DOULEUR CHRONIQUE* :Conduite à tenir.


C. Guy-Coichard, S. Rostaing-Rigattieri, J.-F. Doubrère, F. Boureau
Même dans le cas des douleurs cancéreuses, une douleur chronique n’est pas la seule pérennisation d’une douleur aiguë. Avec le temps, les mécanismes physiopathologiques (sensibilisation, neuroplasticité…),l’intrication de composantes psychologiques et sociales, la douleur qui se chronicise devient une entité spécifique. Les difficultés de l’évaluation du douloureux chronique, l’efficacité limitée des thérapeutiques médicamenteuses, le retentissement psychologique, fonctionnel et socioprofessionnel, imposent une prise
en charge pluridimensionnelle et pluridisciplinaire.




Mots clés : Douleur chronique ; Évaluation de la douleur ; Douleur neuropathique ; Pluridisciplinaire ;
Thérapie comportementale
 Évolution des connaissances sur la douleur
Le comité de taxonomie de l’International Association for the
Study of Pain (IASP) définit la douleur comme « une expérience
désagréable, à la fois sensorielle et émotionnelle, associée à un
dommage tissulaire présent ou potentiel ou simplement décrit
en termes d’un tel dommage ». [18] L’ensemble de la littérature
s’accorde actuellement à reconnaître l’aspect pluridimensionnel
de la douleur.
• La composante sensoridiscriminative correspond aux mécanismes
neurophysiologiques de la nociception. Ils assurent la
détection du stimulus nociceptif et l’analyse de ses caractères
intensifs, qualitatifs, temporospatiaux.
• La composante affective-émotionnelle exprime la connotation
désagréable, pénible, aversive, rattachée à la perception
douloureuse. Elle peut se prolonger vers des états affectifs plus
différenciés tels que l’anxiété ou la dépression.
• La composante cognitive réfère à un ensemble de processus
mentaux susceptibles de moduler les autres dimensions :
phénomènes d’attention-distraction, signification et interprétation
de la situation, référence à des expériences passées
vécues ou observées, anticipation.
• La composante comportementale correspond à l’ensemble des
manifestations observables : physiologiques (paramètres
somatovégétatifs), verbales (plaintes, gémissements…) ou
motrices (postures, attitudes antalgiques, immobilité ou
agitation…).
Depuis le modèle théorique du gate control proposé en
1965 par Melzack (psychophysiologiste) et Wall (neurophysiologiste),
des progrès considérables ont été réalisés dans la
compréhension des mécanismes d’intégration des messages
nociceptifs. La mise en évidence de mécanismes neurobiologiques
exerçant un contrôle inhibiteur de la douleur à différents
niveaux (convergence segmentaire, contrôles inhibiteurs
descendants déclenchés par un stimulus nociceptif) a modifié
les conceptions thérapeutiques. [11, 21] Non seulement des
techniques nouvelles ont pu être mises au point (neurostimulations
périphérique et centrale, morphine administrée au niveau
central), mais aussi et surtout, il est apparu essentiel de valoriser
des approches intégrant, de façon complémentaire et non
compétitive, traitements somatiques et approche psychothérapique
qui s’adressent à des niveaux différents de l’intégration de
la douleur dans le système nerveux central. Considérer la
douleur comme un phénomène central, modulé par de nombreux
facteurs neuropsychiques, permet en outre de s’affranchir
de la relation entre lésion et douleur, d’admettre une discordance
entre la clinique et les lésions observables, et de rendre
compte autant des effets placebo que des échecs thérapeutiques.
 Pression sociale
 Les progrès de la médecine régulièrement commentés dans les
médias rendent de plus en plus difficilement acceptables la
sous-utilisation des moyens disponibles mais aussi les limites
des thérapeutiques face à certaines douleurs. La peur de souffrir
de façon durable, le handicap associé, la perte de la qualité de
vie sont des thèmes mobilisateurs. Le public a souvent des
attentes excessives de soulagement total et définitif pour toute
forme de douleur, qu’elle soit d’origine cancéreuse ou non. Il
faut également prendre acte du rejet fréquent des patients
douloureux chroniques par le système de soins classique, car il
s’agit de patients dont l’accompagnement pose de nombreux
problèmes à un praticien isolé, et dont la meilleure prise en
charge se fait probablement dans le cadre d’un réseau de soins,
ou dans un cadre hospitalier pluridisciplinaire.
Évaluations économiques
 Le coût des conséquences économiques de la douleur (examens
complémentaires, soins, arrêts de travail, compensations
financières…) a également été un facteur déterminant du
développement des centres de la douleur, d’abord aux États-
Unis, ensuite dans la plupart des pays industrialisés. On estime
qu’un tiers de la population des pays industrialisés est touché
par des douleurs récurrentes ou chroniques (principalement
céphalées, lombosciatalgies, affections rhumatologiques). Cette
proportion a ensuite été confirmée par plusieurs études
épidémiologiques.
Le coût social des douleurs chroniques est d’ailleurs certainement
supérieur à celui des cancers et des pathologies cardiovasculaires
réunis. Ainsi, au Royaume-Uni en 1996, les rachialgies
occasionnaient la perte de 45 millions de jours d’incapacité de
travail par an pour un coût de soins de 9 milliards d’euros. Aux
États-Unis, la perte de revenus liée aux douleurs chroniques est
estimée autour de 20 000 dollars US par personne et par an, et
le coût social total à 65 milliards de dollars US par an ; la
douleur chronique est le troisième facteur d’arrêt de travail,
mais le premier facteur d’incapacité de travail. Aux Pays-Bas, les
maladies musculosquelettiques possèdent le record en termes
d’absentéisme au travail et leur coût approche 1,7 % du produit
intérieur brut ; les rachialgies représentent 1,4 million de jours
de travail perdus en 1996, et l’invalidation qui en découle
participe pour 50 % au coût total de ces pathologies. [5, 14, 16, 20]

Mécanismes physiopathologiques de la douleur chronique


La démarche diagnostique doit préciser non seulement l’existence et la nature du processus pathologique en cause,mais aussi le mécanisme générateur de la douleur. Le traitement symptomatique découle pour une large part d’une compréhension satisfaisante de ce mécanisme. Même si de nombreuses données physiopathologiques sont encore imparfaitement comprises, la distinction de trois grands types de mécanismes conserve une valeur opérationnelle, tant lors de l’évaluation que pour les décisions thérapeutiques.

 Douleurs par excès de stimulations nociceptives

L’excès de stimulations nociceptives sous-tend la majorité des douleurs aiguës. Au stade chronique, on le retrouve dans des pathologies lésionnelles persistantes, par exemple dans les pathologies rhumatismales chroniques ou les cancers. La douleur conserve ici pour une part sa fonction de signal d’alarme. Elle s’exprime sur un plan sémiologique selon un rythme mécanique (augmentation de la douleur par l’activité physique) ou inflammatoire (avec possibilité d’expression nocturne). L’examen clinique retrouve ce facteur mécanique de déclenchement. L’examen neurologique est normal. L’imagerie peut permettre de documenter la lésion en cause. Au niveau périphérique, un processus pathologique active le système physiologique de transmission des messages nociceptifs. L’information, née au niveau des récepteurs, est transmise par des fibres nerveuses de petit calibre vers la corne postérieure de la moelle, puis vers les structures centrales, médullaires et supraspinales. D’un point de vue thérapeutique, il est légitime d’agir sur le processus causal périphérique lui-même (traitement étiologique) ou d’en limiter les effets excitateurs, en utilisant des antalgiques agissant en périphérie ou au niveau du système nerveux central, ou encore de chercher à interrompre les messages aux divers étages de la transmission périphérique ou centrale (blocs anesthésiques, sections chirurgicales).
À côté de ce mécanisme périphérique classique, il existe une grande variété d’autres mécanismes générateurs de douleur, parfois même associés : névrome, compression tronculaire ou radiculaire, dysfonctionnement sympathique (causalgie, algodystrophie), participation musculaire (contracture réflexe, nonutilisation due à l’immobilisation ou à la perte des activités physiques), mémorisation centrale, désafférentation, trouble psychogène …

 Douleurs neuropathiques

Le mécanisme des douleurs neuropathiques a fait l’objet de nombreuses études, tant cliniques qu’expérimentales. Les douleurs neuropathiques ont des caractéristiques sémiologiques particulières qui facilitent leur reconnaissance : douleurs spontanées et provoquées, douleurs paroxystiques…(Tableau 1).
Leur résistance aux antalgiques, leur expression sémiologique en font un exemple type d’une douleur liée à des mécanismes centraux, à opposer aux douleurs par excès de nociception.
Divers mécanismes périphériques et centraux sont actuellement impliqués dans les douleurs neuropathiques. Une lésion ou section des afférences périphériques peut être à l’origine d’altérations locales : activité électrique anormale (décharges ectopiques spontanées ou provoquées), sensibilisation des récepteurs de la nociception (diminution du seuil et augmentation des réponses aux stimulations), interactions entre fibres par contiguïté (éphapses). Secondairement, les neurones des relais spinaux ou supraspinaux peuvent devenir hyperexcitables : remaniements histologiques et fonctionnels (« neuroplasticité »), sensibilisation centrale (hyperexcitabilité), altération des systèmes de modulation des messages nociceptifs (contrôles segmentaires, contrôles inhibiteurs descendants).[6, 10]
 Tableau 1.
Caractéristiques sémiologiques des douleurs neuropathiques.
Description clinique
Douleur spontanée continue (brûlure)
Douleur fulgurante, intermittente (décharges électriques) spontanée ou provoquée
Dysesthésies (fourmillements, picotements)
Localisation
Territoire systématisé au plan neurologique
Évolution
Intervalle libre possible après la lésion neurologique initiale
Examen
Signes d’hyposensibilité (hypoesthésie, anesthésie), au tact, à la piqûre, au chaud, au froid
Signes d’hypersensibilité : allodynie a dynamique (effleurement) ou statique (pression), hyperpathie
 b Hyperpathie : [18] réponse douloureuse exagérée induite par un stimulus normalement douloureux ; syndrome douloureux caractérisé par une réaction douloureuse
anormale à unstimulus et notamment à unstimulus répétitif et présentant les caractères suivants : mauvaise identification et localisation du stimulus, sensation d’irradiation,
délai d’apparition de la réponse douloureuse par rapport au moment de l’application du stimulus, réaction douloureuse prolongée par rapport à la fin du stimulus (posteffet).
c Aucune de ces caractéristiques sémiologiques n’est obligatoire. Il est vraisemblable, au regard de la multiplicité des mécanismes décrits et des expressions sémiologiques variées, que les douleurs neuropathiques ne correspondent pas à une entité unique ; de nombreux travaux s’orientent actuellement vers un démembrement de ces douleurs visant à sélectionner des traitements plus spécifiques. [12] Les principales causes de douleurs neuropathiques sont : les amputations (membre fantôme), des pathologies infectieuses (zona, virus de l’immunodéficience humaine [VIH]…), les neuropathies métaboliques et toxiques (alcool, diabète …), la section ou lésion de nerf, le traumatisme médullaire, la sclérose en plaques, les fibroarachnoïdites, certaines cicatrices, les névromes. L’origine neuropathique de la douleur est aisément identifiée dans un contexte connu d’atteinte neurologique, associé à certaines caractéristiques sémiologiques ; elle peut être méconnue ou sous-estimée au cours du cancer ou dans les séquelles postchirurgicales. Au cours du cancer, la lésion neurologique peut être secondaire à l’envahissement tumoral, ou à une complication des traitements (plexite postradique, neuropathie aux sels de platine...).
Dans les douleurs neuropathiques, il est inutile et illogique de prescrire des antalgiques de palier I ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens. En revanche, les traitements médicaux de première intention seront d’action centrale : antidépresseurs tricycliques (l’amitriptyline est le traitement de référence des douleurs neuropathiques), antiépileptiques (gabapentine, carbamazépine). Les anesthésiques locaux en topiques, voire la capsaïcine, peuvent être de précieux adjuvants. De même, on propose des techniques de neurostimulation périphérique ou médullaire, et on récuse les techniques chirurgicales de section nerveuse. Ces dernières sont susceptibles de majorer le tableau de lésion nerveuse, avec parfois apparition secondaire de nouvelles douleurs neuropathiques.

Douleur idiopathique, douleur psychogène

Même si la nature sine materia peut être suspectée précocement, c’est souvent au stade chronique que l’origine idiopathique ou psychogène d’une douleur finit par être évoquée. Différentes présentations cliniques peuvent être considérées.
Certaines entités pathologiques sont reconnues sans que nous en ayons une compréhension satisfaisante ou des critères diagnostiques incontestables. Leur identification permet cependant aux médecins et aux patients une reconnaissance du trouble, essentielle au contrat thérapeutique. On peut citer : la glossodynie, la fibromyalgie (douleurs diffuses invalidantes, avec cortège de troubles fonctionnels), céphalée de tension… Dans ces cas, il est préférable de parler de douleur idiopathique car nous ne connaissons pas les mécanismes physiopathologiques en cause.
Dans d’autres cas, la description est imprécise, variable dans le temps ; la sémiologie est atypique, mal systématisée. La connotation affective peut attirer l’attention, de par les termes employés pour décrire la douleur et son retentissement. Le diagnostic repose avant tout sur la négativité du bilan clinique et paraclinique, mais l’absence de substratum anatomique lésionnel initial ne suffit pas pour évoquer une origine psychogène.
On doit mettre en évidence une sémiologie psychopathologique ; divers cadres nosologiques peuvent être évoqués : conversion hystérique, somatisation d’un désordre émotionnel (douleur par contraction musculaire), dépression masquée, hypocondrie …
Dans tous ces cas, il s’agit bien d’une « douleur exprimée en termes d’une lésion tissulaire », comme le souligne la définition de l’IASP.
En fait, de nombreuses douleurs chroniques ne sont pas purement psychogènes ; elles résultent plutôt de l’intrication de facteurs organiques et psychosociaux. En pratique, l’indispensable évaluation des facteurs psychologiques ne doit pas faire négliger la démarche diagnostique de l’origine fonctionnelle ou organique de la douleu

Facteur temps : douleur aiguë et douleur chronique




La durée d’évolution est une autre variable à prendre en compte dans la compréhension d’une douleur. Par le fait même de sa persistance, une douleur qui est initialement un simple symptôme (douleur-signal d’alarme), peut se modifier et devenir un syndrome à part entière (douleur-maladie). Par exemple, une douleur succédant à un traumatisme physique initial peut se maintenir ou être accentuée par des facteurs secondaires, physiologiques (contractures réflexes) ou psychologiques (comportements douloureux, invalidation, dépression, bénéfices secondaires…). Une douleur chronique qui évolue depuis plus de 3 ou 6 mois ne peut être appréhendée simplement comme une douleur aiguë qui persiste. [8]
L’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) (1999) définit en effet la douleur chronique comme une douleur « évoluant depuis plus de 3 à 6 mois et/ou susceptible d’affecter de façon péjorative le comportement ou le bienêtre du patient ». À l’évolution temporelle de la douleur est associé l’impact négatif sur le patient. [2]
Des différences d’ordre neurophysiologique, neuropsychologique et comportemental justifient en effet la distinction douleur aiguë-symptôme/douleur chronique-syndrome (ou douleur-maladie). Lorsqu’une douleur tend à persister, son évaluation doit s’élargir aux divers facteurs psychologiques et comportementaux, causes et/ou conséquences susceptibles de participer à son maintien ou son exagération. Le Tableau 2 présente les différences schématiques entre douleur aiguë et douleur chronique.
En fait, les douleurs chroniques se répartissent en deux grandes catégories distinctes : les douleurs cancéreuses et les douleurs chroniques non malignes, parfois improprement dénommées « bénignes ». La douleur cancéreuse se rapproche plus d’une douleur aiguë persistante, ou d’une succession de douleurs aiguës. Les modalités respectives de prise en charge sont très différentes (Tableau 3).
À l’exception de certains cas de douleurs séquellaires liées aux traitements, le cancer est une affection évolutive qui réclame « somato-psycho-social »
Tableau 2 :
Comparaison des douleurs aiguës et chroniques (non cancéreuses).

Douleur aiguë
(symptôme)
Douleur chronique
(syndrome)
Finalité biologique



Mécanisme générateur

Réactions somatovégétatives

Composante affective

Comportement

Modèle de compréhension
Utile
Protectrice
Signal d’alarme

Unifactoriel

Réactionnelles

Anxiété

Réactionnel

Médical Classique

Inutile
Destructrice
Maladie à part entière
Plurifactoriel


Habituation ou entretien


Dépression

Renforcé

Pluridimensionnel
« somato-psycho-social »

 Tableau 3 :
 Comparaison des douleurs chroniques cancéreuses et non cancéreuses.


Douleur cancéreuse
Douleur non cancéreuse
Pathologie

Douleur


Finalité biologique




Mécanisme
Générateur

Place des morphiniques

Composante affective

Comportement

Attitude à encourager

Modèle de compréhension
Évolutive

Aiguë persistante
Symptôme

Inutile
Destructrice
Signal d’alarme et maladie à part entière

Excès de nociception
Plurifactoriel

Essentielle


Anxiodépression


Réactionnel

Accepter le handicap


Pluridimensionnel
« somato-psycho-social »
Séquellaire

Chronique
Syndrome

Inutile
Destructrice
Maladie à part entière


Plurifactoriel


Exceptionnelle


Anxiodépression


Renforcé

Apprendre à gérer le handicap

Pluridimensionnel
« somato-psycho-social »
Tableau 4.
Symptomatologie du syndrome douloureux chronique.
Plainte douloureuse        - douleur permanente depuis plus de 6 mois.
        - origine physiopathologique actuelle incertaine
              - nombreux antécédents de traitements inefficaces
                                    - handicap fonctionnel exagéré
                                    - conduite toxicomaniaque


Comportement anormal vis-à-vis de la maladie - conviction somatique de la maladie
                                                                      - désir de chirurgie
                                                                      - déni des conflits interpersonnels 
                                                                      - déni des perturbations émotionnelles
                                                                      - dysphorie admise comme réactionnelle

Symptomatologie dépressive                               - fatigabilité
                                                                   - troubles de concentration
                                                                   - perte des intérêts
                                                                   - insomnie
                                                                   - humeur dépressive

Facteurs de renforcement       - évitement d’activités néfastes
                                           - attention, sollicitude de l’entourage
                                           - bénéfices secondaires financiers

Contexte sociofamilial             - exemples de douleur chronique dans l’entourage
                                           - antécédents familiaux de dépression ou d’alcoolisme

une prise en charge adaptée dans des délais rapides. Le traitement symptomatique de la douleur ne peut être dissocié du traitement étiologique de la maladie cancéreuse. Les douleurs cancéreuses peuvent bénéficier d’un large arsenal thérapeutique:utilisation fréquente de morphiniques (douleurs intenses) par voie orale, parentérale ou centrale, blocs anesthésiques, associations de plusieurs antalgiques et de coantalgiques, interventions neurochirurgicales…
Les douleurs chroniques non malignes fréquemment rencontrées sont les douleurs de l’appareil locomoteur (lombalgies, lomboradiculalgies, notamment postchirurgicales, autres affections rhumatismales), les douleurs neuropathiques, les syndromes douloureux régionaux complexes (algodystrophies, causalgies), les céphalées, les douleurs myofasciales, les fibromyalgies, les douleurs psychogènes et les douleurs idiopathiques.
Que le médecin exerce seul ou au sein d’une équipe pluridisciplinaire, pour mieux comprendre et mieux traiter une douleur chronique, il lui faudra savoir analyser les divers facteurs psychosociaux susceptibles de favoriser le caractère rebelle de la douleur. Le modèle somato-psycho-social de compréhension de la douleur chronique implique l’existence possible d’une symptomatologie psychopathologique sans qu’il soit nécessaire pour autant d’exclure un éventuel mécanisme générateur nociceptif ou neuropathique sous-jacent.
La compréhension des mécanismes psychopathologiques impliqués dans la douleur chronique non cancéreuse reste encore imparfaite. Sans entrer dans le détail d’hypothèses qui sont encore affaire d’école, il nous paraît préférable de désigner par « syndrome douloureux chronique » un ensemble encore mal différencié de symptômes comportementaux et psychiques qu’il faut savoir identifier car ils sont susceptibles de participer à l’entretien et à l’exacerbation d’une douleur chronique (Tableau 4). Leur présence indique que le problème ne peut être posé uniquement en termes somatique et rend indispensable une analyse globale, somatique et psychosociale pour guider la stratégie de prise en charge.

Conduite de l’évaluation du malade douloureux chronique


Les recommandations de l’ANAES (1999) mettent l’accent sur trois points. [2]
• L’évaluation initiale du malade douloureux chronique demande du temps ; elle peut se répartir sur plusieurs consultations.
• L’évaluation du malade douloureux chronique implique un bilan étiologique avec un entretien, un examen clinique et si besoin des examens complémentaires.
 Tableau 5.
Grille d’entretien semi-structuré avec le patient douloureux chronique (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé [ANAES]).

Ancienneté de la douleur
Mode de début
circonstances exactes (maladie, traumatisme, accident de travail…)
description de la douleur initiale
modalités de prise en charge immédiate
événements de vie concomitants
diagnostic initial, explications données
retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités
fonctionnelle et professionnelle…)
Profil évolutif du syndrome douloureux
comment s’est installé l’état douloureux persistant à partir de la douleur
initiale
profil évolutif : douleur permanente, récurrente, intermittente…
degré du retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités
fonctionnelle et professionnelle…)
Traitements effectués et actuels
traitements médicamenteux et non médicamenteux antérieurs, actuels
modes d’administration des médicaments, doses, durées
effets bénéfiques partiels, effets indésirables, raisons d’abandon
attitudes vis-à-vis des traitements
Antécédents et pathologies associées
personnels (médicaux, obstétricaux, chirurgicaux et psychiatriques) et
leur évolutivité
familiaux
expériences douloureuses antérieures
Description de la douleur actuelle
statut professionnel et satisfaction au travail
topographie
type de sensation (brûlure, décharge électrique …)
intensité
retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités
fonctionnelle et professionnelle…)
facteurs d’aggravation et de soulagement de la douleur
Contextes familial, psychosocial, médicolégal et incidences
situation familiale
situation sociale
indemnisations perçues, attendues ; implications financières
procédures
Facteurs cognitifs
représentation de la maladie
interprétation des avis médicaux
Facteurs comportementaux
attitude vis-à-vis de la maladie
modalités de prise des médicaments
observance des prescriptions
Analyse de la demande
attentes du patient (faisabilité, reformulation)
objectifs partagés entre le patient et le médecin

• Les éléments cliniques essentiels sur lesquels se fonde l’entretien peuvent faire l’objet d’une grille d’entretien semistructuré (Tableau 5), outil d’aide au praticien, qui évaluel’ancienneté de la douleur, le mode de début, le profilévolutif, les traitements précédents et actuels, les antécédentset pathologies associées, la description de la douleur actuelle,
les contextes familial, psychosocial, médicolégal et leursincidences, les facteurs cognitifs, les facteurs comportementaux,et l’analyse de la demande du patient. En complément,sont recommandés l’utilisation d’un schéma donnant latopographie des zones douloureuses, une mesure de l’intensitéde la douleur à l’aide d’une échelle globale (numérique ou visuelle analogique), une liste d’adjectifs sensoriels et affectifs descriptifs de la douleur, une évaluation de l’anxiété et de la dépression, et une évaluation du retentissement de la douleur sur le comportement.
Évaluation somatique

Évaluation organique et bilans complémentaires

C’est le rôle du ou des somaticiens d’évaluer la composante somatique et son rôle dans la chronicisation de la douleur.
L’origine organique peut ne pas avoir été suffisamment précisée et il peut parfois être nécessaire de redresser le diagnostic lésionnel. Existe-t-il une origine somatique persistante ? Des éléments somatiques nouveaux sont-ils venus se surajouter au tableau initial, le compliquer ou le modifier ? Un état douloureux persistant favorise souvent l’apparition de douleurs surajoutées, liées à des positions vicieuses ou à des attitudes d’évitement.
Les malades ont généralement déjà bénéficié de nombreuses investigations complémentaires. Le bilan initialement pratiqué peut être suffisant pour expliquer la composante somatique de la douleur. Il peut néanmoins paraître incomplet, notamment lorsque la plainte douloureuse n’est pas concordante avec les lésions identifiées, qui paraissent « trop banales », mineures ou sans rapport avec la symptomatologie décrite. Cette éventualité fréquente illustre une notion classique : l’absence de parallélisme anatomoclinique, qu’il faut savoir garder à l’esprit et qui
n’exclut en rien l’authenticité du syndrome douloureux chronique et la nécessité d’une prise en charge adéquate. À l’inverse,la persistance et la résistance de la douleur amènent souvent à une succession d’examens complémentaires à la recherche d’une lésion évolutive. Dans une grande majorité des cas cependant, cette attitude n’est pas justifiée en matière de douleur chronique.
En revanche, lors du suivi clinique, des règles précises doivent être respectées : ce n’est qu’en cas d’apparition de signes nouveaux ou de franche modification de la symptomatologie que de nouvelles explorations sont licites. Il faut que l’attitude du somaticien sache contenir la « demande d’examens » qui, pour beaucoup de ces malades, est une manière de demander de l’aide ou de chercher à comprendre. Dans tous les cas, le bilan somatique doit permettre d’établir aussi précisément que
possible le (ou les) mécanisme (s) physiopathologique (s) de la douleur.
Inventaire des traitements
C’est aussi lors de l’évaluation initiale que l’on fera un « inventaire » le plus exhaustif possible de tous les traitements suivis jusque-là, des doses utilisées, des effets bénéfiques (même partiels et transitoires), des effets secondaires, des motifs d’arrêt.
Les principales causes d’échecs apparents des divers traitements
analgésiques doivent être connues. Le rapport au médicament est un point important à préciser. Il s’agit d’évaluer le mode de prise médicamenteuse (systématique ou « au coup par coup »), la quantité précise des médicaments utilisés « à titre antalgique » (alors qu’il s’agit parfois de tranquillisants, sans effet antalgique propre), le risque toxique encouru. On peut parfois découvrir que les doses prises sont insuffisantes du fait d’une appréhension non raisonnée de la part du patient (peur d’une
accoutumance fréquemment évoquée) ; on peut aussi conclure à une automédication excessive et mettre l’accent sur des prises compulsives de médicaments, alors même que leur inefficacité est reconnue. Rarement, mais non exceptionnellement, on peut donc repérer certaines attitudes « addictives » avec recherche plus ou moins explicite d’effets secondaires dysphoriques. Le degré de contrôle psychologique lors des accès de douleur est à faire préciser. Ces comportements doivent tous être repérés, car ils seront l’un des nombreux critères d’efficacité des traitements et conseils proposés.

Évaluation pluridisciplinaire
Outre l’évaluation des caractéristiques de la douleur, l’évaluation somatique comporte celle de l’affection causale elle-même et des autres pathologies éventuellement associées ; il faut également apprécier le handicap occasionné, la réponse de ces pathologies aux traitements, et les implications qu’elles peuvent avoir sur les propositions thérapeutiques qui seront faites pour la douleur.
Si d’autres avis de spécialistes somaticiens sont nécessaires à la meilleure compréhension du problème, ils doivent être pris avec le souci de maintenir une prise en charge « unifiée, cohérente » qui est un des avantages apportés par un centrepluridisciplinaire de traitement de la douleur du fait de l’unité de lieu et de temps, ou par un réseau de soins.

Évaluation psychologique
Elle incombe à tout médecin confronté aux patients souffrant de douleur chronique cancéreuse ou non. Dans certains cas, une collaboration avec le psychiatre ou le psychologue devient souhaitable. La difficulté est alors de faire accepter la démarche au malade. Cette demande d’avis psychiatrique ne doit surtout pas être interprétée comme la preuve que l’on croit la douleur « imaginaire ». La capacité à diriger le patient vers le psychiatre est un bon marqueur du fonctionnement en équipe. La démarche
est facilitée lorsque le psychiatre est présenté comme un praticien habituel de l’équipe (structure ou réseau) et qui connaît bien certains des médicaments donnés à visée antalgique (psychotropes) ou qui maîtrise certaines techniques de contrôle de la douleur (relaxation, hypnose…), ceci pour les patients réticents, qui sont le plus souvent ceux ayant des
problèmes psychologiques. Le psychiatre sera d’autant plus facilement accepté qu’il sera présenté précocement dès la consultation initiale (et non après échec des traitements proposés), et comme une procédure systématique dans l’évaluation de la douleur chronique.
 Relation avec le malade douloureux
Le premier contact avec un douloureux chronique peut être délicat du fait de l’irritabilité, de l’agressivité exprimée, du sentiment de mise en échec que peut donner le patient. Dans tous les cas, la relation est facilitée lorsque le thérapeute montre clairement au patient qu’il croit à sa douleur, tout en expliquant que les causes ne sont pas univoques. L’entretien peut avantageusement être complété par une information générale sur la
douleur, sous forme de brochure explicative par exemple.
 Évaluation de la composante affective-émotionnelle
L’évaluation de la composante affective-émotionnelle comprend l’évaluation systématique de l’humeur. Le recours à des questionnaires d’autoévaluation ou hétéroévaluation de la dépression apporte une aide certaine, en particulier le questionnaire Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS) recommandé par l’ANAES.[2] La dépression est fréquente et estimée à 30-50 % dans toutes les pathologies douloureuses persistantes (non cancéreuses) recensées dans les centres de traitement de la douleur. Elle peut expliquer la résistance aux autres thérapeutiques
et influer sur le comportement douloureux. L’existence de troubles de la personnalité associés peut contribuer à la pérennisation de la douleur. Il faut en tenir compte lorsqu’on définit le « programme thérapeutique ». Un
avis psychiatrique sera alors d’autant plus indispensable, tant au plan diagnostique que thérapeutique. Le rôle du psychiatre est de replacer l’histoire de la plainte douloureuse dans la biographie du patient et d’établir des liens chronologiques avec des événements de vie. Il aidera à faire comprendre comment un symptôme, initialement somatique, a pu devenir chez ce malade un comportement qui sert de communication avec sa famille, son milieu socioprofessionnel, le corps médical, ou le système des assurances. Ces situations peuvent expliquer la persistance de la douleur et l’échec des thérapeutiques.
 Évaluation de la composante cognitive
Elle précise la façon dont le patient se représente la cause de sa douleur et permet de mieux saisir son attitude vis-à-vis de la douleur. L’enquête a souvent intérêt à s’élargir aux problèmes douloureux antérieurs que le patient a pu expérimenter lui même ou observer dans son entourage : leur durée, leur sensibilité au traitement, l’appréhension qu’elles ont pu engendrer vis-à-vis de la maladie.
On découvrira souvent :
• le désarroi qu’ont pu générer des avis successifs discordants ;
• l’incertitude résiduelle après des examens complémentaires dont le résultat a été qualifié de « négatif », laissant entendre que l’origine de la douleur restait mystérieuse puisque « non
visualisée » ;
• la croyance dans le fait que toute douleur persistante témoigne d’un processus pathologique évolutif susceptible d’empirer (par exemple, le lombalgique chronique craint l’évolution vers la paralysie des membres inférieurs et le fauteuil roulant)
• l’incompréhension que peut engendrer un « abandon » dans la prise en charge, inévitable si le thérapeute et le patient se fixent un objectif curatif radical ;
• une croyance exagérée dans l’origine somatique exclusive, renforcée par des envois maladroits vers un psychiatre, vécu comme la preuve « qu’on ne croit pas » à sa douleur ;
• les arrière-pensées, les interprétations erronées qui doivent être exprimées, clarifiées car elles alimentent souvent
l’angoisse du patient.
La reformulation de la situation aide le patient à adopter un comportement plus adapté vis-à-vis de sa douleur. Les stratégies adaptatives (ou coping) sont une cible privilégiée de l’accompagnement cognitivocomportemental du douloureux chronique.
Évaluation de la composante comportementale
L’impact de la douleur sur le comportement fournit de nombreux indices pour apprécier l’intensité de la douleur. Ces données comportementales sont à la base des grilles d’hétéroévaluation de l’intensité de la douleur. Mais la plainte douloureuse, ses manifestations verbales et gestuelles peuvent devenirun mode de communication privilégié avec l’entourage conférant à la douleur une dimension relationnelle qu’il faudra
également prendre en compte.
On doit répertorier les diverses manifestations motrices ou verbales témoignant de la douleur lors de l’entretien, lors de l’examen clinique, dans les situations statiques et dynamiques : mimiques, soupirs, attitudes antalgiques, limitations des mouvements, attitudes guindées. Ces manifestations peuvent constituer l’un des critères d’évaluation du traitement. Chez le lombalgique, l’enregistrement vidéo pendant un parcours d’obstacle paraît une méthode intéressante pour évaluer les
résultats thérapeutiques. Les plaintes verbales peuvent être quantifiées à partir de l’expression spontanée du malade ou sur interrogation, ou par l’observation d’un envahissement total du langage du malade par ses propos sur la douleur. On distingue bien sûr le patient communicant du patient non communicant pour expliquer aussi la variabilité de cette composante de la douleur.
Évaluation du retentissement et du champ socioéconomique
Retentissement fonctionnel et social de la douleur chronique
Pour évaluer le retentissement de la douleur sur l’ensemble des activités du patient, on doit entrer dans le détail de la vie quotidienne, avec l’aide éventuelle de l’entourage. La limitation des activités est un des éléments de mesure de la gravité d’un syndrome douloureux : temps passé allongé, activités courantes (toilette-habillage-courses-montée d’escaliers) maintenues, évitées, ou réalisées avec aide d’une tierce personne ; maintien ou non de loisirs, d’activité sexuelle ; maintien ou non de
relations sociales. Un certain nombre d’échelles d’évaluation de l’incapacité fonctionnelle ou de qualité de vie ont été validées pour certaines pathologies rhumatologiques (EIFEL, Dallas, SF36…) ; le praticien généraliste pourra utiliser avec profit l’échelle de retentissement de la douleur chronique de l’ANAES. [2, 9, 17]
L’attitude de l’entourage vis-à-vis de ces manifestations de douleur a tout intérêt à être connue : attitude de rejet, de sollicitude, d’attention exagérée ? Certaines de ces réactions peuvent être un facteur d’entretien du douloureux dans son handicap : la mise à jour de certaines séquences de cercles vicieux d’entretien doit être expliquée à l’ensemble du milieu
Familial et peut faire l’objet de traitements spécifiques.
Contexte socioéconomique
Il s’agit d’évaluer l’intrication éventuelle entre la douleur persistante d’une part, la situation professionnelle et le système des assurances d’autre part. Cette phase d’évaluation fixe le cadre dans lequel pourra être conduite la réhabilitation.
Si le handicap douloureux maintient le patient en arrêt de travail, il faut évaluer, conseiller, et éventuellement imposer la stratégie la plus adéquate (reclassement, poste aménagé…). La recherche d’une collaboration précoce avec le médecin du travail permet une évaluation du retentissement professionnel et des possibilités de reclassement professionnel ou de reprise progressive ultérieure (par exemple après une période à mi-temps thérapeutique).
Un contact avec le médecin conseil de la Caisse primaire d’assurance maladie fixe le cadre de la prise en charge, limite le stress de la consolidation ou la persistance d’attitudes revendicatives, et permet aussi d’évaluer les attentes du patient.
S’il y a litige avec le système des assurances, le litige devient une comorbidité. Même s’il est le plus souvent illusoire d’envisager une amélioration avant que le litige n’ait été résolu, la prise en charge doit aider le patient à gérer les conséquences négatives de ce litige. La reformulation des « réels » objectifs à atteindre est une étape essentielle avant la mise en route du programme thérapeutique. Le contrat entre le médecin et son patient peut comporter un soutien de celui-ci dans les démarches administratives et autres. Il peut arriver que l’analyse de
la situation conclut au rôle important joué par les bénéfices secondaires (ou leur quête) dans la pérennisation de la douleur.
Dans d’autres cas, une évaluation nuancée peut contribuer à débloquer des impasses, issues de malentendus ou d’erreurs
administratives.
Évaluation de la douleur et du soulagement
La douleur est un phénomène subjectif qu’il est possible d’évaluer par des méthodes standardisées. Cette évaluation est d’autant plus nécessaire qu’il n’y a pas de parallélisme anatomoclinique permettant de se fonder sur des lésions pour apprécier la douleur, qu’il n’existe pas de marqueur neurobiologique de douleur. Les méthodes d’évaluation sont de deux
types : celles qui s’intègrent à des protocoles de recherche sont les plus extensives ; celles qui peuvent être utilisées dans la pratique clinique courante sont plus courtes. Dans les deux cas, elles aident à la communication malades/médecins. [13]
La grille d’évaluation suggérée par l’ANAES propose l’utilisation d’un schéma donnant la topographie des zones douloureuses, une mesure de l’intensité de la douleur par échelle visuelle analogique, et une liste d’adjectifs sensoriels et affectifs descriptifs de la douleur. Ces évaluations viennent conforter l’appréciation clinique. Éléments du dossier, elles servent par ailleurs de document de référence pour la surveillance, car les
interrogations et évaluations rétrospectives, faisant appel à la mémoire d’une situation passée, ne sont pas sans poser des problèmes. [2, 7]
L’évaluation du soulagement doit être effectuée au moment où l’on attend l’effet analgésique du traitement instauré : évaluation horaire ou pluriquotidienne en cas de traitement par des analgésiques, hebdomadaire en cas de traitement par des antidépresseurs imipraminiques. La prise en charge du douloureux chronique est facilitée par la réalisation par le patient, sur plusieurs jours, d’un journal de la douleur ou calendrier
quotidien des douleurs. Celui-ci fera ressortir les variations d’intensité de la douleur, et parfois les facteurs aggravants ou atténuants, les moyens (médicaments, positions…) de soulagement utilisés et leur durée d’action, les activités maintenues ou évitées, le temps de sommeil etc… Une évaluation quantitative de l’intensité de la douleur est inscrite par tranches horaires dans la journée. La « disparition complète de la douleur » est un critère de succès beaucoup trop exigeant, qui risque, de ce fait,
d’être peu sensible, notamment en matière de douleur persistante.
Pour évaluer le soulagement, on se base soit sur des appréciations (en termes de pourcentage par exemple), soit sur les comparaisons des évaluations successives de l’intensité de douleur au moyen d’échelles (numérique ou visuelle analogique).
L’évaluation du soulagement est indispensable pour adapter correctement la dose et les intervalles de prise d’un analgésique.
Le résultat est rarement du type « tout ou rien » en matière de douleur chronique. Le malade en a été prévenu au départ puisque des objectifs raisonnables ont été décidés en commun.
Ces objectifs vont réapparaître à ce stade de l’évaluation : l’objectif a-t-il été atteint ? Totalement ? Partiellement ? Les changements s’évaluent de façon multifactorielle et ne se limitent pas à la douleur (réduction de la plainte douloureuse, pourcentage de soulagement), mais concernent aussi la capacité fonctionnelle (augmentation des activités), le degré de satisfaction globale (qui tient compte aussi des effets secondaires des thérapeutiques), la réduction ou la meilleure adaptation de la consommation médicamenteuse, la diminution du nombre de consultations médicales « tous azimuts », l’extension de l’autonomie, le début de réhabilitation sociale et/ou professionnelle. L’ensemble de ces critères est indispensable à considérer pour parler de succès en termes de douleur chronique.
Évaluation des objectifs à atteindre
L’évaluation ne saurait être complète sans avoir précisé la demande du patient. Dans les cas les plus complexes, celle-ci ne peut être explicitée et ce sera une des premières mesures thérapeutiques que de fixer conjointement avec le patient les objectifs raisonnables de la prise en charge. Devant une demande de type « tout ou rien », avec recherche de soulagement total et définitif, il faut savoir reformuler ces attentes vers
un autre objectif plus réaliste : savoir faire avec la douleur et reprendre des activités.
Certains patients ont déjà trouvé un modus vivendi et ils ont besoin d’être confortés dans cette attitude, ou mieux conseillés sur les possibilités actuelles de soulagement. Un rôle d’information n’est pas négligeable du fait de la diversité des méthodes antalgiques à propos desquelles les patients peuvent être sollicités, dans un cadre publicitaire ou non. Parfois le patient, qui faisait face jusque-là, consulte car il est épuisé, déprimé ; il
peut l’exprimer alors sous la forme d’une demande de soulagement complet. Il peut aussi avoir été conseillé par son entourage, persuadé qu’on peut mieux faire, ou las de supporter certaines plaintes. Si un certain équilibre est atteint, il faudra peser minutieusement les avantages et les inconvénients à faire de nouvelles propositions thérapeutiques. La décision doit être prise avec un patient parfaitement averti de ce qui est aujourd’hui possible et de ce qui ne l’est pas.

Conduite du traitement d’une douleur chronique



L’évaluation des différentes composantes - somatique, psychologique
et sociale - de la douleur chronique conduit à porter l’indication de moyens thérapeutiques très divers : médicamenteux, physiques, psychologiques, chirurgicaux.
Plutôt qu’une succession dans le temps de chaque thérapeutique, il est préférable de les envisager d’emblée en combinaison sous la forme d’un programme structuré ouprogramme multimodal.
Cette démarche n’interdit pas l’évaluation respective des traitements introduits qui n’ont pas les mêmes délais d’action, ni le respect d’une progression hiérarchisée qui doit prendre en compte le caractère plus ou moins invasif et le rapport bénéfice/ risque de chaque méthode.
Sans être exhaustif, nous allons envisager les traitements analgésiques les plus usuels, en soulignant les causes habituelles d’échecs. En ce qui concerne plus spécifiquement le traitement de la douleur cancéreuse, on peut se reporter aux recommandations disponibles.
 Traitements médicamenteux
Analgésiques
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé, dans le cadre des douleurs cancéreuses, une échelle de décision thérapeutique comportant trois paliers d’analgésiques. Ce schéma reste actuellement un guide didactique de référence dans la douleur cancéreuse. On peut l’extrapoler à d’autres douleurs d’origine nociceptive en utilisant les paliers de l’OMS
comme une échelle de prescription selon l’intensité de la douleur. Le niveau I correspond aux analgésiques non morphiniques (paracétamol et aspirine) et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ; le niveau II, à l’association des analgésiques non morphiniques aux opioïdes mineurs (codéine, dextropropoxyphène, tramadol) ; le niveau III, aux analgésiques
opioïdes majeurs, dont le chef de file est la morphine orale (à libération immédiate [LI] et prolongée [LP]). L’inefficacité d’un analgésique conduit au passage d’un échelon à l’autre dans l’échelle de l’OMS.
Quel que soit le contexte clinique, à partir du moment où une douleur est continue dans la journée, les prises gagnent à être administrées de façon préventive, à horaire fixe, à intervalle régulier, en tenant compte de la durée d’efficacité du produit utilisé. D’un point de vue psychologique, cette attitude réduit l’anxiété d’anticipation ; d’un point de vue pharmacologique, elle maintient des taux plasmatiques stables, dans la zone d’efficacité.
 Dans cette optique, il est intéressant en milieu hospitalier de prévoir des protocoles de prescription du traitement antalgique ; rédigés en fonction des particularités du service, adoptés par des équipes soignantes formées, ces protocoles présentent le double avantage d’encadrer la prescription d’antalgiques (choix des molécules, règles d’utilisation) et de mettre à disposition des équipes soignantes un canevas d’administration adapté aux différentes évolutions prévisibles de la douleur (dose efficace,
intervalle adéquat entre les prises, administration préventive).
 Ces protocoles peuvent comporter, pour un palier antalgique donné, la prescription d’une (ou plusieurs) molécule (s) donnée (s), administrée (s) à intervalles réguliers, et une prescription complémentaire anticipée («interdoses ») en cas de douleur imprévue. L’utilisation de tels protocoles limite les causes d’échec du traitement antalgique (insuffisance de dose, mode d’administration inadapté, prise « au coup par coup », intervalle
irrégulier).
La morphine LP est administrée toutes les 12 heures, pour le Moscontin® et le Skenan LP®, ou à raison d’une prise par 24 heures pour le Kapanol®. Les comprimés (Moscontin®) doivent être avalés avec un peu d’eau et non pas mis sous la langue, croqués, ou mixés. Les gélules (Skenan®) peuvent être ouvertes, ce qui facilite l’absorption des microgranules contenus dans les gélules ; elles peuvent ainsi être administrées (après ouverture) dans une sonde nasogastrique ou une sonde de gastrostomie. En cas d’échec, il faut vérifier le mode
d’administration.
Malgré l’apport de la morphine LP, la morphine LI, Actiskenan ®, Sevredol®, conserve toujours sa place : lors de la mise en route du traitement morphinique par voie orale, il est possible de débuter par la morphine LI (« titration ») pour prendre le relais secondairement par la morphine LP (dose totale de morphine quotidienne alors répartie sur deux prises). La morphine LI peut également être très utile comme médicament
de secours indiqué pour la prévention et le contrôle des accès douloureux prévisibles ou non prévisibles (interdoses) et lors de toute période d’ajustement de posologie. Si le malade doit prendre régulièrement plus de trois à quatre interdoses par jour (hors douleurs des soins), ces interdoses doivent être intégrées dans la dose totale quotidienne de morphine LP après 2 à 3 jours de traitement.
Le remplacement de la morphine par un autre opioïde ou le changement d’un opioïde par un autre (fentanyl, hydromorphone, oxycodone), appelé « rotation des opioïdes », est indiqué en cas d’effets indésirables rebelles, malgré un traitement adéquat, ou de résistance à la morphine (exceptionnelle).
Mentionnons particulièrement l’autoadministration possible de morphine par le patient (patient controlled-analgesia ou PCA)  à l’aide d’une pompe programmable portable, par voie intraveineuse ou sous-cutanée, plus particulièrement dans les cas de douleurs instables, de douleurs difficiles à équilibrer, d’effets indésirables incontrôlables, ou de troubles digestifs rendant l’utilisation de la voie orale impossible. Dans le cas de douleur
cancéreuse, la morphine est administrée par perfusion continue associée à des interdoses ou bolus que le malade s’autoadministre à l’aide d’un bouton-poussoir.
Selon l’autorisation de mise sur le marché (AMM), la voie transdermique (patchs de fentanyl transdermique : Durogésic®) est indiquée dans les « douleurs chroniques cancéreuses intenses ou rebelles aux autres antalgiques en cas de douleurs stables ».
 Causes d’échec du traitement antalgique
Une fois l’indication correctement posée, les causes d’échec sont parfois un choix inapproprié de molécule, mais le plus souvent le non-respect des règles d’utilisation : une dose insuffisante par prise, un intervalle inadéquat entre les prises, un mode d’administration mal adapté (à la demande, c’est-àdire « au coup par coup », et non de façon préventive, en anticipant par des prises à horaires fixes et réguliers ou avant la
reprise de la douleur, lorsqu’il s’agit d’accès prévisible).
Une autre cause d’échec provient de la non-correction des effets indésirables des morphinomimétiques : nausées, vomissements,
constipation, somnolence. Il faut informer le patient de la possibilité d’effets indésirables à l’initiation d’un traitement morphinique et lui expliquer comment les traiter. Toute prescription de morphiniques doit envisager la prescription associée d’un antiémétique (surtout si le patient est naïf de morphinique), et d’un laxatif qui doit être conseillé systématiquement du fait de la fréquence de la constipation. On informe
le patient d’une somnolence, souvent transitoire, en début de traitement. Chez le patient douloureux, la dépression respiratoire due aux morphiniques est exceptionnelle et ne doit pas constituer un frein à la prescription des morphiniques par voie orale ou à l’augmentation des doses. Une surveillance spécifique est cependant nécessaire sur un terrain fragilisé.
Beaucoup plus rarement, l’apparition d’effets indésirables liés au retentissement du traitement morphinique sur les systèmes hormonaux, [4] particulièrement l’axe hypothalamo-hypophysosurrénalien (décroissance des taux plasmatiques de cortisol) et l’axe gonadique (augmentation de libération de prolactine, baisse de luteinizing hormone[LH] et follicle stimulating hormone [FSH], décroissance des oestrogènes et de la testostérone), peut être source d’échec du traitement.
 Que faire en cas d’escalade de dose ?
Plusieurs situations beaucoup plus rares peuvent engendrer un échec du traitement bien conduit chez des patients recevant un traitement morphinique au long cours :
• l’apparition d’une tolérance, définie comme une réduction de l’efficacité analgésique d’un morphinique, conduit à une escalade de dose sans bénéfice ; la tolérance peut provenir, soit d’une adaptation au niveau cellulaire (diminution du nombre de récepteurs, désensibilisation) ou des mécanismes de contrôle (avec implication des récepteurs N-méthyle-
D-aspartate [NMDA]), soit de l’intervention de facteurs environnementaux ou psychiques ;
• l’apparition d’une hyperesthésie diffuse est aussi à l’origine d’une augmentation rapide de dose ; elle peut se manifester par une
hyperalgésie (perception douloureuse anormalement intense à un stimulus douloureux) et/ou une allodynie  (perception douloureuse à un stimulus habituellement non douloureux) ; là aussi, des mécanismes d’adaptation cellulaire ou des mécanismes de contrôle sont à l’origine de cette sensibilisation centrale.
Le praticien doit cependant garder à l’esprit que le premier facteur nécessitant une augmentation des doses antalgiques est une évolution de la maladie. Celle-ci étant écartée, un mécanisme de tolérance ou d’hyperesthésie liée à la morphine peut alors être évoqué. Devant une tolérance ou une sensibilisation liée à un morphinique, persistant après une phase d’ajustement de dose bien menée, l’association à une molécule bloquant les récepteurs NMDA ou une rotation d’opioïdes doivent alors être évoqués.

Antalgiques par voie médullaire
La mise en évidence de récepteurs morphiniques au niveau spinal a conduit à la mise au point de techniques d’administration périmédullaire de morphine, délivrée par des cathéters périduraux ou intrathécaux (sous-arachnoïdiens), reliés à une seringue électrique externe ou à une pompe, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un réservoir sous-cutané. Ces voies d’administration ont l’avantage d’induire une analgésie puissante
avec des doses faibles de morphine injectée (quelques milligrammes). Les indications actuelles sont encore mal codifiées et sujettes à controverses ; elles varient également en fonction de l’expérience de l’équipe et nécessitent une formation préalable.
Exceptionnellement, on peut être amené à injecter la morphine par voie centrale pour traiter certaines douleurs néoplasiques terminales, notamment localisées au niveau de la sphère orofaciale et ne cédant pas au traitement médical bien conduit administré par une autre voie.
D’autres produits peuvent être administrés par voie intrathécale, souvent associés aux morphiniques, comme les anesthésiques locaux et la clonidine, ou seuls, comme le baclofène, qui trouve une bonne indication dans certaines spasticités douloureuses (par le biais d’une pompe implantable programmable).
 Antidépresseurs
Les antidépresseurs sont utilisés dans deux indications : d’une part pour leur action analgésique propre, d’autre part pour le traitement des symptômes psychiquesfréquemment associés à la douleur chronique, comme les syndromes anxiodépressifs. Les indications spécifiques les plus intéressantes concernent les douleurs neuropathiques, où les antidépresseurs sont efficaces sur la composante continue comme sur la composante paroxystique  (neuropathie diabétique, mononeuropathie, douleur postzostérienne), mais aussi les céphalées (migraine, céphalées
de tension ou mixtes) et la fibromyalgie.
Les molécules qui ont fait la preuve de leur efficacité dans des essais contrôlés sont des antidépresseurs tricycliques (clomipramine, amitriptyline, imipramine, désipramine).
L’administration se fait à doses progressivement croissantes. L’effet analgésique se manifeste de façon retardée (après 1 à plusieurs semaines). Il est raisonnable d’attendre au moins 4 semaines avant de conclure à un échec. Les causes d’échec sont l’arrêt précoce du traitement, le dosage insuffisant, la noncorrection des effets secondaires, la mauvaise adhésion des malades qui ne comprennent pas pourquoi un antidépresseur a été prescrit pour une douleur (manque d’information).
Les effets secondaires sont nombreux et expliquent un certain nombre d’abandons lorsque les traitements doivent être prolongés : prise de poids, somnolence, sécheresse des muqueuses, constipation, troubles sexuels.
Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont mieux tolérés, mais le niveau de leur efficacité dans la douleur n’est pas démontré.
 Anticonvulsivants
Certains anticonvulsivants sont indiqués dans les douleurs neuropathiques (neuropathies diabétiques ou infectieuses, algies postzostériennes, douleurs centrales) et dans la névralgie essentielle du trijumeau. Les produits les plus étudiés sont la carbamazépine (Tégrétol®, en particulier dans la névralgie du trijumeau) et la gabapentine (Neurontin®). On manque de travaux sur d’autres produits tels que la lamotrigine (Lamictal®) et le clonazépam (Rivotril®).
Ici encore, il est impératif d’augmenter progressivement les doses pour déterminer pour chaque patient la dose efficace. Le niveau de preuve acquis par les études publiées fait de certains anticonvulsivants des médicaments de choix en seconde ligne, dans ces indications, en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux antidépresseurs tricycliques.
 Anxiolytiques et sédatifs
Les patients douloureux chroniques consomment plus de benzodiazépines que la population générale. Pourtant, leur intérêt dans le traitement de la douleur n’est pas démontré.
Souvent prescrits pour un trouble du sommeil ou comme myorelaxant, les benzodiazépines ne sont pas des médicaments inoffensifs. Leurs effets secondaires (sédation, troubles cognitifs) vont à l’encontre du programme de reprise d’activité. Du fait du risque de pharmacodépendance, il est recommandé de les prescrire pour de courtes périodes. Ils peuvent être souvent avantageusement relayés par l’apprentissage d’une technique de
relaxation.
Neurostimulation électrique transcutanée et acupuncture
Neurostimulation électrique transcutanée
La transcutaneous electrical nerve stimulation (TENS) se propose de renforcer ou de suppléer un mécanisme inhibiteur défaillant.
Il était donc logique de la proposer dans les douleurs neuropathiques
dont le mécanisme physiopathologique peut être interprété comme un défaut d’inhibition. La TENS met en oeuvre des contrôles inhibiteurs segmentaires (gate control), mais stimule aussi probablement des contrôles supraspinaux. Les indications les plus intéressantes sont : les douleurs neuropathiques bien systématisées après lésion de nerf périphérique, ou lombosciatalgies séquellaires. À coté de ces indications
classiques, la TENS s’est également révélée efficace dans certaines douleurs d’origine non neurologique, comme les douleurs chroniques post-traumatiques ou rhumatologiques.
Bien que la TENS soit une technique simple, son efficacité clinique réclame le respect d’un certain nombre de règles qui découlent d’une compréhension correcte des facteurs impliqués dans son succès (douleur de topographie localisée, recouvrement de la zone douloureuse par les paresthésies produites par la stimulation, bon effet de masquage de la douleur aux tests initiaux, bonne adhésion du malade pour l’autoadministration).
Il faut rappeler la possibilité d’échappement thérapeutique après quelques mois.
Acupuncture
Le terme « acupuncture » s’applique aujourd’hui à des pratiques et à des conceptions extrêmement différentes. Certaines restent imprégnées par la tradition chinoise antique, d’autres sont très proches des stimulations périphériques analgésiques. Les données actuelles permettent de comprendre comment certaines stimulations utilisées par l’acupuncture
peuvent mettre en jeu des mécanismes physiologiques communs
aux diverses techniques de contre-stimulation. Elles ne permettent pas pour autant de confirmer la pertinence de la théorie chinoise classique. Les indications restent très difficiles à cerner. L’acupuncture ne constitue pas dans notre expérience un traitement à part entière de la douleur chronique. Elle peut avoir un intérêt dans certains épisodes aigus, notamment d’origine musculaire, rencontrés dans les syndromes douloureux chroniques. Il est inutile de poursuivre le traitement après
quatre ou cinq séances sans effet.
D’une façon générale, ce type de thérapeutique, dont le statut reste incertain, pose le problème de l’attitude vis-à-vis du placebo. Il nous paraît légitime de respecter la demande des malades, à condition que la démarche ne les éloigne pas des traitements qui paraissent utiles dans leur cas.
 Rééducation et reconditionnement physique
Le reconditionnement physique du malade douloureux chronique est, souvent, un des éléments-clés de la thérapeutique, tant sur le plan curatif, éventuellement dans le cadre d’un programme comportemental, que sur le plan de la prévention de l’invalidation progressive, qui reste, en absence de traitement efficace, le destin du douloureux chronique.
Le programme de reconditionnement physique est présenté au patient comme un apprentissage de techniques permettant une meilleure gestion de la douleur . il comporte en général des quotas d’exercices incrémentés, fonctions des capacités du patient, de la kinésithérapie (essentielle dans les douleurs chroniques touchant l’appareil locomoteur). Ces exercices
doivent évoluer vers une rééducation autonome du patient. Une kinésithérapie ou une réactivation physique, peut cependant être iatrogène lorsque, trop passive, elle maintient le malade dans des comportements douloureux, crée une dépendance ou contribue à donner une vision mal adaptée de la douleur chronique. Il est souhaitable que le kinésithérapeute, le rééducateur ou l’ergothérapeute soit intégré dans l’équipe soignante ; sinon il est recommandé de prendre contact avec lui
par lettre ou verbalement. Dans tous les cas, la prescription doit clairement expliciter le travail attendu.
Une abondante littérature médicale a donné un bon niveau de preuve à la nécessité d’un reconditionnement physique codifié dans toutes les pathologies douloureuses chroniques mettant en jeu l’appareil locomoteur (en premier lieu les lombalgies et lombosciatalgies chroniques) ou des structures musculaires (algoneurodystrophies, fibromyalgies…), mais aussi
dans toutes les douleurs « secondaires » liées à des positions ou attitudes vicieuses, des contractures musculaires, des limitations articulaires. Certaines études dégagent des stratégies différenciées,  privilégiant, soit le reconditionnement physique, soit la prise en charge psychologique, pour des sous-groupes de lombalgiques chroniques définis à l’aide de l’échelle de Dallas.
Cette stratégie est à la base des programmes du type « école du dos », qui associent des techniques cognitivocomportementales de gestion de la douleur et un reconditionnement physique,  en complément d’un traitement médicamenteux le plus souvent ; ces programmes commencent à dépasser le strict cadre des lombalgies et s’imposent dans d’autres pathologies douloureuses, comme la fibromyalgie par exemple.
 Approche cognitivocomportementale
Les habituels conseils de bon sens : « pensez moins à votre douleur », « reprenez des activités », « ce n’est pas grave », sont rarement suffisants chez les patients douloureux chroniques.
Le patient douloureux chronique réagit à la douleur par une série de comportements, verbaux ou simplement visibles, et par une réduction ou modification de certains comportements antérieurs. Tout comportement est une conduite acquise, en particulier les comportements douloureux qui, au-delà de l’apprentissage avec ses règles classiques (renforcement, inhibition, extinction), peuvent être considérés comme entretenus, conditionnés, dès lors que la douleur devient chronique. Le comportement peut persévérer au-delà de la persistance de la seule cause nociceptive initiale qui a pu être à l’origine du tableau douloureux . Il peut subir deux types de renforcement :renforcement positif (qui recouvre les « bénéfices secondaires » du vocabulaire médical) et renforcement négatif (évitement de situations aversives, de responsabilités, d’activités désagréables, y compris un travail jugé peu satisfaisant).
Les comportements douloureux conduisent progressivement à une réduction des activités quotidiennes, tant physiques qu’intellectuelles, tant professionnelles que sociales et familiales ; la persistance de conduites d’évitement peut avoir des conséquences néfastes, sur les plans physique (réduction de force, de mobilité, syndrome de déconditionnement), psychologique  (perte d’estime de soi, dépression, préoccupations
somatiques), ou social (incapacité, isolement professionnel et familial) ; l’évolution naturelle de beaucoup de douleurs chroniques se fait ainsi vers une invalidation croissante.
L’objectif de la thérapie comportementale est donc une reprogrammation des activités et des comportements du patient.
Des facteurs cognitifs peuvent en outre être à l’origine d’une majoration et d’une persistance de la douleur. La représentation qu’a le patient de sa maladie joue un rôle important dans la pérennisation de comportements inadaptés, et par suite, dans la chronicisation de la douleur. Des pensées erronées ou inappropriées  (catastrophisme, peur de l’évolution de la maladie, peur de certaines activités), des conflits avec l’entourage, ou au
contraire un assistanat inutile, contribuent à majorer ou pérenniser la douleur. L’identification de ces facteurs peut être réalisée à l’aide d’un « agenda de la douleur », où le patient consigne toutes les circonstances de majoration ou de réduction de la douleur, ses propres comportements, et ceux de son entourage.
Le douloureux chronique fait de nombreux efforts pour gérer ses douleurs. Ces stratégies d’ajustement, d’adaptation, d’affrontement sont désignées sous le terme de « coping », dont la traduction la moins approximative en français serait peut-être  « stratégies d’adaptation » ou « pour faire avec… ». Un des objectifs de la thérapie cognitive est l’acquisition ou le renforcement
de stratégies de coping, selon trois axes principaux :
• les stratégies d’attention : déplacement de l’attention sur des perceptions non douloureuses, distraction, utilisation d’images;
• les stratégies d’interprétation : transformation de la douleur en expérience neutre ou agréable ;
 • les stratégies psychophysiologiques : les techniques de relaxation, sous leurs diverses formes (relaxation, training autogène, biofeedback), ont une place importante. Elles aident le patient à mieux contrôler sa douleur et à utiliser la relaxation préventivement face aux situations stressantes
susceptibles de majorer la douleur.
On comprend donc toute l’importance, chez le douloureux chronique, quelle que soit l’origine de la pathologie, des thérapies cognitivocomportementales, qui ont pour objectif de développer des comportements d’adaptation face à la douleur et de réduire les facteurs de renforcement des comportements douloureux. Sur le versant cognitif, le patient tente de repérer et d’analyser avec son thérapeute les situations facilitant, déclenchant ou majorant les symptômes, qu’il s’agisse de
facteurs physiques (mouvement ou position inappropriés, activité trop intense ou prolongée, fatigue), de cognitions erronées ou inappropriées (catastrophisme, peur d’accroître la douleur), de facteurs environnementaux (conflits avec l’entourage, stress divers).
En premier lieu, il importe d’apporter au patient une représentation la plus rassurante possible de sa douleur et de l’aider à éliminer les distorsions cognitives qui favorisent les comportements mal adaptés. Ce processus d’information peut faire appel à des brochures ou des vidéocassettes éducatives.
Après une phase d’analyse comportementale, des buts clairs sont assignés. Le patient s’évalue régulièrement, tient un journal de bord de ses performances, analyse les situations problématiques.
La motivation du patient, mais aussi du thérapeute et de l’entourage du patient, est essentielle. Cette approche peut s’effectuer lors de consultations individuelles mais également lors de réunions de groupe (école du dos, groupe migraine, groupe fibromyalgie etc.). L’objectif est d’aider le patient à accroître sa tolérance à la douleur, à mieux l’accepter et à mener des activités aussi normales que possible. Les changements
d’attitudes et de comportements doivent être renforcés par le conjoint ou par les autres membres de la famille. Lorsque les interactions familiales paraissent constituer un facteur de chronicité, il convient de savoir solliciter la participation du conjoint pour quelques entretiens.
Ces thérapies sont courtes (3 mois à 1 an en général).
À côté des techniques comportementales qui s’adressent directement à la douleur et à son handicap, en principe toutes les autres formes de psychothérapie peuvent être proposées à un patient douloureux chronique. Dans la pratique, les malades acceptent non sans réticence d’être adressés au psychiatre. Dans notre expérience, c’est souvent après une période de traitement comportemental, qui aide à reformuler la conception des malades quant à leur attitude vis-à-vis de la
douleur chronique, qu’une authentique demande de psychothérapie
peut émerger.
Techniques anesthésiques
Diverses techniques anesthésiques possèdent un intérêt non seulement thérapeutique, mais également diagnostique.
Blocs nerveux diagnostiques
L’intérêt et les indications des blocs diagnostiques sont fonction des écoles : les effets induits sur la douleur, comparés aux données de l’examen clinique neurologique, peuvent aider à mieux cerner la part périphérique et centrale de la douleur.
Ces effets peuvent être utilisés comme test prédictif d’une thérapeutique antalgique secondaire, soit une technique interruptive neurolytique, soit une neurolyse chirurgicale. Dans d’autres cas, ces gestes invasifs sont discutés avec le patient et peuvent l’aider à accepter une représentation autre de sa douleur et des thérapeutiques indiquées.
Blocs nerveux thérapeutiques
Certains blocs non neurolytiques, réalisés avec des anesthésiques locaux, sont pratiqués au niveau de points gâchettes musculaires, de cicatrices ou de troncs nerveux. Dans des douleurs peu anciennes (6 à 24 mois), ils déterminent des soulagements qui se prolongent au-delà de la durée attendue des effets pharmacologiques. On s’accorde à interpréter ces
effets comme liés à l’interruption d’un mécanisme autoentretenu par voie réflexe musculaire ou sympathique.
Dans les douleurs avec dysfonctionnement du système nerveux sympathique (algoneurodystrophie, causalgie), actuellement dénommées syndrome douloureux régional complexe  (SDRC), des blocs sympathiques peuvent être réalisés à différents niveaux : préganglionnaire (péridural), ganglionnaire  (bloc stellaire ou sympathique lombaire) ou postganglionnaire  (bloc locorégional à la guanéthidine ou à la réserpine, selon la méthode de Bier par injection intraveineuse effectuée sous
garrot). L’efficacité des blocs sympathiques sur la douleur dans les SDRC est actuellement discutée dans plusieurs méta-analyses.
Les blocs neurolytiques effectués à l’alcool éthylique (93 %) ou au phénol (8 %) visent à détruire les voies de conduction périphériques des messages nociceptifs. La neurolyse la plus pratiquée est l’alcoolisation du plexus coeliaque pour les douleurs des cancers digestifs (pancréas, estomac…) et de certaines pancréatites chroniques. Les effets durent en moyenne 2 à 3 mois mais la neurolyse peut être répétée si nécessaire.
Techniques neurochirurgicales
Les techniques neurochirurgicales peuvent se diviser en deux grands groupes :
• les techniques de stimulation qui ont l’avantage de préserver l’intégrité anatomique du système nerveux central ; les indications privilégiées sont représentées par les douleurs neuropathiques rebelles au traitement médical ;
• les techniques de section détruisent plus ou moins sélectivement
les voies de la douleur ; leur emploi se justifie dans certaines douleurs néoplasiques échappant aux traitements cancérologiques et aux traitements antalgiques médicaux.
Nous n’envisagerons pas ici les techniques neurochirurgicales d’affection spécifique comme la névralgie trigéminale. Dans cette affection, la thermocoagulation percutanée du trijumeau et la décompression neurochirurgicale du trijumeau sont à utiliser selon des indications graduées, après échec du traitement médical, en fonction de l’âge et de la sémiologie.
Techniques de neurostimulation centrale
Fondées sur les mêmes principes que la neurostimulation transcutanée, se sont développées des méthodes d’analgésie par électrostimulation des nerfs périphériques ou des cordons postérieurs de la moelle. Parallèlement, les méthodes analgésiques par stimulation des cibles cérébrales profondes ont été rendues possibles grâce aux techniques stéréotaxiques.
Lorsque la structure nerveuse devant être logiquement stimulée est inaccessible aux électrodes externes, l’efficacité de la stimulation transcutanée est nulle. Pour des raisons anatomiques ou d’effet antalgique insuffisant de la TENS, il est possible de faire appel à la stimulation médullaire. La stimulation électrique des cordons postérieurs produit en effet des inhibitions similaires à la TENS, par activation antidromique de fibres de gros calibre, au niveau segmentaire.
La stimulation médullaire peut être pratiquée, soit au moyen d’électrodes introduites par voie percutanée, soit par l’intermédiaire d’électrodes implantées chirurgicalement après laminectomie limitée. Quelle que soit la technique, une période de test sur plusieurs jours est indispensable. Si les paresthésies déclenchées par la stimulation couvrent bien le territoire douloureux et si le test percutané s’avère positif, les électrodes et le
récepteur sont secondairement internalisés de façon définitive.
Les conditions d’efficacité de la stimulation cordonale postérieure sont de même nature que celles de la TENS :
• douleurs liées à une origine neuropathique ;
• topographie douloureuse limitée aux membres inférieurs de telle sorte qu’elle puisse être « couverte » par les paresthésies induites par la stimulation médullaire ;
• intégrité des fibres lemniscales (ou cordonales postérieures)  qui pourront transmettre la stimulation inhibitrice.
La stimulation médullaire est une méthode plus invasive que la TENS. Elle oblige donc à une sélection rigoureuse des patients candidats à cette méthode, tant en ce qui concerne les causes de la douleur et ses caractéristiques cliniques, qu’au niveau du  « profil psychologique ». Comme pour les autres modalités de stimulation, un bon effet immédiat ne garantit pas le maintien de l’efficacité à long terme.
Les indications les plus fréquentes de cette méthode sont les radiculalgies ayant persisté après traitement chirurgical (discectomie lombaire), et les douleurs persistantes après amputation.
Grâce aux techniques de stéréotaxie, certaines cibles centrales peuvent être stimulées pour traiter certaines douleurs chroniques ou néoplasiques. Actuellement, ces techniques sont de moins en moins utilisées du fait d’effets secondaires désagréables induits par la stimulation centrale (mouvements oculomoteurs notamment) et surtout d’un échappement à moyen et long termes. Certaines indications restent cependant d’actualité,
telle la stimulation corticale.
Techniques de section
Le recours aux interventions neurochirurgicales de section à visée antalgique peut se justifier lorsque les douleurs échappent au traitement cancérologique et antalgique (morphiniques per os et par voie centrale, association de classes différentes d’antalgiques). C’est dire que ces interventions sont proposées de plus en plus rarement. Ces dernières sont représentées par :
• les radicotomies chimiques par injections péri- ou intradurales de substances neurolytiques, en particulier d’alcool ou de phénol ;
• les radicotomies postérieures complètes ou sélectives, ces dernières étant faites par méthodes thermiques ou microchirurgicales  (radicellectomie sélective postérieure) ;
• les interventions de section des voies spinothalamiques : myélotomie commissurale postérieure ou plus fréquemment cordotomie antérolatérale.
Les indications de ces différentes techniques sont établies en fonction de trois types de facteurs : le pronostic vital, l’état neurologique, le siège et l’étendue des douleurs.
La légitimité d’une intervention neurochirurgicale ne se conçoit que si la probabilité de la durée de survie est égale ou supérieure de 3 à 6 mois. Pour les malades à probabilité de survie relativement longue et notamment ceux qui sont porteurs de lésions considérées comme stabilisées, le choix doit se porter sur des techniques réalisant des interruptions nerveuses aussi limitées et sélectives que possible, comme le permettent actuellement les cordotomies spinothalamiques et les radicotomies postérieures sélectives. Ceci est particulièrement important
chez des malades qui ne présentent pas de déficit neurologique invalidant, en particulier dans le domaine des fonctions génitosphinctériennes.
La neurochirurgie de section conserve des indications intéressantes dans certaines douleurs chroniques non cancéreuses neuropathiques telles que les douleurs après avulsion du plexus brachial qui sont soulagées par des lésions de la zone d’entrée de la moelle : DREZ-tomie (DREZ : dorsal root entryzone).
Malgré leur intérêt dans des indications bien sélectionnées, aucune de ces techniques ne doit être appréhendée par le malade comme une solution « miracle ». Elles sont le plus souvent l’un des éléments contribuant au contrôle de la douleur. Il faut donc que le patient soit préparé à un effet
partiel de ces techniques et que le médecin sache ne pas tout miser sur cette aide, une fois pesée sa bonne indication. Il faut intégrer le geste technique proposé dans une approche plus globale du contrôle de la douleur, prévoir l’évolution à long terme, ce qui implique de revoir le patient pour évaluer les résultats et le conseiller au mieux pour la suite.


jeudi 14 août 2014


Intérêt des centres pluridisciplinaires d’évaluation et de traitement de la douleur


L’organisation des traitements symptomatiques d’une douleur chronique doit se concevoir comme un programme structuré ; celui-ci respecte la combinaison des procédés thérapeutiques découlant de l’analyse de la symptomatologie, mais également une progression logique des moyens. De nombreux cas de figures sont envisageables. Les Tableaux 6,7,8 suggèrent un arbre décisionnel pour certains types de douleurs chroniques : les douleurs cancéreuses, les douleurs neuropathiques et les
lombalgies chroniques.
Quel que soit le cadre de l’évaluation d’une douleur chronique (par une équipe pluridisciplinaire, au sein d’une unité de traitement de la douleur, ou dans un autre cadre), le principe d’une évaluation conjointe systématique des facteurs somatiques et psychologiques potentiels est désormais une notion classique. Le couple somaticien/psychiatre est le noyau de base de ces structures. Cette évaluation peut faire appel à diverses compétences, et les différents avis doivent alors faire l’objet
d’une synthèse qui est transmise au malade : il faut éviter l’écartèlement du malade entre plusieurs spécialistes, favoriser la communication des divers intervenants entre eux. Le suivi sera coordonné par l’un des médecins qui fera régulièrement le point sur les résultats des différentes modalités utilisées, le plus souvent associées, au sein d’un programme thérapeutique structuré.
La mise en oeuvre de ces impératifs est facilitée au sein d’une structure pluridisciplinaire de traitement de la douleur. Les malades qui y sont dirigés sont ceux qui, malgré un diagnostic médical somatique apparemment correct et un traitement classique, continuent de souffrir. Les conditions dans lesquelles le patient est dirigé vers une consultation de la douleur traduisent parfois la difficulté du médecin à supporter seul la prise en charge de tels patients.
La pluridisciplinarité ne constitue pas simplement la seule juxtaposition des disciplines.
Le fonctionnement en équipe est essentiel. La motivation de l’équipe soignante, médicale et paramédicale, est un aspect essentiel du bon fonctionnement de l’unité. Cette motivation participe à limiter les inévitables échecs thérapeutiques. Le cadre de cette consultation paraît par ailleurs lever plus facilement la réticence des malades à consulter un psychiatre et à accepter une prise en charge psychologique lorsqu’elle est
nécessaire.
L’équipe doit réunir les disciplines aptes à analyser la symptomatologie douloureuse examinée : interniste ou généraliste, neurologue, neurochirurgien, anesthésiste, rhumatologue, médecin de médecine physique, psychologue et psychiatre, cancérologue, pédiatre… Bien entendu, dans la pratique, il estinutile de réunir de multiples avis redondants.

Tableau 6.
Stratégie d’évaluation et de traitement des douleurs cancéreuses.
Cause ?



Causes spécifiques ?



 Mécanisme de la douleur ?




















Souffrance
psychologique ?




Cancer



Métastases osseuses
Envahissement nerveux


 Cancer du pancréas
 Excès de nociception













Neuropathique





Musculaire
Effet antalgique des traitements antitumoraux : chirurgie, radiothérapie,chimiothérapie, hormonothérapie, immunothérapie…

Chirurgie d’exérèse et de consolidation AINS–Biphosphonates
Corticoïdes
Bloc coeliaque

Paracétamol
AINS
Antalgiques de palier II
Morphine orale et morphiniques puissants
Morphine SC ou i.v.
Morphine centrale
Blocs neurolytiques
Neurochirurgie de section
 Antidépresseurs (tricycliques)
Anticonvulsivants
Stimulation électrique transcutanée ou centrale



Kinésithérapie
Relaxation




Relation soignant/soigné
Accompagnement
Antidépresseurs
Anxiolytiques
AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; SC : sous-cutané ; i.v. : intraveineux

Tableau 7.
Stratégie d’évaluation et de traitement des douleurs neuropathiques.

Cause ?
Douleur séquellaire ? Symptôme ?

Causes spécifiques ?
Névrome ?
Enfouissement chirurgical ?
Mécanisme de la douleur ?
Composante continue
Composante fulgurante





Composante sympathique
Antidépresseurs tricycliques
Neurostimulation (transcutanée, cordonale, thalamique)
Anticonvulsivants

Blocs sympathique
Facteurs psychologiques
et comportementaux ?
Interprétation de la douleur


Anxiété – dépression



Capacités de contrôle
Réactivité au stress
Perte des activités
physiques
loisirs
professionnelles
Reformulation
Éducation


Antidépresseurs
Anxiolytiques
Psychothérapie

Relaxation
Gestion du stress
Reprise progressive
Rééducation fonctionnelle
Reclassement ou adaptation professionnels








Tableau 8.
Stratégie d’évaluation et de traitement des lombalgies chroniques.
Douleur
Traitement médicamenteux



Traitement non
médicamenteux
Apprendre à vivre avec sa douleur
Antalgiques paliers I ou II
Myorelaxants
Infiltrations articulaires

Rôle actif du malade

Limiter les méthodes passives
(massages, balnéothérapie, stimulation électrique)
Éducation
Reformulation des croyances
Thérapies cognitives et comportementales
Incapacité ?
Restauration fonctionnelle précoce
Reconditionnement physique (sport, loisirs…)
Exercice individuel
Kinésithérapie
École du dos
Retentissement psychologique,
social, familial ?
Prise en charge d’une dépression, d’une anxiété
Psychothérapie
Thérapies cognitives et comportementales
Antidépresseurs
Anxiolytiques
Retentissement professionnel ?
Réinsertion professionnelle
Contact précoce avec le médecin du travail
Réinsertion, reclassement

Pour l’équipe paramédicale, signalons l’aide profitable que peuvent apporter une infirmière, un kinésithérapeute et une assistante sociale.
Cette dernière peut aider le patient à mieux défendre ses droits et limiter les conséquences des fréquents litiges avec la Sécurité sociale.
Il est sans doute préférable que la constitution définitive de l’équipe soit l’aboutissement de collaborations informelles préalables fructueuses. L’équipe doit arriver à fonctionner sans lutte pour la prévalence d’une conception ou d’une technique.
Au contact du groupe, chaque membre de l’équipe est amené à élargir ses intérêts aux multiples facettes de la douleur chronique.
Dans ce climat, l’indication et la place respectives de chaque méthode peuvent sans doute être mieux appréciées.
Le développement de structures de traitement de la douleur constitue un progrès incontestable pour faciliter la prise en charge de la douleur chronique. De nombreux efforts restent encore à réaliser pour renforcer ces structures dans leur organisation, assurer leur pérennité et permettre que les malades y accèdent à un stade adéquat : c’est-à-dire avant l’installation du syndrome douloureux dans la chronicité.
 Points forts
• Le modèle pluridimensionnel de la douleur fait considérer des composantes sensoridiscriminative, affective-émotionnelle,
cognitive, comportementale.
• Facteur majeur d’incapacité de travail, les douleurs chroniques ont un important coût social et économique.
• Les principaux mécanismes physiopathologiques de la douleur sont l’excès de stimulations nociceptives, les douleurs
neuropathiques, les douleurs psychogènes et les douleurs idiopathiques. Ils peuvent être associés.
• Même si la durée d’évolution intervient dans la définition de la douleur chronique (plus de 3 à 6 mois), celle-ci n’est cependant pas
la simple pérennisation d’une douleur aiguë, et prend en compte le retentissement sur le comportement et le bien-être du patient.
• L’entretien avec le malade douloureux chronique doit comporter, outre l’évaluation organique et l’inventaire des traitements, une
évaluation des champs cognitifs, comportementaux et affectif-émotionnel, mais aussi du retentissement socioéconomique.
• La conduite du traitement d’une douleur cancéreuse repose essentiellement sur le traitement médicamenteux, respectant les trois
paliers proposés par l’OMS, et fait le plus souvent appel aux morphiniques, pour lesquels plusieurs voies d’administration sont
possibles.
• Le traitement d’une douleur chronique non cancéreuse repose sur la conjonction d’un traitement médicamenteux, de techniques
de rééducation et de reconditionnement physique, et d’une approche cognitive et comportementale.
• Les techniques anesthésiques ou neurochirurgicales peuvent constituer des alternatives thérapeutiques dans certaines indications.
• Les centres pluridisciplinaires d’évaluation et de traitement de la douleur sont des structures de recours permettant de faciliter la
prise en charge de la douleur chronique.

 Autoévaluation
Questions
I
A - L’excès de stimulations nociceptives sous-tend la majorité des douleurs aiguës
B - Seuls des mécanismes périphériques sont impliqués dans les douleurs neuropathiques
C - Les douleurs des membres fantômes sont des douleurs par excès de stimulations nociceptives
D -Dans les douleurs de type neuropathique, les antalgiques de palier I ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens doivent être prescrits de
première intention en raison de leur efficacité dans ce type de douleur
E - Les traitements médicamenteux d’action centrale comme les antidépresseurs tricycliques ou les antiépileptiques sont prescrits de
première intention dans les douleurs neuropathiques sévères
II
A - La section nerveuse chirurgicale permet de traiter efficacement les douleurs neuropathiques
B - La douleur chronique peut être définie comme une douleur évoluant depuis plus de 3 à 6 mois et/ou susceptible d’affecter de façon
péjorative le comportement ou le bien-être du patient
C - Dans les pathologies douloureuses persistantes, non cancéreuses, un syndrome dépressif est retrouvé dans 8 à 10 % des cas
D -L’évaluation du soulagement de la douleur doit être effectuée au moment où l’on attend l’effet analgésique du traitement instauré
E - Les antalgiques de niveau II, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), associent analgésiques non morphiniques et opioïdes
mineurs
III
A - Selon l’autorisation de mise sur le marché (AMM), les patchs de fentanyl transdermiques sont indiqués dans les douleurs chroniques
cancéreuses intenses ou rebelles aux autres antalgiques en cas de douleurs stables
B - L’allodynie définit une perception douloureuse anormalement intense à un stimulus douloureux
C - La nécessité d’augmenter des doses de morphine doit évoquer en premier lieu un mécanisme de tolérance ou une hyperesthésie à la
morphine
D -Dans les douleurs neuropathiques, les antidépresseurs ne sont actifs que sur la composante paroxystique
E - L’intérêt des benzodiazépines, dans le traitement de la douleur, a été clairement démontré
IV
A - La neurostimulation électrique transcutanée n’est indiquée que dans les douleurs neuropathiques
B - Le bloc locorégional à la guanéthidine est un bloc postganglionnaire
C - La durée d’action des blocs neurolytiques à l’alcool éthylique ou au phénol est en moyenne de 6 mois à 1 an
D -Les techniques neurochirurgicales de stimulation sont indiquées dans les douleurs neuropathiques rebelles au traitement médical
E - La stimulation cordonale postérieure est indiquée dans les douleurs d’origine neuropathique

Réponses
I
A - Vrai
B - Faux
C - Faux : il s’agit de douleurs neuropathiques
D -Faux : leur prescription est illogique et inutile
E - Vrai
II
A - Faux : les techniques chirurgicales de section nerveuse sont susceptibles de majorer le tableau de lésion nerveuse avec, parfois,
l’apparition de nouvelles douleurs neuropathiques
B - Vrai
C - Faux : la dépression est fréquente (30 à 50 %)
D -Vrai : l’évaluation sera horaire ou pluriquotidienne en cas de traitement par des analgésiques, hebdomadaire en cas de traitement par
des antidépresseurs imipraminiques
E - Vrai
III
A - Vrai
B - Faux : l’allodynie définit une perception douloureuse à un stimulus habituellement non douloureux
C - Faux : il faut évoquer de principe une évolution de la maladie
D -Faux : les antidépresseurs agissent à la fois sur la composante continue et sur la composante paroxystique
E - Faux
IV
A - Faux : la neurostimulation électrique transcutanée s’est révélée efficace dans certaines douleurs d’origine non neurologique comme les
douleurs chroniques post-traumatologiques ou rhumatologiques
B - Vrai
C - Faux : les effets durent en moyenne 2 à 3 mois
D -Vrai
E - Vrai

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