisant. Le traitement curatif peut justifier à lui seul une admission en réanimation.Les moyens pharmacologiques font appel aux carbamates, aux neuroleptiques, aux benzodiazépines ou à la clonidine. L’administration d’alcool n’est plus conseillée.

Mots-clés : anesthésie, alcool, intoxication alcoolique chronique, delirium tremens.



L’alcool, qui est la drogue la plus consommée à travers le monde, peut être considéré comme une « hépatotoxine socialement acceptable » [28].
En France, environ deux hommes sur trois (pour moins de trois femmes sur dix) absorbent de l’alcool quotidiennement [33].
De fait, l’extrême fréquence de cette intoxication en fait une pathologie désormais connue et assez clairement codifiée [20, 66]. Cependant, la prise en charge médicale des patients éthyliques n’est pas toujours satisfaisante [78], alors que la proportion d’éthyliques atteint 13,5 % des patients hospitalisés (22,7 % des hommes et 5,5 % des femmes) [35, 94]. L’éthylisme est luimême responsable d’une surmorbidité et d’une surmortalité dans les pathologies traumatiques et plus de 20 % des patients hospitalisés en chirurgie sont éthyliques chroniques [48]. Il n’est donc pas surprenant que les anesthésistes-réanimateurs soient si souventconfrontés à des patients éthyliques. Si la prise en charge spécifique de ces derniers a été étudiée depuis de nombreuses années [26, 64], les évolutions récentes de l’anesthésiologie justifient une réévaluation fréquente des pratiques.


Métabolisme de l’éthanol
L’éthanol est une petite molécule amphotère (CH3-CH2OH) qui traverse très facilement les membranes. Après ingestion, son absorption est très rapide (quelques minutes) dans l’estomac et le jéjunum, mais peut être ralentie par une prise concomitante d’aliments glucidiques ou lipidiques. La diffusion de l’éthanol dans les tissus est proportionnelle à leur teneur en eau [25]. Si 3% de la quantité ingérée sont éliminés par les voies rénale, sudorale et pulmonaire (permettant notamment une appréciation de l’intoxication avec un éthylomètre), le métabolisme principal de l’éthanol est hépatique, par l’intermédiaire de trois systèmes enzymatiques d’élimination (fig 1).
– La voie métabolique principale fait intervenir l’alcool déshydrogénase (ADH), qui dégrade jusqu’à 90 % de l’éthanol ingéré. La voie de l’ADH est exclusivement hépatique et suffit pour les consommations modérées. L’ADH utilise une coenzyme, la nicotinamide adénine dinucléotide (NAD+). L’éthanol est ainsi transformé par l’ADH en acétaldéhyde, via une réduction de la NAD+ en NADH.
L’éthanol peut alors être assimilé à un nutriment, qui fournit environ 7 kcal·g-1. Si la consommation dépasse les capacités d’épuration de l’ADH, deux autres voies peuvent être activées.
– Le système microsomial d’oxydation de l’éthanol (SMOE) intervient pour des alcoolémies supérieures à 0,20 g·L-1. Il effectue la réoxydation de la nicotinamide adénine dinucléotide phosphate (NADPH) en NADP+, aboutissant à l’hydroxylation de l’éthanol en acétaldéhyde. Le cytochrome P450 intervient dans cette hydroxylation et il subit une induction enzymatique par l’éthanol. Ceci pourrait expliquer certaines interactions médicamenteuses, ainsi que le développement d’une tolérance chez l’éthylique chronique [15, 63]. Enfin, la dégradation de l’éthanol par le SMOE libère une énergie non stockable et non rentable en termes nutritionnels [8].
– La troisième et dernière voie fait intervenir la catalase, mais son rôle est mineur.
Fait important, les trois voies métaboliques de dégradation de l’éthanol aboutissent à la formation de grandes quantités d’acétaldéhyde (toxique pour les mitochondries hépatocytaires et les tissus extrahépatiques), qui sont oxydées en acétate par l’aldéhyde déshydrogénase (ALDH), dont le cofacteur est également la NAD+.
L’acétate, transformé en acétyl-CoA, rejoint le cycle tricarboxylique.
Parmi les nombreuses isoenzymes de l’ALDH (qui est codée par 16 gènes), l’ALDH2 exerce un rôle exclusif au niveau mitochondrial [15].
De plus, le polymorphisme de l’ALDH2 serait associé à une altération du métabolisme de l’acétaldéhyde, un risque moindre d’éthylisme chronique, mais une plus grande sensibilité aux cancers liés à l’alcool [91]. L’excès d’acétaldéhyde diminue le rapport NAD+/NADH dans le cytosol et les mitochondries des hépatocytes.
Le fonctionnement du cycle tricarboxylique s’en trouve diminué et il en découle un cercle vicieux inhibant l’oxydation de l’acétaldéhyde.

Intoxication éthylique chronique



DÉFINITION
L’éthylisme chronique est défini pour une consommation quotidienne supérieure ou égale à 60 g d’alcool [86].Ceci correspond à 1 L de vin à 10° (ou 10 %).

On peut schématiquement considérer que chaque type de verre (par exemple, un verre à vin, à bière ou à liqueur) contient environ de 8 à 10 g d’alcool pur.

CONSÉQUENCES NEUROLOGIQUES
Les altérations des tissus nerveux liées à l’alcool sont multifactorielles. En premier lieu, l’éthanol et l’acétaldéhyde ont un effet directement toxique sur les enzymes membranaires, notamment l’acide adénosine triphosphatase (ATPase) et l’adénylcyclase [63]. Par ailleurs, la carence multivitaminique (B1, B6, PP, folate) qui accompagne l’éthylisme chronique peut provoquer des lésions directes, favorisées par des déséquilibres alimentaires (excès d’oxydes de carbone, aux dépens des protéines). Enfin, l’éthanol stimule la synthèse d’opioïdes endogènes et de prostaglandines (PG). En particulier, les PG1 jouent un rôle important dans la neurotransmission. La consommation d’alcool vient épuiser les stocks limités des précurseurs de PG1 et altère ainsi la libération des neuromédiateurs présynaptiques [41].

Polynévrite alcoolique
C’est la complication neurologique la plus fréquente au cours de l’éthylisme chronique.Reconnaissable dès l’inspection car l’atteinte prédomine aux membres inférieurs (démarche caractéristique, troubles trophiques), elle est parfois responsable d’une véritable anesthésie des membres inférieurs.
L’association d’une polynévrite alcoolique à des troubles neurovégétatifs dysautonomiques est fréquente [1].

Encéphalopathie de Gayet-Wernicke (EGW)
Cette complication redoutable est la conséquence encéphalique de la carence en thiamine (vitamine B1) (cf infra).
Son pronostic est grevé d’une lourde mortalité (43 %), aiguë ou différée, la moitié des survivants pouvant garder des séquelles invalidantes.
L’EGW est souvent déclenchée par l’administration de solutés glucosés sans suppléance vitaminique, mais l’apparition des signes peut être retardée de plusieurs jours. La présentation clinique de l’EGW est volontiers polymorphe [92]. Les troubles de la conscience sont prépondérants (90 % des cas). Les atteintes oculomotrices sont fréquentes et très évocatrices. Elles se traduisent par un nystagmus vertical, une paralysie du nerf abducens, voire du nerf oculomoteur, ou encore des anomalies pupillaires. Une ataxie cérébelleuse et des dysautonomies neurovégétatives peuvent venir compléter ce tableau neurologique. Dans les formes tardives, l’EGW est souvent associée à des troubles mnésiques (syndrome de Wernicke-Korsakoff) avec oubli à mesure. Le diagnostic d’EGW peut être posé sur des critères cliniques, si l’on retrouve au moins deux des signes suivants : carence alimentaire en thiamine, troubles de la conscience, atteinte oculomotrice, syndrome cérébelleux [12]. Le traitement étiologique de l’EGW par vitaminothérapie B1 (1 g·j-1) peut s’accompagner d’une amélioration spectaculaire [92].

Épilepsie alcoolique
Son origine est mixte. D’une part, l’atrophie cortico-sous-corticale (leucoaraïose) est une évolution fréquente et tardive de l’éthylisme chronique. D’autre part, l’éthanol abaisse le seuil épileptogène. Les convulsions de l’éthylique chronique sont parfois le premier signe d’un sevrage.

L’épilepsie alcoolique ne présente pas de particularités thérapeutiques.

Myélinolyse centropontine
Cette complication d’origine carentielle provoque des troubles variables de la conscience et de la déglutition. On en rapproche la maladie de Marchiafava-Bignami (par effet toxique direct de l’éthanol) et l’atrophie cérébelleuse alcoolique (carence en thiamine).

Hématomes sous-duraux
D’origine le plus souvent traumatique (chute au cours d’une ivresse), ils ont une évolution volontiers subaiguë et pernicieuse [90].
Ils posent le problème du diagnostic différentiel avec les autrescauses d’encéphalopathie de l’alcoolique.

Syndromes de sevrage
Les syndromes de sevrage en alcool peuvent survenir dans les heures qui suivent l’arrêt de l’intoxication. Volontiers polymorphes [73, 74], leur prise en charge est souvent difficile. Fait important, tous les syndromes de sevrage ne sont pas des delirium tremens, qui n’en sont qu’une variété ultime [14, 76].

RETENTISSEMENT HÉPATIQUE
Les altérations hépatiques de l’éthylisme chronique sont souvent classées en trois entités anatomopathologiques. En fait, il semble que ces anomalies soient souvent intriquées.
La moins grave de ces altérations est certainement la stéatose hépatique. Elle résulte de la diminution de la bêtaoxydation des acides gras au sein des hépatocytes [63]. La stéatose est classiquement considérée comme bénigne et réversible, mais il n’est pas rare de constater des lésions associées de nécrose hépatocytaire, évocatrices d’hépatite alcoolique.
L’hépatite alcoolique se définit par une nécrose centrolobulaire des hépatocytes avec réaction inflammatoire riche en polynucléaires.

La présence de corps de Mallory (nécrose hyaline hépatocytaire) est caractéristique, mais inconstante.Sur le plan biologique, la cytolyse se traduit par une élévation des transaminases souvent inférieure à dix fois la normale, avec un rapport aspartate aminotransférases/ alanine aminotransférases (anciennement transaminases glutamo-oxaloacétiques/transaminases glutamopyruviques) supérieur à deux [69]. Les formes les plus graves, définies par le score de Murray [69], bénéficient d’un traitement par prednisolone. Enfin, le syndrome de Zieve regroupe une hépatite alcoolique, un ictère, une anémie hémolytique et une hypercholestérolémie. 
 La cirrhose alcoolique est l’évolution terminale de l’éthylisme chronique grave. Schématiquement, on peut la considérer comme la cicatrice d’hépatites alcooliques. Les particularités de cette pathologie ne sont pas développées ici.

EFFETS CARDIOVASCULAIRES
La cardiomyopathie alcoolique est une myocardiopathie congestive primitive, dont l’évolution est souvent sévère [24, 31], marquée par une survie comparable à celle des myocardiopathies dilatées primitives (4 ± 3 ans). Il faut différencier la cardiopathie alcoolique du béribéri cardiaque, plus rare, qui réalise un tableau d’insuffisance cardiaque à débit élevé. Des cas d’insuffisance ventriculaire droite béribérique ont été décrits [7]. L’étiologie du béribéri cardiaque est une carence en thiamine et la supplémentation en vitamine B1 permet en général de faire régresser cette cardiopathie. Toutefois, il existe une forme fulminante (shoshin béribéri) qui répond parfois au traitement vitaminique à fortes doses (1 g·j-1).
D’une façon générale, les atteintes myocardiques de l’éthylisme chronique se traduisent par une altération de la contractilité [13], qui semble indifférente à une réaction sympathique périphérique : l’hypersécrétion réactionnelle de catécholamines n’a que peu d’effets sur l’inotropisme et serait même responsable de troubles du rythme, expliquant peut-être certaines morts subites de l’éthylique [44, 65].

La vasoconstriction induite vient augmenter la postcharge d’un myocarde défaillant. De même, les éthyliques chroniques présentent une inadaptation circulatoire relative au cours des chocshémorragiques, avec diminution du débit cardiaque (par altération de la contractilité), augmentation de la pression artérielle moyenne et de la consommation en oxygène du myocarde [42]. À ces troubles chroniques peuvent se rajouter les dysfonctions cardiovasculaires de l’éthylisme aigu. Enfin, l’hypertension artérielle est retrouvée chez environ 10 % des éthyliques chroniques non cirrhotiques [51].

TROUBLES HYDROÉLECTROLYTIQUES
Les troubles hydroélectrolytiques sont peu importants chez l’éthylique non cirrhotique. Pour mémoire, l’éthanol a une osmolarité mesurée de 21,77 mmol·g-1.
 Il existe également le classique « syndrome des buveurs de bière » qui associe hypochloronatrémie et hypokaliémie.

RETENTISSEMENT NUTRITIONNEL
Les éthyliques chroniques sont volontiers dénutris [28]. Les raisons en sont multiples : déséquilibre alimentaire (parfois au profit quasi exclusif de l’alcool), vomissements répétés, misère sociale. Il en résulte une carence en glucides, acides aminés, vitamines (A, B1, B6, B9, B12), phosphore, magnésium. L’ingestion isolée d’alcool à jeun provoque la cétose alcoolique, qui est une acidocétose par carence en glucides. Le traitement par apports glucosés en est généralement simple. Pour mémoire, seule la voie de dégradation par l’ADH permet de produire de l’énergie en métabolisant l’éthanol(7 kcal·g-1).
Le phosphore joue un rôle métabolique très varié [3]. Il est un élément constitutif des membranes cellulaires. Il participe au métabolisme des hydrates de carbone, à la synthèse de l’ATP et des protéines. Les hypophosphorémies de l’éthylique chronique [45] peuvent être responsables de complications graves. Les carences profondes en phosphore se traduisent essentiellement par des atteintes neuromusculaires. Les troubles de conscience peuvent se compliquer d’état de mal convulsif. En périphérie, des pseudomyasthénies hypophosphorémiques ont été décrites.

Des troubles de la contractilité cardiaque ont également été rapportés [96]. Enfin, les hypophosphorémies peuvent être responsables d’une altération de la force musculaire, pouvant intéresser le diaphragme et se compliquer d’insuffisance respiratoire aiguë [45]. Le dosage de plus en plus répandu de la phosphorémie permet de dépister les carences, même si la phosphorémie n’est pas un bon reflet du pool total de phosphore de l’organisme [ 3 ]. La plupart des hypophosphorémies sont modérées (supérieures à 0,40 mmol·L-1), mais peuvent s’effondrer secondairement chez un patient carencé en phase de catabolisme intense (phase postopératoire par exemple).
La supplémentation en phosphore doit être systématique chez l’éthylique, sur une base de 0,5 mmol·kg-1·j-1, éventuellement augmentée en cas de carence profonde.
La carence en thiamine [92] chez les éthyliques est fréquente, du fait des faibles réserves tissulaires. Chez le sujet sain, une carence peut apparaître après 2 semaines de régime sans vitamine B1.

Le diagnostic est confirmé par le dosage de l’activité transcétolasique des érythrocytes. La symptomatologie de la carence en thiamine est extrêmement polymorphe : les atteintes sont essentiellement neurologiques (EGW) et cardiaques (béribéri).

PROBLÈMES INFECTIEUX
Les effets conjugués de la dénutrition (carences en protéines et en phosphore), de la précarité sociale et des troubles de la conscience (inhalations répétées) exposent les éthyliques chroniques à un risque infectieux accru. En particulier, les pneumopathies à pneumocoque ou Klebsiella pneumoniae sont fréquentes (et souvent redoutables), de même que les tuberculoses [25].

EFFETS RESPIRATOIRES
L’éthylisme chronique ne perturbe pas le système respiratoire, en l’absence d’hypophosphorémie profonde [45].
En revanche, l’intoxication tabagique, qui est associée à l’éthylisme dans 50 à 75 % des cas [58], est susceptible d’ajouter ses complications propres.

TROUBLES HÉMATOLOGIQUES
Les perturbations hématologiques observées au cours de l’éthylisme chronique ne sont pas expliquées par les seules carences nutritionnelles. L’anémie macrocytaire est extrêmement fréquente, mais souvent rebelle à une supplémentation en folates. La lignée blanche est également perturbée. La leucopénie est le plus souvent modérée. La carence en phosphore diminue l’activité phagocytaire et le chimiotactisme. Le déficit en magnésium déprime l’activité de la voie alterne du complément.

L’altération des fonctions hépatiques s’accompagne d’une perturbation de la coagulation. Ainsi, le temps de prothrombine (TP), et surtout le dosage du facteur V sont un bon reflet de l’insuffisance hépatocellulaire, bien que les anomalies franches soient davantage l’apanage des cirrhotiques.

EFFETS MUSCULAIRES
Survenant préférentiellement chez l’éthylique chronique sévère, à l’occasion d’une ivresse aiguë, les rhabdomyolyses alcooliques ont une présentation clinique et évolutive comparable aux rhabdomyolyses d’autres origines. Les autres troubles musculaires liés à l’éthylisme sont essentiellement représentés par les syndromes pseudomyasthéniques des hypophosphorémies (cf supra).

PANCRÉATITES
Les éthyliques chroniques présentent un risque de pancréatite chronique corrélé à la consommation quotidienne d’alcool [49].

Le diabète et les troubles nutritionnels qui en découlent viennent aggraver une évolution peu favorable, surtout si l’intoxication alcoolique persiste.

DÉPISTAGE DES ÉTHYLIQUES CHRONIQUES
La détection des éthyliques chroniques est une préoccupation ancienne, pour des raisons variées (médicolégales, professionnelles ou dans un but préventif).
Il n’existe pas, à ce jour, de critère suffisamment sensible et spécifique pour un dépistage certain, notamment au cours des formes frustes. En général, l’intoxicationéthylique chronique est suspectée d’après des arguments cliniques et/ou biologiques. Certaines données d’interrogatoire permettent de dépister un profil d’éthylisme chronique. De nombreux auteurs utilisent le questionnaire anglo-saxon CAGE, acronyme de cut-down, annoyed, guilty, eye-opener ou son équivalent francophone DETA (détection de l’alcoolisme), pour déceler les consommateurs excessifs [35, 66, 78].
D’autres outils sont également à l’étude [2]. Certaines anomalies cliniques permettent de suspecter un éthylisme chronique larvé. Une hypertrophie parotidienne ou des troubles de la marche sont des éléments évocateurs mais non suffisants. Les examens biologiques peuvent apporter des arguments supplémentaires. En particulier, l’élévation de la gamma-glutamyltranspeptidase (gamma-GT) est certes évocatrice, mais ne permet pas à elle seule de conclure à une intoxication éthylique. En effet, toute pathologie hépatobiliaire, ainsi que de nombreux médicaments, sont susceptibles de provoquer une augmentation des gamma-GT [9]. En revanche, si celle-ci est associée à d’autres critères cliniques ou biologiques (macrocytose, diminution du TP...), la suspicion s’en trouve renforcée. Certaines études semblent faire état de marqueurs intéressants : activité aldéhyde déshydrogénase des érythrocytes [52], carbohydrate-deficiente transferrine [72], activité monoamine oxydase plaquettaire [77], ou encore rapport urinaire 5-hydroxytryptophol/acide 5-hydroxyindole-3-acétique [79].
Toutefois, ces marqueurs ne sont pas validés pour l’instant, ou sont peu utilisables en routine.

Intoxication éthylique aiguë



GÉNÉRALITÉS
L’IEA est une pathologie extrêmement fréquente et la proportion de patients alcooliques au sein d’un service d’urgence peut atteindre 25 % [94]. Une admission en réanimation sur 100 serait due à une IEA [93].
L’IEA, en dehors de sa gravité propre, est génératrice de pathologies traumatiques, qui s’expliquent en partie par la fréquence des accidents de voie publique (environ un conducteur sur cinq est un consommateur d’alcool [6]).Notamment, il semble que l’éthanol aggrave le pronostic des traumatismes crâniens graves, par le biais d’une majoration des agressions cérébrales secondaires d’origine systémique [97].
La dose létale chez le sujet sain est de 300 g (2 g·kg-1 chez l’enfant), ce qui correspond à une alcoolémie de 4 ou 5 g·L-1 environ.

CONSÉQUENCES MÉDICOCHIRURGICALES
L’IEA entraîne des signes essentiellement neurologiques. D’une part, l’effet hypnotique de l’éthanol provoque des troubles variables de la conscience (de la désinhibition au coma aréactif). D’autre part, l’IEA réalise un véritable syndrome cérébelleux expérimental. L’ivresse manifeste apparaît pour une éthanolémie supérieure à 2 g·L-1 chez un sujet non accoutumé.

L’éthanol est un puissant vasodilatateur, parfois responsable de collapsus chez un patient hypovolémique (vomissements, malnutrition, traumatisme). De plus, l’IEA est responsable d’une dysfonction ventriculaire par diminution de la fraction d’éjection et augmentation de la fréquence cardiaque. La réaction sympathique réflexe qui en découle semble être plus néfaste que bénéfique [50]. En effet, l’IEA favorise l’hyperexcitabilité myocardique, avec allongement de la conduction intra-auriculaire et de l’espace QT. Tous ces facteurs ont été incriminés dans les morts subites de l’éthylisme aigu [87]. Enfin, l’IEA inhibe la sécrétion d’hormone antidiurétique et peut provoquer une déshydratation par diabète insipide alcoolo-induit.
Les conséquences respiratoires des IEA sont essentiellement liées à la gravité du coma éthylique (pneumopathie d’inhalation, hypoventilation alvéolaire).
Les hypothermies accidentelles sont souvent négligées à tort au cours des IEA. Elles sont dues à l’incapacité liée à l’intoxication à se mobiliser et à la vasodilatation par l’éthanol, qui majore la thermolyse [26]. Ces hypothermies, associées à une pathologie traumatique, grèvent lourdement le pronostic des IEA [43].

Prise en charge anesthésique du patient alcoolique




Il est classique de considérer que l’éthylisme augmente le risque anesthésique [11, 87]. Cependant, on ne trouve que peu de publications sur ce sujet dans la littérature anesthésiologique récente [54].
Nombreux sont les auteurs qui semblent minimiser les conséquences de l’éthylisme sur le déroulement de l’anesthésie [62, 84], même en cas d’hépatite alcoolique aiguë [98]. Selon certains, les complications postopératoires sont cependant plus nombreuses et la durée d’hospitalisation est allongée [87, 88]. Pour d’autres, en l’absence de syndrome de sevrage, les patients éthyliques ne présentent pas un taux de complications supérieur ou un allongement de la durée de séjour [53]. Cependant, ces mêmes auteurs constatent une augmentation des réadmissions postopératoires en réanimation chez les éthyliques, liée à des problèmes de sevrage en alcool. Enfin, lorsque l’acte chirurgical nécessite d’emblée une admission postopératoire en réanimation (chirurgie carcinologique lourde), la population des éthyliques chroniques se distingue par un risque accru de complications (sepsis et pneumopathies), ainsi que par une mortalité plus élevée [80]. Les progrès de la sécurité en anesthésie de ces dernières années ne doivent donc pas faire oublier la dangerosité potentielle de l’éthylisme.

PHARMACOLOGIE
 Les perturbations des fonctions hépatiques (induction enzymatique, notamment par l’augmentation parfois décuplée de l’isoenzyme P4502E1 du cytochrome P450 [21],insuffisance hépatocellulaire) sont théoriquement de nature à modifier la pharmacocinétique des agents de l’anesthésie :
- diminution de la clairance hépatique, augmentation de la forme libre des médicaments en rapport avec une baisse de l’albuminémie, modification du volume de distribution. De plus, les effets neurologiques de l’éthylisme sont à même d’influer sur les phénomènes douloureux.Toutefois, l’analyse de la littérature est décevante, devant le faible nombre de travaux étudiant les interactions entre les agents de l’anesthésie (pourtant nombreux) et l’éthylisme (pourtant répandu !).

Hypnotiques
La consommation chronique d’éthanol ne modifie pas les besoins, la pharmacocinétique, ni la pharmacodynamie du thiopental [16, 84].
Concernant le propofol, il est désormais établi que les quantités nécessaires à l’induction anesthésique sont supérieures à la normale pour obtenir une perte de contact chez l’éthylique chronique (2,7 versus 2,2 mg·kg-1) [32]. La littérature ne rapporte pas d’étude concernant l’administration continue de propofol chez l’éthylique [22].
En revanche, en cas d’intoxication aiguë, l’éthanol possède un effet potentialisateur du propofol, mais le mécanisme n’en est pas élucidé [36].
Les troubles psychiques induits au réveil par la kétamine semblent être plus fréquents en cas d’éthylisme chronique [19].
La pharmacocinétique du midazolam n’est que peu perturbée, en dépit de son élimination hépatique [89].

Analgésiques
Les interactions entre l’éthanol et les phénomènes douloureux sont extrêmement complexes. Elles font toujours l’objet d’expérimentations nombreuses et parfois contradictoires [4, 5, 32, 40, 56, 60, 67, 68]. Ces travaux fondamentaux, basés sur la constatation d’une tolérance croisée entre les morphiniques et l’alcool, tentent encore d’en préciser les mécanismes moléculaires.
L’éthanol se comporterait comme un opioïde dont les récepteurs ne sont pas clairement identifiés. L’action analgésique de l’alcool n’est pas antagonisée par la naloxone [70].
En pratique clinique, toutefois, on peut schématiquement considérer que l’éthylisme chronique semble induire une relative résistance aux opiacés [23, 68, 75, 82], marquée par une possible majoration des effets secondaires, en particulier avec le fentanyl [81]. En revanche, l’IEA semble potentialiser les effets des analgésiques, sans que le mécanisme en soit clairement élucidé [5, 82]. L’analyse de toutes ces modifications est rendue encore plus complexe par la variabilité interindividuelle aux agents anesthésiques chez les sujets sains [85].
La pharmacocinétique du fentanyl n’est que peu modifiée par l’éthylisme chronique [81]. Il n’a pas été trouvé d’études récentes dans la littérature concernant les modifications pharmacocinétiques du sufentanil, de l’alfentanil, ni du rémifentanil chez l’éthylique non cirrhotique. Pour mémoire, l’administration de naltrexone, antagoniste pur des morphiniques, connaît un développement récent pour le maintien de l’abstinence chez l’alcoolique sevré. Une interaction probable entre la naltrexone et le sufentanil, responsable d’une insuffisance d’analgésie, a été rapportée [85].
Enfin, certains travaux expérimentaux chez la souris suggèrent la possibilité d’une moindre sensibilité des éthyliques chroniques au protoxyde d’azote [40].

Halogénés
La littérature ne fait pas mention de restrictions d’utilisation des anesthésiques halogénés actuels chez l’éthylique non cirrhotique.

Curares
Les différences pharmacocinétiques ne deviennent perceptibles que chez le cirrhotique [24], essentiellement en raison de modifications du volume de distribution. En cas de doute sur l’intégrité des fonctions hépatiques, l’utilisation de curares dégradés par la voie de Hofmann (atracurium, cisatracurium) prend ici tout son sens. Le caractère supposé difficilement prévisible de la myorelaxation chez l’éthylique est un argument supplémentaire, s’il en était besoin, en faveur du monitorage de la curarisation.

Anesthésiques locaux
L’utilisation périphérique des anesthésiques locaux chez l’éthylique ne présente pas de difficulté particulière [34]. Chez l’animal, une tolérance à la lidocaïne intrathécale a pu être retrouvée, sans incidence sur la durée du bloc [29]. En cas de cardiomyopathie alcoolique, la prudence est de mise.
Chez l’éthylique particulièrement, la réalisation d’une anesthésie locorégionale doit être précédée d’un examen neurologique soigneux, à la recherche d’un déficit sensitivomoteur préexistant. En effet, la possible présence d’une polynévrite pourrait faire croire à tort à une complication de l’anesthésie locorégionale. Cette précaution prise, il n’est plus justifié de déconseiller les anesthésies locorégionales chez les éthyliques, comme cela a pu être le cas par le passé [10].

PHASE PRÉOPÉRATOIRE
 Intoxication éthylique aiguë
Des données statistiques déjà anciennes faisaient état d’un risque d’accident anesthésique multiplié par trois en cas d’ivresse aiguë [39]. 
 Les effets conjugués d’un trouble de la conscience (pouvant compromettre la qualité de l’interrogatoire anesthésique), d’une situation d’« estomac plein » et de la pathologie chirurgicale associée expliquent l’augmentation du risque. Toutefois, les progrès récents de la discipline (nouveaux médicaments, monitorage) et la généralisation des bonnes pratiques (induction à séquence rapide) justifieraient une réévaluation du risque anesthésique actuel en cas d’IEA.
L’éthanol est connu pour être un puissant analgésique [95].
L’expérience des auteurs retrouve des cas d’anesthésie totale de fractures périphériques par les effets conjugués d’une intoxication aiguë et d’une polynévrite. Le risque est alors de ne pas détecter une lésion périphérique en cas de traumatismes multiples ou de provoquer un surdosage d’analgésique en cas de mauvaise évaluation de la douleur (prescription « systématique » dans le cadre d’un protocole par exemple). De même, l’effet potentialisant de l’alcool sur les hypnotiques doit inciter à la prudence dans la prescription d’une prémédication [36].
En raison des carences nutritionnelles fréquentes et du risque cardiovasculaire, il est préférable de considérer que tout patient en ivresse aiguë est suspect d’éthylisme chronique et doit bénéficier, autant que possible, des thérapeutiques préopératoires appropriées.

Chez l’éthylique chronique non ébrieux
On a soin de réaliser un bilan soigneux des conséquences de l’intoxication, en particulier sur les plans cardiovasculaire, nutritionnel et hépatique. L’éthylisme chronique est responsable d’une diminution de la fraction d’éjection ventriculaire et d’une majoration du temps de saignement [87]. Il semble raisonnable de proposer un sevrage de l’intoxication au moins 1 mois avant une chirurgie réglée, dans l’espoir de diminuer le risque de complications postopératoires [37].
La rééquilibration hydroélectrolytique, ainsi qu’une supplémentation en vitamines (thiamine notamment), magnésium et phosphore, sont des préalables recommandés [45, 92]. Il n’existe pas de règle concernant la prémédication adéquate. Fait intéressant, une étude a montré que 11 % des patients devant bénéficier d’une chirurgie pour cancer s’étaient « autoprémédiqués » en absorbant les désinfectants alcooliques du poste de soins infirmiers [61]. Enfin, certains ont suggéré l’intérêt d’une prémédication par clonidine pour contrer les effets de l’état d’hyperadrénergie, mais cette pratique n’est pour l’heure pas validée [83].

PHASE PEROPÉRATOIRE
Les données de la pharmacologie ne permettent pas de proposer un schéma de prescription standard pour l’anesthésie de l’éthylique. Schématiquement, la constatation d’une intoxication aiguë doit rendre prudent sur les posologies d’agents anesthésiques. Les techniques récentes de surveillance de l’anesthésie (index bispectral) et le monitorage de la curarisation devraient s’avérer particulièrement intéressantes sur ce terrain.

PÉRIODE POSTOPÉRATOIRE
C’est certainement la phase la plus délicate [87] au cours de laquelle apparaissent les conséquences de la dénutrition, de l’immunodépression et des troubles cardiaques. À ces anomalies, il faut ajouter les conséquences du sevrage en alcool. Enfin, certains ont incriminé l’anesthésie (ou l’« événement chirurgical ») comme facteur de risque de rechute chez un éthylique sevré [46, 71]. Les syndromes de sevrage [14, 26, 74, 76] apparaissent déjà après 6 heures d’abstinence.

Ils débutent par un état d’hyperadrénergie [44, 65] avec hypertension artérielle et tremblement fin des extrémités. En l’absence de résolution spontanée en 2 ou 3 jours, l’évolution peut se faire vers un delirium tremens, dans 5 % des cas. Le delirium tremens associe confusion mentale, désorientation, agitation psychomotrice, anxiété et hallucinations. L’état d’hyperadrénergie qui accompagne le delirium tremens est parfois responsable de complications graves, notamment des ischémies myocardiques sur coronaires saines [18]. Toutefois, en raison de son mimétisme avec de nombreuses complications postopératoires (hypoglycémie, hypoxémie, désunion d’anastomose, globe vésical, douleur, EGW), le delirium tremens est un diagnostic d’élimination. En particulier, la confusion est fréquente avec le status epilepticus tonicoclonique, dont l’encéphalopathie postcritique peut mimer un delirium tremens [14, 76]. Enfin, toute encéphalopathie apparaissant dans la période postopératoire chez l’éthylique doit faire rechercher une EGW [92].

L’administration préventive de vitamine B1 est recommandée.
Le traitement des syndromes de sevrage, et parmi eux le delirium tremens, est difficile et souvent décevant.

La sévérité d’un syndrome de sevrage et le risque thérapeutique (troubles de la conscience) peuvent nécessiter une admission en réanimation.Le meilleur traitement des complications postopératoires de l’éthylisme reste très certainement la poursuite des mesures préventives débutées dès la phase préopératoire. Celles-ci reposent sur une bonne hydratation, ainsi que sur la poursuite des apports en vitamines (B1 : 500 mg·j-1 ; B6 : 250 mg·j-1), phosphore (au minimum 0,5 mmol·kg-1·j-1) et magnésium. Une étude récente [50] souligne l’association entre une insuffisance d’analgésie postopératoire et le risque accru d’apparition d’un delirium tremens. La prise en charge pharmacologique du sevrage ne possède pas de frontières nettes entre traitement préventif et traitement curatif. De nombreux médicaments peuvent être utilisés. Dans les formes mineures, le méprobamate (de 800 mg à 4 g·j-1, par voie intramusculaire) ou le tiapride (1 200 mg ou plus, répartis dans la perfusion de base) donnent des résultats satisfaisants. Dans les cas plus sévères, les benzodiazépines (diazépam titré par 5 mg, puis renouvelé toutes les 4 heures, ou midazolam 0,3 mg·kg-1·h-1 par voie intraveineuse [47]) sont intéressantes, mais exposent au risque de troubles de la vigilance.

La clonidine (125 μg dilués dans 100 mL de sérum physiologique sur 1 à 2 heures et par jour) ou par voie entérale (3 à 4 comprimés/j), par son rôle alpha-2-agoniste, limiterait les effets délétères du syndrome hyperadrénergique sur la cardiomyopathie alcoolique. De plus, les effets sédatifs de la clonidine semblent bénéfiques et bien tolérés.
Les cas les plus graves ont parfois permis de tester de nouvelles molécules. En particulier, le propofol semble avoir donné des résultats satisfaisants en perfusion continue (jusqu’à 90 μg·kg-1·h-1) [55], malgré un cas de tachyphylaxie aiguë [17].
Certaines études semblent montrer l’intérêt d’autres produits, tels que le divalproex [59] ou l’acide gamma-hydroxybutyrique [57], mais ces travaux préliminaires ne permettent pas de recommander leur administration. Enfin, Gillman rapporte une série de plus de 7 000 patients atteints de syndrome de sevrage léger ou modéré et traités par protoxyde d’azote en cures courtes (20 minutes en moyenne) sans effets secondaires notables [38].
L’administration d’alcool pour le traitement des syndromes de sevrage est une pratique ancienne et controversée. Outre le problème éthique d’entretenir le patient dans son intoxication, le risque est grand de favoriser une ivresse aiguë au cours d’une pathologie mimant un syndrome de sevrage. Enfin, l’administration d’alcool expose au risque de provoquer une hépatite alcoolique aiguë iatrogène. Toutefois, l’administration d’alcool à titre compassionnel est envisageable chez les patients pour qui l’espérance de vie est limitée et où il n’existe aucune chance de sevrage.

Conclusion
L’anesthésie du sujet éthylique est une éventualité fréquente.
L’éthylisme chronique ou aigu ne présente aucune contre-indication aux techniques et agents usuels de l’anesthésie, au prix de quelques ajustements posologiques. La connaissance des désordres et des carences liés à l’éthylisme permet de commencer, dès le début de la prise en charge anesthésique, les corrections et suppléances nécessaires. Ces précautions permettent de limiter le risque anesthésique, en veillant particulièrement à la phase postopératoire, période privilégiée pour l’apparition des complications.

Points importants
- La morbidité et la mortalité peropératoires sont plus élevées chez les patients éthyliques chroniques et/ou ébrieux que chez les sujets normaux.
- Le métabolisme de l’éthanol est très majoritairement hépatique, par le biais de trois voies métaboliques différentes.
- L’intoxication éthylique chronique se traduit par des altérations neurologiques, hépatiques, cardiovasculaires, nutritionnelles, infectieuses, hématologiques et musculaires.
- L’anesthésie en urgence chez un patient en IEA expose particulièrement au risque d’instabilité hémodynamique et de régurgitation.
- L’anesthésie du patient éthylique chronique non ébrieux nécessite une évaluation préopératoire précise du retentissement de l’intoxication.
- Aucune technique anesthésique n’est contre-indiquée.
- Les complications surviennent essentiellement pendant la phase postopératoire. La survenue d’un syndrome de sevrage est fréquente et peut être mortelle. Le meilleur traitement des complications postopératoires est préventif. Le traitement curatif peut justifier à lui seul une admission en réanimation.


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